reils exemples ; mais l’intelligence , les foins ou la
précilion, qui ne font connus que des feuls artifles,
préfentent une vue bien délicate 6c bien vraie.
Mélanthius. Plutarque rapporte que Aratus, qui
aimoit la peinture , 6c qui s’y connoiffoit, ayant délivré
Sicione fa patrie des tyrans qui l’opprimoient,
réfolut de détruire les monuinens qui rappelloient
leur fouvenir. Il y avoit dans la ville un tableau fameux
, où Mélanthius aidé de les eleves , parmi lef-
quels étoit Apelle , avoit reprelente Arillrate l’un
de ces tyrans, monté fur un char de triomphe.
Dans le premier moment Aratus ordonna de le
détruire ; mais fe rendant bientôt aux raifons de Néal-
que , peintre habile, qui demandoit grâce pour une
auffi belle peinture, 6c qui lui faifoit entendre que la
guerre qu’il avoit déclarée aux tyrans, ne devoit pas
s’étendre aux arts, il le fit confentir que la feule figure
d’Ariftrate feroit effacée ; ainfi on lailfa fubfilter celle
de la Vi£loire.& le char ; 6c Néalque qui s’étoit chargé
de cette opération, mit feulement une palme à la
place de la figure, 6c cela par refpeél pour un ouvrage
fur lequel il ne croyoit pas que perfonne osât
mettre la main.
Dans ce dernier palfage on voit deux témoignages
bien précis de la confidération dans laquelle etoient
chez les Grecs les ouvrages des grands maitres. Un
prince fait céder des raifons d’état & de politique à la
confervation d’un tableau dont la mémoire étoit
odieufe, mais qui n’en étoit pas moins admirable par
la beauté de fon exécution. Un peintre habile en re-
connoît l’excellence, & préféré la gloire d’avoir contribué
à fa confervation, à celle qu’il auroit pu acquérir
en le peignant de nouveau,. ou du moins en y
mettant une nouvelle figure de fa façon.
Au relie, Pline nomme Mélanthius au nombre des
peintres dont les chef-d’oeiivres avoient été faits avec
quatre couleurs feulement. Plutarque ajoute que dans
le tableau du tyran de Sicyone, Mélanthius y travailla
conjointement avec les autres de fa volée,
mais qu’Apelle , qui étoit du nombre , n’y toucha
que du bout du doigt ; c’ell apparemment parce qu’il
etoit encore trop jeune.
Métrodore fut choifi par les Athéniens pour être
envoyé à. Paul Emile, qui après avoir pris Perfée,
roi de Macédoine , leur avoit demandé deux hommes
de mérite, l’un pour l’éducation de fes enfans,
& l’autre pour peindre fon triomphe. Il témoigna
fouhaiter ardemment que le précepteur fut un excellent
philofophe. Les Athéniens lui envoyèrent Me-
trodore qui excelloit tout enfemble, 6c dans la. Philosophie
, 6c dans la Peinture. Paul Emile fut très-content
à ces deux égards, de leur choix : c’ell Pline qui
raconte ce fait, liv. X X X V . ch. xj. mais fans entrer
dans d’autres détails fur les.ouvrages de Métrodore;
ce qu’on peut dire de certain, c’ell que s’il a réuffi
dans fes tableaux, comme dans fon éleve P. Scipion,
il faut le regarder comme un des grands peintres de
l’antiquité. Le P. Hardouin n’a commis que des erreurs
au fujet de ce philofophe 6c de cet artille, qui
fleuriflbit dans la 150e olympiade:
Micon étoit contemporain, rival 6c ami de .Poly-
gnote. Pline nous apprend que tous les deux furent
les premiers qui.firent ufage de l’ocre jaune, 6c que
tous deux peignirent à frefque ce célébré portique
d Athènes, qui.de la variété de fes peintures, fut
nommé le PoeciU ; mais Micon fe fit payer de fon
tra vail, au lieu que Polygnote ne voulut d’autre ré-
compenfe que l’honneur d’avoir réulîi.
