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 Pline ajoute en finiflant le portrait -de Zeuxis, de-  
 prehenditur tamtn, Zeuxis grandior in capitibus  articu-  
 lifque ;  ces mots  deprehenditur tamtn,  indiquent -  ils  
 un  reproche  de  faire  des  têtes  8c  fes  attachemens  
 trop  forts ? ouïe mot de grandior qui luit, marque-t-  
 îi un  éloge, &  Pline  veut-il  dire que  Zeuxis  faifoit  
 ces parties  d’un  grand  cara&ere ,  d’autant  qu’il  le  
 loue  de  travailler  avec  foin, &  d’après  la  nature?  
 car  il ajoute ,  alioqui  tantus  diligentiâ.  Je  ne  décide  
 point l’explication de  cette  phràle latine. 
 Verrius Flaccus, cité  par Feftus  ,  rapporte que  le  
 dernier tableau de Zeuxis fut le portrait d’une vieille,  
 qui  le  fit  tant rire  qu’il en mourut ;  mais  fi  le  fait  
 ètoit vrai, comment auroit-il  échappé  à  tous  les  autres  
 auteurs ? Je fupprime  ici beaucoup de chofes fur  
 ce grand maître  en Peinture, parce qu’on les trouve  
 dans Junius 8c dans la vie de Zeuxis ,  de Parrhafius  ,  
 d’Apelle,  8c  de Protogène ,  donnée  en  italien  par  
 Carlo-Dati, 8c imprimée à Florence en  1667, in-iz. 
 Enfin, pour compléter  cet article,  je ne dois pas  
 taire  quelques  femmes  qui  ont  exercé  la  Peinture  
 dans la Grece ; telles font Timarete, fille de M icon,  
 &  qui  a  excellé ;  Irène,  fille 8c éleve  de Cratinus ;  
 Calypfo,  Alcifthène,  Ariftarete  qui  s’étoit  formée  
 dans fon art  fous  fon pere  Néarchus ;  Lala  de  Cizi-  
 que, perpétua virgo, épithete finguliere pour ce tems,  
 fi  elle  ne  veut pas dire tout Amplement qu’elle  ne  
 fut  point  mariée. Cette  fille  exerça  la  Peinture  à  
 Rome,  félon M. Varron, cité par Pline ;  non-feulement  
 elle peignit, mais elle fit  des ouvrages ceflro in  
 {bore,  ce  que M.  de  Caylus  traduit  généralement,  
 en difant qu’elle grava fur l’ivoire : elle fit le portrait  
 de  beaucoup  de  femmes, 8c  le  fien  même  dans  le  
 miroir, nec ullius  in piclurâ velocior manus fu it ,  per-  
 fonne n’eut  le pinceau auffi léger, ou bien, ne montra  
 une auffi grande  -légèreté  d’outil, pour  m’exprimer  
 dans  la  langue  des  artiftes ; Pline  fait  encore  
 mention d’une Olympias. 
 Plufieurs de ces femmes ont- fait  de  bons  éleves,  
 8c  laîfle  de  grands  ouvrages.  Je  ne  puis  oppofer,  
 avecM. de'Caylus,  à  ces  femmes  illuftres  qu’une  
 feule moderne ;  non  que  les  derniers  fiecles  n’en  
 aient  produits  qui  pourroient trouver ici  leur  place  
 ; mais  la célébré Rofalba  Carieri a fait  des chofes  
 fi  remplies  de  cette  charis  qu’Apelle  s’étoit  accordée  
 , qu’on peut la comparer ,  à  divers  égards,   aux  
 femmes peintres de la Grece. Les fujets qu’elle a faits  
 n’ont cependant jamais  été fort étendus, car elle n’a  
 travaillé  qu’en mignature 8c en pafiel.  ( Le chevalier  
 DE  JAUCOVRT. ) 
 P e in t r e s   r o m a i n s ,  (Peint, ant. )  Pline  ne  
 compte de peintres romains  que  les  fuivans,  rangés  
 ici  dans  l’ordre chronologique. Fabius,  furnommé  
 Piclor, 8c qui  étoit  de  l’iliuftre  famille  des  Fabius ,  
 Pacuvius, Sopolis , Dionyfius, Philifcus, Arellius ,  
 Ludius, qui fleuriffoit fous Augufte, Quintus-Pedius,  
 Antiftius-Labéo,  Amulius  ,   Tripilius,  Cornelius-  
 Pinus, Accius-Prifcus : nous indiquerons leurs cara-  
 éleres  8c  leurs  ouvrages  dans' le  même  ordre  que  
 nous venons de fuivre au mot Peinture des Romains. 
