
défeâion engagea les Ephores à porter une loi
qui défendoit aux deux rois de Sparte de fe trouver
enfemble dans la même armée , pour éviter les
haines qui naiffent du partage du pouvoir. Clèo-
tnène, abandonné de fes alliés 8c de Ton collègue,
étoit trop borné & trop, préfomptueux pour prévoir
le danger : il combattit & fut vaincu. Sa défaite,
qui devoit l’humilier , ne f i t , qu'aigrir fes
fureurs; il fufcita des ennemis aux Athéniens dans
toutes les contrées de la Grèce ; & prodigue dans
fes largeffes , il fit parler la prêtreffe de Delphes,
qui prédit à toutes les villes une opprefiion affurée
n elles ne mettoient des bornes à la puiffance d’A thènes.
Mais une faine politique triompha des menaces
de la fuperftition , 8c les Grecs, pour la première
fois , crurent être plus éclairés fur leurs propres
intérêts, qu’une prêtreffe fourbe 8c vénale.
Ariftagore, gouverneur de Milet, mécontent de
la cour de Perfe, fe tranfporta à Sparte pour y
repréfen.ter qu’il étoit déshonorant pour un peuple
auiîi belliqueux de laiffer l’Ionie fous la domination
de Darius , & il découvrit les moyens
de l’arracher à fes anciens maîtres. Il eut de fré-
quens entretiens avec Clêomène, qui, étonné de
la diftance de Sparte à Suze, rejetta fes proportions.
Il crut que fes préfens feroient plus puiffans
que fes raifons , 8c il lui offrit jufqu’à cinquante
talens pour l’engager à tenter cette conquête.
Gorgo, fille de Clêomène, étonnée d’une offre fi
éblouiffante, s’écria : « Mon père, renvoyez promp-
» tentent cet étranger, c’eftun ufurpateur qui vous
» féduira». Ariftagore rebuté à Sparte, fut favorablement
écouté des Athéniens. Cette conjuration
étouffée dans fa naiffance , fournit un prétexte
à Darius de tourner fes armes contre la Grèce.
Les habitans d’Egine étoient les plus expofés à fes
vengeances ; ils crurent devoir les prévenir par une
prompte foumilfion : Clêomène fe tranfporta dans
leur île pour les punir d’avoir donné un exemple
qui pourroit entraîner les autres villes menacées.
Crius, un des principaux de ces infulaires, eut
l’audace de lui dire que s’il ofoit maltraiter le
dernier des citoyens , il le feroit repentir de fa
témérité. Clêomène fe retira en menaçant Crius,
dont la hardieffe étoit excitée par Démarate ,
autre roi de Lacédémone, qui traverfoit fecré-
tement les deffeins de fon collègue. Clêomène
Jnftruit de fon infidélité , le cita devant le peuple
pour fe juftifier. Outre le crime de trahifon ,
il lui imputoit encore d’être le fruit d’un adultère ;
il publioit que fa naiffance prématurée avoit donné
occafion à fon père de dire qu’il n’étoit pas fon fils.
La Pythoniffe fut confultéè, & fa réponfe fut
conforme aux defirs de Clêomène, qui l’avoit fé-
duite par la magnificence de fes préfens. Démàr
rate fut dégradé, <5c fa couronne fut mile fur la
tête de Léotichide. Mais quelque temps après, la
fourberie qui avoit fait parler la Pythoniffe fut
découverte ; Clêomène fut regardé comme ün pro?
fapateur qui avoit abpfé de la religion pour corrompre
fes minifires. Le peuple demandoit hautement
fa mort pour venger, les dieux outragés ; 8c
ce fut pour fe fouftraire à ces fureurs qu’il fe retira
chez les Theffaliens , dont il fut exciter la compaf-
fion. Ces peuples féduits fe réunirent aux Arca-
diens 'pour le rétablir fur le trône de fes ancêtres.
Les Spartiates, occupés d’iine guerre importante
, craignirent de fe faire de nouveaux ,enne-
mis. Ils conl'entirent à le faire rentrer dans fes prérogatives
, mais il n’en jouit pas long - temps ; il
tomba dans une démence furièufe qui obligea de
l’enfermer : un jour qu’il étoit refté avec un feul
de fes gardes, il lui arracha fon épée qu’il fe paffa
au travers du corps, l’an 492 avant Jefus->-Chrift; mki 1 CLEOMENE II ( Hiß. de Lacédémone. ) , fils de
Léonida, fut fon (ucceffeur au trône de Sparte;
Son père , dévoré d’avaricé , lui avoit fait époufer
Agiatis, après la mort cl’A gis , fon premier mari.
