
 
        
         
		Cette  acclamation  a  été  le lignai  de  la  chute  de  
 tous  les  fpettacles lyriques,  6c  l’opéra  italien  s’eft  
 •emparé de tous  les théâtres de l’Europe. Cette foule  
 de  grands  compofiteurs  qui  font  lortis  d’Italie  6c  
 d’Allemagne depuis ce tems-là, n’a plus voulu  chanter  
 que  dans  cette  langue, dont  la  luperiorite  a  ete  
 univerfellement  reconnue.  La  France  feule  a  con-  
 iervé  fon  opéra,  fon  poème,  lyrique, &   fa mufxque,  
 mais  fans  pouvoir la faire goûter des  autres peuples  
 de l’Europe, quelque prévention  qu’on  ait en general  
 pour  les arts,  fes  goûts  6c  fes  modes. Dans  ces  
 derniers  tems  fes  enfans même  fe font  partages  fur  
 fa  mufique,  6c  la mufique  italienne  a  compté  des  
 François  parmi  fes  partifans  les  plus  paflionnes.  Il  
 nous relie donc  à  examiner ce  que c?eft que  l’opéra  
 François, 6c ce que c’eft que l’opéra italien. 
 De  l'opéra françois. Selon la définition d’un  écrivain  
 célébré, l’opéra françois  eft  l’épopée mife  en  
 -attion 6c en fpeûacle.  Ce que la diferetion  du  poëte  
 épique  ne montre qu’à notre imagination ,  le  poëte  
 lyrique a entrepris enFrance de le  repréfenter à nos  
 yeux.  Le  poëte tragique  prend fes fujets dans  l’hif-  
 toire ;  le poëte lyrique a cherché les fiens  dans l’épopée  
 ;  6c  après avoir  épuifé  toute  la mythologie  ancienne  
 6c toute la  forcellerie moderne ;  après  avoir  
 mis fur la feene toutes  les  divinités  poflibles;  après  
 avoir tout revêtu de forme 6c de  figure,  il a  encore  
 •créé  des êtres  de fantaifie, &: en les douant d’un pouvoir  
 furnaturel  6c magique, il en  a  fait le principal  
 refi'ort  de fon poème. 
 C ’eft  donc le merveilleux vifible qui eft l’ame  de  
 l ’opéra  françois ; ce  font les D ieux, les Déefles, les  
 Demi-dieux ; des Ombres, des Génies, des Fées, des,  
 Magiciens,  des Vertus,  des Pallions, des  idées  abf-  
 traites, 6c des êtres moraux perfonnifiés qui en font  
 les aéteurs.  Le merveilleux vifible  a paru  fi  efientiel  
 à  ce  drame ,  que  le  poëte  ne  croiroit pas pouvoir  
 traiter un fujet hiftorique  fans y  mêler  quelques  in-  
 cidens furnaturels 6c quelques etres de fantaifie 6c de  
 fa  création. 
 Pour  juger  fi  ce  genre  peut  mériter  le  fuffrage  
 d’une  nation  éclairée,  les  critiques  6c  les  gens  de  
 goût  examineront  6c  décideront les queftions  fui-  
 vantes. 
 Ne  feroit-ce pas une  entreprife contraire au  bon  
 fens,  que  le  génie  a  toujours  faintement  refpe&é  
 dans  les  arts  d’imitation,  que  de  vouloir rendre  le  
 merveilleux  fufceptible  de  la  repréfentation  théâtrale  
 ?  Ce qui dans l’imagination  du poëte &  de  fes  
 le&eurs  étoit noble &  grand,  rendu ainfi vifible  aux  
 y e u x , ne deviendra-t-il  point puérile 6c mefquin ? 
