
du défabufer le monde ; mais ignore-t-on que l’empire
de la fuperftition eft de tous les empires le
plus aveugle & le plus durable ?
Au refte les curieux peuvent confulter Heinius,
Ebelingius , Cordemoy , du Gange , le P. Mabil-
lo n , le célèbre Baluze, & plüfieurs autres favans
qui ont traité fort au long des épreuves, ou pour
mieux dire, des monumens les plus bizarres qu’on
connoifle de l’erreur & de l’extravagance de
l’efprit humain dans la partie du monde que nous
habitons. Article de M. le Chevalier DÉ J AU cou R T .
EQ U IT A T IO N , f. f. (Hifl. anc. 6* mod. ) c’eft
l’art de monter/à cheval.
i ° . De Vancienneté de Véquitation, & de Vu fage des
chevaux dans les armées. L’art de monter à cheval
femble être auffi ancien que le monde. L’Auteur
de la Nature, en donnant au cheval les qualités
que nous lui connoiffons , avoit trop fenfibiement
marqué fa deftination, pour qu’elle pût être longtemps
ignorée. L’homme ayant fu, par un jugement
sûr & prompt, difcerner dans la multitude
infinie d’êtres differens qui l’environnoient, ceux
qui étoient particulièrement deftinés à fon ufage ,
en auroit-il négligé un fi capable de lui rendre les
fervices les plus utiles? La même lumière qui diri-
geoit fon choix lorfqu’ii foumettoit à fon domaine
la brebis * la chèvre, le taureau, l’éclaira fans doute
fur les avantages qu’il devoit retirer du cheval,
foit pour palier rapidement d’un lieu dans un autre,
foit pour le transport des fardeaux, foit pour la
facilité du commerce.
Il y a beaucoup d’apparence que le cheval ne
fervit d’abord qu’à foulager fon maître dans le cours
de fes occupations paifibles. Ce feroit trop préfumer
que de croire qu’il fut employé dans les premières
guerres que les hommes fe firent entre eux:
au commencement, ceux-ci n’agirent point par
principes ; ils n’eurent pour guide qu’un emportement
aveugle, & ne connurent d’autres armes que
les dents, les ongles, les mains, les pierres, les
bâtons ( i ) . L ’airain & le fer fervirent enfuite leur
fureur ; mais la découverte de ces métaux ayant
facilité le triomphe de iHnjuftice & de la violence,
les hommes, qui formolent alors des-fociétés naif-
fantes , apprirent, par uqe funefté expérience ,
qu’inutilement ils compteroient fur la paix & fur le
repos, tant qu’ils ne feroient point en é.tat de repouffer
la force par la force : il fallut donc réduire
en art un métier deftruéleur, & inventer des moyens
pour le pratiquer avec plus d’avantage.
On peut compter parmi ces moyens, celui de
combattre à cheval; aufli l’hiftoire nous attefte-
t-elle que l’homme ne tarda point à le découvrir &
( i ) Arma antïqua marias, ungues, dentefque fuerunt ,
JEt lapides f & item fylvarumfragmina rami, &c.
Lucretius, de rerum natura, f lib, V.
à le mettre en pratique : l’antiquité la plus reculée
en offre des témoignages certains.
Les inclinations guerrières de cet animal, fa v igueur,
fa docilité, fon attachement, n’échappèrent
point aux yeux de l’homme , & lui méritèrent
l’honneur de devenir le compagnon de fes dangers
& de fa gloire.
Le cheval paroît né pour là guerre ; fi l’on pou-
voit en douter, cette belle description qu’on voit
dans le livre de Job (ch. 34, v. 19 ) fnffiroit pour
le prouver : c’eft Dieu qui parle, &. qui interroge
le faint patriarche :
» Efl-ce de vous, lui demande-1-il, que le cheval
» tient fon courage & fon intrépidité ? vous doit-if
» fon fier henniffement, & ce fouffle'ardent qui
» fort de fes narines, & qui infpire la terreur ? Il
» frappe du pied la terre & la réduit en poudre ; il
» s’élance avec audace, & fe précipite au travers
» des hommes armés : inacceflîble à la crainte, le
» tranchant des épées, le fifflement des flèches, le
» brillant éclat des lames & des dards, rien ne
» l’étonne, rien ne l’arrête. Son ardeur s’allume
» aux premiers fons de la trompette ; il frémit , il
» écume, il ne peut demeurer en place: d’iinpa-
» tience il mange la terre. Entend-il fonner la
■n charge, il dit, allons : il reconnoît l’approche
» du combat, il diftingue la voix des chefs qui en-
» couragent leurs foldats : les cris confus des armées
» prêtes à combattre, excitent en lui une fenfation
» qui l’anime & qui l’intérefie.
