
bled & de ton emploi, il faut tous les ans fij
après la récolte, faire des effais qui mettent en
état de connoitre ce que le bled rend en farine,
s’il tire'à bis ou à blanc, s’il donne plus ou moins
de fon , fi la fariné boit beaucoup, fi elle fermente
facilement, li elle eft de bon produit en
pain.
Le vrai prix du bled dépend de ces circonf-
lances. Celui qui coûte plus , & qui produit
plus de pain, fe trouve ordinairement à meilleur
marché que celui qui coûte moins, & qui produit
moins.
L ’utilité de la fabrication -demande un mélange
exaci des bleds de différentes qualités, & il faut
être ouvrier en pain pour bien connoître les effets
de toutes ces différentes qualités de bled •, car
les uns contenant plus de parties glutineufes que
les a titres, ou ayant plus de faveur ou plus
de blancheur, il faut ne les mettre qu’en certaines
proportions que l’ufage apprend.
Le mélange du bled n’eft pas le feul qu’on
foit obligé de faire*, il faut aufli quelquefois mêler
les farines *, elles s’échauffent fous la meule *, elles
’ s’échauffent même dans les greniers *, elles y
travaillent fuivant lé tems & les faifons, comme
dans les chaleurs & dans les tems humides *, il
eft néceffaire alors de les mélanger avec des farines
qui ne fe foient pas échauffées. Mais qui
décidera de la proportion des mélanges, fi ce
îi’eft un hommé accoutumé à fabriquer du pain?
encore ne le pourra-t-il fou vent qu après avoir
fait des effais.
II fuir de toutes ces réflexions, que, lorfque l’achat
des bleds a un objet fixe & déterminé,
il eft effentiel de le confier à celui qui fait les
employer. Le choix des bleds, les foins qu’ils
exigent dans les greniers, le mélange qu’on en.
doit faire avant de les envoyer au moulin pour
les réduire en farine, la confervation des farines,
la manière particulière de les mélanger & de les
convertir en pain , toutes ces parries ont une
relation fi grande , qvt’il eft du bien du fervice
de les réunir dans la même main *, fi on les fé-
paroit, ce feroit laiffer à celui qu’on chargeroit
de la fabrication du pain, un prétexte pour fe
défendre contre les plaintes qu’il excireroit; tantôt
il s’excuferoit fur la qualité des bleds, fur le
mauvais choix *, tantôt fur la- négligence de ceux
qui doivent veiller à leur confervation dans les
greniers *, tantôt fur les mélanges, tantôt fur Les
moutures -, & ces prétextes, quoique mal fondés,
le mettroient à l’abri des reproches, & le fervice
n’en fouffriroit pas moins.
Il y a deux manières générales d’acheter des
bleds i l’une, de les acheter à forfait-des marchands
fur des montres qu’ils préfentent j l’autre,
par économie, en ne paffant point par les mains
des marchands, & en tirant lesfeleds directement
dçs provinces,
Les achats par économie fe font aufli d©
deux manières, ou en écrivant à un commifljon-
naire, ou en envoyant un homme -exprès pour
acheter de la première main.
Marché a. forfait.
Tout marchand veut gagner , & il eft jufte
qu’il profite , pourvu que ce foit modérément ,
& qivil ferve fidèlement.
Le marchand eft obligé de faire des avances
pour fon commerce *, il y donne fes foins, fes
peines, fon tems, fes veilles ^ il court les rifques
& les hafards *, il expofe, dans des voyages, fa
fanté & fa vie *, il a une famille, des enfans,
dont l’érabliflement l’engage à foutenir fes fatigues
avec courage *, c eft un homme précieux à la fo-
ciété, utile à la république *, le commerce a fes
dégoûts & fes contradictions *, le gain eft la ré-
compenfe du commerçant ; il ne faut pas le lui
envier. Mais, en général, on peut dire que les
marchands cherchent à gagner le plus qu ils
peuvent} leur intérêt les porte à pratiquer toutes
fortes de voies pour y parvenir *, les plus attentifs
fe cachent davantage, & font les plus dangereux,
parce qu’on eft moins en état de fe mettre à l’abri
de leurs manoeuvres.