Ne aie es s acquit une tres-grande réputation par la
beauté de fes ouvrages, 6c entr’autres par fon tableau
de Vénus. Il étoit également ingénieux 6c folide dans
fon art. Il repréfenta la bataille navale des Egyptiens
contre les Perfes ; & comme il vouloit faire
«onnoître que l’aélion.s’étoit paffée fur le N il, dont
les eaux font femblables à celles de la mer, il peignit
fur le bord de l’eau un âne qui bûvoit, & tout
auprès un crocodile qui le guettoit pour fe j etter fur
lui. Secondé comme Protogène par le hafard , il ne
vint à-bout, à ce qu’on d it, de repréfenter l’écume
d’un cheval échauffé, qu’en jettant de dépit fon pinceau
fur fon ouvrage ; Pline parle beaucoup de Néal-
cés dans fon hiß. nat. liv. X X X V . ch. x j.
Nicias d’Athènes, habile peintre encauflique, élevé
d’Antidotus, vivoit comme Apelle à la cent douzième
olympiade, l’an 332 avant l’ere chrétienne. II
fe diflingua parmi les célébrés artifles de ce tems flo-
riffant de la Peinture. Il fut le premier qui employa
parmi fes couleurs, la cérufe brûlée. On dit qu’il ex-
eelloit en particulier à peindre les femmes. On avoit
de lui un grand nombre de tableaux extrêmement
eflimés, entr’autres celui où il avoit peint la defcen-
te d’Ulyffe aux enfers. Il refiifa d’un de fes tableaux
60 talens, z 8 2.0001. que le roi Ptolomée lui offrait.
Praxitèle faifoit un fi grand cas de la compofition
dont Nicias avoit le fecret, 6c qu’il appliquoit fur
les flatues de marbre, que celles de fes flatues où
Nicias avoit mis la m ain, méritoient, félon lu i, la
préférence fur toutes autres. Voilà ce que dit le texte
de Pline, liv. X X X V . chap. x j. Nous ne connoif-
fons plus cette pratique ; 6c comme nous n’imaginons
pas que des vernis ou quelcju’autre préparation fem-
blable , puiffe être appliquée fur une flatue de marbre
fans lui nuire, nous croyons trouver dans ce paf-
fage quelque chofe d’abfurde ; cependant il s’agit ici
d’un vernis qui étoit peut-être une compofition de
cire préparée.
Mais il y a de bien plus grands éloges à faire de
Nicias, car lumen & umbras cufiodivit ; il conferva
avec foin la vérité de la lumière 6c celle des ombres;
c’efl-à-dire qu’il a parfaitement entendu le
clair obfcur, & par une fuite néceffaire, les figures
de fes tableaux prenoient un grand relief, 6c les corps
paroiffoient faillans, atque ut eminerent è tabulis pic-
turoe, maximh curavit. On croirait que Pline , dans
ce paffage feroit l’éloge de Polydore.
Nicias joignit à ces grandes parties, celle de bien
rendre les quadrupèdes, 6c principalement les chiens*
Nos modernes ne nous fourniffent aucun objet de
comparaifon ; car ceux qui ont excellé à peindre les
animaux, n’ont ordinairement choifi ce genre de travail,
que par la raifon qu’ils étoierit foibles dans l’ex-
preflion des figures, 6c pour ainfi dire incapables de
traiter les fujets de l’hifloire 6c les grandes pallions.
Il efl vrai que Rubens fe plaifoit à peindre des animaux
, 6c c?efl à fes leçons que nous devons le fameux
Sneyders ; mais ces fortes d’exemples font
rares.
Parmi les tableaux les plus eflimés de Nicias, on
admiroit fur-tout celui où il avoit peint la defcente
d’Ulyffe aux enfers. Il refùfa de~ce tableau 60 talens,
282000 liv. que le roi Ptolomée lui offrait, & en fit
préfent à fa patrie.
Les Athéniens, parreconnoiffance, éleverent un
tombeau à fa gloire, 6c lui accordèrent les honneurs
de lafépulture aux dépens du public,comme à Conon,
à Timothée, à Miltiade , à Cimon, à Harmodius ,
6c à Ariflognion. On trouvera d’autres détails a fiez
étendus fur cet admirable peintre dans Pline, Ælien,
Paufanias, Stobée 6c Plutarque.
