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' Le foin de l’éducation des Gracques fut la
feule affaire de Cornélie. Pour moi , voilà mes
tichejjes & mes omemens, dit-elle en montrant
fes\ enfans à une 'riche campaniénne qui venoit
de lui étaler fes diamans^& fes tréfors. Juvénal,
dans les vers fuivans, accufe-t-il formellement
Cornélie d’une hauteur infupportable, ou fe contente
t-il de 'dire que fx elle avoir ce défaut, il
ne pourroit l’aimer malgré toutes fes vertus, 8c
qu’il lui préféreroit la plus fxmple citoyenne de
jVenoufe ?
jM a lo V enu finam quhm te , C om e lia mater
Gracchorum J i cam magriis v irtu tib u s affers
G ra n d e fu p e rc ilium & numeras in dote triumphos.
Quoi qu’il en foit, elle fit inftruire parfaitement
fes enfans; elle étoit elle - même très-
infiruite. Cicéron & Quintilien citent fes lettres
avec éloge. Le fécond Scipion l’Africain avoit
époufé fa fille, 8 c elle difoit fouvent à fes fils,
pour les exciter à fortir de l’obfcurité : L e s R o m a in s
n e m ’ a p p e lle n t encore qu e la belle-mère de S c ip io n &
n o n p a s l a mère des G ra c q u e s ; elle eut fatisfaétion,
elle fut l a mère de s G r a c q u e s , mais elle contribua
peut-être à leur perte. Scipion Emilien leur beau-
frère étoit dans le parti du fénat 8c des praticiens,
les Gracques fe jetèrent dans le parti
populaire, leurs tribunats ne furent que trop
célèbres. Tibérius G r a c c h u s étoit plus âgé de
neuf ans que Caïus (on frère ; de -là un intervalle
affez considérable dans l’hiftoire entre l’un &
l’autre. Le tribunat de Tibérius efl: de l’an de
Rome 619. Tibérius fit paffer la loi agraire ou
la loi du partage des terres, loi qui dépouilloit
les riches & les nobles en faveur du peuple,
mais qui étoit fujète aux pfus grands inconvé-
niens & ne pouvoit guère que produire des
troubles. Lælius qui , étant tribun , avoit eu la
même idée, l’avoit abandonnée comme entraînant
de trop fâcheufes fuites, & cette modération
lui avoit mérité le titre de fage. On peut
Voir ce que Cicéron a écrit fur cette loi orageufe.
O&avius, collègue de Tibérius dans le tribunat, & fon ami particulier, crut devoir s’oppofer à
cette loi & défendre les nobles ; Tibérius ayant
fait tout ce qu’il put pour le gagner, s’emporta
jufqu’à propofer au peuple de choifir entre fon
collègue 8 c lui, & de deftituer l’un ou l’autre:
le peuple alloit prononcer, 8c fon choix n’étoit
pas douteux ; Tibérius en ce moment fit un
dernier effort auprès d’Oâavius ; il fit parler
l ’amitié pour la dernière fois ; avec tant d’éloquence,
qu’Oélavius attendri verfa quelques larmes;
mais ayant jeté un regard fur les nobles,
dont il étoit environné & qui n’efpéroient qu’en
lu i , il perfifta dans fon oppofition, & dit à
Tibérius quM pouvoit faire ordonner par le
peuple tout ce qu’il voudroit, O&avius fut dépofé
maltraité par le peuple ; il eut peine à fe
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fauver, 5c un efclave fidèle, qui fe tint toujours
devant lui pour le garantir & détourner les coups.,
eut les deux yeux crevés. Tibérius, pénétré de
douleur en apprenant ces violences, courut
mais trop tard, pour contenir le peuple.
Cependant , il s’élevoit contre lui de violens
orages de la part du fénat 8c des nobles; Tibérius
craignit ou feignit de craindre pour fa vie; il
prit un habit de deuil, 8c menant fes enfans dans
la place publique, il les mit avec leur, mère fous
la protection du peuple pour les intérêts duquel
il fentoit qu’il alloit infailliblement périr. En même
temps il fit ordonner que les biens du riche
A ttale , dernier roi de- Pergame, feroient distribués
aux pauvres citoyens, Attali ïgnotus heere's
Cependant il travailloit à fe faire continuer dans
le tribunat, à fe faire donner fon frère Caïus
pour collègue, à porter au confulat Appius,
fon beau-père, à élever de plus en plus l’autorité
du peuple, fur les ruines de celle du fénat.
