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» pie : les courtfans préférant leur avantage particulier
» au bien °énéral, ne donnent que des confcils inté-
» refis. Préférant, marque la caufe de l’a&ion, &
» l’etat habituel de la chofe dont on a parlé ».
J’oferai cependant remarquer i°. que quand ces
caraéleres conviendroient mconteftablement aux
deux efpeces , 8c qu’ils feroient incommunicables ,
ce ne leroit pas ceux que devroit envifager la Grammaire
, parce que ce font des vues totalement mëta-
phyfiques , 8c qui ne tiennent en rien au fyftème de
la Grammaire generale : z°. qu’il me femble que le
gérondif peut quelquefois exprimer la caufe de l’action
& l’etat de la chofe ; 8c qu’au contraire on peut
énoncer par le participe une aûion paffagere 8c le tems
d’une aélion fubordbnnée. Par exemple , en remplif-
fant toujours vos devoirs & en fermant conflamment les
y eux fur les défagrément accidentels de votre place,vous
captiverez enfin la bienveillance de vos fupérieurs : les
deux gérondifs en remplijfant 8c enfermant expriment
l’état habituel oii l’on exige ici que foit le fubalterne,
& ils énoncent en même tems la caule qui lui procurera
la bienveillance des fupérieurs. Que l’on dife au-
contraire, mon pere fortantde fa rnaifon, des inconnus
enlevèrent à fesyeux Le meilleur de fes amis ; le mot for-
tant a un fujet qui n’eft qu’à lu i , mon pere, 8c c’eft
par conféquent un participe ; cependant il n’exprime
qu’une aélion paffagere, 8c ta tems de l’aftion principale
, qui eft fixé par l’époque de cette aftion fubor-
donnée. L’exemple que j’ai cité dés le commencement
d’après Céfar , quos ab urbe difced>.ns Pompeius
erat adhortatus, fert encore mieux à confirmer ma
penfée : difcedens eft fans contredit un participe , & il
n’exprime en effet qu’une circonftance de tems de l’événement
exprimé par erat adhortatus. Or les caractères
diftin&its du gérondif 8c du participe doivent
être les mêmes dans toutes les langues, ou les Grammairiens
doivent changer leur langage. .
Je crois donc que ce qui doit caraclérifer en effet
le gérondif & le participe aélif, c’eft que le gérondif,
dont la nature eft au fond la même que celle de l’infinitif
, eft un véritable nom ; au lieu que le participe
a â if , comme tout autre participe, eft un véritable
adjeélif. De-là vient que notre gérondif peut être employé
comme complément de la prépofition en , ce
qui càraélérife un véritable nom ; en riant, on dit La
vérité : que quand la prépofition n’ eft point exprimée,
elle eft du-moins fous-entendue, 8c qu’on peut
la fuppléer \ allant à la campagne je l'airencontré, c’eft-
à-dire, en allant à la campagne je l'ai rencontré; enfin ,
que le gérondif n’a jamais de fujet auquel il foit immédiatement
appliqué , parce qu’il n’eft pas dans la
nature du nom d’avoir un fujet. Au contraire notre
participe aélif eft toujours appliqué immédiatement à
lin fujet qui lui eft propre, parce qu’il eft adjeôif,
& que tout adjeétif l’uppofe effentiellement un fujet
auquel ilfe rapporte.
Notre gérondif eft toujours fimple, & il eft toujours
au préfent ; mais c’eft un préfent indéfini qui
peut s’adapter à toutes les époques : en riant, je vous
donne un avis férieux • en riant, je vous ai donné un
avis férieux ; en riant , je vous donnerai un avis fé-
rieüxi
Au contraire notre participe aéfif admet les trois
différences générales de tems, mais toujours dans le
fens indéfini 8c relativement à une époque quelconque
: donnant eft au préfent indéfini; ayant donné eft
au prétérit indéfini ; devant donner eft au futur indéfini
; 8c par-tout c’eft le participe aélif.
