rent qu’un portrait fait à plaifir & tm caprice d’un
maître de l’art, qui a peint fort beau un faint qui ne
l ’étoit guère. Il faut fe réfoudre à fouffrir cette forte
de licence des artiftes, parce qu’elle n’a rien de blâmable
, & lé repofer fitr eux de la figure 6c de l’air
des objets de la dévotion. Un peintre de Rome fit le
tableau de la Vierge fur le portrait d’une foeur du
pape Alexandre VI. qui étoit plus belle que vertueufe.
Nous ne connoiffons les dieux par le vifage que félon
qu’il a plu aux peintres 6c aux fculpteurs , difoit
Cicéron des dieux de l'on teins, /. I. de natta-, deor.
Nous ne fournies pas aufli difficiles aujourd’h u i,
dit M. de Caylus , que Pline l’étoit ; contens que la
beauté foit bien rendue, il nous importe peu d’après
quelle perfonne elle ell deffinée. Nous délirons feulement
de l’inconftance à nos peintres , pour jouir
d’une certaine variété dans les beautés qu’ils ont à
repréfenter, 6c nous ne faifons de reproches qu’à
ceux qui nous ont donné trop fou-vent les mêmes
têtes, cpmme a fait Paul Véronefe entre plusieurs
autres. Je reviens à Augufte.
Ce fi.it fur-tout cet empereur qui orna les temples
de Rome & les places publiquès de ce que les anciens
peintres de la Grece avoient fait de plus rare
& de plus précieux. Pline qui de concert avec les
autres écrivains nous allure le fait en général, déligne
en particulier quelques-uns de ces ouvrages
confacrés au public par Augufte ; 6c nous devons attribuer
aux foins du même prince l’expofition de plu-
lieurs autres tableaux, que l’hiftorien remarque dans
Rome., fans dire à qui i’on en avoit l’obligation, le
grand nombre fait que nous ne parlerons ni des uns
ni des autres.
Agrippa, gendre d’Augufte , fe diftinguoit par le
même goût, 6c Pline allure qu’on avoit encore de
lui un ~ difeours magnifique 6c tout-à-fait digne du
rang qu’il tenoit de premier citoyen , fur le parti
qu’on devrpit prendre de gratifier le public de tout
ce qu’il y avoit de. tableaux 6c de fiatues dans les
maifons particulières de Rome : ce n’eft pourtant pas
nous faire voir dans cet amateur des ouvrages de
peinture un homme attentif à leur confervation, que
d’ajouter qu’il en confina quelques-uns dans les étuves
des bains qui portaient fon nom, ni nous donner
une grande idée de fa dépenfe en tableaux, que de
nous dire pour toute particularité dans ce genre qu’il
acheta un Ajax 6c une Vénus à Cyzique 3000 deniers
(2350 livres) ; quelle différence de prix entre
l’Ajax & la Vénus d’Agrippa 6c l’Ajax &c la Médée
de Jules Céfar, tous achetés dans la même ville j
Pline parle ici de Ludius, qui vivoit fous le régné
d’Augufte : il ne faut pas le confondre avec celui qui
avoit orné de peintures un ancien temple de Junon
dans la ville d’Ardée déjà détruite avant la fondation
de Rome. Ce Ludius moderne rétablit à Rome du
tems d’Augufte l’ufage de la peinture à frefque. Divi
Augujli tztate Ludius primiis injlituit amcenifjimam pa-
rictum picluram. Il repréfenta le premier lur les murailles
des ouvrages, d’architeûure 6c des payfages,
ce qui prouve la connoiffance de la perfpeâive 6c
celle de.l’emploi du verd , car fans ces deux chofes
quelle idée pourroit-on fe faire de ces fortes de tableaux?
On ignoroit avant Ludius l’aménité des fu-
jets dans les peintures à frefque ; on ne les avoit guere
employées qu’à des ornemèns de temples, ou à des
Lu jets nobles 6c férieux , 6c même les grands artiftes
de la Grece n’avoignt jamais donné dans ce genre de
peinture.
Augufte approuva le parti qu’on prit d’appliquer
à la peinture le jeune Quintus Pédius, d’une des premières
familles de Rome. Pline femble d’abord en
vouloir tirer quelque avantage en faveur de la prô-
feffion ; cependant il ajoute en même tems avec fon
exa&itude 6c fa fidélité ordinaires une cirçonftançe
qui affoiblit totalement cette idée, c’ eft que le jeune.