Equus paratur in diem belli, a dit le plus fage
des rois. P r o v . c, z u
L’unanimité de fentiment qui règne à cet, égard
chez tous les peuples , eft une preuve qu’elle a fon
fondement dans la nature. Les principaux traits
de la defcription précédente fe retrouvent dans
l’élégante peinture que Virgile a tracée du même-
animal :
Con tin u é pesons generofi p u llu s in a r v is
A lt iù s in g re d itu r, 6r m o llia crura repo nit j
P r im u s & ire v iam , & flu v io s tenture minaces
A u d e t , & ig n o to fefe committere p o n t i,
N e c vanos horret fire p itu s . . . . . .
. . Tum , f l qua fonum procul arma dedcre j
Stare loco nefcit 3 misât auribus , & trem.it artus ,
Colleâumque premens volvit fub naribus ignem.
Virg. Georg. lib, I I I , y. 7$%
Homère, ( II. I. XIII. ) le plus célèbre de tous
les poètes, oc le chantre des héros, dit que Jes
chevaux font une partie effentielle des armées, &
qu’ils contribuent extrêmement à la viéfoire. Tous
les auteurs anciens ou modernes qui ont traité de
la guerre, ont penfé de même ; & la vérité de ce
jugement eft pleinement juftifiée par la pratique
de toutes les nations. Le cheval anime en quelque
forte l’homme au moment du combat ; fes mouvemens,
fes agitations calment cette palpitation naturelle
dont les plus braves guerriers ont de la peine
à fe défendre au premier appareil d’une bataille.
A la noble ardeur qui1 domine dans ce fuperbe
animal, à fon extrême docilité pour la main qui
le guide, ajoutons pour dernier trait qu’il eft le
plus fidèle oc le plus reconnoiffapt de tous les animaux,
& nous aurons raffemblé les puiffans motifs
qui ont dû engager l’homme à s’en fervir pour la
guerre,
FideliJJimum inter omnia anïmalia, homitii efl canis
atque equus, dit Pline, (/. V I I I , c. 40.) Amijfos
lurent dominos , -ajoute-t-il plus bas, ( ibid.c. 42.)
lacrymafque interdum deflderio fundunt. Homère (II.
liv. X V I I .) fait pleurer la mort de Patrocle par
les chevaux d'Achille. Virgile donne le même fentiment
au cheval de Pallas, fils d’Evandre :
. . . . . Pofltis inflgnibus Æthon
*It lacrymans, guttifque humectât grandibus or a.
Æneid. lib. X I, v. 89.
IAiftoire (c ) n’a pas dédaigné de nous apprendre
que des chevaux ont défend^ ou vengé leurs maîtres
à coups de pieds & de dents, & qu’ils leur ont
quelquefois fauvé la vie.
Dans la bataille d’Alexandre contre Porus ( Aul.
Oeil. noElium Attic. l. V, c. 11. & Q . Curt. I. V III.)
Bucéphale, couvert de bleffures& perdant tout fon
fang, ramaffa néanmoins le refie de fes forces pour
tirer au plus vîte fon maître de la mêlée, où il
couroit le plus grand danger ; dès qu’il fut arrivé
hors de la pôrtée des traits, il tomba , & mourut
un inftant après ; paroifiant fatisfait, ajoute l’hifto-
rien , de n’avoir plus à craindre pour Alexandre.
Silius Italicus (//y. X .) 8ç Ju(teLipfe (m epiflol.
ad Belgas. ) nous ont confervé un exemple remarquable
de l’attachement extraordinaire dont les
chevaux font capables.
A la bataille de Cannes, un chevalier romain
nommé Clatlius, qui avoit été percé de plufieurs
coups, fut laiffé parmi les morts fur le champ de
bataille. Annibal s’y étant tranfporté le lendemain,
Çlælius, à qui il reftoit encore un fouffle de vie
prêta s’éteindre, voulut, au bruit qu’il entendit,
faire un effort pour lever la tête & parler; mais
il expira aufli-tôt, en pouffant un profond gémiffement.
