
cardinal Mazarin, qui, en mourant, le recommanda
au roi, & depuis la difgrace de Fouquet en
i66r s jufqu’à la mort de Colbert lui-même,-arrivée
en 1683. Colbert eft le héros de M. de Voltaire,
q u i, dans la Henriade, après avoir parlé de Richelieu
& de Mazarin, ajoute :
O to i, moins puiiTant qu'eux , moins vafte en tes delTeins,
Toi dans Je itvOnd rang le premier des humains ,
Colbert, c'eft fur tes pas que l'heur eu fe abondance ,
Fille de tes travaux , vient enrichir la France;
Bienfaiteur de "ce peuple , ardent à t’outrager,
En le rendant' heureux tu fauras t’en vanger ;
Semblable à ce héros confident de Dieu même,
Qui nourrit les Hébreux pour prix de leur blafphême.
Dans la nouvelle édition des oeuvres de M. de
Voltaire, on trouve une grande note fur ces vers
de la Henriade; on y difcute à charge & à décharge
tout le bien & tout le mal qui ont été dits
de ce grand miniftre. «Les opinions fur Colbert,
y dit-on, » font fi oppofées entre elles , fes admi-
» rateurs l’ont placé ü haut, fes détracteurs l’ont
91 enfuite tant rabaîffé, qu’il n’exifte peut-être pas
w un feul livre ou il foit mis à fa véritable place ».
En convenant de tout ce qu’il a fait pour la Marine
, le commerce, les manufaâures , en un mot
pour la fplendeur de l’état, on lui reproche fa
conduite envers Fouquet-, les moyens ruineux
91 qu’il employa pour foutenir aux dépens du
n peuple le fafte de la cour, la dureté de fes ré-
n glemens pour les manufa&urés, la barbarie du
» code des aides & des gabelles, & fes opérations
11 fur les monnoies & les retranchemens des
n rentes ji.
Dans cette note, faite fans doute par un homme
inftruit, il fe trouve quelques fautes. En parlant
de la difgrace de Fouquet, l’auteur dit: «Fuffort,
>1 allié de Colbert, fut un de fes juges , le Tellier
» le perfécutoit avec violence. On difoit alors :
11 le Tellier a plus d’envie que Fouquet foit pendu,
a mais Colbert a plus peur qu’il ne le foit pas ».
C ’eft tout le contraire, & cette faute eft de
quelque importance , parce qu’elle dénature les
caraâères. C’eft M. le Tellier qui affeâoit une
fauffe modération , Colbert s’abandonnoit à toute
i’impétuoüté -de fon caraâère. Le mot cité eft de
M . de Turenne, & c’eft l’abbé de Choify qui le
rapporte dans ces termes:
« Pendant qu’on faifoit le procès à monfieur
» Fouquet, Ruvigny louoit un jour M. le Tellier'
» de fa modération , & blâmoit l’emportement de
*> Colbert ; effectivement, lui dit M. de Turenne,
M. Colbert a plus d’envie qu’il foit pendu, &
n M. le Tellier a plus de peur qu’il ne le foit
31 pas».
C ’eft faifir finement les nuances des caraélêres,
Jk ce mot eft conforme à l’idée qu’on fe fait généralement
de ces deux hommes & de leur con-
conduite dans cette affaire.
«Le Tellier, dit M. le préfident Hénault, avoit-
n l’efprit net, facile & capable d’affaires : perfonne
11 ne fut avec plus d’adrefle fe maintenir dans les
» diverfes agitations de la cour, fous des appar
n rences de modération , & il ne prétendit jamais
” à la dernière place dans le miniftère pouroccu-
11 per plus sûrement la fécondé ».
M. Colbert au contraire gâtoit fouvent, par l’humeur,
la brufquerie & la violence même, ce qu’il
faifoit de bien. Voici quelques traits de fon caractère
tracés de la main du premier préfident de Lamoignon
, qui avoit eu d’importantes affaires à
traiter avec lui.
« C ’e ft, dit-il, un des efprits du monde les plus
n difficiles pour ceux qui ne font ni d’humeur,
n ni d’état- à lui être entièrement fournis.