Dans le commerce du bled en particulier, il
y a bien des avantages dont le marchand profit©
feul : c’eft un des inconvéniens des marchés, à
forfait.
i.° Les mefures font inégales dans lès. pror
vinces, & cette inégalité fait une différence con-
fidérablelorfqu’elles font réduites à celle de Paris.
Dans tes pays, comme à Soiffons, où la mefure
eft plus petite d’un tiers que celle de Paris ,
il n’y a point de bénéfice, mais il n’y a point de
perte, parce que la proportion eft connue de. tout
le monde. On compte, à Soiflons , «trois muids
pour deux, à la mefure de Paris.'Mais dans les
pays où la mefure eft plus forte que celle de
Paris, il y a un bénéfice confidérable. A Pont,
les douze faes font treize fetiers & demi de
Paris. A Noyon , tes douze facs font treize
fetiers dfe Paris. Dans les environs de Meaux,
pays qu’on appelle le Multien, les. douze facs
font, à peu de chofe près , treize fetiers de
Paris.
2.0 Il y a une manière de mefurer le bled
dansT la province, que le marchand n’a garde de
pratiquer en le livrant : elle eft avantageufe pour
lui quand il achète, & elle nuiroit à fes intérêts
quand il vend. I orfqu’il achète, il a foin
que le vendeur, en lui livrant, faffe donner,
par les mefureurs§ un coup de. genou fur le mi—
not, & il a grande attention de ne le point laiffer
donner quand il vend , parce que Ge coup de
genou fur le minot taffe . le bled *, & , par
l’expérience, on a connu que cela faifoit une
différence d’un minot par muid de bled.
3.0 Le marchand,, livrant à Paris fon bled*
qu’if envoie par bâteau , fur lequel en arrivant,
îl eft mefuré par les officiers établis à cet effet,
fait un profit confidérable , lorfque les grains
ont été chargés par des tems humides , ou
s’ils ont loufrert de l’humidité dans la route ,
indépendamment de celle que la rivière caufe
toujours. Cette humidité donne au bled un
renflement utile aux marchands & puifible il l’acheteur
} on eftime l’augmentation qui en réfui te,,
à un 50e de la charge du bateau : ce renflement,
qui produit une bonne mefure fictive, fe perd
dans le grenier, lorfque les grains font reffuyçs.
On peut remédier à cet inconvénient, en convenant
que les bleds ne feront reçus qu’après
avoir été dépofés .pendant un certain tems dans
les greniers*, mais il faut faire les frais dun
fécond mefurage, qui augmente le prix de lamar-
chandife , & qui donne lieu à desfoupçons & à des
difeuflions ordinairement défavorables à l’acheteur.
. 4.0 Le marchand a l’attention de choifir pour
la montre ce qu’il y a de plus parfait} il établit
le prix commun du marché fur le plus
haut prix que le bled a été vendu} & comme
il lui eft impoflible de fournir la livraifon entière
de ce bled fupérieur, vendu au plus haut j
prix , il gagne beaucoup en achetant & en li- :
vrant la plus grande partie en bled au - deffous-1
de ce prix- La différence du prix & celle d« la
qualité du bled , fur-tout pour Tufage, ne font pas
grandes fans doute *, mais,' par la multiplication,
Fes petits objets en font un confidérable , &
le marchand profite.
5.0 U eft aufli à craindre que le marchand ne
mêle les bleds de différens terroirs, à la faveur
de ce qu’ils fe reffemblent à la vue, quoiqu’ils,
foient d’un prix inégal. Le bled de Soiffons,
par exemple, où il n’y a point de profit fur la
mefure , eft toujours plus cher que celui de
INoyon, dont la mefure eft avantageufe. Il y a
à Noyon deux fortes de bled, celui du San-
terre & celui du Vermandois.
