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feraient inutiles jà la plupart , des autres. Elles exigeroient une étude
approfondie, à laquelle il ne m’eft pas permis de me livrer. Il me
fuffira donc d’expofer en raccourci, dans ce premier difoours ce qu’on
fait en général des progrès de l’agriculture chez différens peuples
anciens, & d’indiquer les moyens qui, dans l’état où elle eft parvenue
en France, me paroilfent les plus propres à l’améliorer.
Suivant les livres facrés, les hommes qui vécurent vers la nailfance
du monde, fe livrèrent à l’agriculture. Le déluge n’éteignit pas le
goût qu’on avoit pour cet a rt, puifque la famille privilégiée , qui fut
confervée, en donna des preuves, après ces momens de bouleverfe-
ment. L ’agriculture étoit l’unique emploi des patriarches, de ces
hommes, que Moïfe nous repréfente fous les traits de la candeur &
d’une fimplicité opulente. Endurcis au travail, fortifiés par l’exercice
habituel de la tempérance & de la fobriété , ils connoifloient peu les
infirmités, dont la fource & la caufe font le plus fouvent dans la
molleffe &c le défoeuvrement. La terre, cultivée par leurs foins, don-
noit des récoltes abondantes ; leurs troupeaux fe multiplioient & couvraient
les campagnes fertiles. Tout leur profpéroit; on eût dit qu’une'
influence bénigne fe répandoit fur leurs travaux & fur leur vigilance
économique. Une mort douce & paifible terminoit leurs longues
années. Leurs enfans, formés dans l’exercice du même art, héritoient
de leurs vertus, comme de leurs riches poflèffions.
Peut-être l’agriculture fut-elle négligée & interrompue dans les
familles qui allèrent occuper des contrées -lointaines. Mais une découverte
auiïi importante ne fut point perdue dans les fociétés qui hab'i-
toient les plaines de Sennaar & les cantons circonvoifîns. La pratique
du labourage fut toujours ufitée parmi les peuples qui s’étoient réfugiés
de bonne heure dans les pays dont le fol etoit facile à cultiver &
naturellement fertile & abondant. On fait que les habitans de la
Méfopotamie & de la Paleftine s’appliquèrent à la culture des terres
dans les tems les plus réculés. Ofias, roi de Juda, avoit un grand
nombre de laboureurs & de vignerons fur les montagnes du Carmel.
U protégeoit d’une manière particulière ceux qui étoient employés à
cultiver la terre & à nourrir les troupeaux ; il fe livroit lui-même, à ce
genre d’occupation.
Les Aflyriens, les Mèdes., les Perfes s’adonnèrent aufli à l’agriculture.
Elle étoit, félon Berofe, fi ancienne chez les Babyloniens, quelle
remontoir aux premiers fiècles de leur hiftoire. Dans ces tems-, où les
arts commençoient a prendre i naifïance, les progrès de l’agriculture
forent lents & difficiles. La tradition étoit le feul moyen dont o,n put
faire ufage pour tranfmettre les obfervations & les découvertes.
Les Egyptiens, qui prétendoient, comme beaucoup d’autres peu-;.
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pies, avoir une origine célefte, & qui vouloient tout tenir des dieux,
donnoient à Ifis la gloire d’avoir trouvé le bled, & ils attribuoient à
Ofiris l’invention de la charrue & la culture de la vigne. On ne peut
difeonvenir que l’agriculmre ne fût très-ancienne en Egypte, puifque,
d’après l’hiftoire facrée. Abraham>’y retira dans un tems de famine,
puifque Jacob y envoya fe s enfans acheter du bled dans une pareille
circonftance. Si l’on refofe aux Egyptiens l’invention de l’agriculture,
il faut au moins leur accorder la gloire de l’avoir perfeétionnée & rétablie
parmi les peuples, où la barbarie l’avoit fait oublier.
En effet, l’Egypte dans la fuite des tems, devint le plus beau pays
du monde, le plus abondant par la nature, le plus cultivé par 1 art,
le plus riche & le plus orné par l’économie & l’induftrie de fes habitans.
Tous les peuples ont célébré fa grandeur, quoiqu’ils n’aient vu que les
débris de fes ouvrages, qui fembloient faits pour braver les injures du tems
& porter aux fiècles futurs des témoignages éclatans de fa magnificence.
Ce que les Egyptiens ont fait pour rendre leur pays fertile,
pour y faire fleurir le commerce & l’agriculturè, eft aufli étonnant que
les monumens quils ont laifles, & qui font l’admiration des voyageurs.
Maigre fa fxtuation heureufe & la bonté du fol, l’Egypte ne ferait
quun defert fec & aride, a caufe de la chaleur exceffive du climat, fi
elle n etoit arrofee par les debordemens du Nil. Elle doit aux inondations
périodiques de ce fleuve fa prodigieufe & admirable fertilité. Les
pluies ny font prefque pas connues. Mais c’eft moins la propriété
fécondante des eaux du Nil, qui enrichit l’Egypte, que l’induftrie de
fes habitans pour en profiter. Comme il ne peut fe répandre par-tout
dans une jufte proportion, ni à une certaine diftance de fes bords, on
avoit pratique fur toute 1 étendue de fon cours mie infinité de canaux
& de tranchées, qui diftribuoient les eaux dans tous les endroits où
elles etoient néceflaires. Chaque village avoit fon canal, qui étoit ou-
vert pendant 1 inondation ; on étoit obligé de le fermer dans un tems
limite, afin que 1 avantage de l’arrofement & de l’engrais fut également
répandu. ^ Cette multiplicité de canaux unifloit les villes entr’elles,
entretenoit leur commerce & défendoit le royaume contre les attaques
es ennemis j en forte que le Nil étoit tout-à-la-fois &C le nourricier &
le detenieur de fEgypte. On lui abandonnoit les campagnes; les
vi es es villages rehaufles par des travaux confidérables, étoient
ou raits a la fubmerfion & s élevoient comme des ifles au milieu des
raUî ' , enflant deux faifons de l’année, l ’Egypte offrait aux yeux le
pe ae e du monde le plus agréable. Si, dans les mois de juillet &
août. Ion gagnoit la cime de quelque montagne, ouïes grandes
pyrami es dAlkahira, oiî découvroit au loin une vafte mer, du fein
de laquelle fortoient des villages & des chauffées, qui fervoient de