H W le royaume eft éleèlif, il femble que le
peuple, qui eft la partie la plus nombreuse 6c la plus
mcceftaire, devrait avoir part à l’éle&ion : pas la
moindre. Il prend le roi que la noblefle lui donne ;
trop heureux s’il-ne portoit pas des fers dans le fein
■ de la liberté. Tout ce qui n’eft pas noble vit fans
■ con(idération dans les villes, ou efclave dans les
campagnes ; 6c l’on fait que tout eft perdu dans un
■ état, lorfque le plebéïen ne peut s’élever que par un
boulverfement général. Aulïi la Pologne n’a - 1 - elle
qu’un petit nombre d’ouvriers 6c de marchands, encore
font-ils allemands, juifs, ou françois.
Dans les guerres, elle a recours à des ingénieurs
étrangers. Elle n’a point d’école de Peinture, point
de théâtre ; l’Architeûure y eft dans l’enfance ; l’Hil-
toire y eft traitée fans goût; les Mathématiques peu
cultivées ; la faine Philofophie prefque ignorée ; nul
monument, nulle grande ville.
Tandis qu’une trentaine de palatins, une centaine
de caftellans 6c ftàroftes , les evêques 6c les grands
officiers de la couronne jouent les latrapes aliatiques,
ï oo mille petits nobles cherchent le néceflaire comme
ils peuvent. L’hiftoire eft obligée d’inlifter fur la no-
blefl'e polonoife, puifque le peuple n’eft pas compté.
Le droit d’élire fes rois eft celui qui la flatte le plus,
6c qui la lert le moins. Elle vend ordinairement fa
couronne au candidat qui a le plus d’argent ; elle
crie dans le champ éleftoral qu’elle veut des princes
qui gouvernent avec fageffe ; & depuis le régné de
Cafimir le grand, elle a cherché en Hongrie , en
Tranfilvanie, en France 6c en Allemagne, des étrangers
qui n’ont aucune connoiflance de fes moeurs ,
‘ de fes préjugés, de fa langue, de fes intérêts, de fes
lo is , de fes ufages.
Qui verrait un roi de Pologne dans la pompe de la
majefté royale, le croirait le monarque le plus riche
& le plus abfolu : ni l’un ni l’autre. La république ne
lui donne que fix cens mille écus pour l’entretien de
fa maifon ; 6c dans toute conteftation, les Polonois
jugent toujours que le roi a tort. Comme c’eft lui qui
préfide aux confeils 6c qui publie les decrets, ils l’appellent
la bouche, 6c non Came de la république. Ils
le gardent à vue dans l’adminiftration : quatre féna-
teurs doivent l’obferver par-tout, fous peine d’une
amande pécuniaire. Son chancelier lui refufe le fceau
pour les chofes qu’il ne croit pas juftes. Son grand
chambellan a droit de le fouiller ; aufli ne donne-t-il
cette charge qu’à un favori.
Ce roi, tel qu’il eft, joue pourtant un beau rôle
s’il faitfe contenter de faire du bien , fans tenter de
nuire. Il difpofe non-feulement, comme les autres
fouverains, de toutes les grandes charges du royaume
& de la cour, des évêchés 6c des abbayes, qui font
prefque toutes en commande , car la république n’a
pas voulu que des moines qui ont renoncé aux ri-
cheflès & à l’état de citoyen, poflédafl'ent au-delà du
néceflaire ; il a encore un autre tréfor qui ne s’épuife
pas. Un tiers de ce grand royaume eft en biens
Toyaux, tenutes, advocaties, ftarofties, depuis fept
mille livres de revenu jufqu’à cent mille ; ces biens
royaux , le roi ne pouvant fe les approprier, eft
obligé de les diftribuer, 6c ils ne paffent point du pere
au fils aux dépens du mérite. Cette importante loi eft
une de celles qui contribuent le plus au foutien de
la république. Si cette république n’eft pas encore
détruite, elle ne le doit qu’à fes lois : c’eft une belle
chofe que les lois ! Un état qui en a & qui ne les enfreint
point, peut bien éprouver des fecouffes ; mais
c ’eft la terre qui tremble entre les chaînes de rochers
qui l’empêchent de fe diflbudre.
