eft réglée de la maniéré la plus propre à affermir leur
empire. Le fimple defir d’un objet ne nous entraîne-
roit pas avec tant de force dans tant de feux juge-
mens ; il fe difliperoit même bientôt aux premières
lueurs du bon fens ; mais quand ce délir eft animé par
l’amour, augmenté par l’efpérance , renouvellé par
la joie, fortifié par la crainte, excité par le courage,
l’émulation, la colere, & par mille pallions qui attaquent
tour-à-tour ôc de tous côtés la raifon; alors
il la dompte, il la fubjugue, il la rend efclave.
Difons encore que les pajjions excitent dans le
corps, & fur-tout dans le cerveau, tous lesmouve-
mens utiles à leur confervation. Par-là elles mettent
les fens ôc l’imagination de leur parti; ôc cette dernière
faculté corrompue, fait des efforts continuels
contre la raifon en lui repréfentant les chofes, non
comme elles font en elles-mêmes, afin que l’efprit
porte un jugement vrai, mais félon ce qu’elles font
par rapport à la pajfon préfente 3 afin qu’il juge en
fa faveur.
En un mot, lapajjion nous feit abufer de toût. Les
idées les plus dillinries deviennent confiifes, obf-
cures ; elles s’évanouiflent entièrement pour faire
place à d’autres purement acceffoires , ou qui n’ont
aucun rapport à l’objet que nous avons en vue ; elle
nous fait réunir les idées les plus oppofées féparer
celles qui font les mieux liées entr’elles, faire des
comparaifons de fujets qui n’ont aucune affinité; elle
fe joue de notre imagination, qui forme ainfi des chimères
, des repréfentations d’êtres qui n’ont jamais
exifté, ôc auxquels elle donne des noms agréables ou
odieux, comme il lui convient. Elle ofe enfuite s’appuyer
de principes aufli faux, les confirmer par des
exemples qui n’y ont aucun rapport, ou par les rai-
fonnemens les moins juftes ; ou fi ces principes font
vrais , elle fait en tirer les conféquences les plus
faillies, mais les plus favorables à notre fentiment,
à notre goût, à elle-même. Ainfi elle tourne à fon
avantage jufqu’aûx réglés de raifonnement les mieux
établies, jufqu’aux maximes les mieux fondées, juf-
qu’aux preuves les mieux conftatées, jufqu’à l’examen
le plus févere. Et une fois induit en erreur, il
n’y a rien que la pajfion ne faffe pour nous entretenir
dans cet état fâcheux, ôc nous éloigner toujours plus
de la vérité. Les exemples pourroient fe préfenter
ici en foule ; le cours de notre vie en eft une preuve'
continuelle. Trifte tableau de l’état oii l’homme eft
réduit par fes pajjions ! environné d’écueils, pouffé
par mille vents contraires, pourroit-il arriver au port ?
O u i, il le peut ; il eft pour lui une raifon qui modéré
les pajjions , une lumière qui l’éclaire, des réglés qui
le conduifent, une vigilance qui le foutient, des efforts
, une prudence dont il eft capable. EJl enim quee-
dam medicina : certe ; hoec tam fuit hominum generi in-
fenfa atque inimica natura, ut corporibus tôt res falu-
tares, animis nullam invenerit, de quibus hoc etiam ejl
mérita melius ,quod corporum adjumenta adkibentur extri
nfecus , animorum J'alus inclufa in his ipjis ejl. Tufc.
‘iv. 27.
Passion de Jesus-Ch r ist , ( Critiquefacrée.') l’opinion
commune des anciens fur l’année de la pajfon
de J. C. eft que ce fut la fécondé année de l’olympiade
202, la 76 année julienne , ôc Tibere finiffant la
17 de fon empire. Ils ont cru aufli en général que
Notre Seigneur fe livra aux Juifs le 22 Mars , qu’il
fut crucifie le 23 , & reffufcitale 25. Cette opinion fe
trouve dans un fragment du concile de Céferée de
Paleftine tenu l’année ip8 , lequel fragment Bede a
rapporte. Les raifons qui appuient cette opinion font
bien frivoles. Les évêques ds ce concile fuppofent
que Jefus-Chrift reffufeita le 25 de Mars, parce que,
c’eft l’équinoxe du printems, ôc, félon eu x, le premier
jour de la création du monde. Le pere Pétau
dit là-deffus qu’on feit que les raifons des peres du
concile ne font pas tout-à-feit vraies, ni cenfées être
des articlés de foi. Beaufobre. (D . J.')