11 Cela vient plutôt de fon humeur que d’aucune
n mauvaife volonté ; mais cette humeur eft capa-
n ble de produire de bien mauvais effets , car il
» la fuit entièrement, & il fe fortifie dans fes dé-
11 fauts par fes bonnes qualités ; & comme il eft
11 plein de la connoiffance des Services qu’il rend,
» lefquels font en effet très-grands , & tels que
n je crois qu’il n’y a perfonne qui pût travailler
11 avec plus d’application, avec plus de fidélité
n & de capacité , même avec rplus de fuccès,
pour dégager les finances du.roi, pour en ôter
» les abus & y établir un ordre excellent, cette
» connoiffance lui fait croire que tout ce qui ne
11 fuit pas fes fentimens eft mauvais ; qu’on ne
n peut le contredire fans ignorance ou fans ma-
» iignité ; & il eft*fi perfuadé que toute la bonne
11 intention eft chez lu i, qu”il ne peut pas croire
11 qu’il s’en puiffe trouver chez les autres , à moins
» qu’ils ne fe rangent entièrement à fon avis-;
» c’eft ce qui le porte à vouloir trop fortement
n ce qu’il veut, & à employer toute forte de
» moyens pour parvenir à la fin qu?il s’ëft pro-
n pofee, fans confidérer que bien fouvent les
» moyens font tels , qu’ils peuvent rendre mau-
v vaife la meilleure fin du monde.
11 Son humeur & fon habitude le portent auffi
>' à conduire toutes chofes defpotiquement ; &
11 comme il n’a pas été dans les compagnies ré-
» glées, où on apprend à déférer aux fenti®ens
n des autres, & à régler fa conduite fon propre
11 jugement par le fecours de ceux avec lefquels
11 on travaille, il croit devoir tout décider & tout
» emporter par fa feule autorité, fans fç concer-
» ter avec ceux qui ont titre & caraâère pour
11 juger des objets dont il s’agit: au contraire',
» ce font ceux là dont il eft le plus éloigné de
11 prendre confeil, parce que ce feroit comme uns
11 partage d’autorité qu’il ne peut fouffrir, & cette
n même difpofition le jette dans une autre extré-
11 mité qui paroît d’abord bien oppofée, mais qui
» procède du même principe, & que j’ai retrouvée
dgn.s plufieurs perfonnes du même caractère,
Veft,
» c’eft d’être très - fufceptible des différentes iffl-
v preffions que fes valets & ceux qui font entié-
» rement fournis à fes ordres, lui veulent donner.
» La défiance & les foupçons fui vent prefque tou-
v jours ces difpofitions-là ; auffi je n’ai vu périt
fonne qui en foit plus fufceptible ».
Un antre homme d’état, qui ne connoiffoit Sc
ne confidéroit Colbert que par fon adminiftration,
& qui d’ailleurs s’étoit chargé de le louer, l’a peint
beaucoup plus avamageufement. Il défendit, dit-
il , fans relâche la chofe publique contre l’intérêt
particulier, la foeiété contre l’individu, & l’avenir
contre le préfent ; les abus ne tardèrent j>as
à difparoître. Il modifia & diminua les impôts,
mais avec tant de jufteffe & de fagaeité, qu’en
dégageant l’induftrie , le commerce & l’agriculture
des poids immenfes quiarrêtoient leur mouvement,
la recette fut augmentée. Il abolît la plus grande
partie des péages qui gênoient les communications,
embarraffoient le commerce , & excitoient
les marchands à la fraude. En même-temps qu’il
établiftoit un ordre rigoureux dans les recettes, il
examinoit avec fcrupule & réduifoit avec fageffe
fes dépenfes. On a fouvent reproche a Colbert da-
voir facrifié l’agriculture aux manufactures, d’avoir
| pris les branches pour le tronc , & les effets pour
fes caufes. Son panégyrifte s’attache à prouver que
Colbert a favorifé à-la-fois ces trois fources importantes
de la profpérité du royaume, l’agriculture,
l’induftrie , le commerce ; qu’il a connu tout le
prix de l’agriculture , & qu’il ne l’a point facrifiee
aux autres objets ; qu’au contraire, ces objets qu’il
femble avoir particuliérement protégés, il les re-
gardoit avec raifon comme de puiffans encourage-
mens pour l’agriculture. Il diminua les impôts fur
les terres , principalement les tailles, qui affectent
les cultivateurs les plus pauvres ; il tempéra
la rigueur des faifies qu’elles occafionnent. La plupart
des grands chemins étoient impratiquables,
Colbert les fit réparer; il fit ouvrir de nouvelles
routes ; il fentit que des canaux rendroient les
communications plus faciles, & reftitueroient à la
culture dès grains & à la population une partie
de ces nombreux arpens qu’il faut confacrer à la
nourriture des animaux néceffaires au tranfport
par terre. Le canal de Languedoc fut entrepris &
exécuté, le canal de Bourgogne fut projetté. Ces
chemins, ces canaux font fans doute un fervice
important rendu à l’agriculture. Colbert reftreignit
les prérogatives ufurpées par les charges ; il abolit
«ne multitude de privilèges mjuftes ; il diminua
les profits des affaires de finances, & les Vendit
plus rares; il fixa d’une manière pofitivè les créances
publiques ; il.affura le paiement des intérêts : tous
ces arrangemens firent baiffer rapidement , mais
fans contrainte , le prix de l’argent , & l’argent
reflua vers le commerce & les campagnes, nouveaux
bienfaits de Colbert envers l’agriculture. Enfin,
en étendant & réunifiant, comme il fit , la
marine, la pèche, le commerce , les colonies, lés
Hijloire. Tome JJ, Première Part*
arts 8c les manufactures, il préfentoit à la terre
de nouveaux hommes a nourrir, & aux propriétaires
de nouveaux objets de jouiffance 8c d émulation.
