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races, & digne de tous les anathèmes. Charles
difljmuloit Ces outrages , fans fonger qu’il n’y
en avoit aucun qui ne rejaillit fur fon trône.
Hincmar, ce fameux archevêque de Reims, fut le
feul qui s’y montra fenfible ; il écrivit à Adrien ,
& lui retraça les devoirs, il leva l’excommunication
qu’Hincmar, fon neveu, évêque de Laon
avoit fulminée contre Charles, à la follicitation
du fougueux pontife. Adrien, croyant fon autorité
bleffée, écrivit de nouvelles lettres au roi, &
toujours dans le fty le le plus amer, lui ordonnant
parla puiffànce apoftolique d’envoyer à Rome les
évêques de Reims & de Laon, afin qu’il examinât
leur conduite. C ’étoit une entreprife nouvelle
& contraire aux libertés de l’églife gallicane, qui
jamais n’avoit fouffert que les caufes commencées
dans le. royaume en paffaffent les limites. Charles
fuivant alors les confeils d’Hincrhar, défendit
à Adrien d’ufer d’avantage de ce f ly le , &
lui fit confidérer que les rois de France, fouve-
rainsdans leurs états,ne s’aviliffoient jamais jufqu’à
fe regarder comme les lieutenans des papes. Heureux
, s’il eût toujours confervé cette noble fermeté
! Charles changea prefqu’auffi-tôt de langage
&. il fut aflèz mauvais politique pour fouffrir que
le pape nommât un vicaire-général en France.
La fanté délicate de l’empereur Louis I I , fon neveu
, étoit le véritable motif de fes complaifances
pour le faint fiège. Jaloux de pofféder feul le
royaume d’Italie avec le titre d’empereur, il fon-
geoit à fe faire des partifans contre Louis le Germanique,
fon concurrent. Louis II mourut pendant
la négociation fecrette du monarque françôis
avec les pontifes romains : je dis les pontifes,
parce que Jean VIII avoit fuccédé à Adrien;
Charles pafle auffi-tôt en Italie. Arrêté par Car-
loman , fon neveu , qui lui oppofe une armée ,■
il a recours à la négociation , & fait fes efforts
pour, corrompre le jeune prince. Il lui offre de
riches préfens, s’il veut trahir la caufe de fon
père. Carloman indigné de la propofition de fon
oncle ? le fbmme de renoncer au fceptre qu’il
réclame,, ou de s’en montrer digne. Charles, humilié
par fon neveu , qu’il ne fait ni vaincre ni
corrompre, met:fa gloire à le tromper; il;le
conjure de ne pas céder au feu de fon courage,
& de confentir au partage de la fucceffion qui
les divifoit. Carloman devoit fans doute fe défier
d’un prince affez lâche, pour avoir voulu
l’engager à trahir les intérêts de fon père. Il cqn*
fentit à une fufpenfion d’armes, à condition qu’ils
fortiroient l’un & l’autre d’Italie. Charles, prodigue
de fermens, jure par tout ce qu’il y a de,
plus facré, de rentrer dans fes états ; mais dès
qu’il, apprend que Carloman eft. fur les terres
d’Allemagne, il vole à Rome, où il demande!
avec baffeffe une couronne que Charlemagne
avoit long-temps dédaignée. Le politique Jean VIII
ne manqua pas de traiter en fujet un prince qu’une
ambition inconféquente mettoit à les pieds. Le
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pontife, pendant les cérémonies de cette inauguration,
eut foin d’élever la tiare au-deffus du
diadème, » Nous l’avons jugé digne du fceptre,
« dit-il, nous l’avons élevé à la dignité impé-
» riale,& nous l’avons décoré du titré d’Augufte ».