Passions , dans VEloquence, on appelle ainfi tout
mouvement de la volonté , qui caufé par la recherche
d’un bien ou par l’apprehenfion d’un m a l, apporte
un tel changement dans l’efprit, qu’il en réfulte
une différence notable dans les jugemens qu’il porte
en cet état, ôc que ces mouvemens influent même
fur lé corps. Telles font la p itié, la crainte, la colere;
ce qui a fait dire à un ppëte :
Impedit ira animum ne pojfit cernere verum.
La fonriion de la volonté eft d’aimer ou de haïr
d’approuver ou de defepprouver. Par l’intime liai—
fon qu’il y a entre la volonté ôc l’intelligence , tout
ce qui paroît aux yeux de celle-ci feit impreflion fur
celle-là. L’impreflion fe trouvant agréable , la volonté
approuve l’objet qui en eft l’ôccafion ; elle le
defapprouve quand l’impreflion en eft défagréable.
Cette volonté a différensnoms, félon les mouvemens
qu’elle éprouve ôc auxquels elle fe porte. On l’appelle
colere, quand elle veut fe venger ; compajjion ,
quand elle veut fôulager un malheureux ; amour J
quand elle veut s’unir a ce qui lui plaît ; haine, quand
elle veut être éloignée de ce qui lui déplaît ; ôc ainfi
des autres fentimens. Quand ces efpeces de volontés
font violentes & vives , on les appelle plus ordinairement
pajjions. Quand elles font paifibles ôc tranquilles
, on les nomme fentimens, mouvemens , paf-
jions douces ; comme l’amitié , l’efpérance, la gaieté ,
S’c. Les pajjions douces font ainfi nommées parce
qu’elles ne jettent point le trouble dans l’ame , ôc
qu’elles fe contentent de la remuer doucement : il y
a dans ces pajjions autant de lumière que de chaleur ,
de connoiflance que de fentiment.
On peut rapporter toutes les pajjions à ces deux
fources principales , la douleur & le plaifir ; c’eft-à-
dire à tout ce qui produit une impreflion agréable ou
defegréable. D ’autres les réduifent à cette divifion
de Boëce , lïb. X . de Confol. philofop.
Gaudiapelle ,
Pelle timorem ,
Spemque fugato
Nec dolor ad fit.
Les Philofophes ôc les Rhéteurs font également
partagés fur le nombre des pajjions. Ariftote , au II.
Liv. de fa Rhétorique n’en compte que treize ; favoirla
colere ôc la douceur d’efprit , l’amour ôc la haine»
la crainte ôc l’aflurance , la honte & l’impudence ,
le bienfait, la compaflion , l’indignation, l’envie ÔC
l’émulation; auxquels quelques-uns ajoutent le defir,
l’ efpérance & le défefpoir.
D ’autres 11’en admettent qu’une , qui eft l’amour,
à laquelle ils rapportent routes les autres. Ils difent
que l’ambition fi’eft qu’un amour de l’honneur, que.
la volupté n’eft qu’un amour du plaifir : maisilparoit
difficile de rapporter à l’amour les pajjions qui lui
paroiffent direriement oppofées , telles que la haine
, la colere , &c.
Enfin les autres foutiennent qu’il n’y en a qu’onze;
ftv o ir , l’amour ôc la haine, le defir 0c la fuite, l’e f pérance
& le défefpoir, le plaifir ôc la douleur , la
peur, la hardieffe ôc la colere. Et voici comment ils.