Voilà ce qu’a fait pour L’agriculture ce Colbert
tant accufé d’en avoir méconnu l’importance.
On fait tout ce que Colbert fit pour le commerce ;
il le défendit contre l’autorité, contre l’intérêt des
fermiers, contre la multiplicité des droits & des
préjugés. La marine étoit détruite quand Louis X IV
confia ce département a Colbert. Peu d’annees apres,
on comptoit plus de cent vaiffeaux de guerre &
foixante mille matelots; en même-temps on vit
s’’élever les arfenaux de Toulon, de Bref!, de
Rochefort ; Dunkerque fut acheté des Anglois..
Tous Les atts furent raffemblés 8c fixés en France ;
c’eft Colbert qui fonda, les académies de peinture 8c
d’architeélure ; c’eft à lui qu’on doit l’école deRome,
où l’on entretient, aux dépens du Roi, les élèves
qui ont remporté des prix à Paris. C’eft par fes foins
& fon aâivité que furent élevés ou perfectionnés
la plupart des monumens qui embelliffent Paris,
6c qui contribuent à fa commodité, les quais, les
boulevards , les places publiques, le louvte 8c les
tuileries. Nous lui devons l’académie des belles-
lettres 8t celle des fciences ; il augmenta la bibliothèque
du roi St le jardin des plantes, il fit élever
l’obfervatoire, il appella Huyghens 8t Caflini ; par
lui les bienfaits de Louis XIV allèrent chercher des
étrangers dignes de. cette diftinCtlon, mais négligés
dans leur pays.
La marine françoife fe foutint avec honneur &
avec éclat fous Jean-Baptifte Colbert fon fils , marquis
de Seignelay ; ce fut même alors que la France
eut véritablement l’empire de la mer. C ’eft fous M.
de Seignelay qu’on voit ou fe former ou s’élever
au comble de la gloire les Château-Renaud, les
Tourville, les d’Êtrées ,les Nefmond, lesPoîntis,
les Jean Bar , les Dugué-Trouin. Sa mort, arrivée
le 3 novembre 1690, fut le fignal de la décadence
de cette marine triomphante, qui périt deux ans
après à la malheureufe affaire de la Hogue.
C harles C olbert , marquis de Croiffy, frère
dé M. Colbert, 8c oncle de M. de Seignelay, après
avoir fervi avec honneur 8c avec fuccès dans diverfes
ambaffades, fut fait miniftre des affaires
étrangères , à la place de M. de Pompone. ( Voye{
à l’article A r n a u ld , l’article particulier de M. de
Pompone. )
M. de Croiffy (mort le a8 juillet 1696 ) eut
pour fils M. de Torcy (Jean-Baptifte Colbert) ,
miniftre plein de zèle , de douceur , de raifon , de
lumières, fous qui l’autorité royale, au lieu de
cette fierté impofante qui avoit préparé les ‘-malheurs
de l’état, prit un caractère plus paternel 8c
plus véritablement augufte. Ses mémoires font aimer
Louis XIV , 8c fur-tout le marquis de Torcy ;
la paix d’Utrecht fut fon ouvrage ; 8c avec quel
zèle , quelle adreffe , quelle patience, devenue nè-
ceffaire, ne 1a négocia.t-11 pas ? Il avoit vu les jours