
Marfeiche, fuccède an froment*, & le terreîn refie
un an en jachères, pour être de nouveau enfe-
mencé en froment.
On voit des terres rapporter deux années de
fuite du froment ,• & fe repoler la troifième feulement,
fans qu’on y cultive autre chofe que ce
grain. On en voit qui alternativement portent du
froment une année, & fe repofent l’autre.
L ’ufage ordinaire de la,Picardie, de la Beauce,
de la Brie, & de beaucoup d’autres fertiles provinces,
efi de partager les terres en trois folles
ou faifons ; favoir, celle des fromens, celle des
mars, & celle des jachères ou gucrets. Les campagnes
même , qui environnent les villages ,
offrent à l’oeil ce partage bien marqué & bien
tranché. Les payfans comptent leurs années par les
faifons des grains, & fixent les époques des évé-
nemens qui les ont intéreffés, en fe rappellant le
canton où étoient alors les fromens. ctL c s fr o -
?3 mens , difenr-ils , étoient-là. j j Le feigle fait
partie de la faifon des fromena; la faifon des
mars comprend l’orge, l’avoine, les menus grains,
ou grains ronds, enfin tout ce qu’on sème après
l'hiver. Quand la terre efi de bonne qualité,
l’orge fticcède au fi ornent ; le plus fouvent c’eft
l’avoine. La troifième année efi celle de jachères.
Si la terre efi médiocre, au lieu de froment on
y met du feigle, & enfuite ou de l’orge ou de
l’avoine, félon le.degré de médiocrité. Le laboureur
intelligent, qui s’apperçoit qu’un terrein ne
produit guère en froment, y feme dans l’année
des jachères, des pois , ou des vefces ou des
lentilles, auxquels il fait fuccéder de l’orge ou
de l’avoine : cette dernière manière de cultiver
efi riommée refroijji. 11 arrive que dans les terres
de la meilleure qualité, on fait porter aux jachères
même, des plantes légumineules ou de la moutarde
, defiinées à être mangées en vert, par les
beftiaux, ou de gros navets, ffepuis que la culture
en efi encouragée : ce qui n’â pas lieu
cependant dans .ces terres chaque fois quelles
font en jachères, mais de tems en tems. Dans
ce cas, on leur donne un dernier labour, après
les avoir fumées ou parquées, & on y sème du
froment , pour y recommencer l’ordre des
faifons.
La Sologne, dont le fol n’a , pour ainfi dire,
aucune fubftance, cultive le feigle & le fàrrazin
l’un après l’autre. L ’année de repos * qui fuit,
efi remplacée par une nouvelle culture de feigle,
& ainfi de fuite pendant huit ou neuf ans. Ce
tems écoulé, les champs reftént incultes autant
jd’annëes $ on les défriche après pour un même
efpace de tems. On allure que, dans beaucoup
d’endroits de la Bretagne, le même ordre .& les
mêmes alternatives s’obfervent.
Une partie de la Champagne efi prefqme uniquement
confacrée à la culture de l’avoine , qui
y efi d’autant plus belle & d’autant plus abondame,
que ce qu’on peut mettre d’engrais dans
les terres' efi pour cette plante.
