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marchand, fur-tout fi les bleds font plus chers,
quand il reçoit la eoramiflion d en envoyer , qu’ils
ne letoient lorfqu’il les a achetés: il eft vrai qu’il
court les rifques du hafard & de la variation du
prix ; mais un commiflionnaire habile pour fes
propre^ intérêts, fait prendre fes précautions 5 &
fa prndence le met hors du rifque de perdre.
Le commiflionnaire fe charge d’acheter & de
faire charger ; les événemens de la route s incon-
véniens confidérables, ne le regardent point : que
le vent retienne les bateaux fur la rivière : que
les bleds y contractent, par un trop long féjour,
une humidité contraire à leur confervation : que
des pluies fréquentes l’augmentent -, rien de ces
contre-tems n’intérefle le commiflionnaire, qui a
rempli fa fonction en achetant & en faifant charger
: ils tombent tous fur celui qui a donné l’ordre
d’acheter : du moins il ÿ a cet avantage dans
les marchés à forfait avec les marchands, qu’on
efl difpenfé de les tenir fi la marçhandife n eft
pas en bon état à fon arrivée.
Cette manière d’acheter pourroit être très-utile,
fi les commilfionnaires rempli floient leur devoir
avec la fidélité & avec l’exactitude convenables ;
fi , en achetant par commiffion, ils marchandoient
comme pour eux-mêmes*, fi celui qui leur a donné
la commiffion profitoit des bons prix & des bonnes
mefures *, mais tous ces avantages tournent au pro?
fit du commiflionnaire, & fans aucun rifque de
fa part : c eft de-là que les çommiffionnaires s’cn-
richiffent plutôt que les marchands.
Les hommes corrompus par les paffions, qui
exercent fur eux un pouvoir vraiment tyrannique,
n’écoutent ni la railon ni la juftice ; il faut être
fans ceffe en garde contre les rufes qu'ils emploient
pour tromper, & contre l’abus qu’fis peuvent
faire de la confiance qu’on a en eux. On eft
forcé d’avoir recours à d’autres voies , pour ne
pas être la victime de leur avidité.
À chats de la première main.
Cette manière d’acheter les bleds mérite feule i
le nom d’achat par économie *, mais on ne peut i
çhoifir avec trop d’attention celui qu’on charge I
de pareils achats *, il faut qu’il foit capable &
fidèle, deux qualités inféparables & fi effentielles,
q u e , fi l’une des deux lui manquoit , il ne
pourroit remplir fa fonction d’une manière utile.
I l faut qu’il foit capable pour bien connQitre les
qualités des bleds : fur-tout par rapport à l’emploi
qtl’on en doit faire. Il faut qu’il foit fidèle,
pour faire profiter des bons marchés qui fe pré-
fenteront à lui , de la bonne livraifpn, & de la
bonne mefure.
Les profits fur des achats faits de la première
main font immenfes *, il s’agit d'acheter à propos,
de marchander avec fcrupule ; de mettre à
profit la différence des prix , fuivant les cir—
confiances particulières qui fe rencontrent : un
fcgndçur eft prçffé de vendre par l'arrangement
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de fes affaires ; quelquefois le bled a un fëget
défaut qui ne le rend pas moins bon pour
1 ufage, mais qui çn diminue le prix dans la
vente : un acheteur habile fait profiter de tour ; il a
foin de procurer une bonne livraifon , une bonne
mefure *, il veille à fes achats jufqu’au charge-
ment, en faifant remuer & cribler fes bleds aux
frais du vendeur, afin d’épargner des déchets A
& par conféquent de rendre fes marchés meilleurs.
Qn conçoit combien un prépofé, qui neferoit
pas fidèle, auroit de moyens de tromper, en s’entendant
aveç le vendeur , foit fur la qualité du
bled même , foit fur le prix , foit fur la livrai-»
fon, & en faifant lui-même des mélanges de bleds
de différens prix, qu’il feroit payer tous au prix
le plus fort.
