i°. L’abattement des forces, défaut de refpira-
tion, lafoiblefl'e, l’intermittence & l’intercadence du
pouls.
2°. Les fymptomes du bas-ventre, les naufées,
les vomiffemens, les cardialgies, les mouvemens
convulftfs.
Les aigreurs 6c la pourriture des bouillons 6c de
tous les alimens.
3°. Les urines font troubles, g rafle s , chargées
d’huile ramaflee en floccons ; les lueurs font colli-
quatives , aigres, greffes , 6c fétides.
4°. Les bubons aux aines, aux aiffelles des parotides
, des charbons dans différentes parties, des lanières
noires ou violettes, ou bleues ; la force du
venin eft indiquée par ces fymptomes.
5°. La gangrené feche & la molleffe des membres
après la mort, 6c avant la mort les déjefrions de fang
par les felles, les excrétions de fang par les felles 6c
par la lueur.
6°. Enfin, la généralité 6c l’univerfalité de l’épidémie
, la mortalité nombreufe 6c par trop répandue,
la violence 6c le nombre infini des accidens, la mort
imprévue qui failit les malades, le premier, le fécond
ouïetroifiemejour, & fouvent prefqu’aufli-tôt qu’ils
font attaqués, font des fignes évidens 6c diagnoftics
de la pejie , fi on les compare avec tous ceux que
nous avons rapportés plus haut, 6c avec les caufes
que nous avons détaillées.
Prognoflic. Il eft d’autant plus fâcheux que per-
fonne n’a encore donné ni la caufe, ni le remede de
ce terrible mal, bien que nous ayons nombre de traités
des plus complets fur fa caufe 6c la façon de le
traiter. En effet, c’eft de tous les maux le plus cruel.
Tout frémit au feul nom de cette maladie ; cet effroi
n’ eft que très-bien fondé ; plus funefte mille fois que
la guerre, elle fait périr plus de monde que le fer 6c
•le feu. Ce n’eft qu’avec horreur qu’on fe repréfente
les affreux ravages qu’elle caufe ; elle moiffonne des
familles entières ; elle n’épargne ni âge, ni fexe ; on
voit périr également les vieillards, les hommes faits,
les adultes, les enfans dans le berceau ; ceux mêmes
qui font cachés dans les entrailles deleurmere, quoiqu’ils
paroiffent à l’abri de fes coups, fubiffent le
même fort ; elle eft même plus pernicieufe pour les
femmes groffes ; & fi l’enfant vient à naître, c’eft
moins pour vivre que pour mourir ; l’air empefté
leur devient fatal; il l’eftmême davantage pour ceux
qui font d’un tempérament fort & vigoureux ; lapejie
détruit le commerce entre les citoyens , la communication
entre les parens ; elle rompt les liens les
plus forts de la parenté & de la fociété ; parmi tant
de calamités, les hommes font continuellement prêts
à tomber dans le defefpoir.
Cependant la pejie n’eft pas toujours fi dangereufe
que l’on fe l’imagine communément ; l’effentiel eft
de ne point s’effrayer en tems depejie ; la mort épargne
ceux qui la méprifent, & pourfuit ceux qui en
ont peur ; tous les habitans de Marfeille ne périrent
point de la pejie, 6c la frayeur en fit périr davantage
que la contagion. La pejie ne fait pas de plus grands
ravages parmi les Turcs 6c les autres peuples d’orient
qui y font accoutumés, que les maladies épidémiques
chez nous, quoiqu’ils ne prennent que peu
ou point de précautions, 6c cela parce qu’ils n’ont
point peur. D’ailleurs, ceux qui afliftentles malades
ne fe trouvant point incommodés, il paroît qu’elle
p’attaque que ceux qui y font difpofés.
Traitement de la pejie. On peut confidérer la pejie
comme menaçante 6c prête à faifir le malade, ou
comme déjà venue 6c ayant infe&é le malade. Dans
le premier cas, il faut s’en garantir, s’il eft poflîble ;
& dans le fécond , il faut la combattre pour la diffi-
per, 6c arrêter fes progrès. Ainfi les remedes font
prophilactiques 6c détournent le mal prochain, ou
ils font thérapeutiques 6c proprement curatifs eri
guériffant le mal lorfqu’il eft préfent.