Nicomaque, fils 6c éleve d’Ariflodeme, étoit un
peu plus ancien qu’Apelle. On achetoit fes tableaux
pour leur grande beauté, des fommes immenfes, tabula
fingula oppidorum voenebanl opibus , dit Pline,
6c cependant perfonne n’avoit.plus de facilité 6c de
promptitude dans l’exécution. Ariflote tyran de Sicyone
,-l’avoit choifi pour orner de tableaux un monument
qu’il faifoit élever au poète Telefle , 6c~ il
étoit convenu du prix avec Nicomaque , à condition
néanmoins que l’ouvrage feroit achevé dans un tems
' fixe. Nicomaque ne fe rendit fur le lieu pour y travailler;
que peu de jours avant celui où il devoit
livrer l’ouvrage. Le tyran irrite alloit le faire punir,
mais le peintre tint parole, 6c dans ce peu de jours,
il acheva fes tableaux avec un art admirable 6c une
merveilleufe célérité ; celeritate b arte mira, ajoute
le même Pline. Les tableaux de Nicomaque , 6c les
vers d’Homere, dit Plutarque, dans la vie de Timo-
léon, outre les perfeélions 6c les grâces dont ils brillent
, ont encore cet avantage, qu’ils paroiffent n’avoir
coûté ni travail, ni peine à leur auteur.
Il fut le premier qui peignit Ulyffe avec un bonnet
, 6c tel qu’on le retrouve dans des médailles de
la famille Mamilia, rapportées par V aillant, Famil.
Boman. Mamilia, 2. 3.4. aux années 614 & 626 de
Rome, environ deux cens ans après les ouvrages de
Nicomàchus.
Nicophanes, dit Pline, fut fi élégant, fi précis, que
peu de peintres ont égalé fes agremens, & jamais il
ne s’efl écarté de la dignité ni de la nobleffe de
l’art. Nicophanes elegans b concinnus, ita ut venujlate
ei pauci comparentur. Cothurnus ei, & gravitas artis.
Pamphile, de Macédoine, éleve d’Eupompus, 6c
contemporain de Zeuxis, 6c de Parrhafius qu’on place
enfemble vers la 115e olympiade, c’efl-à-dire
vers l’an du monde 3 604, fut le premier peintre
verfé dans tous les genres de Science 6c de Littérature.
Il a mérité que Pline dît de lui : primus in pic-
turâ omnibus litteris eruditus , prcecipuh arithmeticce b
géométrie# fine quibus negabatartem perficipojfie. Il avoit
bien raifon, puifque les réglés de la Perfpeélive dont
les Peintres font continuellement ufage, 6c celles dé
l’Architecture qu’ils font quelquefois obligés d’employer,
appartiennent les unes 6c les autres à la Géométrie.
Or , la néceflité de la Géométrie la plus fim-
ple 6c la plus élémentaire, entraîne la néceflité de
l’Arithmétique, pour le calcul des angles & des côtés
des figures.
Pamphile fut primus in piclurâ, mais d’une façon
dont nos Peintres devroient tâcher d’approcher ;
c’efl qu’étant favant dans fon a r t , il fut omnibus litteris
eruditus. Il eut le crédit d’établir à S icyone, en-
fuite dans toute la G reçe, une efpece d’académie où
les feuls enfans nobles & de condition libre, qui auraient
quelque difpofition pour les beaux Arts, feraient
inflruits foigneufement avec ordre de commencer
par apprendre les principes du deffein fur
des tablettes de bonis, & défenfes aux efclaves d’exercer
le bel art de la Peinture.
Enfin, Pamphile mit cet art in primum gradum libe-
ralium ; Pline l’appelle auffi un noble & difiingué
qui avoit excité l’empreffement des rois 6c des peuples.
Il aime qu’elle faffe briller l’érudition au préjudice
même du coloris : il joint avec complaifance
au titre de peintre celui de philofophe dans la perfonne
de Métrodore , 6c celui d’écrivain dans Par-
rhafius, dans Euphranor , dans Apelle 6 c dans les
autres. Quelquefois même il femble préférer la Peinture
à la Poéfie ; la Diane d’Apelle au milieu de fes
nymphes quifacrifient, paraît, dit-il, l’emporter fur
la Diane d’Homere, lequel a décrit le même fpeCla-
cle. Si les vers grecs qui fubfifloient à la louange de
la Vénus Anadyomene du même Apelle , avoient
prévalu fur le tableau qui ne fubfifloit plus, ils ren-
doient toujours hommage à fa gloire.
Cependant il femble que nos Artifles penfent bien
différemment, 6c qu’ils fecouent la littérature & les
lciences comme un joug pénible, pour fe livrer entièrement
aux opérations de l’oeil 6c de la main. Leur
préjugé contre l’étude paraît bien difficile à déraciner
, parce que malheureufement prefque tous ceux
qui ont eu des lettres, n’ont pas excellé dans l’art ;
mais 1 exemple de Léonard de Vinci 6c de quelques
autres modernes fuffiroit, indépendamment de l’e~
xemple des anciens, pour juflifier qu’il efl poffible
à un grand peintre d’etre favant. Enfin, fans favoir
comme Hippias, tous les Arts 6c toutes les Sciences;
il y a des degres entre cet é loge, 6c une ignorance
que 1 on ne peut jamais pardonner.