L attention fur le choix d'un prépofé aux achats ^
ne peut être trop grande ; mais quand il a été
. c“ oifi avec foin & aveç prudence, il faut lui don?
ner une confiance qui l’encourage à bien faire,
fans perdre de vue les précautions permifes , &
dont un lionnête-homme , qui ne craint rien, ne
peut être offenfé. Il convient auffi de récompen-
fer fes peines & fon travail de manière à l'enga*
ger û bien fervir , & à lui ôter la tentation fu?
nefte d abufer de fes fondions, en fe payant par
fes mains, & en fe faifant à lui-même la juftice
quil croit lui être due , & qu’il ne croit pas
qu’on lui rende,
De çes trois manières de pourvoir aux achats
de bled, fur-tout jorfque l’objet eft déterminé,
la plus utile eft fans do,ute la dernière,
Ces trois manières, quoique différentes, ne s'excluent
pas l’une l’autre. Les circonftances partie
culières -peuvent déterminer à prendre la voie du
commiflionnaire fur les lieux. Les oceafions d’un
marché à forfait avantageux, peuvent le faire pré-?
férer : triais^ en général la véritable économie fe
trouvera bien plutôt dans les achats faits par un
homme prépofé, qui ira pour acheter de la pre-»
mière main, qui aura dans la province des cor?
refpondances pour l’inftruire du cours par rapport
aux prix , & lui indiquer les parties de bled
à vendre, qui achètera avec fageffe & avec précaution
, qui rendra un compte fidèle de fes achats,
& qui, regardant comme injuflés tous les bénéfices
qu’il pourroit faire, les laiffera tous à ceux
qui 1 emploient. Dans le cas même où l’on feroit
obligé de prendre pour faire les achats , la
voie du commiflionnaire, ne feroit-il pas çon?
venable & utile d’envoyer fur 1er lieux un
homme fur pour voir la conduite du commifj*
fionnaire ?
J'a i expofé, d’après M. Arrault, les différentes
manières de faire des achats de bleds, qui.peuvent
être employés pour former des magafins, St
fur-tout pour la confommation d’un grand nombre
de gens à nourrir , comme dans les hôpitaux,
En balançant les avantages de chacune de ces manières
, j’ai prouvé que la plus économique étoil
$e fe fervir cPuti prépofé, capable de faire le.profit
de fes commettans, en leur procurant la bonne
mefure, & eh veillant à la livraifon. Il faut maintenant
expliquer ce qu’on doit entendre par bonne
mefure & bonne livraifon.
De la bonne mejure.
La bonne mefure dans la livraifon d’une grande
quantité de bled, eft un objet qui n’eft point à
négliger. Il y en a de deux fortes , une dépendante
de la différence des mefures, lorfqu’on achète
dans un pays où la mefure eft plus grande, &
l’autre dépéndante de l’attention de l’acheteur ,
qui engage le vendeur ou à mettre le minot moins
ras, ou à donner le dernier minot de chaque fe-
tier plus comble, -& même la totalité du dernier
minot de chaque muid, ou à faire préfeçt d’une
certaine quanrité de bled par-deffus chaque muid,
ou à la fin du mefurage de la partie vendue.
Un exemple rendra ces différences fenfibles.
En l'année 1735 , l’hôpital-Général de Paris fit
faire un achat de bleds *, il étoit alors à un prix favorable
aux acheteurs ail en chargea le fieiir Giberr,
maître boulanger , qui alla à Soiffons, à Noyon
& à Pont ; pays ou les mefures font différentes.
A Soiffons , la mefure eft d’un tiers plus petite
que celle de Paris ; l’ufage de cette province eft de
compter trois inuids de Soiffons, pour deux de
Paris. A Noyon & à Pont, on achète les bleds au
fac , & c’eft une chofe établie que le bénéfice de
la bonne mefure eft plus confîdérable dans les
pays ou le bled s’achète au fac. Les douze facs
de Noyon font ordinairement treize fetiers de
Paris. Les douze facs de Pont égalent treize fetiers
& demi .de Paris. Ce qui établit un excédent
de mefure relativement à Paris, qui eft d’un
treizième à Noyon & d’un treizième & demi à
Pont. Outre cette bonne mefure générale qu’on
trouve à Noyon & à Pont, & qui fait un bénéfice
confîdérable en le repartiffant fur la totalité
de l’achat , il y a à Soiffons même une autres
forte de bonne mefure, indépendante de la com-
paraifon des mefures, & qui vient de la manière,
dont l’acheteur fe fait livrer le bled par le vendeur.