Cette union formée par l’intérêt parut néceffaire
à fa politique ; car outre que la jeune veuve étoit
la plus opulente de la Laconie , elle étoit la feule
qui pût calmer les haines nées des faéfions qui dé*
chiroient l’état. L ’exemple d’un père avare 8c voluptueux
n’avoit point corrompu lé Coeur de fou
fils. Clêomène fat fortifié dans fes heureux péhchans
par fa vertueufe époufe; le récit qu’elle lui faifoit
du- défintéreffement d’A g is , le remplit d’admiration
pour ce roi citoyen. Dès ce moment, il ré«
folut de faire revivre l’ancienne difcipline de Lycurgue
, & d’exécuter ce que l’autre avoit malheureufe-
ment effayé. Ceux qu’il choifit pour être les dépofi-
taires de fon fecret en furentles cenfeurs ; il craignit
d’être trahi par des amis infidèles , & dès ce mo*
ment, il réfolut de ne prendre plus confeil que
de lui-même : i f n’avoit encore rien éxécuté de
grand , & il ne pouvoit inlpirer cette confiance
néceffaire aux artifans des grandes révolutions.
La guerre qu’Aratüs porta dans 1!Arcadie,'
lui fournit une occafion de développer fes talens
pour la guerre. Il fe mit à la tête de l’armée, qui
réprima l’invafion des Achéeiis dans l’Arcadie. Ce
jeune prince , grand capitaine, fans le fecours de
l’expérience, triompha de l’habileté d’Aratus, dont
la vie n’avoit été jufqu’alors qu’un enchaînement
de vi&oires, Clêomène fut arrêté dans le cours de
fes profpérités par les intrigues d’une faélion qui
aima mieux foufcrire au3Ç conditions d’une, paix
déshonorante, que de fupporter le poids d’une
guerre glorieufe. Ce fut pour fe fortifier contre
cette faélion turbulente -, qu’il rappella Archida*
mas , frère d’Agis , pour le faire affeoir fur le
trône avec lui : mais ceux qui avoient trempé leurs
mains dans le fang d’Agis , craignoient les juftes
vengeances de fon frère, & ce fut pour les prévenir
qu’ils le firent affaffiner.
Clêomène touché de la deftinée de fon ami ,-n’en
fut que plus ardent à pourfuivre fes deffeins. Les
âmes vénales furent gagnées par fes préfens, 8ç,
les gens de b ien, qui forment toujours lè plus petit
nombre, lui promirent leur affiftance. Sa mère
Cratefilée épuifa fes immenfes tr.éfors pour lui
acheter des partifans. Les Ephores, dont l’avarice
fut fatisfaite, confièrent à lui feui le foin de continuer
la guerre. Quoique tous les jours de fon commandement
fuffent marqués par de brillans fuccès,
il excita moins l’admiration que les foupçons d’un
peuple prompt à s’allarmer fur fon indépendance.
Tandis qu’il triomphoit au dehors, fes plus dangereux
ennemis, renfermés dans Sparte , le pei-
gnoient comme un ambitieux trop familiarisé avec
le commandement, pour fe contenir dans les bornés
de fes devoirs. Ces bruits.calomnieux parvinrent
jufqu’à lui, & ce fut pour les difiiper qiril revint à
Sparte, où, étudiant le caraétèr-e de ceux qui étoient
le plus acharnés à lui nuire, il eut la politique de les
emmener avec lui à l’armée , pour les avoir fous fes
ordres : mais ces hommes, nourris dans les faisions,
furent aufii mauvais foldats qu’ils étoient fujets indociles
; ils ne purent fupporter les fatigues du camp,
8c on fut obligé de les licentier. Dès qu’il fut débar-
raffé de ce fardeau inutile , il n’eut dans fon armée
ni rebelles, ni murmurateurs. Les ennemis furent
battqs & difperfés ; mais quand fa patrie n’eut plus
rien à craindre, il eut tout à redouter pour lui. Les
Ephores & leurs complices, éblouis de fa gloire , en
ternirent l’éclat par des imputations calomnieufes ;
il crut devoir les en punir : il marche vers, Sparte ;
& fes mouvemens font fi fecrets & fi bien concertés,
qu’il y eft entré avant qu’on foupçonne qu’il
foit en marche. Les Ephores, artifans de tous les
troubles, furent les vi&imes fur qui tombèrent fes
premiers coups : quatre furent égorgés au milieu
de la débauche de la table qu’il fe propofoit de
profcrire; dix de leurs convives furent enveloppés
dans leur ruine. Agéfilas, qui étoit le plus coupable,
fauva fa vie en contrefaifant le mort. Cette fcène
fanglanie lui parut néceffaire pour n’avoir pas la
même deftinée qu’Agis , qui avoit été la viétime
de fa modération 8c de fa clémence. Mais le fang
de l’innocent ne coula point avec çelui du coupable.