trouvent ce nombre : des pajjions, difent-ils, les unes
regardent le bien , ôc les autres le mal. Celles.qui regardent
le bien font l’amour, le plaifir, le defir, l’ef-
perance & le défefpoir : car, auffi-tôt qu’un objet fe
préfente à nous fous l’image du bien, nous l’aimons:
fi ce bien eft préfent, nous en recevons du plaifir ;
s’il eft abfent, nous fommes touchés du defir de le
pofleder : fi le bien qui fe préfente à nous eft accompagné
de difficultés, ôc que nous nous figurions, mal-,
gré ces obftacles , pouvoir l’obtenir , alors nous
avons de f èfperance ; mais fi les obftacles font où
nous, paroiffent infurmcintables , ôc l’acquifition de
ce.bien impoffible f alors nous tombons clans le dc-
fefpôir. Les autres p a j f o n regardent le mal, font
la haine, la fuite ; .ladouleur, la crainte, la hardieffe
& la colere : car ,:finm objet fe préfente à nous fous
l’image idu mal, aufli-tôt: nous le haïffons ; s’il eft
abfent, nous le (fuyons ; s’il eft préfent , il nous
càufe dë iâ'douleur; s’il eft abfent , & que nous voulions
le'fufmonter , il excite la hardieffe ; fi nous le
rèdoutOns , comme trop.formidable , -alors nous le
craignons ; mais s’il eft préfent, ô£ que nous voulions
le combattre', il enflamme la colere. C’eft ainfi
qu’on trouve*. onzepajfons , dont cinq regardent le
bien, & fix le mal. Il faut pourtant fuppoferque
nonobftant -ce nombre iLs’en trouve encore comme
un.effain d’autres , qui prennent leur origine de
celle-là, comme l’envie., l’émulation , la honte, &c.
Eft-il néceflaire d’exciter les pajjions dans l’éloquence?
Queftion aujourd’hui décidée pour l’affirmative
, .mais qui ne l’a pas toujours é té , ni partout.
Le fameux tribunal, de l’Aréopage regardoit
dans1 uif orateur cette reflburce comme une fuper-
cheriei, ou ,. fi l’on v eu t , comme un voile propre
à obfeuteir là vérité; A Un hérault, dit Lucien , a
»‘Ordre d’impofer filence à tous ceux dont il paroît
» que le but eft de furprendre l’admiration ou la pi-
» tié des juges par des figures tendres ou brillantes.
»En effet , ajoute-t-ril ces graves fénateurs regar- ..
» dent tous les charmes de l’éloquence, comme au-
» tant de voiles impofteurs qu’on jette fur lès cho-
» fes-mêmes , pour en dérober la nature aux yeux
» trop'attentifs ». En unmot', les exor-des, les per-
oraifons, un ton même trop véhément , tous les
preftiges qui opèrent la perfuafion , étoient fi gé- j
néralement proferits dans ce tribunal, que Quintir
lien attribue une partie de l’avantage qu’il donne à
Cicéron fur Démofthène dans le genre délicat &
tendre , à la néceflité ‘ou s’étoit trouvé celui-ci , de
facrifier les grâces du-difcôurs-à l’auftérité des moeurs :
d’Athenes. Salibus certe & ' commiferatione , qui duo
plurinium ajfeclus valent , nincimus ; & fortajfe epilo-
gos illi ( Demoftheni ) mos civitatis J Achenarum) abf-
tuleritv :
Mais l’éloquence latine , fur laquelle principalement
la notre s’eft formée , non-feulement admet les
pajjions , mais encore elle les exige néceffairement.
« On fait, dit M. Rollin, que les pajfons font com-
»me Pâme du difeours, que c’eft cê qui lui .donne
»une impetuofite & une vehemence qui emportent
» & entraînent tout, & que l’orateur exerce par - là
» fur fes auditeurs un empire abfolu , & leur infpire
» tels fentimens qu’iMui plaît. Quelquefois en profi-
» tant adroitement de la pente & de la dilpofition
» favqr^ple qu’il trouve dans les efprits, mais d’au- -
»très fois en furmontant toute leur rélï fiance parla
» force viSorieufe du difcotlrs , & les obligeant de :
• » le rendre comme malgré eux! La peroraïfon, ajou-
» te-t-il, eft , à proprement parler, le lieu des pàf-
» Æooe ; c’ eft-là que l’orateur, pour achever d’abattre
» les efprits , & pour enlever leur confentement,
» emploie fans ménagement, félon l’importance p
» la rîature des affaires , tout ce que l’eloquence a
»de plus fort, de plus tendre &c de plus affëaueux».
Elles peuvent & doivent mêmeavoir lieu dans d’autres
parties du difeours, & on en trouve de fréquens
exemples dans Cicéron. Outre les pallions fortes &
vehementes auxquelles les Rhéteurs donnent le nom
cie es, il y en a une autre forte qu’ils appellent
»-«ff, qui confifte dans des fentimens plus doux
plus tendres , plus infinuans , qui n’en font pas pour
cela moins touchansni moins vifs, dont l’effet n’eft
pas de renverfer, d’entraîner, d’emporter tout, comme
de vive force, mais d’intéreffer ôc d’attendrir en
i orne X I I ,
shnfinuattt jufqu’aufond du Coeur. Les pajfons ont
lieu entre des perfonnes liées enfemble par quelque
Union étroite , entre un prince ôc des lujets, un pere
ôc des enfans , un tuteur ôc des pupilles un bienfaiteur
ÔC ceux qui ont reçu un bienfait, &c.