• Le bled du Santerre reffemble , à s*y méprendre,
à celui de Soiffons. Un marchand a
fait un marché pour du bled de Soiffons } il
en achète une partie , il achète l’autre de bled
du Santerre *, il les mêle*, les plus habiles ne
peuvent lés reçonnoîrre *, il gagne fur le bled
du Santerre, par la différence du prix entre le
bled du S'enterre & celui de Soiffons, & par
la bonne mefure de Noyon.
; é.° C’eft un ufage dans les provinces où on
fait le commerce de bled que le vendeur y donne
fes foins pendant un certain tems, parce que
•Tachereur ne peut pas l’enlever fur-le-champ. Le
_ marchand, pour avoir meilleur marché, dilpenfe
le vendeur de ces foins *, celui-ci, fuivant 1 u-
fagé, doit donner deux coups de Cribles à fon
bled avant la livraifon : il eft utile de le faire
pour nettoyer un' bled fortant ordinairement de
la grange , & pour éviter les déchets des cri-
B1 lires, qu’on évalue ordinairement à un treizième.
Le Vendeur, dégagé de ces foin,, fe relâche fur
le prix, & c’eft Vmarchand qui en profite.
y.û La confervation des bleds demande une
grande attention dans la route, fur-tout quand
on le voiture par eau *, il faut. le garantir de*
pluies en le couvrant de paille & de bannes -, ce
font des frais fur lefquels le marinier compte,
& qui retombent fur le marchand; fi ce dernier en
difpenfe le marinier, on lui pafte la voiture à plus
bas prix : cependant le marchand fait entier rigou-
reufement ces frais dans la vente de fon bled,
comme s’il les payoit. P ar-là il augmente fon
gain, & c’eft l’acheteur qui le fupporte.
8.” Dans les frais que le marchand ‘ compte ,
foit avec lui-même pour fon arrangement particulier,
foit avec ceux qui traitent avec lui , il
comprend encore le droit de commiffion pour 1 a-
chat dans la province ; ce droit eft de trois livres
par muid, mefure de Paris. Il eft facile de fentir
qu’un marchand ne peut quitter fon commerce,
fa marchandife & le lieu de fon domicile, pour
aller acheter des bleds- de ferme en ferme , de
grenier en grenier & de marché en marché : que
deviendraient fes affaires pendant fon abfence ?
il faut donc qu’il ait un correfpondant auquel il
puifle s’adrefTer, qui achète pour, lui moyennant
un droit, fixé par cent, par muid ou par quinta
l, qui foigne la marchandife.achetée , qui la
faffe -charger, & qui prenne le foin de la lui envoyer.
Ce font des frais de plus ; c’eft la -mar-
chandife qui les paie : c’eft-à-dire, celui qui l’a-.,
chère ; car les frais en augmentent le prix. Il arrive
quelquefois qu’un marchand intelligent, act
if , laborieux , va lui-même en province pour
faire une partie de fes achats ; mais il n’en paie
pas moins le droit de commifiion , parce qu’il ne
peut pas. prendre tous les foins néceffaires jufques
au chargement : li par hafard il l’épargne , il le
compte-toujours dans fes frais ; cette-épargne augmente
fon gain , mais ce dernier gain eft légitime,
parce qu’il eft la récompenfe de fes peines,
& il n’importe à l’acheteur par qui ces bleds
aient été achetés de la première main.
Achats par commiffion.
Le commiffionnaire eft une efpèce de marchand
avec lequel on trouvera les mêmes inconvéniens
qu’avec le marchand. Lorfqn’on achète par cette
voie , le droit de commiffion ne peut recevoir
d’équivoque; mais ce commiffionnaire fait toutes
les manoeuvres du commerce ; il fait toujours
payer au prix le plus cher du epurant ; il mêle
les bleds des différens terroirs, & il profite des
bonnes mefures & des bonnes livraifons. Le commiffionnaire.,
établi dans la province, amaffe des
< hleds pendant le cours de l’année : il ne manque
point l’occafion d’un bon marché : c’eft un premier
gain pour lui ; il y .joint celui de la commiffion
: il gagne, pour ainfi dire, plus que ls