M. Duclos prétend qu’en beaucoup d’occafions le
gérondif & le participe peuvent être pris indifféremment
l’un pour l’autre ; & il cite en exemple cette
phrafe : les hommes jugeant fur l'apparence , font fu-
jets à fe tromper : il eft affez indifférent, dit-il, qu’on
entende dans cette-propofition, les hommes en ju-
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géant ou les hommes qui jugent fur l’apparence. Pour
moi je ne crois point du tout la chofe indifférente : fi
l’on regarde jugeant comme un gérondif, il me femble
que la propofition indique alors les cas oîi les
hommes font fujets à fe tromper, c’eft en jugeant, in
judicando , lorfqu'ils jugent fur l’apparence ; fi jugeant
eft un participe, la propofition énonce par-là la caufe
pourquoi les hommes font fujets à fe tromper, c’eft;
que cela eft le lot ordinaire des hommes qui jugent
fur l’apparence : or il y aune grande différence entre
ces deux points de vue , 8c un homme délicat, qui
voudra marquer l’un plutôt que l’autre , fe gardera
bien de fe fervir d’un tour équivoque ; il mettra la
prépofition en avant le gérondif, ou tournera le participe
par qui, conformément à l’avis même de M. Duclos.
Il n’eft plus queftion d’examiner aujourd’hui fi nos
participes aélifs font déclinables, c’eft-à-dire , s’ils
prennent les inflexions des genres 8c des nombres. Ils
en étoient autrefois lufceptibles; mais aujourd’hui ils
font abfoliiment indéclinables. Si l’on dit, unemaij'on
appartenante( à Pythius , une requête tendante aux fins ,
8cc. ces prétendus participes doivent plutôt être r e - 1
gardés comme de purs adjeélifs qui font dérivés du
verbe, 8c femblables dans leur conftruclion à quantité
d’autres adjectifs, comme utile à la famé, néclf-
faire à la vie, docile aux bons avis, 8cc. C ’eft ainfi que
l’académie françoife elle-même le décida le 3 Juin
1679 ( opufe. pag. 343. ) , 8c cette décifion eft d’une
vérité frappante : car il eft évident que dans les exemples
allégués , 8c dans tous ceux qui feront fembla-
bles, on n’a égard à aucune circonftance de tems , ce
qui eft pourtant effentiel dans les participes.
Au refte l’indéclinabilité de nos participes aétifs ne
doit point empêcher qu’on ne les regarde comme de
vrais adjeélifs-verbes : cette indéclinabilité leur eft
accidentelle, puifqu’anciennement ils fe déclinoient ;
8c ce qui eft accidentel ne change point la nature in-
deftrudible des mots. Les adjeétifs numéraux qua-,
tuor, quinque ,fexyfeptem, &c. 8c en françois, deux ,
trois , quatre , cinq , j ix ,fep t, 8cc. plusieurs , ne font
pas moins adjeélifs, quoiqu’ils gardent conftamment
la même forme : les verbes de la langue franque ne
laiflént pas d’être des verbes, quoiquel’ufage ne leur
ait accordé ni nombres , ni perfonnes, ni modes, ni
tems.
Si la plupart de nos grammairiens ont confondu
le gérondif françois avec le préfent du participe
a é ïif , trompés en cela par la reffemblance de la
forme & de la terminaifon ; on eft tombé dans une
méprife toute pareille au fujet de notre participe palîif
fimple, que l’on a confondu avec le fupin de nos verbes
aélifs , parce qu’ils ont aufîi le meme matériel.
Je ne doute point que ce ne foit, pour bien des
grammairiens, un véritable paradoxe , de vouloir
trouver dans nos verbes un lupin proprement dit :
mais je prie ceux qui feront prévenus contre cétte
idée, de prendre garde que je ne fuis pas le premier
qui l’ai mife en avant, & q u e M. Duclos, dans fes
remarques J’ur le ch. xxj. de la II. part, de la Grarnm.
gén. indique affez nettement qu’il a du-moins en-
trevû que ce fyftème peut devenir probable. « A l’é-
» gard du fupin, dit-il, fi nous en voulons recon-
» noître en françois, je crois que c’eft 1 e participe,
» paftif indéclinable , joint à l’auxiliaire avoir ». Ce
que dit ici cet habile académicien n’eft qu’une efpece
de doute qu’il propofe ; mais c’eft un doute dont ne
fe feroit pas avifé un grammairien moins accoutumé
à démêler les nuances les plus délicates moins
propre à approfondir la vraie nature des çhofes.
