
iColumelle.
Choififlez, dit-il, dans un réduit caché un lieu ou vous bâtirez une
enceinte quarrée, entourée des murs & couronnée d’un toit. Vous y
pratiquerez quatre fenêtres qui répondront aux quatre points du jour ;
là, vous conduirez un taureau de deux ans dans les beaux jours du
printems ; & après lui avoir exaétement fermé la bouche & les nafeaux,
vous- le ferez mourir fous les coups, quels que foient fes efforts vigoureux :
prenez, garde fur-tout de déchirer fa peau. Lorfqu’enfin fes membres
meurtris auront fini de palpiter, vous le laiflerez dans cette enceinte
obfcure apres l’avoir embaumé de thim, de lavande & d’autres herbes
aromatiques ; mais, b furprife! 6 merveille! s’écrie le poète ; après que
les humeurs ont fermenté dans fon corps, un innombrable effaim vient
d’éclore de fes flancs échauffes ; ces infeétes informes rampent encore,
p e u -à -p e u ils prennent de Taccroiffement, déjà ils commencent à
voler & forment dans les airs un bataillon nombreux.
, Virgile attribue la découverte de cette prétendue génération des
abeilles au berger Ariftée, fils d’Apollon 8c de la Nayade Cyrènc,
qui régna, dit-on, en Arcadie dans les tems héroïques. Il n’eft pas
néceflaire de prouver la fàuffeté de cette réfurreétion, il ferait très-
facile de la détruire par l’èxpérience ; mais cette fiétion eft peut-être
une des plus ingénieufes dont Virgile ait orné fon poème ; ce qui
ajoute à fon prix, c’eft quelle eft amenée par une tranfition des plus
naturelles. Ariftée, ayant vu périr fes effaims, va confulter Protée fur
la caufe cfe cette mortalité. Le devin la défigne en lui apprenant
qu’Orphée venge fur lui la mort d’Euridice qu’il a occafionnée. Le
défefpoir de ce tendre époux, fa defeente aux enfers, les prodiges
qu’il y opère par la vertu de fa lyre, fes regrets après qu’il a perdu
Euridice, l’hiftôire de. fa mort, compofent le récit de Protée. Tous
ces traits forment un tableau des plus pathétiques, Sc fes beautés touchantes
ajoutent au poème des géorgiques un nouveau degré d’intérêt
& de chaleur.
Sous le règne de l’empereur Claude, L. Jun. Modérât. Coîumelle,
natif de Gades, compofa un excellent ouvrage fur l’économie rurale.
L ’objet de l’auteur étant de fe donner pour un maître d’agriculture,
il ne paroît pas moins attentif à former fes difciples, que foigneux à
leur plaire en cherchant à les inftruire. Il ne fe contente pas de.leur
donner des préceptes folides & lumineux, il veut encore les exprimer
d'une manière propre à exciter leur attention : en coriféquenCe, il
n’emploie que des termes choifis, fans jamais fe ■ permettre une
expreflion commune ou impropre dans les matières les plus triviales.
Souvent il déploie tous les ornemens de la profe & s’élève prefque
jufqu a la poéfie, pour peu que le fujet en foit fufceptible. On diroit
à voir les expreflions brillantes &c recherchées dont il fait ufage, qu’il
veut fe conformer à la richefle de la nature Se répondre, par la variété
de fon ftyle, à la fécondité des campagnes qu’il habitoit.
Des critiques éclairés prétendent qu’il avoit d’abord compofé une
économie ruftique en trois ou quatre livres, du nombre defquels étoit
celui qui parlé des arbres , quori ne trouve plus dans les dernières
éditions de Coîumelle, paire qu’il rieft qu’un abrégé de ce qui eft
contenu dans les troifième, quatrième & cinquième livres; ces critiques',
dis-je, aflurent que l’auteur fupprima ce premier ouvrage'& qu’il
çompofa un'nouveau traité d’agriculture en douze livres, tel que nous
l’avons aujourd’hui. Dans la préfacé, qui eft à la; tête du premier livre ;
Coîumelle fe plaint de l’état d’aviliffement où l’agriculture étoit alors.
I l rappelle ces terris heureux où la république étoit fi floriffante,
parce que cet art le plus eflénriel au genre-humain, etoit honore &
refpeété. C ’eft au mépris qu’on avoit conçu pour la culture des terres,
qu il attribue la difette qu’on éprouvoit alors, la dépravation des
meeurs, le dérangement de la fanté & le relâchement de la difcipline
militaire.
Premiers préceptes. Les premiers préceptes qu’il donne roulent fur
trois chefs principaux, la connoiflance de l’agriculture, la faculté de
dépenfer & la volonté de le faire. Ainfi, un père de famille, qui aura
à coeur de fiiivre une méthode allurée dans la culture de fon domaine,
s’appliquera principalement à confulter, fut chaque objet qui fe pre-
fentera les plus habiles agriculteurs de fon fiècle, il méditera avec
attention les commentaires des anciens, & il examinera ce que chacun
d’eux aura penfé & ordonné, pour voir fi tout ce qu’ils ont preferit
convient à la pratique de fon tems. Coîumelle cite une foule d auteurs
grecs qui ont écrit fiir l’économie champêtre.
Cependant on ne doit pas s’attendre que les feuls préceptes cori-
duifent à la perfection de l’art, s’ils rie concourent avec un travail
aflidu, une expérience confbmmée & des moyens fuffifans pour faire
toutes les déperifes néceflaires. Quelles que foient les connoiflances du
propriétaire, quelle que foit la fidélité des ouvriers, les travaux fe
ralentiront ou feront maj exécutés, fi le maître n’y attache fréquemment
fes regards.
Situation du domaine. Si le cultivateur eft dans le cas d’acheter un
domaine, il fera en forte qu’il foit limé fous un climat fam &■ bien fertile,
partie en plaines, partie en collines qui foient inclinées en pentes legeres
du côté de l’orient ou vers le midi. Il y aura des portions de terrein
cultivées, & d’autres plantées en bois. Il avoifinera la mer ou un
fleuve navigable, qui facilitera l’exportation des fruits & 1 importation
des chofes qui y feront néceflaires. Il y aura des collines expreflèmenc
deftinées1 à rapporter du bled, quoique les îrioiflons foient plus abon-
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