 Sera-t-il aifé de trouver des a&eurs  pour les  rôles  
 du  genre  merveilleux,  ou fupportera-t-on  un Jupiter 
 ,  un Mars, un  Pluton fous  la figure  d’un  afteur  
 plein de  défauts 6c de ridicules? Ne  faudroit-il  pas  
 au-moins, pour de telles  repréfentations ,  des  falles  
 immenfes, où le fpeftateur placé à une jufte diftance  
 du théâtre, feroit forcé de laiffer  au jeu des  machines  
 6c  des mafques la  liberté de  lui en impofer ; où  
 fon imagination fortement frappée feroit obligée  de  
 concourir elle - même aux  effets d’un fpeêtacle  dont  
 elle  ne  pourroit  faifir  que  les  mafies ? La  préfence  
 des dieux pourra-t-elle être rendue fupportable dans  
 un lieu étroit 6c refferré où le fpeélateur fe  trouve,  
 pour-ainfi-dire, fous le  nez  de  l’aéteur, où  les  plus  
 petits détails,  les  nuances les plus fines  font remarqués  
 du premier,  où le  fécond  ne peut mafquer ni  
 dérober  aucun  des  défauts de fa voix, de fa démarche  
 , de  fa  figure ? L’obfervation d’Horace, 
 Major è longinquo reverentia, 
 qui  n’ eft pas  moins  vraie  des  lieux  que  des  tems,  
 n’eft-elle pas  ici d’une  application fenfible ? Suppo-  
 fons  donc  qu’on  eût  pu  mettre  des  dieux  fur  ces 
 théâtres anciens 6c immenfes qui recevoient un peu'  
 pie entier pour fpeûateur, ne feroit-ce pas  là préci"  
 fément une raifon  pour les bannir de nos.petits théâtres, 
  qui  ne  repréfentent que  pour quelques  cotte-  
 ries qu’on a appellées le public ? 
 Si  un  fpe&açle rempli  de  dieux  étoit  le  fruit, du  
 goût  naturel  d’un  peuple  ,  d’une paflion  nationale  
 pour  ce  genre ,  ce  peuple  ne  commenceroit-il  pas  
 par mettre fur fes théâtres les divinités de fa religion?  
 Des dieux de tradition, dont il ne  connoit la mythologie  
 qu’imparfaitement  ,  pourroient - ils  l’emou-  
 voir 6c  l’interefler comme les objets de fon  culte &   
 de  fa croyance ? L’opéra  ne  deviendroit-il  pas  né-  
 ceflairement une fête  religieufe ? 
 N’exigeroit-on pas du-moins  d’un tel peuple d’être  
 connoifleur profond 6c paflionné du nud, des  belles  
 formes, de l’énergie 6c de  la beauté de la  nature ; 6c  
 que faudroit-il  penfer de fon goût s’il  pouvoit  fouf-  
 frir fur  fes théâtres un Hercule en taffetas couleur de  
 chair,  un Apollon en bas blancs 6c  en habit brodé? 
 Si le précepte d’Horace , 
 Nec Deus interjit 
 eft  fondé  dans la raifon,  que  penfer  d’un  fpeâacle  
 où les dieux agiffent à tort 6c à travers, où ils arrangent  
 6c  dérangent  tout  félon  leur  caprice,  où  ils  
 changent incontinent de projets 6c de volonté ? Qu’on  
 fe rappelle  avec quelle diferétion  les  tragiques  anciens  
 employent les dieux dans des pièces, qui aprè$  
 tout  étoient  des  aftes de  religion !  Ils montroient le  
 dieu un inftant, aifhnoment décifif, tandis  que notre  
 poëte  lyrique  ne  craint  point  de le  tenir  lans  celle  
 fous  nos yeux. En en  ufant  ainfi, ne rifque-t- il pas  
 d’avilir la  condition  divine, fi  l’on  peut  s’exprimer  
 ainfi? Pour qu’un dieu nous imprime une idée convenable  
 de fa grandeur, ne faut-il pas qu’il parle peu, 6c  
 qu’il  fe montre  auffi  rarement  que  ces  monarques  
 d’Afie,  dont l’apparition  eft une chofe  fi  augufte 6c  
 fi folemnelle, que perfonne n’ofe lever les yeux  fur  
 eux,  dans  la feule  occafion où  il  eft permis  de  le$  
 envifager? Seroit-il poflible  de  conferver  ce refpeéfc  
 pour un Apollon  qui  fe montreroit trois  heures  de  
 fuite fous  la figure 6c  avec les talens de M. Muguet ? 