Le jour marqué pour l’éleétion des nouveaux
tribuns, il fe rendit au Capitole, le peuple 8c
le fénat étoient prefque en préfence 8c prêts
d’en venir aux mains. Tibérius, fur un avis
qu’il reçut que les fénateurs a voient fait armer
leurs efclaves, voulut demander du fecours au
peuple ; mais ne pouvant fe faire entendre à caufe
du bruit qui fe faifoit, il porta fa main à fa tête
pour avertir quelle étoit en danger. Ses ennemis
à leur tour trouvent ou feignent de trouver
du crime dans ce gefte peut-être innocent, ils
s’écrient que Gracchus demandoit ouvertement
la couronne, accufation qu’ils avoient même
déjà préparée d’avance. Scipion Nafica, qui étoit
à la tête des ennemis de Tibérius , fomma le
conful Scévola de fecourirla patrie 8c de faire périr
le tyran. Scévola répondit qu’il ne feroit jamais
périr un citoyen fans qu’il eût été jugé, mais
qu’il n’auroit aucun égard aux délibérations illégales
que le peuple pourroit prendre à la per-
fuafîon ‘de Tibérius ; alors Nafica s’écrie : le conjul
expo fe la république , fiiveç- moi, vous tous qui vous
intérejfes' à fa confervation. Prefque tout le fénat
le fuit, on marche au Capitole, on attaque Tibérius
, il eft afTommé avec plus de trois cents de
fes amis, à coups de bâtons 8c de pierres, ce fut
la première fois que le fang des citoyens fut
répandu à Rome par des citoyens dans une émotion
populaire. Ce fut le fignal dès horreurs 8c
des profcriptions fi fréquentes depuis. On établit
une commillion pour juger ceux qu’on regarda
comme les complices de Tibérius. Un de fes plus
ardens amis, Blofius ue fe défendoit qu’en difant
qu’il avoit cru ne devoir rien refufer à un tel
ami. Et s’il vous eût ordonné de mettre le feu
au Capitole, lui dit Lælius qui l’interrogeoit ?
— Il ne ms l’auroit pas ordonné. — Mais enfin
s’il l’avoit ordonné ? — J’aurois obéi. Tibérius
Graeçhus n’a voit que trçnt-e .ans lorfqu’il périt'
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fi miférablement. On jeta fon corps dans le
Tibre.
Cependant on fut obligé de donner quelque
fatisfaftion au peuple, Scipion Nafica ne pouvant
plus paroître en public fans être infulté ,
fut envoyé en Afie fous prétexte de quelque
commiffion. Cicéron le loué par-tout comme le
libérateur dé la patrie, d’autres ne voient en lui
que l’affafiin d’un homme vertueux 8c populaire.
Caïus cultiva long-temps dans la retraite 8c
dans le filence , les talens qu’il vouloit faire fervir
un jour à la vengeance de fon frère. Il difoit.
dans la fuite que Tibérius lui avoit apparu en
fonge , 8c lui avoit dit: Caïus, tu as beau- fu ir ,
les de fins te préparent un fort femblable au mien.
Son fort fut en effet femblable, 8c fa réputation
également équivoque. Il fut comme lui éloquent,
entreprenant 5c d’une popularité fufpe&e. Son
beau-frère, lefecond Scipion l’Africain, fils, comme
on fait, de Paul Emile , 8c adopté par le fils
du premier Scipion l’A fricain, avoit époufé, comme
nous l’avons dit, une foeur des Gracques; mais
il étoit du parti contraire : lorfqu’il avoit appris
la mort violente de Tibérius Gracchus, il avoit
cité à ce- fujet un vers d’Homère, dont le fens
général eft rendu par ce vers de Racine :
Fuiflè périr comme eux , quiconque leur reflemble !
R montroit en toute occafion 8c en préfence
du peuple, qu’il déteftoit la mémoire de Tibérius:
Caïus irrité, déclamant un jour contre lui
dans l’affemblée du peuple , dit qu’il falloir fe
défaire de ce tyran. Ce grand homme fut trouvé
mort dans fon lit, portant au cou, dit Patercu-
lu s , des marques d’une mort violente : ita ut qua-
dam elifarum faucium in cervice reperirentur nota.