Réfumons à-préfent les traits frappans du tableau
de la Pologne, que nous avons deffiné dans tout le
cours de cet article. Cette monarchie a commencé l’an 550, dans la
perfonne de L e ck , qui en fut le premier duc. Au neuvième
fiecle, l’anarchie qui déchiroit l’état finit par
couronner un Ample particulier qui n’avoit pour recommandation
qu’une raifon droite 6c des vertus.
C ’eft Piaft qui donna une nouvelle race de fouverains
qui tinrent long-tems le feeptre. Quelques-uns abu-
lerent de l’autorité, ils furent dépofés. On vit alors
la nation, qui avoit toujours ob éi, s’avancer par degrés
vers la liberté, mettre habilement les révolutions
à profit, 6c fe montrer prête à favorifer le prétendant
qui relâcherait davantage les chaînes. Ainfi
parvenue peu-à-peu à donner une forme républicaine
à l’adminiftration, elle la cimenta, lorfque fur la fin
du xiv. fiecle fes nobles firent acheter à Jagellon
duc de Lithuanie, l’éclat de la couronne par le facri-
fice de fa puiflance.
Le Chriftianilme ne monta fur le trône de Pologne
que dans le x. fiecle, 6c il y monta avec cruauté. Cette
augufte religion y a repris finalement l’efprit de douceur
qui la caraftérife : elle toléré dans l’état des fec-
tes que mal-à-propos elle avoit bannies de fon fein;
mais en même tems la Pologne eft reftée fuperftitieu-
fement foumife aux decrets du pontife de Rome, donc
le nonce à Varfovie a un pouvoir très-étendu. Un
archevêque , celui de Gnefne , eft le chef du fénat
comme de l’églife ; les autres prélats polonois munis
comme lui du privilège d’un pape, ont par ce privilège
le droit de teindre leurs mains pacifiques du
fang de leurs enfans, en les condamnant à la mort. Iï
n’y a dans toute la Pologne que trois ou quatre villes
qui puiffent pofleder des terres ; 6c quoiqu’on foit
accoutumé à voir dans l’hiftoire de ce pays le malheureux
fort des payfans, on frémit toujours en contemplant
cette dégradation de l’humanité , qui n’a
pas encore cédé au chriftianifine mal épuré de ce
royaume.
La puiflance fouveraine réfide dans la noblefle ;
elle eft repréfentée par fes nonces ou députés dans
les dietes générales. Les lois fe portent dans fes affem-
blees, 6c obligent le roi même'.
Dans l’intervalle de ces parlemens de la nation, le
fénat veille à l’exécution des lois. D ix miniftres du
ro i, qui font les premiers officiers de la couronne
ont place dans ce confeil, mais n’y ont point de voix!
Les rois de Pologne en nommant à toutes les charges,
peuvent faire beaucoup de b ien, 6c, pour ainfi dire!
point de mal.
Le gouvernement eft en même tems monarchique
& aristocratique. Le r o i , le fénat & la noblefle ,
forment le corps de la république. Les évêques , qui
font au nombre de quinze fous deux archevêques,
tiennent le fécond rang , &: ont la prefleance au
fénat.
On voit dans ce royaume des grands partageant
la puiflance du monarque, 6c vendant leurs futtrageS
pour fon éleétion 6c pour foutenir leur pompe faf-
tueufe. On ne voit en même tems point d’argent dans
le tréfor public pour foudoyer les armées, peu d ’artillerie
, peu ou point de moyens pour entretenir les
fubfides ; une foible infanterie, prefqu’aucun commerce
: on y voit en un mot une image blafarde des
moeurs 6c du gouvernement des Goths.
En vain la Pologne fe vante d’une noblefle belli-
queufe, qui peut monter à cheval au nombre de cent
mille hommes : on a vu dix mille rufles, après l’é-
leélion du roi Staniflas, difperfer toute la noblefle
polonoife aflemblée en faveur de ce prince, 6c lui
donner un autre roi. On a vu dans d’autres occafions
cette armée nombreufe monter à cheval, s’affembler
fe révolter, fe donner quelques coups de fabres , 6c
fe féparer tout de fuite.
L’indépendance de chaque gentilhomme eft l’objet
des lois de ce pays ; & ce qui en réfulte par le\ir libe-
rum veto, eft l’oppreffion de tous.
Enfin ce royaume du nord de l’Europe ufe fi mal
de fa liberté 6c du droit qu’il a d’élire fes rois , qu’il
femble vouloir confoler par-là les peuples fes voi-
fins, qui ont perdu l’un 6c l’autre de ces avantages.