 Quand  il  feroit poflible de repréfenter  d’une  maniéré  
 noble, grande 6c vraie les divinités de l’ancienne  
 Grece ,  qui  font après tout  des  perfonnages  hiftori-  
 ques,  quoique fabuleux ;  le bon  goût 6c le bon fens  
 permettroient-ils  de perfonnifier également tous  les  
 êtres que l’imagination des poëtes a enfantés ? Un génie  
 aérien,  un  jeu, un.ris, un plaifir,  une Heure ,  
 une conftellation ,  tous ces êtres  allégoriques 6c bi-  
 farres, dont on lit avec étonnement la nomenclature  
 dans les programmes des Opéra françois, pourroient-  
 ils paroître  fur la  l'cene lyrique  avec autant dé droit  
 6c  de  fuccès qu’un Bacchus, qu’un Mercure, qu’une  
 Diane? 6c quelles feroient les bornes de cette étrange  
 licence ? 
 Qu’on  examine fans prévention les deux tableaux  
 fuivans  qui font du même genre  ;  dans l’un, le poëte  
 nous montre Phedre en proie à une paflion infurmon-  
 table  pour  le  fils de fon  époux ,  luttant  vainement  
 contre  un  penchant fùnefte ,  6c  fuccombant enfin,  
 malgré elle, dans le  délire &C dans des convulfions,  
 à un amour effréné 6c coupable que fon fuccès même  
 ne rendroitque plus criminel. Voilà le tableau de Racine. 
   Dans  l’autre,  Armide,  pour  triompher  d’un  
 amour involontaire que fa gloire  6c fes intérêts défa-  
 vouent également, a  recours à fon art magique. Elle  
 évoque la Haine : à fa voix, la Haine  fort de l’enfer,  
 6c paroît avec fa fuite dans cet accoutrement bifarre,  
 qui  eft  del’éti quette  de  l’Opéra  françois.  Après  
 avoir  fait danfer  6c  voltiger fes  fuivans  long-tems  
 autour d’Armide, àprès avoir fait chanter par d’autres  
 fuivans  qui  ne  favent  pas  danfer,  un  couplet  en  
 choeur qui aflùre que 
 Plus  on connoit  l'amour, &  plus on ledétejh  
 E t quand,  on  veut  bien, s'en  défendre y 
 Qu on peut fe  gatantir de fes indignes fers. 
 'Après toutes  ces  cérémonies fans but, fans  goût  6c  
 fans uobleflè,la Haine fë met à conjurer l’Amour dans  
 •les formes, de  fortir  du  coeur  d’Armide ,  6c  de1 lui  
 céder la placé, précifément  comme nos prêtres n’a-  
 guere avoient la coutume d’exorcifer le diable. Voilà  
 le tableau deQuinault. Nous ne dirons point qu’il n’y   
 a qu’un homme de génie qui puifle réuflîr dans le premier, 
   6c  qu’un  homme  ôfdinaire  peut  fe  tirer  du  
 fécond avec fuccès ; mais nous nous én rapporterons  
 à  la bonne foi de  ceux qui  ont  vu  la  reprefentation  
 des deux pièces.Qu’ils nous difent fi cette Haine avec  
 fâ  perruque  de  vipères,  avec  fon  autre  paquet  de  
 ferpens en  fa’main droite, avec fes gants 6c fes bas rouges  
 à coins étincelans de  paillettes d’argeftt,  lès a jamais  
 fait  frémir  de  terreur ou de pitié pour Armide,  
 6c  fi Phedre  mourante  d’amour &  de honte  ,  feule  
 dans les bras de  fa  vieille nourrice,  ne déchirent pas  
 tous les  coeurs ? Le deftin dont la main invifible réglé  
 le fort des mortels irrévocablement,  ce deftin qu’aucun  
 grand poëte n’a ofé tirer des ténèbres dont il s’eft  
 enveloppé ;  n’eft-il pas  bien  autrement  effrayant 6c  
 terrible  que  cè deftin à barbe  blanche  que  le poëte  
 de  l’Opéra françois nous montre  fi indiferettemènt,  
 6c  qui  nous  avertit  èn plein - chant  que  toutes  les1  
 puiflances du ciel 6c de la terre lui fontfoumifes? 