Cure préfervative. On peut fe préferver de la pejie,
en s’éloignant de la caule de lapejie, ou en lé mu-i
mffant contre elle; ce qui regarde en partie le public
ou le magiftrat, & en partie les particuliers.
Le magiftrat doit avoir foin de faire nettoyer ou
tranfporter toutes les immondices 6c les matières
puantes & corrompues, qui ne font que fomenter le
venin peftilentiel 6c le retenir caché ; de faire nettoyer
6c oter les fumiers , les boues 6c les ordures,
des rues 6c. des places publiques ; de faire enterrer
les morts hors des eglifes, dans des endroits éloignés,
de les faire couvrir de chaux, de défendre toutes
les affemblees, foit dans les places, foit dans les
maifons ; d’ordonner des feu x, de, faire tirer le canon
6c la moufqueterie, pour éloigner par ce moyen
l’infettion, 6c pour corriger l’air par l’odeur de la
poudre ; d’interdire le commerce avec les villes oii
le mal régné, ou qui font fiifpeftes ; de défendre ab-
folument l’entrée ou l’ufage des mauvais alimens :
enfin, d’abord que la pejie commence à fe manifefter,
dé faire féparer au plutôt les malades d’avec ceux
qui fe portent bien.
Les préfervatifs des particuliers fe réduifent à la
diete, aux remedes chirurgicaux 6c pharmaceutiques
; la diete réglé l’ufage de l’air 6c des paflîons de
l’ame, qui font les deux points importans dans cette
maladie. On évite l’air empefté par la fuite, ou bien
on le corrige par des fumigations, des parfums, avec
des odeurs, en les approchant fouvent du nez, pour
corriger l’air à mefure qu’on refpire ; la plupart ne
fe fiant à aucun remede contre un mal fi cruel 6c fi
fubit, recommandent la fuite comme Tunique préfer-
vatif par ces deux vers.
Hcec tria tabijicam tollunt adverbia pejlem ;
Mox , longé , tardé , cede, recede , redi.
Le contentement de Tefprit empêche l’effet de la
crainte ; Thalès de Crete paffe pour avoir chaffé une
pejie qui faifoit d’horribles ravages à Lacédémone,
en procurant de la joie aux habitans. Le médecin eft
inutile à ceux qui peuvent prendre ces précautions ;
mais il eft néceffaire à ceux qui ne peuvent prendre
la fuite, 6c font obligés de refter au milieu des pefti-
férés. Nous ne faurions donner ici tous les remedes
préfervatifs contre la pejie ; ilfaudroit recourir à une
foule d’auteurs qui ont écrit fur cette matière.
M. Geoffroiafait une thefe en 1721, où il propofe
ce problème ; favoir fi l’eau eft un excellent prefer-
vatif en tems de pejie. Cette thefe fetroxive traduite
en françois dans un livre intitulé, les vertus médicina-.
les de Ceau commune.
Cure thérapeutique. Les remedes qui font indiqués
pour guérir la pejie lorfqu’elle eft préfente, font internes
ou externes. Nous allons détailler les plus
vantés ; enfuite nous parlerons de quelques compo-
fitions, ou de quelques fecrets 6c fpécifiques, que
Ton eftime beaucoup.
Les remedes internes ont reçu dans les auteurs le
nom d''antidote, ou d’alexipharmaque ; mais où eft le
véritable alexipharmaque ? il eft encore inconnu 6c
caché, ou plutôt enveloppé de profondes ténèbres ;
il y a cependant beaucoup de remedes, tantfimples
que compofés, qui portent ce nom.