Pour achever complettement le tableau de la Pologne,
il ne nous refte qu’à crayonner les principaux
d’entr’eux qui l’ont gouvernée depuis le vj. fiecle jufqu’à
ce jour. Dans ce long efpace de tems elle compte
des chefs intelligens, adifs & laborieux, plus qu’aucun
autre état ; 6c ce n’eft pas le hafard qui lui a donné
cet avantage , c ’eft la nature de fa constitution. Dès
le xiv. fiecle elle a fait fes rois : ce ne font pas des
enfans qui naiffent avec la couronne avant que d’avoir
des vertus, 6c qui dans la maturité de l’âge peuvent
encore fommeiller fur le trône. Un roi de Pologne
doit payer de fa perfonne dans le fénat, dans les
dietes, 6c à la tête des armées. Si l’on n’admire que les
vertus guerrières, la Pologne peut fe vanter d’avoir
eu de grands princes ; mais fi l’on ne veut compter
que ceux qui ont voulu la' rendre plus heureufe
qu’elle ne l’eft, il y a beaucoup à rabattre.
Leck la tira des forêts & de la vie errante, pour
la fixer 6c la civilifer. L’Hiftoire ne nous a pas con-
fervé fon cara&ere, mais on fait en général que les
fondateurs des empires ont tous eu de la tête 6c de
l’exécution.
Cracus, dans le vij. fiecle, leur donna les premières
idées de la juftice, en établiflant des tribunaux pour
décider les différends des particuliers. L’ordre régna
où la licence diminuoit. Cracovie idolâtre honora
long-tems fon tombeau : c’étoit fon palladium.
Au jx. fiecle , Piaft enfeigna la vertu en la montrant
dans lui même: ce qu’il ne pouvoit obtenir par
la force du commandement, il le perfuadoit par la
raifon 6c par l’exemple. Son régné s’écoula dans la
pa ix, 6c des barbares commencèrent à devenir citoyens.
Dans le x. fiecle, Boleflas Chrobri, plein d’entrailles
, les accoutuma à regarder leur fouverain
comme leur pere , 6c l’obéiflànce ne leur coûta rien.
Cafimir l. fit entrevoir les Sciences 6c les Lettres
dans cette terre fauvage, où elles n’étoient jamais entrées.
La culture grofliere qu’on leur donna attendoit
des fiecles plus favorables pour produire des fruits :
ces fruits font encore bien âpres ; mais le tems qui
mûrit tou t, achèvera peut-être un jour en Pologne ce
qu’il a perfeélionné en d’autres climats.
Dans le fiecle fuivant, Cafimir II. qui ne frit nommé
le jufie qu’après l’avoir mérité , commença à protéger
les gens de la campagne contre la tyrannie de
la noblefle.
Au xiv. fiec le, Cafimir III. ou Cafimir le grand ,
qu’on appelloit aufli le roi des payfans , voulut les
mettre en liberté ; 6c n’ayant pu y réuflïr, il deman-
doit à ces bonnes gens lorfqu’ils venoient fe plaindre
, s’il n’y avoit chez eux ni pierres ni bâtons pour
fe defendre. Cafimir eut les plus grands fuccès dans
toutes les autres parties du gouvernement. Sous fon
régné , des villes nouvelles parurent, 6c fervirent de
modèle pour rebâtir les anciennes. C ’eft à lui que la
Pologne doit le nouveau corps de lois qui la réglé encore
à-préfent. Il fut le dernier des Piaft, race qui a
régné 528 ans.
Jagellon fit tout ce qu’il voulut avec une nation
d’autant plus difficile à gouverner, que fa liberté
naiffante étoit toujours en garde contre les entrepri-
fes de la royauté. Il eft étonnant que le trône toujours
élefrif dans fa race, n’en foit pas forti pendant
près de 400 ans ; tandis qu’ailleurs des couronnes héréditaires
paffoient à des familles étrangères. Gela
montre combien les événemens trompent la fagefle
humaine.