Pédius étoit muet de naiffance. Il convient aufli
qu’Antiftius Labéo , qui avoit rempli des charges
confidérables dans l’état 6c qui avoit refiifé le confu-
lat qu’Augufte lui offroit, fe donna un ridicule en
s’attachant à faire de petits tableaux, & en fe piquant
d’y réuffir. En un mot, l’on aimoit, l’on eftimoit les
ouvrages de l’art, & l’on méprifoit ceux qui en fai—
foient leur occupation ou même leur amufement. Il
n’y a pas long-tems que l’on en ufoit de même dans
ce royaume pour toutes les études &c les connoiffan-
ces ; je doute que les grands foient bien revenus de
ce préjugé.
La moit d’Augufte fut bien-tôt fuivie de la décadence
des arts : cependant Pline parle d’un grand-
prêtre de Cybele, ouvrage de Parrhafius, 6c tableau
favori de T ib e re , eftirné foixante mille fefterces
( onze mille fept cent cinquante livres ) , que ce
prince tenoit enfermé dans fa chambre à coucher, 6c
d’un tableau chéri d’Augufte , un Hyacinthe qu’il
avoit apporté d’Alexandrie , 6c que Tibere confacra
dans le temple du même Augufte. Pline naquit au
milieu du régné de Tibere, l’an 15 de Jefus-Chrift,
6c tout ce qu’il ajoute fur la Peinture 6c fur les peintres
pour Ion tems, fe réduit aux remarques fui-
vantes.
Aux deux anciennes maniérés, dit-il, de travailler
l’encauftique, on en a ajouté une troifieme, qui
eft de fe fervir du pinceau pour appliquer les cires
qu’on fait fondre à la chaleur du feu ; comme ces
peintures réfiftoient à l’ardeur du foleil, & à la falure
des eaux de la mer , on les fit fervir à l’ornement
des vaiffeaux de guerre ; on s’en fert même déjà ,
remarque-t-il, pour les vaiffeaux de charge. Ces or-
nemens étoient en-dehors des bâtimens, fuivant la
force du terme latin expingimus.
Il nous donne une étrange idée du goût des fuc*
ceffeurs deTibere pour la Peinture. L’empereur Caïus
voulut enlever du temple de Lanuvium, à caufe de
leur nudité , les figures d’Atalante 6>c d’Hélene peintes
par l’ancien Ludius; & il l’auroitfait, fi la nature
de l’enduit altéré par la trop grande vétufté, ne fe
fut oppofée à l’execution du projet?-
L’empereur Claudè crut iignaler fon bon goût,
6c donner un grand air de dignité à deux tableaux
d’Apelle, confacrés au public par Augufte, d’y faire
effacer la tête d’Alexandre le grand, 6c d’y faire fubf-
tituer la tête d’Augufte lui-même. Pline le plaint encore
foit de pareils changemens dans des têtes defta-
tues, changemens qui tiennent à la barbarie ; foit de
la peinture des mofaïques de marbre mifes à la place
des tableaux, 6c inventées fous le même régné de
Claude environ l’an 50 de Jefus-Chrift.
Le régné de Néron, fucceffeur de Claude, donna
vers Pan 64, l’époque des marbres incruftés les uns
dans les autres ; 6c l’auteur s’en plaint également
comme d’un ufage qui portait préjudice au goût de
la peinture ; 6c traite enfin d’extravagance rélervée à
fon fiecle, la folie de Néron qui fe fit peindre de la
hauteur de cent vingt pies romains. La toile dont les
peintres ne s’étoient pas encore avifés de faire ufage,
fut employée alors pour la première fois , parce que
le métal, ou même le bois n’auroient jamais pû fe façonner
pour un pareil tableau : il faut donc rapporter
aufli à Pan 64 de Jefus-Chrift l’époque de la peinture
fur toile. Voye^ ce mot.
Amulius, peintre romain, parut fous le régné de
cet empereur. Il travailloit feulement quelques heures
de la journée, & toujours avec une gravité affectée,
ne quittant jamais la toge, quoique guindé fur des
échaffauds. Ses peintures étoient confinées dans le
palais de Néron , comme dans une prifon, fuivant
l’expreflion de Pline , qui a voulu marquer par-là
les inconyéniens de la frefque.