| Les Rhéteurs donnent des préceptes fort étendus
ftir la maniéré d’exciter les pajfons, ôc ils peuvent
être utiles jufqu’à un certainï point ;, mais ils font
tous-forcés d’en revenir à ce principe , que’ pour
toucher les- autres^- il faut être touché foi-même : ;
Si vis ml fier e , dolendüm ejl
Primum ipji tibi. Art poéf, 8 Hora&. 1
. On fënt affez que des mouvemens forts ôc pathétiques
feroient mal rendus par un difeours brillant
ôc fleuri, ôc qu’il ne doit s’agir de rien; moins que
^,amufer quand, on veut triompher’ du Coeur.
De même dans les pajfons plus dôuces:, tout doit fe
faire dune manier-e fimple & naturelle-; fans .étude
&fans afferiation ; l’air, l’extérieur, le gefte , le
ton. , le ftyle , tout doit refpirer je-ne,fais .quoi de
doux ôc de tendre qui parte du .coeur & qui aille
droit au coeur. Peclus e j , quod moveas , dit Quinti-
lien. Cours des belles-lettres , tom. II. Rhétorique félon
lesprécept. ^’Ariftote,rfé Cicéron, de Quintilien. Aftf/Tz.
de l'acad. des belles-lett. tom. PII. Traité des études de
M. Rollin, tom. II.
Passions' Jen Poéjie, ce font les fentimens, les
mouvemens, les a riions paflionnées que le poëte
donne à fes pérfonnages. Voye\ C a ractère.
Les pajfons font, pour ainfi dire, la vie Ôc l’efprit
des poëmes un peu longs. Tout le monde en co.nnoît
la néceflite dans latmgedie;i& 1dans la comédie: l’épopée
ne peut pas fubfifter fens elles.- ^bye^TRAGÉ-
•DiE, C omé'üïe , &c. : ‘ 1
■ J p e n’eft'pas' affez que ïa'nâiraftioii dans lepoeme
épiqüe foit lurprenante, il fëuténcorè qu’elle remue
qu’elle foit paflionnée , qu’elle tranfporte l’efprit du
lerieur , ôc gu’elle le rempliffe de chagrin , dé joie ,
de terreur ou de quelqu’autres pajfons violentes ; ôc
cela pour des filets qu’il fait n’être que firiions. Poyei
Epique & Na rra t io n .
Quoique lès pajfons foiéht toujours héceffairês,
ceperidant toutes ne font pas également néceffaires
ni convenables en toute occafion. La comédie à pour
fon partage la joie ôc les furprifes agréables ; au contraire
la terreur ôc la compaflion font lès pajfons qui
conviennent à la tragédie. Lapajfon la plus propre à
l’épopée, eft l’admiration ; cependant l’epopée ,
Comme tenant le milieu entre les deux autres, participe
aux efpeces de pajfons qui leur Conviennent,
comme nous voyons dans les plaintes du quatrième
livre de l’Enéide,, ôc dans les jeux & divertiflemens
du cinquième. En effet, l’admiration participe de
chacune : nous admirons avec joie les chofes qui
nous furprennent agréablement, ôc nous voyons
avec une furprife mêlée'de terreur ôc de douleur celles
qui nous épouvantent ôc nous attriftent.
Outre la pajfon générale qui diftingue le poëme
épique du poëme dramatique, chaque épopee a fa
pajfon particulière qui la diftingue des autres poëmes
épiques. Cette pajfon particulière fuit toujours le
carariere du héros. Ainfi la colere ôc la terreur dominent
dans l’Iliade , à caufe qu’Achille eft emporté,
& 7ta.v]ùjv tKTrxyXohtT a.vS'pav, le plus terrible des hommes.
L’Eneïde eft remplie de pajfons plus douces &
plus tendres ; parce que tel eft le carariere d’Enée.
La prudence d’Uliffe ne permettant point ces excès,
nous ne trouvons aucunes de c es pajfons dans l’O-
diflée.
Pour cëqui regarde la conduite des pajfons , pour
leur faire produire leur effet, deux chofes font re-
quifes ; favoir que l’auditoire foit préparé ôc difpofé
T ij