Les remedes fimples font, les racines d’angélique,
d’aunée, d’impératoire, de carline, de contrayerva,
de vipérine, de faxifrage, de dompte-venin, de zé-
doaire ; les écorces 6c les bois, la canelle, le caflia
lignea, le fantal, le bois de baume, le bois d’aloës ;
les feuilles de buis, de fcordium, de diélame de Crete
, de méliffe, de chardon béni, de mille-feuilles ;
les fleurs de fouci, de rofes, de romarin, de millepertuis,
Les fruits; les citrons, les oranges, leslimôris,
tes figues, les n o ix, les baies de gènlevré, les
cubebes, le cardamome, le doux de gérofle, la noix
mufcade, le macis, les fucs 6c les gommes ; le cam«
phre, la myrrhe, le ftyrax, le baume de Judée ; les
parties des animaux, les chairs de vipere, l’ivoire *
les cornes de licorne, de rhinocéros 6c de cerf ; les
fels volatils, leur fiel ; les fragmens prétieux ; les perles.,
la pierre de bézoard, la pierre de porc-épic ;
les terres ; le bol d’Arménie, la terre figillée, le lou-
fre blanc 6c l’antimoine.
Les remedes internes compofés font; la thériaque
d’Andromaque, la thériaque célèfte, le mithridate
de Damocrate, le diacordium de Fracaftor, les conférions
d’alkermès & d’hyacinthe, l’orviétan, les
eaux thériacales, le vinaigre thériacal, les teintures
6c les élixirs alexipharmaques.
Il y en a mille autres auxquels on a donné des
noms pompeux ; mais on fait par plufieurs raifons 6c
par une infinité d’obfervations, que tous ces remedes
au lieu de faire du b ien, trompent ceux qui s’y
fient, nuifent fouvent, & prêtent de nouvelles forces
au venin peftilentiel. Voye{ A l e x i p h a r m a q u e .
Les alexipharmaques externes font ceux, qui appliqués
extérieurement, paffent pour être propres
à détruire le venin , ou à l’éloigner de nos corps ; il
y en a d’artificiels qui font purement fuperftitieux ;
ils font chargés de caraâeres, de figures, de fignes
de mois ; ce font des productions de l’ignorance &
de lafuperftition, qui doivent être rejettées par tout
homme de bon fens. Il y en a qui font de vrais poi-
fons , comme l’arfenic, le réalgai, l’orpiment, les
crapaux, les araignées ; fi ces chofes ne font point
de mal, elles font au-moins inutiles, comme l’expérience
l’a fait voir fouvent.
A quoi donc, dira-t-on, faut-il recourir ? De tous
les remedes, fuivant la thefe de M. Geoffroi, il n’y
e n a . point de meilleur 6c de plus sûr que l’eau en
boiffon ; c’eft elle feule qui peut ramollir les fibres
nerveufes, quand elles font trop roides 6c trop crif-
pées, détruire l’éréthifme des folides, délayer les
humeurs trop épaiffes, atténuer celles qui font trop
groflieres, adoucir leur âcreté, empêcher leur corruption
, modérer ou même totalement arrêter la
violence du venin peftilentiel, lorfqu’il eft une fois
gliffé dans nos corps : d’ailleurs on n’a pas fujet d’en
appréhender le moindre mal ; c’eft ce que le favant
auteur déjà cité, démontre en détail, 6c d’une maniéré
qui me paroît fans réplique.
La pejie peut fe regarder comme une efpece de
fievre, 6c être traitée de même ; dès-lors on combinera
les indications de la fievre avec celles de la contagion
; 6c d’ailleurs fi on lit les auteurs qui ont écrit
après avoir traité des peftiférés , tels qu’Hildanus
Caldera, Heredia, & Thonerus; on verra que les
cordiaux trop chauds ont foit périr plufieurs perfon-
nes. Les cordiaux font donc dangereux 6c ne font
pas Tunique ni le vrai remede 6c antidote de la pejie,
non plus que des autres maladies, où il y a un grand
abattement.
Celfe dit que les maladies peftilentielles demandent
une attention particulière ; puifque dans ces
cas la diete, les clyfteres 6c la purgation, ne font
d’aucune utilité ; mais la faignée eft très-falutaire ,
lorfque les forces le permettent, fur*tout lorfquë la
maladie eft accompagnée de douleurs de fievre violente.