 ;  Le merveilleux  vifible  ainfi repréfenté ,  n’auroit-  
 il pas banni tout intérêt de la feene lyrique ? Un Dieu  
 peut «tonner*  il peut paroître grand &:  redoutable  ;  
 mais peut-il  iritérefler  ?  Comment  s’y   prendra-t-il  
 pour  me  toucher  ?  Son  caraétere  de  divinité  ne  
 rompt-il pas  toute  èfpece  deliaifon  6c  de  rapport  
 entre  lui &  moi ? Que me font fes pallions , fes plaintes  
 ,  fa  joie ,  fon  bonheur ,  fes  malheurs ?  Suppofé  
 que  fa  colere  ou  fa  bienveillance  influe  fur le fort  
 d’un héros,  d’une illuftre héroïne du drame, lefquels  
 ayant les mêmes affections ,  les mêmes foiblefîes, la  
 même  nature  qüë moi",  ont droit  de  m’intéreflèr à  
 leur fort, quelle part pourrois-je prendre à une aCtion  
 où rien ne fe pafle en conféquence de  la nature &  de  
 la néceflitédes chofës,où la fituatiôn  la plusdéplôrà-  
 ble  peut devenir en un  clin  d’oe il,  par un coup  de  
 baguette,  par un changement de volonté foudain &   
 imprévu ,  la fituatiôn la plus heureufe ,'■ & par un autre  
 caprice redevenir fùnefte ? Ne feroit-ce pas-là des  
 jeux propres, tout au  plus, à émouvoir des enfans ? 
 L’unité d’aCtion  efîentielle  à tout  drame,  &   fans  
 laquelle  aucun ouvrage de l’art rie  fauroit plaire, ne  
 feroit-ellepas epntinuéllement  bleflee  dans  l’Opéra  
 merveilleux? Des êtres  qui font au-deffus des lois de  
 notre nature, qui peuvent changer à leur gré le cours  
 dès événemens, ne difloudroient-ils pas tout le'noeud  
 dans les pièces de ce genre? Un Opéra ne feroit donc  
 qu’une  fuite  d’incidens  qui  fe fuccedent les uns aux  
 autres  fans néceflité , &  par conféquent  fans  liaifon  
 véritable. Le poëte  pourroit les  alonger ,  abréger -,  
 fupprimer à fa fantaifie, fans que fon lujet enfouffrît.  
 Il pourroit  changer fes a£tes de place ,  faire du premier  
 le troifieme,  du quatrième  le fécond,  fans  aucun  
 bouleverfement confidérable de fon plan. Il pourroit  
 dénouer  fa piece au premier  aéte, fans que cela  
 Fempêchât défaire fuivre cet afte de quatre autres où  
 il dénoueroit &  renoueroit,  autant  de  fois qu’il  lui  
 plairoit : ou pour parler plus exactement,  il n’y  au-  
 roit dans le fait, ni noeud, ni dénouement. Tout fujet  
 de cette efpece  ne peut-il pas être  traité en un  aCte,  
 én  trois, en cinq, en d ix , en vingt, félon le caprice  
 &   l’extravagance du poëte lyrique ? 
 Si ce genre n’a pu enfanter que des drames dénués  
 de tout intérêt &  de toute vérité, n’auroit-il pas ainfi  
 empêché les progrès de la mufique en France, tandis 
 que cet art a été porté au  plus  haut degré  de perfec*  
 tion dans les  autres parties  de  l’Europe ?  Comment  
 •le ftyle mufical fe fëroit-il formé dans un pays où l ’on  
 ne fait  chanter que  des êtres de  fantaifie dont les ac*  
 cens n’ont nul modèle dans la nature ? Leur déclama*  
 tion  étant  arbitraire &   indéterminée  ,  n’auroit-elle  
 pas produit un chant froid &  fôporifique, une monotonie  
 infupportable auxquels perfonne n’auroit réfiftd  
 fans  le fecours  des ballets ? Toute l’expreflion niuft-  
 cale  ne  fe  feroit-elle pas ainfi  réduite à jouer fur  le  
 mot,  enforte qu’un aCteur ne pourroit prononcer le  
 mot larmes,  fans que le muficien  ne  le  fit  pleurer ,  
 quoiqu’il n’eût aucun fujet d’affliftion, &  que dans la  
 fituatiôn la plus trifte  il  ne  pourroit parler  d’un  état  
 brillant  fans que  le muficien  ne fe  crut  en  droit de  
 •faire  briller  fà  Voix aux  dépens de  la  difpofition  de  
 fon ame ? Ne feroit-ilpas réfulté de cette méthode un  
 dictionnaire  des mots réputés lyriques , dictionnaire  
 dont  un  compofiteur  habile  ne manqueroit pas de  
 faire prefent à fon pôëte, afin  qu’il  eû t,  en un feul  
 recueil, tous  les mots dont la mufique ne fauroit rien  
 faire , 6c qu’il ne faut jamais employer dans le poème  
 lyrique ? 