Au titre d’empereur , Jean VIII en ajouta un nouveau
qu’aucun des prédéceffeurs de Charles n’avoit
brigué, il le fit fon confeiller fecret. Telle eft la véritable
origine de l’autorité que les fucceffeurS de
Jean VIII fe font arrogée fur le temporel des
empereurs & des rois. Le Chauve avoit prodigué
tant d’o r , il s’étoit plié avec tant de foupleffe,
que le pape fembla moins faire les cérémonies
d’un facre que confommer une vente. Charles,
après avoir reçu la couronne impériale, fë rendit
à Pavie pour y recevoir celle des Lombards qui
le traitèrent à-peu-près comme avoit fait le pontife
romain. Les François furent fidèles, à fuivre
ces exemples ; ils n’eurent aucun égard à l’hérédité
, & avant de lui rendre hommage comme à
leur empereur, ils examinèrent s’il en étcit digne ,
& délibérèrent comme s’il eût été queftion d’une
éleéfion nouvelle. « Nous qui fournies affem-
» blés, c’eft ainfi que s’expliquent les états de la
France , de la Bourgogne , de la Septimanie ,
» de la Neuftrie & de la Provence , l’élifons & le
» confirmons d’un commun confentement ». L’empereur
parut fi jaloux de fa nouvelle dignité
qu’elle ne fervit qu’à le rendre ridicule & à le
faire méprifer des François : ils penfoient, avec
raifou , qu’il n’y avoit aucune couroqpe fur la
terre qui fût préférable à celle qu’avoient portée
leurs fouverains. Trop fiers pour ufer de diflimu-
lation, ils lui donnèrent en public les marques
du plus offenfant mépris, & s’oublièrent jufqu’au
point de lui refufer le falut un jour qu’il parut
dans l’affemblée paré de tous les ornemens qu’avoient
portés les empereurs grecs & romains. Il
s’étoit fait accompagner de Richilde , fa femme ,
ce que les auteurs contemporains ont traité de
folie. Apparemment que les femmes des rois,
quoique qualifiées du titre de reine , n’avoient
point d’entrée dans les afiemblées publiques. Cependant
le roi de Germanie, doublement fâché
d’être exclus de la . fucceffion de fon neveu , &
de voir fon frère fe parer d’un titre qu’il avoit
acheté par tant de baffeffes-, lorfqu’il pouvoit le
partager fans honte avec lui, jura de le priver du
fruit de fes ufurpations. Les préparatifs de guerre
glacèrent d’effroi le monarque françôis. Ayant
paffé le Rhin & la Meufe , fon armée porta le
ravage en deçà de ces fleuves ; mais la mort qui
le furprit à A ttign y , raflùra Charles, dont la cupidité
n’étoit pas encore fatisfaite. Ce prince, qui
ne fa voit ni gouverner, ni vaincre , étoit fans
ceffe en mouvement pour ufurper de nouveaux
états. On ne l’eut pas plutôt informé de la mort
de fon frère, qu’il raffembla fes troupes de toutes
parts , réfolu de dépouiller fes neveux. Telles
étoient les funérailles dont il prétendoit honorer
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la mémoire de fon frère. Louis I I , fils dti roi j
de Germanie, voyant l’orage prêt à fondre lur
fes états, invoque en vain la , loi des trai.tes, la |
voix du fang & de la religion. L’infatiable mo- 1
narque, fans frein dans fes defirs , perfifta dans |
le deffein de le dépouiller; mais comme ils ne
vouloit rien donner au hazard , il feignit de côn-
.fentir à la paix avec le jeune prince, tandis qu il
s’avança par des chemins détournes & couverts
à deffein de le furprendre & de l’égorger , ou au
moins de lui crever les yeux. Il auroit exécuté
cet affreux projet , fans la jufte horreur de 1 e-
vêque de Cologne pour ce crime. Ce digne &
vertueux prélat, craignant de paffer pour le complice
de fon maître, fit dire à Louis de fe defier
des embûches de fon oncle barbare» Le^ combat
s’engagea près de Meyen, 8c ce fut près de ce
bourg, que la viâoire couronna le drpit, 8c que
Ja valeur l’emporta fur le nombre. Larmee de
Charles ; fut vaincue , mife en fuite , fon camp
pris & pillé, tout, jufqu’à fes équipages, fut la
proie du vainqueur. Leroi honteux de fa défaite,
alla fe cacher dans le monaflère de Saint-Lambert
fur la Meufe, où la peur ne lui permit pas
de faire un long féjour ; il s’enfuit à; Samoucy,
près de Laon, enfuite à Quierfifur lOife. Tous
fes peuples éclatoient en murmures contre la foi-
bleue de fon gouvernement. La France & l’Italie
étoient dans l’état le plus déplorable : les Normands
avoient -faccagé Rouen ; & les Sarrafins
qui étoient maîtres du midi de l’Italie, faifoient
des courfes jufques aux portes de Rome. Le pape
ne ceffoit d’écrire les lettres les plus preffantes
pour l’engager à fe faire voir aux ennemis, du nom
chrétien ; mais ce fut inutilement qu’il en âtten-
doit des fecours. Charlesisà la vérité , paffa les
Alpes; il s’avança même jufqu’à Pavie, où Jean YIII'
le vint trouver. Le pontife efpérant amener le
monarque à fon but, en flattant fa vanité, le fé-
licitoit fur la gloire dont il alloit fe couvrir en
chaffant les infidèles , lorfqu’un bruit fe répand
que Carloman fe prépare à entrer .en Lombardie,
à la tête d’une armée. Cette nouvelle les glace
d’effroi l’un & l’autre; le pape s’enfuit auffi-tôt
yers Rome, & le monarque reprend ; le chemin
de fes états. Charles ne furvécut point à la honte
de cette expédition : le chagrin , les inquiétudes
lui caufèrent une fievre violente dont il mourut
au vilja^e de Brios ,,dans ijùe'ini'férable chaumière.