A ce c r i, fon cheval, qui avoit été pris le
jour d’auparavant, & que montoit un Numide de
la fuite d’Annibal, reconnoiffant la voix de fon
(1) O c cifo Scytharum regulo ex provocatione d im ic a n te,
hoftem ( càm v itto r a d fp o lia n d um ven ijfe t) ab equo ejus ic h -
bus morfuqae confectum ejfe.............. Ibidem P h y la rch u s refert
Centaretum è Galatis in prcelio } occifo Antiocho , potito
tquo ejus, confcendijfe ovantem ; d% ilium indignatione accen-
fum, demptis frtxnis ne régi pojfet, prcecipitem in abrupta
ifle cxanimatumque un a. Lib, VIII, ç. 42, de Pline.
maître, dreffe les oreilles, hennit de toutes fes
forces, jette par terre le Numide, s’élance à travers
les mourans &les morts, arrive auprès de Clælius :
voyant qu’il ne fe remuoit point, plein d’inquiétude
& de trifieffe, il fe courbe comme à l’ordinaire
fur fes genoux, & femble l’inviter à monter.
Cet excès d’affeâion & de fidélité fut admiré d’Annibal
, & ce grand homme ne pu. s’empêcher d’être
attendri à la vue d’un fpeâacie fi touchant.
Il n’eft donc pas étonnant que, par un jufie
retour, ( s ’il eft permis de s’exprimer ainfi) d’illuf*
très guerriers, tels qu’un Alexandre & un Céfar,
aient eu pour leurs chevaux un attachement fin-
gulier. Le prernier bâtit line ville en l’honneur
de Bucéphale ; l’autre dédia l’image du fien à Vénus*
On fait combien la pie de Turenne étoit aimée du
foldat françois, parce qu’elle étoit chère à ce
héros. (2)
Le peu de lumières que nous avons fur ce qui
s’eft paffé dans les temps voifins du déluge, ne
nous permet pas de fixer avec précifion celui où
l’on commença d’employer les chevaux à la guerre.
L’Ecriture ( Gen. ch. X IV .) ne dit pas qu’il y eut
de la cavalerie dans la bataille des quatre rois
contre cinq, ni dans la viéfoire qu’Abraham bientôt
après remporta fur les premiers, qui emme-
noient prifonnier Loth fon neveu. Mais quoique
nous ignorions, faute de détails fuffifans, l’ufage
que les patriarches ont pu faire du cheval, il feroit
abfurde d’en conclure qu’ils eurent l'imbécillité,
fuivant l’exprefiion de S. Jérôme ( Comment, du.
chap. X X X V I d’Kzie) , de ne s’en pas fervir.
Origène cependant l’a voulu croire. On ne
voit nulle part, dit-il , ( jHomélie X V I I I .) que
les enfans d’Ifraël fe foient fervis de chevaux dans
les armées. Mais comment a-t-il pu favoir qu’ils
n’en avoient point ? il faut, pour le prouver, une
évidence bien réelle & des faits conftans. L a loi
du Deutéronome, (ch. X V I I , v. 26.) dont s’appuie
faint Jérôme, non multiplïcabït fibi equo s , n’exclut
pas les chevaux des armées des Juifs ; elle ne regarde
que le roi, f ib i , encore (3) ne lui en défend-elle
que le grand nombre, non multiplicabit. C ’étoit une
fage prévoyance de la part de Moife, ,o.u parce
que le peuple de Dieu devoit habiter un pays coupé,
I fec , aride, peu propre à nourrir beaucoup de
chevaux ; ou bien, félon que l’a remarqué M.
F le u r y , pour lui ôter le defir & le moyen de
retourner en Egypte. C ’eft apparemment par la
(*) Êhez les Scythes, Achéas leur roi panfoit lui-même
fon cheval, perfuadé que c’étoit là le moyen de fe l’attacher
davantage , & d’en retirer plus de fervice : il parut étonné ,
lorfqu’il fut par les ambaflàdeurs de Philippe que ce prince
n’enufoit pas ainfi. Vie de Philippe de Macédoine , l. X I I I9
par M. Olivier.
(3) Salomon avoit mille quatre cents chariots & douze
mille cavaliers. I I I . des Rois t c. X , v. 26. IL Paralip.
Ci l¥ i r. *4.
Mmm x