On ne fit aucune information à ce fujet, dans
la crainte, dit Plutarque, que Caïus ne fe trouvât
coupable. Cette mort, en effet, paroîtavoir
çté l’ouvrage de la fa&ion des Gracques ; on
crut que Sempronia, leur foeur , de concert
même avec Cornélie leur mère, avoit introduit,
la nuit, dans la chambre de fon mari les affaf-
fins qui l’étranglèrent. Caïus étant parvenu au
tribunat pour l’année 629, renouvella la loi
agraire 8c tous les établiffemens populaires de
Tibérius; 8c ne s’oubliant pas plus que Tibérius
ne s’étoit oublié, il fe fit continuer le tribunat
pour l’année 630 , 8c il cabaloit pour fe le faire
continuer encore pour l’année 631; mais il s’éleva
contre lui de fi violens orages , que fa tête
fut mife à prix. Retiré dans un bois confacré aux
furies & voyant fes ennemis prêts d’y^ entrer
pour l’en arracher, il fe fit tuer par un de fes
efclaves , .qui fe tua lui-même fur le champ. Sa
tête fut portée au conful Opimius, fbn ennemi,
qui eut la lâche barbarie d’y infulter en ôtant
toute la cervelle 8c mettant du plomb fondu à
la place. Son corps fut jeté dans le Tibre comme
Hijloire, Tome II, Seconde part.
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celui de fon frère. Opimius eut entore l’indignité
de bâtir, en mémoire de cet événement,
un temple à la Concorde. Quelqu’un y grava
fecrètement, pendant la nuit, un vers dont le
fens eff : Ce temple de la Concorde ejt l ouvrage de
la plus lâche fureur.
Cornélie s’étoit retirée à Misène, où elle vécut
long-temps, parlant fans ceffe de fes fils 8c ne
les pleurant jamais. Tout ce qu’il y avoit de dif-
tingué à Rome, alloit la voir 8c l’entendre parler
du premier Scipion fon père, & des Gracques
fes fils : elle étoit devenue un monument vivant
de ces grands événemens 8c de ces grands hommes.
Elle aimoit fur-tout à raconter tout ce que
Tibérius 8c Caïus avoient fait 8c fouffert, difoit-
elle, pour la patrie. Le peuple, toujours attaché
à la mémoire de ces deux illuftres tribuns, fit ériger
à Cornélie une ftatue de bronze avec cette
infeription, fi fimple 8c fi honorable à la fois 8c
pour la mère 8c pour les enfans : Cornélie, mère
des Gracques.
L’opinion qui eff reflée fur les Gracques, eft
que c’étoiem de grands hommes, mais des fédi-
tieux :
Quis tulerit Gracclios de feditione querentes ?
dit Juvénal. Cicéron en parle de même. Veiîeius
Paterculus, à la vérité, fait un beau portrait de
Tibérius Gracchus : Vir alioqui vitâ innocentijjimus,
ingenio florentifjïmus , propofito fanftijfimus, tantïs
denique adornatus virtutibus, quantas perfeelâ 6»
naturâ & induflriâ mortalis conditio recipit ; mais
il blâme par - tout fa conduite 8c celle de fon
frère dans leurs tribunats8c exalte celle de Scipion
Nafica. Les Gracques ont cependant trouvé
des apologiftes, fur-tout parmi les modsrnes.
M. Marmontel, dans fa préface de la tradu&ion
de Lucain, n’impute qu’à la tyrannie du lénat
le$ défordres qui produifirent la guerre civile , 8c
qui perdirent Rome : il fuit la conduite de ce
corps dans les différentes époques de la république
; il foutient que fon efprit fut toujours de
tromper 8c d’affervir le peuple ; il fait voir comment
l’autorité du peuple 8c la puiffance tribu-
nitienne naquirent des injuflices 8c des violences
du fénat ; il regarde la mort violente des Gracques
comme le fignal 8c le principe de ces divifions,
de ces profcriptions, de ces maffacres, qui, après
avoir long-temps déjfolé la république au nom
de divers tyrans, finirent par entraîner le fénat
8c le peuple dans une fervitude commune.
GRACE PRINCIPALE , ( Hjfl. mod. ) titre
qu’on donnoit autrefois à l’évêque de L iège,
qui eft prince de l’empire. La reine Marguerite ,
dans fes mémoires, raconte qu’on le traitoit ainfi:
mais depuis il a pris celui à’altejfe. 11 n’y a point
aujourd’hui de baron dans la haute Allemagne,
5c fur-tout en Autriche, qui ne fe fa ffe donner