 Peintre de  batailles ,  ( Peint, mod. )   on  nomme  
 ainfi le peintre qui  s’adonne  particulièrement à cette  
 forte d’ouvrage.  Il faut que dans une compofition de  
 ce  genre,  il  paroifle  beaucoup  de  feu 8c d’aélion  
 dans les figures 8c dans les  chevaux.  C ’eft  pourquoi  
 on y  doit préférer une maniéré forte 8c vigoureufe,  
 des touches libres, un goût heurté  à un travail fini, à  
 un pinceau délicat, à un deffein trop terminé.  Voici  
 les peintres célébrés en ce genre. 
 Cafielli (Vâlerio)., né à Gènes en 1615  , mort dans  
 la meme  ville  en  1659, montra de bonne heure fon  
 inclination à peindre  des batailles,  8c  eut  un  grand  
 |iiccès en ce  genre. 
 Courtois (Jacques)} furnommé le Bourguignon, né 
 à S. Hippolite l’an t6 21  , mort à Rome  en 1676, fui*'  
 vit pendant trois ans une armée,  en deffina les cam-  
 pemens,  les fiéges , les marches 8c  les combats dont-  
 il étoit témoin. Michel-Ange ayant vu de fes tableaux  
 de  bataille ,  publia partout fes talens.  Il régné dans  
 fes  ouvrages beaucoup  de  feu,  8c  fes  compofitions  
 font foutenues par le  coloris. 
 Michel-Ange  des batailles  reçut «ce furnom  de  fon  
 habileté finguliere à  repréfenter ces  fortes  de fujets,  
 dans  lefquels il mettoit  une  imagination  vive ,  une  
 grande prefteffe de  main, 8c beaucoup de force. On  
 a gravé quelques-unes de fes batailles  dans  le  ftrada  
 de Rome, où il mourut en  1660. 
 Parocel (Jofeph) , éleve du Bourgignon,  a  excellé  
 à repréfenter des batailles, faifant tout de génie, fans,  
 avoir jamais été dans des camps ni  fuivi des  armées.  
 Cependant il a mis  dans fes tableaux un mouvement  
 8c un  fracas prodigieux.  Il  a peint  avec  la derniere  
 vérité la fureur du foldat.  Aucun peintre, fuivant fon  
 expreffion ,  n’a  fu  mieux tuer fon homme.  Son fils  
 (Charles'), mort en  1752  , brilloit aulfi dans le genre  
 de fon pere. 
 Le Primatice ,  difciple de Jules Romain, a fait avec  
 fuccès ,  fur  les deffeins de fon  maître ,  des batailles  
 de ftuc  en bas-relief ;  c’étoit  le  tems  où  l’on  com-  
 mençoit feulement  à  quitter  en  France  la  maniéré  
 gothique 8c barbare. 
 Rofa  (Salvator) , né à Naples en  16 15,  fit dés tableaux  
 d’hiftoire peu  eftimés , mais réuffit à  peindre  
 des  combats  8c  des  figures de foldats , dont il faifif-  
 foit admirablement  l’air 8c la  contenance. 
 Van Huchtenburg, né à Harlem, eft  connu par dix  
 tableaux  qui repréfentent  dix  batailles  célébrés  du  
 prince  Eugene :  i°. celle de Zanta contre les Turc s,  
 en  1697 ; 20. celle de Chiari en Italie contre les deux  
 couronnes, en  1701 ; 30.  celle de Luzara ,  en  1702.  
 40. celle de Hochftedt, en  1704; 50.  celle de Caffa-  
 no  en  Italie  contre  le  duc de Vendôme , en  1705  j   
 6°.  celle  de Turin,  en  1706 ;  70.  celle d’Oudenar-  
 d e , en  1708 ; 8°. celle de Malplaquet,  en  1709 ; 9°.’  
 celle de Peterwaradin en Hongrie contre les Turcs,1  
 en  1716 ;  io ° .  enfin celle de Belgrade, en  1717. 