Ce n’ eft point par la forme extérieure ni par le
fimple materiel des mots qu’il faut juger de leur na-,
ture ; autrement on rifqueroit dç paflèr d’erreur en
erreur 8c de tomber fouvent dans aes difficultés inex-
‘ PAR
plicables. Le, la , les, leur, ne font-ils pas quelquefois
des .articles 8c d’autres fois des pronoms? i'ieft
adverbe modificatif dans cette phrafe : Bourdaloue
efi f i éloquent qu'il enleveles coeurs j il eft adverbe comparatif
dans celle-ci : Alexandre n'efi pas f i grand que
Céfar ; i l eft conjonftion hypothétique dans celle-ci :
f i ce livre efi utile, j/t ferai content ; & dans cette autre
i je ne fai f i mes vues réujfiront. La reffemblance
matérielle de notre fupin avec notre participe paftif,
ne peut donc pas être une raifon fuffifante pour re-
jetter cette diftinûion ', fur-tout fi on peut l’établir fur
une différence réelle de fervice, qui feule doit fixer
la diverfité des efpeces.
Il faut bien admettre ce principe dans la Grammaire
latine, puifque le fupin y eft abfolument fem-
blable au participe paftif neutre. Si que cette fimili-
tude n’a pas empêché la diftinftion, parce qu’elle n’a
pas confondu les ufages. Le fupin y a toujours été
employé comme un nom, parce que ce n’eft en effet
qu’une forme particulière de l’infinitif( voye^Sv-
Pin ) : quelquefois il eft fujet d’un verbe ,fiuum efi
(avoir pleuré eft ) on a pleuré ( voyez Impersonnel)
; d’autres fois il eft complément objeâif d’un
v erbe, comme dans cette phrafe de Varron, me in
Arcadiâ feto fpeclatum fuem, dont la conftruftion eft
erga me fcio Jpeclatum Juem in Arcadid, ( je fai avoir
vu ) , car la méthode latine de P. R. convient que fpec-
tatum eft pour fpeclajfe , & elle a raifon; enfin , dans
d’autres occurrences , il eft complément d’une prépofition
du-moins fous-entendue, comme quand Sal-
îufte ,'dit, nec ego vos ult um injurias hortor , c’eft-à-
dire , ad ultum injurias. Au lieiuque le participe a toujours
été traité'& employé comme ad jeâif, avec les
diverfités d’inflexions exigées par la'loi de la concordance.
C ’eft encore la même chofe dans notre langue ; &
outre lès différences qui dîftinguent effentiellement
le nom & l’adjeêlif , on fent aiiément que notre fupin
conferve le fens aêlif, tandis que notre participe
a véritablement le fens paftif. J'ai lu vos lettres:fi l’on
veut analyfer cette phrafe, on peut demander j'ai
quoi ? & la réponfe fait dire j'a i lu ; que l’on demande
enfuite, lu quoi ? on répondra, vos lettres :
ainfi lu eû le complément immédiat de j'a i, comme
lettreseû.le complément immédiat de ht. Lu , comme
complément de j 'a i , eft donc un mot de même efpece
que lettres, c’eft un nom ; & comme ayant lui-
même un complément immédiat, c’eft un mot de la
même efpece que j'a i, c’eft un verbe relatif au fens
aftifi Voilà les vrais caraâeres dé l’infinitif, qui eft un
nom-verbe ( voyez Infinitif ) ; 8c conféquemment
ceux du fupin , qui n’eft rien autre chofe que l’infinit
if fous une forme particulière ( voyc^SuPiN ).
Que l’on dife au contraire, vos Lettres lues, vos lettres
étant lues, vos lettres font lues, vos lettres ayant
été lues, vos lettres ont été lues, vos lettres devant être
lues, vos lettres doivent être lues, vos lettrés feront lues,
.6t . On fient bien. qué //«5 a. dans tous ces exemples
le fiens paftif ; que c’eft un adjeûif qui, dans fa première
phrafe , le. rapporte à lettres par appofition, &
qui dans les autres, . s’yrapporte par attribution;
que; par-tout c’eft un adjèdtif mis én concordance
de genre 8c de nombre avec lettres', 8c que c’eft ce
qui doit caradlériier le participe qui, comme je l’ai
déjà dit, eft un adjedhf-verbe.