Le fils de Jagellon, Uladiflas VI. n’avoit que 10
ans lorfqu’on l’éleva au trône, chofe bien finguliere
dans une nation qui pouvoit donner fa couronne à
un héros tout formé ; c’eft qu’on en appercevoit déjà
l’ame à-travers les nuages de l’enfance. La république
nomma autant de régens qu’il y avoit de provinces,
& des Burrhus fe chargèrent d’inftruire l’homme de
la nation. Il prit les renes de l’état à 18 ans ; 6c en
deux ans de régné il égala les grands rois. Il triompha
des forces de la maifon d’Autriche ; il fe fit couronner
roi de Hongrie ; il frit le premier roi de Pologne qui
ofa lutter contre la fortune de l’empire Ottoman.
Cette hardiefle lui fiit fatale ; il périt à la bataille de
Varne, à peine avoit-il 20 ans ; 6c la Pologne regrettant
également l’avenir 6c le pafle, ne verfa jamais
de pleurs plus amers.
Elle n’efliiya bien fes larmes que clans le xvj. fiecle,’
foitS le régné de Sigifmond I. Ce prince eut un bonheur
rare dans la diete d’élettion ; il fut nommé roi
par acclamation, fans divifion de fuffrages. Une autre
faveur de la fortune lui arriva, parce que les grands
hommes favent la fixer. Il abattit la puiflance d’un
ordre religieux qui défoloit la Pologne depuis trois
fiecles; je parle des chevaliers teutoniques. Sigifmond
étoit doué d’une force extraordinaire, qui le faifoit
palier pour l’Hercule de fon tems ; il briloit les mér
taux les plus durs, 6c il avoit l’ame aufli forte que le
corps. Il a vécu 82 ans , prefque toujours victorieux,
refpeCté 6c ménagé par tous les fouverains , par Soliman
même, qui ne ménageoit rien. Il a peut-être
été fiipérieur à François I. en ce que plus jaloux du
bonheur de fes peuples que de fa gloire, il s’appliqua
conftamment à rendre la nation plus équitable que
fes lo is, les moeurs plus fociables, les villes plus flo-
riffantes, les campagnes plus cultivées , les Arts 6c
les Sciences plus honorés , la religion même plus
épurée.
Perfonne ne lui reflembla plus parmi fes fuccef-
feurs, qu’Etienne Battori, prince de Tranfilvanie ,
à qui la Pologne donna fa couronne, après la fuite
d’Henri de Valois. Il fe fit une loi de ne diftribuer les
honneurs 6c les emplois qu’au mérite ; il réforma les
abus qui s’étoient accumulés dans l’adminiftration
de la juftice ; il entretint le calme au-dedans 6c au-
dehors. Il régna dix ans : c’étoit aflez pour fa gloire ,
pas aflez pour la république.
Sigifmond III. prince de Suede, lui fuccéda fans
le remplacer ; il n’eut ni les mêmes qualités ni le même
bonheur ; il perdit un royaume héréditaire pour
gagner une couronne éleCtive ; il laifla enlever à la
Pologne, par Guftave-Adolphe, l’une de fes plus belles
provinces, la Livonie. Il avoit deux défauts qui cau-
fent ordinairement de grands malheurs ; il étoit borné
6c obftiné.
Cafimir V . (Jean) fut le dernier de la race des
Jagellons. Rien de plus varié que la fortune de ce
prince. Né fils de r o i , il ne put réfifter à l’envie d’être
religieux, efpece de maladie qui attaque la jeu-
nefle, dit l’abbé de Saint-Pierre, 6c qu’il appelle la
petite vérole de Cefprit. Le pape l’en guérit en le fai-
fant cardinal. Le cardinal fe changea en roi ; 6c après
avoir gouverné un royaume , il vint en France pour
gouverner des moines. Les deux abbayes que Louis
XIV. lui donna, celle de S. Germain-des-Prés 6c
celle de S. Martin de Nevers, devinrent pour lui une
fubfiftance néceflaire, car Ià‘ Pologne lui refufoit la
penfion dont elle étoit convenue ; 6c pendant ce
tems-là il y avoit en France des murmures contre un
étranger qui venoit ôter le pain aux enfans de la
maifon. Il voyoit fouventMarie Mignot, cette blan-
chifleufe que le caprice de la fortune avoit d’abord
placée dans le lit d’un confeiller du parlement de
Grenoble , 6c enfuite dans celui du maréchal de l’Hôpital.
Cette femme finguliere, deux fois veu ve, fou-
tenoit à Gourville qu’elle avoit époufé fecrettement
le rç»i Cafimir, Elle étoit avec lui à Nevers lorfqu’il