 Si  vous  choififlez  deux  compofiteurs ;  que  vous  
 donniez à l’un à exprimer le défefpoir d’Andromaque  
 lorfqu’on  arrache Aftyanax du tombeau où fa  piété  
 l’avoit caché, ou les adieux d’Iphigénie qui va fe fou-  
 mettre au couteau de Calchas, ôù bien les fureurs de  
 fa mere éperdue au  moment de cet affreux facrifice'i  
 6c que vous  difiez à l’autre,  faîtes-moi une tempête,  
 un  tremblement de terre, un choeur d’aquilons ,  un  
 débordement de Nil, une defeente de Mars, une conjuration  
 magique, un fabat infernal, n’eft-ce pas dire  
 à  celui-ci, je vous  choifis pour faire peur  ou plaifir  
 aux enfans, 6c à l’autre, je vous choifis pour être l’admiration  
 des  nations 6c des fiecles ?  N’eft-il pas  évident  
 que l’un  a  dû refter barbare, &   fans  mufique ,  
 fans ftyle,  fans  exprefîïon, fans  caraCtere  ,  6c  que  
 l’autre a dû, ou renoncer  à  fon projet, ou, s’il  y   a  
 réufli, devenir fublime ? 
 Deux poëtes qu’on àuroit ainfi  employés,  ne  fé-  
 roient-ils pas dans  le même cas ? L’un n’auroit-il pas  
 appris à parler lé langage du fentiment, des paflîons,  
 dê  la  nature  ;  l’autre  ne  feroit-il  pas  refté  foib lé,  
 froid 6c maniéré ? Quand il auroit  eu  le talent  de la  
 poéfie,  fon  faux genre  l’auroit  trompé  fur l’emploi  
 qu’il en faut faire.  La  pompe épique auroit pris dans  
 Ion ftyle laplace du naturel de la poéfie  dramatique.  
 Au lieu defeenes naturellement dialoguées, nous aurions  
 eu  des  recueils  de  maximes,  de  madrigaux,  
 d’épigrammes, de tournures 6c de  cliquetis  de mots  
 pour lefquels  la mufique  n’a jamais connu  d’exprefi*  
 fiori.  Lé  goût fe  feroit  fi  peu  formé  qu’on  n’auroit  
 point fenti la différence de  l’harmonie poétique 6c de  
 l’harmonie muficale, ni compris que le plus beau morceau  
 de  Tibulle feroit déplacé dans  le poème lyrique,  
 précifément par ce qui le rend fi beau 6c  fi précieux.  
 On  auroit  vit  enfin l’étrange  phénomène  d’ün poëte  
 lyrique ,   plein de  douceur  6c  de nombre, plein de  
 charme  à  la leCture  , &  dont il  feroit cependant im-  
 poflible de mettre les pièces en mufique. 
 Ce faux genre où rien ne rappelle à la nature, n’au*  
 roit-il pas empêché le muficien françois de connoître  
 6c de  fentir cette diftinûion fondamentale de l’air 6c  
 du récitatif?  Un chant'lourd 6c traînant,  femblablè  
 au  chant gothique  de  nos  églifes,  feroit  devenu  le  
 récitatif dé l’opéra. Pour  lui donner de  l’expreflxon ,  
 on l’auroit furchargé de ports  de vo ix , de trilles, de  
 chevrottemeos ;  6c malgré ces laborieux efforts , on  
 ne fe feroit pas  feulement douté  de l’art de ponéhu r  
 le chant,  de faire  une  interrogation , une  exclam? -  
 tion en chantant. La lenteur infoutenable  de ce  récitatif, 
  fon cara&ere contraire à toute efpece de déclamation, 
  auroient  d’ailleurs  rendu  l’exécution d’ur.e