 Van-der-Veld (Guillaume)  ,  avoit un  talent partie  
 culier pour  reprelènter des  vues 8c des  combats  de  
 mer.  On rapporte que  l’amour pour fon  art  l’engagea  
 à s’embarquer avec l’amiral Ruyter, 8c que dans  
 le feu du combat, il deffinoit tranquillement à l’écart  
 l’aétion  qui  fe  paffoit  fous  fes  yeux ;  mais  fon  fils  
 Guillaume  le  jeune l’a encore furpaffé par fes talens  
 en ce genre. Ce fils mourut à Londres en  1707, corn-,  
 blé  des bienfaits de la  nation ; fes tableaux font portés  
 à im très-haut prix. 
 Van-der-Mulen (Antoine-François),  a pris pour fu*  
 jets  ordinaires  de  fes tableaux  des chafles,  des fié-;  
 ges,  des combats,  des marches, ou des  campemens  
 d’armées ; ils font l’ornement de M arly, 8c des autres  
 maifons royales. 
 Verfchuur  (Henri), né à  Gorcum  en  1627 , morC  
 en  1690, avoit un goût  dominant  pour  repréfenter.  
 des batailles. Il fuivit l’armée des Etats en  1672,.pour,  
 peindre les divers campemens, les marches, les combats  
 , les retraites. Né avec un génie v if  8c facile ,  il  
 a mis dans fes  tableaux  tout  le  feu  que  requiert ce;  
 genre de compofition. 
 Vroom (Henri  Corneille j ,  né  à  Harlem  en 1  
 avoit un rare génie pour repréfenter des batailles navales. 
   L’Angleterre  8c les princes d’Orange  l’occu-  
 perent à peindre les viôoires  que  ces deux puiflani:  
 ces avoient remportées fur mer contre lesEfpagnols,1  
 Enfin on exécuta de très-belles tapifleries d’après les.  
 ouvrages de  cet artifte. 
 P e in t r e  de fleurs &  de fruits,  (  Peinture.)  on  appelle  
 ainfi les artiftes qui fe  font attachés  particulièrement  
 à ce  goût  de  peinture ;  c’eft  un  genre  qui; 
 P  E  I 
 yeut être traité d’une maniéré fiipérieure.  Il requiert  
 Un  choix  élégant dans  les  fleurs  8c  dans  les  fruits,  
 l’art de les grouper 8c  de  les aflortir,  une touche légère  
 , un coloris frais, brillant, 8c fur-tout une parfaite  
 imitation de la belle  nature.  Entre  les  artiftes  
 qui fe font diftingués dans  l’art  de peindre les fleurs  
 8c les fruits, on nomme Van-Huyfum , Mignon, De  
 Heem, Nuzzi,   Monnoyer &  Fontenay.  J’ai  parlé  
 des  trois premiers à l’article ÉCOLE ,   je  ne  dirai  ici  
 qu’un mot des trois autres. 
 Mario N u^ i, plus  connu fous  le nom de Mario di  
 Fiori, né à Penna dans le royaume de Naples , mort  
 à Rome en  1673  , peignit les fleurs 8c les fruits avec  
 cette vérité qui charme 8c féduit les fens ; auffi Smith  
 en a-t-il gravé plufieurs pots  d’après lui. 
 Monnoyer ( Jean-Baptifle ) ,   né  à  Lille  en  1635,  
 mort à Londres  en  1699  ,  a  peint  des  tableaux  de  
 fleurs qui font précieux par la fraîcheur, l’éclat 8c la  
 vérité  qui y  brillent. 
 Fontenay (Jean-Baptifle  Blain  de),  né  à Caen  en  
 .16<4, mort en  1715  , avoit un talent éminent à ré-  
 prefenter des fleurs 8c  des  fruits,  les groupper avec  
 a r t , 8c varier l’efprit de fa compofition.  Les infeôes  
 paroiffent vivre dans fes tableaux ; les fleurs n’y  per-  
 pent rien de leur beauté,  les fruits de leur fraîcheur.  
