
communication entre les habitans. Ces chauffées étoient environnées
de bofquets & couvertes d’arbres fruitiers, dont on ne voyoit que le
fbinmet, le tronc étant caché fous les eaux. Des bois & des monta
«mes en amphithéâtre, bornoient l’horizon à une certaine diftance.'
Tous ces divers objets offroient un enfemble , dont la perfpective
navoit point de modèle dans aucune partie du monde. Pendant
l’hiver, c’eft-à-dire, vers les mois de janvier &c de février, le pays, dans
toute fon étendue, ne paroiffoit être qu’une grande prairie, dont la
verdure étoit émaillée de fleurs diverfement coloriées. Ic i, on apper-
cevoit des troupeaux nombreux, qui paiffoient tranquillement dans les
plaines ; là, on voyoit des laboureurs & des jardiniers occupés à leurs
travaux. L ’air embaumé du parfum des orangers, des citronniers &
de plufieurs autres arbufles, étoit alors fi pur, qu’on ne pouvoir en
refpirer de plus agréable, ni de plus falutaire. Tandis que la nature
languifloit & fembloit morte dans d’autres contrées, elle paroiffoit
revivre pour orner les campagnes de l’Egypte.
L ’élévation des eaux du M l eft fujette à varier; elle pourroit même
devenir préjudiciable. Les anciens Egyptiens ont prévu & calculé tous
les inconvéniens qui en dévoient réfulter. Quand les crues étoient trop
abondantes ou trop longues, il y avoir des lacs préparés pour recevoir
les eaux ftagnantes & fuperflues; ils s’ouvroient par de grandes éclufes
& fe fermoient, félon le befoin: Par ce moyen les champs n’étoienc
inondés que ce qu’il falloir pour les engraiffer. Ç ’eft à cet ufage
guetoit deftiné ce fameux lac de Mceris, qui avoir une étendue fi
confidétable.La manière dont ilavpît été fait,annonce non-feulement
l’induftrie la plus grande, mais encore l’économie la plus éclairée.
Pour ne point perdre, en le creufant, un terrein naturellement fécond,
on l’avoir étendu particulièrement* du côté de la Lybie, qui étoit une
contrée feche & prefque ftérile. Ainfi, en Egypte, quand un terrein
ne pouvoit donner aucun produit par la culture ordinaire, on l’em-
ployoit à d’autres ufages.
Comme il n’y a point eu de peuple fur la terre, qui ait porté fi
loin que les Egyptiens l’aétivité, le travail & l’intelligence -, il n’y en a
point eu, qui ait mieux connu les fources du bonheur & de la prof-
périté. Ils fit voient quel’ agriculture étoit le plus ferme appui de l’état
& un moyen effentiel pour, foütenit l’innombrable population de leurs
dynafties, de forte que cet art chez eux faifoit un objet fpécial du
gouvernement & de la politique. Au commencement de la monarchie,
les terres furent divifées en trois parties, qui répondoient aux
trois ordres principaux du royaume. L ’une appartenoit aux prêtres ;
qui en employoient les revenus à leur entretien, à celui - de leurs familles,
aux fâcrifices & à toutes les dépenfes du culte religieux. La
fécondé étoit dans les mains du roi, qui devoit la confacrer aux'fiais
de la guerre & à faire refpeéter par fa magnificence la dignité dont il
étoit revêtu. La troifième partie, étoit deftinée aux foldats, qui expô-
fbient volontairement leur vie pour le falut de la patrie. Les membres
qui compofoient ces trois différens ordres, ne culrivoient pas par eux-
mêmes les terres qui leur étoient échues en partage. Il y avoir des
laboureurs, qui fe hvroient aux travaux champêtres & qui en retiroient
l’ufufiuit moyennant une redevance raifonnable. Pour retenir cette
claffe d’hommes, les plus effenriels de l’état, dans les bornes de la
condition où la nature les avoir fait naître, des loix obligeoient, fous
des peines rigoureufes, les fils des laboureurs & des bergers de fuccé-
der à leurs pères. Sé voyant ainfi dans la nécefïïté indifpenfâble de
fuivre la condition de leurs ayeux & n’ayant point l’efpérancc de parvenir
à la magiftrature ou à quelqu’autre rang diftingué, ils bornoient
toute leur ambition 1 bien remplir les devoirs de l’état dans lequel ils
étoient nés, à fe concilier l’eftime de leurs concitoyens & à mériter
les récompenfes glorieufes qu’on décernoit à ceux qui faifoient quelque
découverte importante.
On ne peut douter que le grand amour des Egyptiens pour les
fciences, & fur-tout pour l’agriculture, n’ait produit fie fâvans ouvrages
fur cette importante matière. I l eft vraifemblable que dans la
bibliothèque de Memphis & dans celle d’Alexandrie, qui contenoit
flept cens mille volumes en rouleaux, il y avoit un grand nombre
décrits relatifs a cet objet. On fait que ces bibliothèques ont été
perdues, & avec elles tous les ouvrages qui y étoient renfermés.
Les Grecs, imitant les Egyptiens, qui firent des dieux de tout ce
qui les étonna, créèrent Céres déeffe des moiffons. Cette reine de
Sicile, félon eux, vint fous le règne d’Ere&ée à Athènes, où elle montra
l’ufage du bled, auparavant inconnu; elle y enfeigna la manière
de faire le pain & d’enfemencer les terres. Mais quelle foi doit-on ajouter
a cette tradition des Grecs? Plufieurs auteurs regardent comme
fabuleux tout ce qu’on raconte de Cérès, & donnant à ce mot un fins
allégorique, ils prétendent que par l’arrivée de Cérès a Athènes, il
ne faut entendre qu’une prodigieufe abondance de bled, qu’Erectée
t apporterfie 1 Egypte. Pline, Virgile & d’autres affurent que l’in-
venuon de la charrue neft point due à Cérès, mais à un certain
«linges ou Tnptolême, fils de Celeus, roi.d’Eleufis, qui eft repré-'
ente par lès poètes affis fur un char traîné par dés ferpens ailés, parce
que ans un terns de difette,il fir diftribuer du bled dans toute la
recé avec une diligence incroyable. Enfin Polydore Virgile fait
remonter l’origine de l'agriculture à une époque plus ancienne que
iexiftence de Cérès. u Long-tems avant Cérès, Denis, Saturne 6c