Au refie, Pamphile après avoir élevé des efpeces 4 academies dans la Grece , ne prit point d’éleves
qu’à raifon de dix ans d’apprentiffage, & d’un talent
foit par annee , foit ppur les dix années de leçon *
car le texte de Pline efl fufceptible de ces deux fens!
Il efl cependant vraiffemblable , qu’il faut entendre
un talent attique par chaque annee. Le talent atti-
qiie efl évalue par MM. Belley 6c Barthélemy à en-
yiron quatre mille fept cens livres de notre monnoie
actuelle 1760 ; le doéteur Bernard l’évalue à deux
cens fix livres flerlings cinq shellings. Ce fut à ce
prix qu’Apelle entra dans l’école de Pamphile , 6c
ce fut un nouveau furcroit de gloire pour le maître.
Il eut encore l’avantage d’avoir Mélanthius pourdif-
çiple , ce Mélanthius dont Pline dit que les tableaux
etoient hors de prix. Paufanias fut aufiî fon éleve ;
nous n’oublirons pas fon article.
I admirait plufieurs ouvrages de Pamphile, entr’autres
fon Ulyffe dans une barque ; fon tableau de
la confédération des Grecs : celui de la bataille de
Phlius au midi de Sicyone, Aujourd’hui Phoica ; ce-
cehu de la viéloire des Athéniens contre les Perfes
bc. Ajoutons-y un portrait de famille dont Pline parle
, c efl-à-dire un grouppe ou une ordonnance de
plufieurs parens ; c’efl le feul exemple de cette ef-
çece rapporte par les anciens, non que la chofe n’ait
ete facile 6c naturelle ; mais parcé qu’elle n’étoitpoint
en ufage du-moins chez les’ Romains , qui remplif-
foient leur atrium ou le veflibule de leurs maifons de
fimples bulles.
Panée ou Panoenus, comme dit Paufanias, frere
du fameux Phidias , fleuriffôit dans la 55e. olympia-
dç 5 ou 1 an du monde 3 5 60. Il peignit avec grande
diflinélion lafameufe journée de Marathon, où les
Athéniens défirent en bataille rangée toute l’armée
des Perfes. Les principaux chefs dé part 6c d’autre
etoient dans cé tableau de grandeur naturelle , 6c
d’après une exaéle réffemblance ; c’efl de-là que Pline
infère les progrès & la perfeftion de l’art, qui néanmoins
fe perfedionna beaucoup dans la fuite.
Ce fut de fon tems que les concours pour le prix
de la Peinture furent établis à Corinthe 6c à Del-
phes, tant les Grecs étoient déjà attentifs à entretenir
l’émulation des beaux arts par tous les moyens
les plus propres à les faire fleurir. Panoenus fe mit le
premier fur les rangs avec Timagoras de Chalcis,
pour difputer le prix à Delphes dans les jeux py-
thiens. Timagoras demeura vainqueur ; c ’efl un fait,
ajoute Pline, prouvé par unepiece 4e vers du même
Timagoras, qui efl fort ancienne ; elle a du précéder
d’environ cinq cens cinquante ans le tems oii Pline
écrivoit, fi nous plaçons la yi&oire de Timagoras
vers la xxyiij. pythiade, en l’an 474 avant Jefus-
Chrifl.
Panoenus devoit même être affez jeune l’an 474 ,
feize ans après la bataille de Marathon, puifqu’il efl
encore queflion de lui à la lxxxiij. olympiade, l’an
448 ; qu’il peignit à Elis la partie concave du bouclier
d’une Minerve, flatue faite par Colotès , difci-
ple de Phidias. Si ce mélange de Peinture & de Sculpture
dans un même ouvrage révolte aujourd’hui
notre délicateffe ; fi nous condamnons commeinuti-
les 6c comme cachés à la vûe du fpe&ateur, des or-
nemens qui ont pu cependant être prefque aufli vifi-
bles en-dedans qu’en-dehors d’un‘bouclier, du-moins
gardons - nous bien d’étendre nos reproches jufqu’à.
l’hiflorien, ce feroit le blâmer de fon attention à