Les chaires des Ephores furent enlevées du forum,
&. leur pouvoir fut aboli. Cet aéte du pouvoir arbitraire
étoit un attentat contre la fureté du citoyen.
Clêomène fit affembler le peuple pour lui faire entendre
fa juftification ; il s’appuya fur la néceffité,
qui eft la première des loix , & fur l’exemple de
Lycurgue, qui, dans les mêmes circonftances, en
avoit donné l’exemple. Son éloquence ébranla les
efprits , & il acheva de les fubjuguer , en déclarant
qu’il n’avoit d’autre but que de délivrer Sparte
des perturbateurs qui s’oppofoient à l’abolition des
dettes 8c au partage des terres. Ces motifs furent
juftifiés par le facrifice qu’il fit de tous fes biens.
Son beau-père, Mégefton , 8c tous fes amisfuivi-
rent cet exemple de modération. L’ancienne difcipline
fut rétablie dans toute fa vigueur. Perfonne
ne fut difpenfé de fe trouver aux repas publics, 8c la
milice Spartiate, tombée dans le relâchement, redevint
auffi redoutable aux ennemis que dans les temps
de fa première fplendeur. Les Achéens humiliés par
des défaites multipliées, fe dépouillèrent de leur
fierté infultante , & s’abaiffèrent à demander la
paix à Clêomène. Il ne leur impofa d’autre condition
que d’être déclaré le chef de leur ligue. Ces peuples
charmés de fa modération, furent flattés de
le voir marcher à leur tête.
Aratus, dépouillé d’un titre qu’il avoit porté avec
gloire, ne put fouffrir d’être fujplanté par ce jeune
rival. Il intéreffe les Macédoniens dans fa caufe,
8c leur ouvre les barrières de la Grèce. Une guerre
nouvelle fe rallume ; Clêomène en foutint tout le
poids avec des forces dont l’inégalité ne fervit qu’à
mieux développer la fupériorité de fes talens.
Ses premiers fuccès en annonçoient de plus écla-
tans, lorfqu’ih fut trahi par un de fes principaux
officiers, que l’or d’Antigone , roi de Macédoine,
avoit corrompu. Six mille Spartiates périrent près
de Sillafie # dans des embûches où le traître Da-
moteïès les avoit conduits.Clêomène, qui n’étoit qu’a
plaindre, rentra dans Sparte, qui fut affez ingrate
pour lui reprocher fon malheur. Il ne put fe réfoudre
à fouffrir les outrages d’un peuple dont il étoit
le bienfaiteur ; il re retira en Egypte , auprès de
Ptolomée Evergète , dont l’amitié lui faifoit efpé-
rer un dédommagement de fes difgraces. La mort
inopinée de ce monarque Texpofa à la cenfure
d’une jeune cour plongée dans le luxe & la mo-
leffe. Clêomène, qui avoit l’auftérité d’un Spartiate,
étoit trop fier pour diflimuler : il exhala fes mépris
contre les courtifans efféminés qui le regar-
doient comme un lion féroce qui venoient s’introduire
parmi un troupeau d’agneaux doux & dociles.
Il fe vengea de leurs dédains par les farcafmes les
plus amers. Il en fut puni par la prifon. C ’étoit
le plus grand outrage qu’on pût faire à un Spartiate
, qui regardoit la vie comme un opprobre dès
qu’il ceffoit d’être libre. Il rompt les portes de fa
prifon, 8c fuivi de douze Spartiates, compagnons
de fon infortune, il fe répand dans les rues d’A -
léxandrie , où, n’écoutant que fon défefpoir , il oublie
qu’il eft prefque feul au milieu d’une multitude
armée. Malgré la fureur dont il eft enivré, il n’étend
fes vengeances que fur les autéurs de fa détention
: e’étoit un fpedacle d’héroïfme 8c d’extravagance
, de voir treize forcenés s’ériger en arbitres
de la ville la plus peuplée du monde. Clêo-
mène devenu plus calme , eft étonné de fe voir entouré
de viélimes qu’il vient d’immoler. Il fe tranf-
porte dans la place publique, où le peuple s’étoit
raffemblé , il lui promet de fe mettre à fa tête pour
le rétablir dans la jouiffance de fes privilèges. Les
Egyptiens familiarifés avec leurs chaînes , furent
infenfibles à fes promeffes. Clêomène indigné de
leur infenfibilité, s’écrie : peuple lâche & flétri , tu
ne mérites d’être gouverné que par des femmes., Il
tire fon épée 8c invite fés compagnons à fuivre
fon exemple, & tous, en l’imitant, tombent expi-
rans fur leurs épées. La liberté 8c la fplendeur de
Sparte s’éelipfèrent avec lui ; cette ville eut en