 On  croit  voir  découler  la rofée  des  tiges,  on  eft  
 tenté d’y  porter la main.  ( D .  J . ) 
 Peintre , marchand, f. m.  (CommunautéJ)  lesmaî-  
 trespeintres compofent à Paris une communauté dont  
 le commerce  comprend  tout ce qui  fe peut faire en  
 Peinture &  en Sculpture, foit dore, foit argenté, foit  
 cuivré,  en détrempe 8c à l’huile.  Leurs ouvrages de  
 dorure, s’ils font ordinaires, font dorés d’un or qu’on  
 appelle or pâle ;   8c fi l’on veut qu’il foient  propres  ,  
 on  y  emploie  de l’or  jaune.  Les  ouvrages  argentés  
 s ’argentent les uns en blanc, 8c  les  autres  en jaune.  
 Les ouvrages  cuivrés  font  ceux où  l’on  ne  fe  fert  
 que d’or faux, c’eft-à-dire de  cuivre battu en  feuille  
 6c mis en oeuvre comme l’or fin. 
 PEINTURE, f. f.  (Hiß. des beaux arts.)  c’eft un art  
 q u i, par des lignes 8c des couleurs , repréfente , fur  
 line furface égale 8c unie, tous les objets vifibles. 
 L’imagination s’eft bien exercée pour trouver l’origine  
 de la Peinture ;  c’eft  là-deffus  que  le*  poètes  
 nous ont fait  les  contes les plus  agréables.  Si  vous  
 les  en croy ez,  ce fut une bergere  qui  la première,  
 pour  conferver  le  portrait de  l'on  amant, conduifit  
 avec fa houlette une  ligne fiir l’ombre  que  le vifage  
 du jeune-homme faifoit fur un mur.  La Peinture,  di-  
 fent-ils f 
 La brillante Peinture efl fille de V Amour: 
 C'efl lui qui le premier infpirant une amante , 
 Au x rayons de P  heb us,guidantfa main tremblante,  
 Crayonnafur un mur l'ombre de fon amant. 
 Des diverfes couleurs de riche ajfortiment, 
 L art F  animer la toile &  de tromper l'abfencl, 
 Ainfi que d'autres arts lui doivent la naiffance. 
 Ce font là des apologues inventés pour l’explication  
 de  cette vérité, que les objets,  mis fous les yeux de  
 l’homme,  femblent  l’inviter à l’imitation  ;  &   la nature  
 elle-même, q ui,  par le moyen des jours &  des  
 ombres,  peint toutes chofes foit  dans les eaux,  foit  
 furies corps dont la liirface eft polie, apprit aux hommes  
 à fatisfaire leurs  goûts par imitation. 
 Quoi qu’il en foit, on doit placer la Peinture parmi  
 les chofes purement agréables,puifque  cet art n’ayant  
 aucun rapport avec ce qu’on appelle précifement  les  
 nec efiîtes de la vie,  eft tout  entier  pour  le  plaifir  des  !  
 yeux  8c  de  l’efprit.  La  Poéfie,   fille  du  plaifir, n’a  
 iemblablement pour but  que  les  plaifirs  même.  S i,  !  
 dans la fuite des  tems, la vertu ,  pour  faire  fur  les  i  
 nommes  une  împreffion plus vive ,  a emprunté  les  !  
 charmes de l’un &  de l’autre, ainfi que la Junon d’Ho-  
 mere emprunta  la  ceinture de Vénus  pour paroître  •  
 Tome  X I I . 
 P E I   167 
 pKis aimable  aux yeux de Jupiter ;  fi  îa vertu  a  em-  
 trepns d’ennoblir par-là,  &  de  relever  le mérite de  
 la Poefie &  de la Peinture ,   c’ eft un bienfait  que  ces  
 deux arts  tiennent d’elle ,  &  qui dans le fond, leur eft  
 abfolument  étranger;  ce  n’eft  point  le  befoin  qui  
 leur  a  donne  naiffance,  elles  ne  lui  doivent  point  
 leur origine.  1 
 Ce font deux foeurs dont les intentions font les mê-  
 mest  les moyens  qu’elles  emploient pour parvenir â  
 leurs fins,  font  femblables,  8c ne  different que  par  
 l’objet :  fi l’une par  les yeux fe fait  un  chemin pour  
 aller toucher l’efprit, l’autre  peint immédiatement  à  1 efprit ; mais la Peinture faifit l’ame par le fecours dés  
 fens ; &  c’eft peut-être dans le fond le plus sûr moyen  
 de 1 attacher.  Elle  trompe nos yeux par  cette  magie  
 qui  nous  fait jouir  de  la  préfence  des  objets  trop  
 éloignés, ou qui ne font plus.  Son  attrait  frappe &   
 attire tout le monde,  les ignorans,  les connoiffeurs  
 8c les artiftes mêmes.  Elle ne  permet à perfonne  de  
 pafler indifféremment par un lieu où fera quelque excellent  
 tableau, fans être  comme furpris, fans s’arrêter, 
  &fans jouir quelque-temsdu plaifir delà furprife.  