11 y a des manières d’alterner, dans les provinces
méridionales, qui fe rapprochent plus ou
moins des précédentes ; les grains qui forment
les alternatives , font le froment , le maïs, les
haricots, &c. J e ne poufferai pas plus loin les
détails fur les manières dont on alterne les terres
labourables ; elles varient félon les pays , la
qualité du fo l , & la nature des plantes qu’on y
cultive. Ce que j’en ai dit , doit fuffire pour
donner une idée de cette diverfité , fondée fur
l’obfervation & fur des calculs d’intérêt , qu’on
auroittort de condamner. J e citerai un exemple,
qui prouvera que les Laboureurs raifonnent plus
.qu’on ne croit leur agriculture. Quand ils s’apper-
çoivent , comme je l’ai dit , qu’un terrein , fi
on 1 enfemence à l’ordinaire , en froment & en
avoine enfuite , ne rapporte pas ce qu’on en
pourroit tirer, ils sèment dans l’année de jachères
, de la vefee ou des pois , & la fécondé
année de l’orge , la troifième de l’avoine, &
voici comme ils calculent. Ce terrein , dans lequel
on ne pourroit mettre que du méteil, e’efi-à-dire,
un mélange de froment & de feigle, i année
d’après celle des jachères , n’en produirait pas
plus de deux fetiers , ni l’année d’après, plus
d’un fetier d’avoine par arpent , mefure de
Paris *, on peut eflimer le méteil à vingt livres,
& l’avoine à feize livres; ce qui donneroit cinquante
huit livres; mais en intervertîffant l’ordre
de l’alternative, on auroit trois fetiers de pois
ou de vefee à douze livres , & enfuite cinq
fetiers d’orge à treize livres , & fix fetiers d’avoine
à neuf livres*,.ce qui rapporterait cenl
cinquante-cinq livres. Il y a donc un avantage
de quatre-vingt-dix-fept livres. A ce profit, il
faut ajouter 1-e gain du fumier, dont on n’a pas
befoin pour la vefee ou les pois , & qu’on
reporte fur d’autres terres & les frais qu’il en
coûreroit pour le charger , le tranfporter , le
répandre. D’ailleurs les pois & la vefee offrent,
pour les ch.evaux , un fourrage finon préférable
à la paille du froment., au moins égal *, & ce
fourrage efi en furcroît de produit , puifque la
terre devoit refier en jachères *, enfin l’année qui
fuit celle où on a récolté l’avoine , on peut
enfemencer 1-e même champ en froment , qui ,
à la vérité, efi peut-être d’un tiers moins abon»*
dant que dans les bonnes terres -, mais il efi pur
& fouvent fans herbes ; d’où il fuit , comme on
le voit, que le Fermier qui, en conféquence de
ces réflexions, cultive ainfi fes mauvaifes terres,
leur fait rendre beaucoup plus quelles ne ren«-
droienr, & que rien n’eft plus iîlufoire & plus
étrange que la claufe inférée dans la plupart des
baux*, favoir, que le Fermier ne pourra réfeoiffir
fes terres , c’efi-à-dire , les deffaifonner. Aufii
l’exécution n’en efl-elle prefque plus demandée
par les propriétaires fenfés , qui la regardent
comme une claufe imaginée dans l’enfance de
l’agriculture. Ce qui prouve que, fur cet objet,
il efi intéreflant pour le Fermier même, que le
propriétaire s’éclaire, & lui permette des améliorations.
•
La botanique & l'agriculture étant propres à
s'aider réciproquement, je crois devoir placer ici
une remarque de botanique que j’ai faite, relativement
k l’ordre dans lequel on doit femer diffé-
rens grains dans le même champ. Il m’a femblé
qu’on général plus les efpèces, fur-tout parmi les
graminées, fe rapprochaient par les caractères
botaniques ou par les organes de la fructification,
plus il étoit défavantageux de les femer immédiatement
les unes après les autres , & vice veîfâ.
Par'êxemple, un terrein dans lequel on a récem- ;
ment récolté du feigle ou du froment, ne produit
pas ordinairement du froment ou du feigle l’année
îuivahte, ou n’en produit que très-peu*, mais il
produit de l’orge qui vient en plus grande abondance
fi elle fuccède à du méteil, que fi elle fuc-
c.ède à du froment pur. L ’avoine y profpère encore
mieux. Les caractères de cette dernière plante
font plus éloignés de ceux du froment, que les
caractères de l’orge & que ceux du feigle , qui n’en
diffèrent que très-peu. Les plantes légumineufes
& les crucifères, telles que les haricots, les fèves,
les lentilles, &c., & lalanve dont les familles ne
reffemblent point à celles des graminées, croiffem
& rapportent beaucoup plus que les précédentes,
quand on les fème immédiatement après le froment,
comme on le pratique dans les environs
d’Arpajon & d’Orléans. Souvent même on les
cultive, dans une bonne terre, aux années de
jachères, fans lui faire un tort notable, ainfi que
je l’ai obfervé.