Il pai ■ oit. qu’en latin le fens naturel 8c ordinaire du
fupin eft d’être un prétérit : nous venons de voir il
n’y a qu’un moment le , fupin fpeclatum -, employé
pour fpeclajfe, ce qui eft nettement indiqué par fc io ,
& juftement reconnu par Lancelot. J’ai préîenté ailleurs
(Impersonnel) l’idée d’une conjugaifon, dont
on a peut-être ton de ne rien dire dans les paradig-
mes des méthodes , 8c qui me femble établir d’une
maniéré indubitable que.le fupin eft un prétérit; ire
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efi (on va) , ire erat :(on alloit), ire erit (on ira), font
les trois préfens de cette conjugaifon, 8c répondent
aux préfens naturels eo ,.ibam, ibo ; itum efi (on eft
allé) , itum erat (on étoit allé), itum erit (on fera
allé), font les trois prétérits qui répondent aux prétérits
naturels ivi, jveram, ivtro ; enfin eundum efi
(on doit aller), eundum erat (on de voit aller) , eundum
eut (on devra aller), font les trois futurs, 8c
ils répondent aux futurs naturels iturus, a , utn fum
iturus eram, iturus ero: or on retrouve dans chacune
de ces trois efpeces de tems, les mêmes tems du
verbe fubftantir auxiliaire, 8c par conféquent les e f-.
peces doivent être caradérifees par le mot radical
qui y fert de fujet à l’auxiliaire ; d’oii il fuit qu'ire
eft le préfent proprement dit, itum le prétérit, 8c
eundum le futur, 8c qu’il doit ainfi demeurer pour
confiant que le fupin eft un vrai prétérit dans la langue
latine.
Il en eft de même dans notre langue ; & c’ eft pour,
cela que ceux de nos verbes qui prennent l’auxi.iaire
avoir dans leurs prétérits, n’en emploient que les
préfens accompagnés du fupin qui défigne par lui-
même le prétérit ; j'ai lu , j'avois lu , ƒ aurai lu , coin-,
me fi l’on difoit j'ai a&uellement, j'avois alors , j'aurai
alorspar-devers moi l’aûe d'avoirlu • en latin,
habeo, habebam , ou kabebo leclum ou legijje. En forte
que les différens préfens de l’auxiliaire fervent à d ifférencier
les époques auxquelles fe rapporté le prétérit
fondamental 8c immuable, énoncé par le fu-
pin.
C’eft dans le même fens que les mêmes auxiliaires
fervent encore à former nos prétérits avec notre
parùùpe paftif fimple, 8c non plus av*ec le fupin ,
comme quand on dit en parlant de lettres, je les ai
lues , je les avois lues , je les aurai lues , &c. La raifon
en eft la même : ce participe paftif eft fondamentalement
prétérit, 8c les diverfes époques, auxquelles
on le rapporte, font marquées par la diverfité.
des préfens du verbe auxiliaire qui l’accompagne ;
je les ai lues, je les avois lues , je les aurai lues, &c.
c’eft comme fi l’on difoit en latin, cas leclas habeo ,
OU habebam , ou habebo.
Il ne faut pas difilmuler que M. l’abbé Regnier
qui connoiffoit cette maniéré d’interpreter nos prétérits
compofés de- l’auxiliaire 8c du participe paftif,
ne la croyoit point exaûe. « Quam habeo amatam ,
» félon lui, gramm. fran. in-tz.p. .4.67, in-f°. p .
» 493. ne veut nullement dire que j'a i aimée \ il
» veut feulement dire que j'aime (quam Habeo caramfi
» Que .fi l’on vouloit rendre le , fens du françois en
» latin par le verbe habere, il faudroit dire, quant
» habui 'amatam ; 8c c’eft" ce qui ne fe dit point. »
Mais il n’eft point du tout néceffaire que les phra-
fes latines par lefquelles on prétend interpréter les;
gallicifmes, ayentëte àiitorifées’par l’ufage de cette
langue : il fuffit que chacun des mots que-l’on y emploie
ait le fens individuel qu’on lui fuppôfé dans
l’interprétation, 8c que ceux à qui l’on parle conviennent
de chacun de cés fens. Ce détour peut les;
conduire utilement à l’ efprit du galliçifme que l’on
conferve tout entier, mais dont bn diffeqiieS.plus
fenfiblement les parties, fous les apparences de la latinité.
Il peut donc être vrai, fi l’on veut, que quant
habeo amatum, vouloit dire dans le bel ùfage 'des Latins
, que j'aime, 8c non pas que f a i aimée ; mais il
n’en demeure pas moins affuré que leur participe
paftif étoit effentiellement prétérit, puifqu’aVec les;
prétérits de l’auxiliaire fum il forme les prétérits paf-
fifs ; 8c il faut en conclure, que fans l’autorite de
l’ufage qui vouloit quam amavi, 8c qui n’introduit
pas d’exaéls fynonymes, quam habeo amatam auroit
fig;nifié la même chofe : 8c cela fuffit aux vues d’une
interprétation qui après tout eft purement hypothéy
tique.