 La Peinture nous affecte par le beau choix,par la varié-  
 t e , parla nouveauté des chofes qu’elle nous  préfentè;  
 par 1 hiftoire 8c par la fable,dont elle nous rafraîchit la  
 mémoire ; par les inventions ingénieufes,  8c par ces  
 allégories dont nous nous faifons un  plaifir de trouver  
 le fens, &  de critiquer 1’obfcurite! 
 C’eft un des avantages de la Peinture, que les hommes  
 pour être de grands peintres, n’ont guere befoin  
 pour fe  produire du  bon plaifir de  la fortune.  Cette  
 reine du monde ne peut que rarement les priver des  
 fecours néceffaires pour manifefter leurs talens. Tout  
 devient palettes  8c  pinceaux  entre  les  mains  d’un  
 jeune-homme doué du génie de la  Peinture.  II fe fait  
 connoître  aux  autres  pour  ce qu’il  eft,  quand  lui-  
 même  ne le fait pas encore.  Ajoutez  que  l’art  de  la  
 Peinture n’eftpas moins propre à attirer autant de con-  
 fidération à  ceux qui y   excellent, qu’aucun des  autres  
 arts qui font faits pour flatter les fens. 
 Il y  a dans la Peinture des avantages que les objets  
 mêmes qu’elle  imite  font bien éloignés de  procurer.  
 Des monftres 8c des hommes morts ou mourans, que  
 nous  n’oferions  regarder,  ou  que nous  ne verrions  
 qu’avec horreur, nous les voyons avec plaifir imités  
 dans les ouvrages des peintres; mieux ils font imités,  
 plus nous les regardons avidement.  Le maffacre des  
 Innocens  a dû laiffer des idées bien funeftes dans l’imagination  
 de  ceux qui virent réellement les foldats  
 effrénés  égorger  les  enfans  dans  le  fein  des  meres  
 fondantes.  Le tableau  de le Brun  où .nous  voyons  
 l’imitation de cet événement tragique, nous émeut 8c  
 nous attendrit, mais il ne laiffe dans notre efprit aucune  
 idée importune de quelque durée.  Nous favons  
 que  le  peintre ne  nous  afflige qu’autant que nous le  
 voulons, 8c que notre douleur, qui n’eft que fuper-  
 ficielle, difparoîtra prefque  avec le tableau :  au  lieu  
 que nous ne  ferions pas maîtres ni de la vivacité ,  ni  
 de la durée de nos lèntimens, fi nous avions été frappés  
 par les objets mêmes.  C’eft  en vertu du pouvoir  
 qu’il tient de la nature, que l’objet réel agit  fur nous.  
 Voilà d’où procède le plaifir que la Peinture fait à tous  
 les  hommes.  Voilà pourquoi  nous  regardons  avec  
 contentement des peintures, dont le mérite confifte à  
 mettre fous nos yeux des avantures fi funeftes, qu’ elles  
 nous  auroient fait horreur fi nous  les avions vues  
 véritablement. 
 Ceux qui  ont gouverné les peuples  dans tous  les  
 tems, ont toujours fait ufage  des peintures  8c des  fta-  
 tues , pour leur mieux infpirer  les  fentimens  qu’ils  
 vouloient leur donner,  foit en religion,  foit  en politique. 
   Quintilien a  vu quelquefois  les  accufateurs  
 faire expofer  dans le tribunal un tableau où le crime  
 dont iis pourfuivoient la vengeance étoit repréfenté,