En 177^, je cultivai dans une terre de qualité
médiocre, du froment qui vint affez beau. En
1780, je fis enfemencer le même champ en différentes
efpèces de grains. Le bled de mars, qui en
occupoit une partie, fut foible, & ne produifit
prefque rien; j eus beaucoup plus d’orge à proportion
; l’avoine y étoit plus abondante encore ; la récolte
en pois fut la meilleure de toutes. Plufieursfois
j aifemédu bled de mars dans les champs où on avoit
récolté du froment ordinaire fans les fumer; il n’en
efi venu que quelques épis qui ne contenoienrque peu
de grains. On ne peut efpérer de voir bien prof-
pérer ce bled que dans les terres qui auroient été
propres à produire le froment d’automne, & où
1 on n’auroir pu en femer, foit à caufe d’un retard
dans les labours, foit parce que la gelée auroit
détruit les grains d’automne, foit pour le fouftraire
aux fontes de neige,.ou aux inondations, ou aux
avalanges d*eau qui ont lieu dans quelques pays.
Ce que j’ai remarqué à l’égard des plantes Ce-
reales, peut fe remarquer à l’égard des arbres ,
*ant de ceux qu’on defiine à former des avenues j
des quinconces, que de ceux qu’on cultive }
dans les potagers ou dans les vergers, pour en I
avoir du fruit. Lorfqu’on abat une avenue d’ormes
, il ne faut pas la remplacer par d’autres ormes ;
car on peut être a duré que la plantation ne réuf-
fira pas, comme j’en ai des preuves, à moins que
les nouveaux arbres ne foient plantés dans les intervalles
qui étoient entre les anciens, ou qu’on ne
renouvelle la ferre, fi on les plante dans les mêmes
places. De même une plantation de Pins doit être
remplacée par une de melezes, celle-ci par une
de chênes, & cette dernière par une de châtaigniers,
&.c. Chaque fois que, dans un potager, j'ai fait remplacer
un poirier par un autre poirier, il efi mal
venu; mais le pommier, quoiqu’il s’éloigne peu
du poirier par fes caractères botaniques, réufiit
mieux s’il lui fuccède , & l’on doit encore attendre
plus de fuccès des arbres dont les fruits font à
noyau, lorfqu’on les met à la place des arbres dont
les fruits font à pépins.
Si l’on cherche la caufe de ces phénomènes
d’agriculture, il ne faut pas croire qu’on la trouvera
uniquement dans les degrés de profondeur
où s’enfoncent les racines des diverfes plantes.
Cette circonftance peut y influer, & on voit clairement,
fans doute, que les racines du navet, de
la carotte ou de la betterave, qui pivotent & fe
nourriffent aux dépens des (couches profondes du
'fo l, n’empêchent pas que , dans les champs où
ces plantes auront végété,, on en cultive de celles
qui ne font que tracer, & ne vivent que des fucs
de la furface ; mais fi c’étoit là la feule caufe, pourquoi
des plantes dont les racines ne s’enfoncent
pas plus les unes que les autres, & paroiffenr fe
reffembler fous tous les rapports, puilqu’ellcs font
d’une même famille , pourquoi ne peut-on pas les
femer indiftinélement les unes après les autres dans
le même champ ; pourquoi efi-on obligé, pour
avoir de meilleures récoltes, de faire un choix
parmi les plantes qui doivent fe fuccéder les unes
aux autres ? C’eft que, malgré l’opinion de quelques
phyficiens , la terre, qui fournit aux plantes
des fucs, en a de diverfe nature, de divers degrés
d’élaboration plus ou moins adaptés aux vaifieaux
des différentes plantes ;- c’èft que ceux qui conviennent
à une efpèce ne conviennent pas à l’autre,
& ne font pas pompés par elle ; c’eft que quand
une efpèçe a épuifé ce que la terre en recéloir pour
elle , elle n’y trouve plus rien, & n’y peut plus
végéter avant qu'ils foient renouvellés par les engrais
& par d’autres caufes. Ces principes font la
bafe des manières d’alterner bien entendues, de
cette chaîne qu’on doit établir, félon les pays.,
dans Tordre des enfemencemens des terres labourables.
La fécondé manière d’alterner efi celle par laquelle
des rerres labourables font niifes en prairies
pour redevenir terres labourables quelques tems
après. Il y a deux fortes de prairies, les unes
naturelles & les autres artificielles. Quelques-unes
des premières font tellement fituées, que tous les
ans elles fe trouvent inondées par les débordements