Le prépofé par l’hôpital acheta à Soiffons
neuf cens trente-un muids neuf fetiers réduits à i
la mefure de Paris, fuivant les lettres de voiture*,
ces neuf cens trente-un muids neuf fetiers
ainfi chargés à Soiffons, ont rendu à Paris neuf
cens quarante-trois muids neuf fetiers, ce qui
donne un bénéfice de douze muids & neuf fetiers
, provenant , non pas de l'avantage général
de la mefure, puifque celle de Soiffons, comme
on l’a dit , eft plus petite d’un tiers, mais de
l ’artention de l’acheteur , de la manière dont le
vendeur a fait mefurer fes bleds lors de la livraifon.
Il acheta à Noyon cinq cens cinquante-neuf
muids fix fetiers de bled , à la mefure de Noyon
& on trouva à Paris, fix cens vingt-un muids deux
feptiers fix boiffeaux 3 ce qui fait foixante-deux
muids deux fetiers & fix boiffeaux de bonne mefure.
Suivant l’ufage ordinaire , les douze facs de
Noyon formant treize fetiers de Paris, les cinq
cens cinquante-neuf muids fix fetiers dévoient
produire cinq cens cinquante-neuf fetiers fix boiffeaux
, ou quarante-cinq muids neuf feptiers fix boiffeaux
de bonne mefure, & il s’en eft trouvé fept
cens quarante-fix fetiers fix boiffeaux, ou foixante-
deux muids deux fetiers fix boiffeaux ; ce qui
fait un bénéfice de cent quatre-vingt-dix-fept
fetiers de plus, c’eft-à-dire, de feize inuids, cinq
fetiers; & ce dernier bénéfice provient de l'attention
du prépofé, à la livraifon du vendeur.
_ A Pont , il acheta deux cens quatorze muids
cinq fetiers fix boiffeaux de bled , qui ont rendu
à la mefure de Paris deux cens quarante-fix muids
fix fetiers neuf boiffeaux *, ce qui fait un bénéfice
, de trente-deux muids un fetier trois boiffeaux ,
dû à l’excédent de la mefure de Pont, i.° d’un fetier
& demi plus forte par muid que celle de
Paris ; & qui, fur les deux cens quatorze muids
cinq fetiers fix boiffeaux , a produit vingt - fix
muids de bonne mefure, i.° à la bonne livraifon
qui a augmenté le bénéfice de fix muids un
fetier & trois boiffeaux. Il étoit même d’ufege à
l Pont, & les vendeurs ne s’y refufoiem pas lorsque
l’acheteur, inftruit & attentif ,1e demandoir,
de donner le cinquantième fac par-deffus fans 1®
* compter.
Sur tous ces achats, qui montoient à mille fept
cenrcinq muids trois fetiers, le bénéfice de la
bonne mefure a monté à cent fept muids neuf
| boiffeaux ; favoir, foixante & onze muids neuf
fetiers & fix boiffeaux, provenans de l’excéden»
des mefures de Noyon & de Pont, comparées à
celle de Paris, & trente-cinq muids trois fetiers
trois boiffeaux , provenant de la manière de
faire mefurer tout le grain à Soiffons, à Noyon
& à Ponr.
Il réfulte de cette différence, qui n’eft auffi fenfible
que parce que l’achat s’eft fait en grand; 1 ° que
quand il s’agit d’approvifionnemens confidérables ,
il eft avantageux defe fournir,de bled dans les marchés
où la mefure eft la plus forte , toutes chofes
étant égales d’ailleurs ; 2.0 qu’un homme intelligent
& honnête fait, pour le profit de fes commettans
, augmenter la maffe de fes achats par
les attentions qu’il a à fe faire , donner dans le
détail une bonne hiefure, qui eft d’ufage dans I®
commerce des bleds. 3.0 que le bénéfice produit
par ces augmentations, diminue le prix de la dent,
rée. Si on objeéle que, dans les marchés ou la
mefure eft plus grande , le fermier où le marchand
vend fon bled à proportion, je répondrai
que cette proportion n’eft; obfervée que quand les