P E I
Le même Pline admire la tète d\me Minerve que
peignit le même artifte ; cette tête regardoit toujours
Celui qui la regardoit, fpeUantemfpeclans quâcumque
adfpiceretur. Cependant ce jeu d’optique ne tient
point au mérite perfonnel, 6c ftippofe feulement dans
le peintre une connoiffance de cette partie de la perf-
pe&ive. On montre en Italie plufieurs têtes dans le
goût de celle d’Amulius. Cet artifte n’étoit mort que
depuis peu lorfque Pline écrivoit.
La mémoire du peintre Turpilius, chevalier romain
6c vénitien de naiffance, etoit pareillement récente.
Il avoit embelli Vérone de les ouvrages de
peinture. On peut les croire aufli beaux qu’on le voudra
; on fait du moins qu’il avoit appris fon art dans
la Grece. Pline , tiv. X X X F . c. vj. dit qu’avant lui
on n’avoit jamais vû de peintres gauchers ; 6c il pa*
roît admirer cette particularité ; mais l’habitude fait
tout pour le choix des mains, & il ne faut pas une
grande philofophie pour faire cette réflexion. D ’ail*
leurs cette habitude entre pour beaucoup moins
qu’on ne l’imagine dans un art que l’efprit l’eul conduit
, 6c qui donne fans peine le fens de la touche,
en indiquant celui de la hachure, 6c qui produit enfin
des equivalens pour concourir à l’expreflion générale
6c particulière.
Depuis Turpilius on a vu. des peintres gauchers
parmi les modernes; on en a vu également des deux
mains. Jouvenet attaqué d’une paralyfie fur le bras
droit quelques années avant fa mort., a fait de la
main gauche fon tableau de la Vijitation qu’on voit à
Notre-Dame, 6c qui eft un des plus beaux qui foit
forti de fes mains. Ce fait eft plus étonnant que celui
du chevalier Turpilius, puifque Jouvenet avoit contrarié
toute fa vie une autre habitude ; 6c l’on n’en a
lait mention à Paris que peur ne pas oublier cette petite
Angularité de la vie d’un grand artifte. Pline finit
l’article de Turpilius en remarquant que jufqu’à lui,
On ne trouve point de citoyen de quelque confidéra-
tiôn , qui depuis Pacuvius eût exercé l’art de \apeinture.
Il nomme enfin fous le régné de Vefpafien, vers
l’an 70 de Jefus-Chrift, deux peintres à frefque, tous
deux romains , Cornélius Pinus & Accius Prifcus;
Fort peu de tems après , il compofa, fous le même
régné, fon immenfe recueil d’hiftoire naturelle. Il
venoit de l’achever lorfqu’il en fit la dédicace à Titus,
confiai pour la fixieme fois , en l’an 78 de Jefus-
Chrift.
L’année fuivante fut celle ou Titus monta fur le
. trône , au mois de Mars , 6c Pline mourut au commencement
de Novembre fuivant. Cet illuftre écrivain
avoit donc compofé immédiatement auparavant
fon grand ouvrage, avec la digreflion fur la Peinture,
morceau des plus précieux de l’antiquité.
On fait que Pline entre en matière par des plaintes
ameres contre fon fiecle fur la décadence d’un art
qu’il trouve infiniment recommandable par l’avantage
qu’il a de conferver la mémoire des morts , 6c
d’exciter l’émulation des vivans. Il fait l’éloge des tableaux
comme monumens du mérite 6c de la vertu.
Il étend cet éloge aux autres ouvrages qui avoient
la même deftination , aux figures de cire que les Romains
confervoient dans leur famille, aux ftatues dont
ils omoient les bibliothèques , aux portraits defîinés,
que Varon 6c Pollion mirent en ufage, enfin aux bouchers
oû etoient repréfentés les perfonnages illuftres
de l’ancienne Rome.
Après avoir pris les Romains du côté de l’honneur
. & de la vertu , il cherche à piquer leur euriofité en
leur indiquant l’antiquité de l’art, 6c en s’arrêtant au
récit de quelques peintures plus anciennes que la fondation
de Rome. Il nomme les différentes villes oit
on les v o yo it, 6c il diftingue le mérite de ces ouvrages
d’avec l’abus qu’en vouloit faire la lubricité
'Tome XII,
P £ I 271
d’un empereur, tenté d’en tirer deux de leur place à
caufe de quelques nudités.