Riviere, & après lui de grands praticiens, recommandent
la faignee faite à petite dofe : ce remede eft
fort contredit par le grand nombre des praticiens; 6c
d’ailleurs il a eu fouvent de mauvais fuccès ; on a vu
des malades périr dans la faignée. Cependant on peut
dire que la laignée indiquée par une roideur, une
force, 6c une grandeur dans le pouls, par une chaleur
6c une foif extraordinaire, 6c par les autres fignes
inflammatoires,ferafaite très-fagement ; & alors
pour en éviter-les inconveniens qui font d’augmenter
l’abattement, on auroit foin de la modérer d’en
arrêter ou empêcher les mauvais effets. On faignera
peu à la fois, 6c on réitérera la faignée tout au plus
une fois ; on la foutiendra par des cordiaux.
Les praticiens célébrés confeillent la purgation ;
ce qui eft encore fort contefté : d’abord il répugne
de purger dans l’abattement 6c dans lafoiblefl'e; d’ailleurs
les bubons 6c les charbons marquent que le venin
cherche à fortir, 6c le public penfe que les fai-
gnées 6c les purgatifs les font rentrer. Nous obfer*
verons feulement fans décider ces queftions, que là
pourriture des premières voies, aide les progrès dé
la pejie; 6c qu’ainfi les purgatifs en la nettoyant feront
un grand bien, 6c préviendront les ravages
qu’elle attire ; ils emporteront les aigreurs des premières
voies, 6c par - là la peftilence fera moins
d’effet.
Mais l’effet des purgatifs étant d’abattre les forces,
d’augmenter les douleurs cardialgiques, de détourner
les humeurs de la circonferencè au centre,
que n’ en doit-on pas attendre pour la rentrée des
bubons, des charbons, 6c des exanthèmes ; ces derniers
demandent Tadminiftration des cordiaux, 6c
l’indication des purgatifs les contre-indique : c’ eft
au médecin fage à concilier les indications 6c les
contre-indications dans cette fâcheufe perplexité.
Les purgatifs feront l’émétique ordinaire, l’effen-
ce émétique, les potions purgatives ordinaires. Voye^
P u r g a t i f , & P o t i o n .
Les cordiaux feront fimples ou compofés : les Amples
font tous ceux que nous avons détaillés ci-
defîiis : les compofés font les confections alexitaires,
les teintures, tels que la teinture d’or mêlée dans fix
onces d’eau de fcorfonnere, le fyrop de contrayerva
, les pilules anti-peftilentielles, les fudorifî-
ques antipeftilentiels, les décodions fudorifiques alexitaires.
Voye%_ tous ces articles.
Potion cordiale contre la pejie. Prenez des eaux thé-
riacale Ample , de fureau, de fcabieufe, de chacune
deux onces; de confection d’alkermès, un gros; de
fiel de porc préparé, un demi-gros ; de l’effence
émétique 6c du lilium de Paracelfe, de chaque trente
gouttes ; de fyrop de contrayerva, trois onces.
Cette potion fe donnera par cuillerée à chaque
demi-heure ; on retranchera l’émetique dans les
potions réitérées.
Autre potion cordiale. Prenez des eaux de chardon
béni,d’angélique,de méliffe Ample,& thériaque com-
pofée, de chaque une once 6c demie ; de teinture
d’or 6c d’élixir de propriété, de chaque un fcrupule ;
de fyrop d’oeillet, une once 6c demie : faites une
potion que Ton réitérera félon le befoin.
Le régime doit être humeftant, doux, & légèrement
cordial 6c acide ; on peut ordonner pour boiffon
la limonnade avec le fyrop de contrayerva, ou
un autre pareil. Voye[ S y r o p d e C o n t r a -y e r v a .
Narcotiques. Nous ne pouvons nous difpenfer ici
de faire une obfervation lur les narcotiques préparés
avec l’opium ou le pavot blanc ; ils font contraires
par eux-mêmes à la caufe générale de la pejie, qui eft
la coagulation du fang ; cependant il eft dés cas oîi
ils peuvent être indiqués; alors on doit en ufer avec
toute la fageffe poflible. Voye^ O p iu m & N a r c o t
i q u e s .
Cela dépend de l’infpeétion d’un habile médecin,
de même que tout le traitement de la pejie.
On doit conclure de tout ce qui a été dit fur la
pejie , que cette maladie nous eft totalement inconnue
quant à fes caufes 6c fon traitement; que la feule
expérience ne nous a que trop inftruit de fes fune-
ftes effets.