• Aux motifs d’une euriofité louabie, Pline joint le*
motifs d’émulation puifés dans le fein même de la
ville de Rome ; il propofe par une gradation fuivie
l’exemple des citoyens qui s’étoient autrefois appliqués
à l’exercice de la Peinture ; l’exemple des héros
de la nation, qui avoient étalé dans Rome les tableaux
de leurs vi&oires; l’exemple des généraux 6c des empereurs
q u i, après avoir tranfporté dans la capitale
une quantité prodigieufe de tableaux étrangers, en
avoient orné les portiques des temples 6c les places
publiques.
Son éloquence & fon efpritrious charment par des
traits de feu 6c par des images enchantereffes qu’on
ne trouve en aucun autre auteur , ni 'fi fréquentes 4
ni d’une fî grande beatité , enfin par une cnerrie dé
ftyle qui lui eft particulière. G’eft ainfi que pour
donner une idée d’un tableau où A pelle avoit repré**
fenté un héros nud, il déclare que c’étoit un défi fait
. à la nature. Il dit de deux hoplitites, ouvrage de Par-
rhafius : « celui qui court, on le voit fuer ; celui qui
» met les armes bas , on le fent haleter. Apeliê, dit-il
» ailleurs ,. peignit ce qui eft impoflible à, peindre,
» le,bruit du tonnerre & la lueur des éclairs ». En
matière de ftyle , comme en matière de peinture , les
favantes exagérations font quelquefois néceffaires ;
6c ce principe doit être grave dans l’ efprit d’un peintre.
s’il veut parvenir à l’intelligence de ce que Pline
a écrit & de ce que Apelle avoit exécuté;
Il eft donc vraiffemblable que perfonne ne s’avifera
jamais de traiter Pline en qualité d’hiftorien des Peintres
ou d’enthoufiafté, fans connoiffance de caufe ,
ou de déclamateur qui joiie l’homme pafîionné, ou
d’écrivain infidelle 6c frivole. Les qualifications diamétralement
oppofées font précifément celles qui caj
raûérifent ce grand homme , heureiifement pour fa
gloire, heureufement pour celle des arts dont il a été
le panégyrifte , heureufement enfin pour l’intérêt de
la littérature 6c des fciences -dont il a été le dépoli*-
taire.
Voilà ce qtié j’avois à dire fur Pline & fur la peinture
des Romains ; c’eft un précis de deux beaux mémoires
donnés par M. de Caylus 6c par M. de la
Nauze dans le recueil de littérature, tome X X V . (Le
Chevalier DE J AUC ORT.')
Peinture moderne , {Beaux-Arts.") L’art de la
Peinture , dit M. l’abbé Dubos, après avoir été long-
tems enfeveli en occident fous les ruines de l’empire
romain, fe réfugia foible 6c languiffant chez les
orientaux, & renaquit enfin dans le treizième fiecle,
vers l’an 1240 , à Florence , fous le pinceau de Ci-
mabué. Cependant on ne peignit qu’à frefque 6c à
détrempe , jufqu’au quatorzième fiecle, que Jean de
Bruges trouva le fecret de peindre à l’huile. Il arriva
pour lors que plufieurs peintres fe rendirent illuftres
dans les deux fiecles fuivans ; mais aucun ne fe rendit
excellent. Les ouvrages de ces peintres fi vantés dans
leur tems, ont eu le fort des poéfies de Ronfard, on
11e les cherche plus.
En 1450 la Peinture étoit encore groffiere en Italie
, où depuis près de deux cens ans on ne ceffoit de
la cultiver. On deffinoit fcrupuleufement la nature
fans l’ennoblir. On finiffoit les têtes avec tant de foin,
qu’on pou voit compter les poils de la barbe 6c des
cheveux ; les draperies étoient des couleurs trèsv
brillantes & rehauffées d’or. La main des artiftes
avoit bien acquis quelque capacité ; mais ces artiftes
n’avoient pas encore le moindre fe u , la moindre
étincelle de génie. Les beautés qu’on tire du nijd
dans les corps repréfentés en aâ iôn, n’avoient point
été imaginées dé perfonne ; on n’avoit point fait en-*
core aucune découverte dans le clair-obfcur, m dans
la perfpeéHye aérienne, non plus que dans l’elégancf
M tn i j
|i