Sédécias, médeçin J u ii,e n qui il avoit
beaucoup de confiance , effaya en vain de le guérir
par le moyen d’un fébrifuge. La maladie du
prince étoit moins dans un fang altéré, que dans-
une imagination bleffée ; on l’accufa d’avoir ufé
de perfidie , & d’ayoir employé le poifon au, lieu
de remède : c’eft une calomnie fuggérée par la
haine que l’on portoit à la nation juive, & la
jaloufie occafionnée par la faveur, dont Je monarque
honoroit Sédécias. Charles-le-Chauve fut
inhumé à Nantua, monaflère du diocèfe de Lyon
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dans la Brêffe. On avoit embaumé fon corps à
deffein de le tranfporter à S. Denis, mais l’odeur
infe&e de fon cadavre ne le permit pas : fes os
n’y furent transférés que quelques années après. On
ne fait à quel temps rapporter le magnifique tombeau
de ce prince, qu’on voit au milieu du choeur
de cette riche bafilique. Charles étoit dans la
deuxième année de Ion empire, la trente-huitième
de fon règne, la cinquante-cinquième de
fon âge. La monarchie françoife qu’il avoit ébranlée
, ne put fe relever fous fes fucceffeurs. Déchirée
par les nobles & par le clergé, qui avoient
profité de la foibleffe du prince pour s’arroger les
privilèges du trône , elle alla toujours en décadence.
On reproche fur-tout à Charles^le-Chauve
d’avoir établi une efpèce d’hérédité par rapport
aux grandes charges de l’état. Les François obtinrent
le privilège dedifpofer, après fa mort, des
grands fiefs en faveur de leurs enfans, ou de
quelqu’un de leurs proches, s’il leur prenoit envie
de fe retirer du monde ; conceffion imprudente
qui ôtoit à fes fucceffeurs le moyen le plus sûr
de contenir leurs vaffaux. On peut la regarder,
dit un moderne, comme l’époque de ces Seigneuries
qui, en partageant la fouveraine autorité,
l’ont prefque anéantie. Il a fallu bien des fiècles,
ajoute-t-il, pour remettre les chofes dans l’état où
elles font aujoürd’hui. Les feigneurs ne poffèdent
plus dé leurs anciennes ufurpations .qu’un vain
hommage : ils. ont cependant encore un droit
fort précieux, celui d’avoir des Juges dans leur
mouvance. Charles eut deux femmes , Ermentrude
& Richilde; de la première naquirent Louis,
furnommé le &egue, qui régna en France ; Charles
, qui mourut roi d’Aquitaine ; Carloman qu’il
fit aveugler po>ur hû avoir fait la guerre ; Lo-
thaire; Drogon & Pépin,'qui moururent jeunes;
Judith, qui fut enlevée par Baudouin , cette prin-
ceffe avoit été fucceffivement femme de deux
rois d’Angleterre ; Rotilde & Ermentrude, qui
furent toutes deux abbeffes, l’une de Chelles &
de Notre-Dame' de Soiffons, l’autre d’Afnon fur
la Scarpe. . Richilde donna naiffance à Louis & à
jGhaïles , qui tous deux moururent prefque auffi-
tôt après leur baptême;
Cè, prince eut peu de vices, beaucoup de défauts;
une. ambition déméfurée ; & pas un des
talens qui pouvoient la fatisfaire. Les favans &
fur-toüt les moines qu’il fut récompenfer avec
magnificerice, Ont fait d’inutiles efforts pour épargner
à fa mémoire les taches qui la déshonorent;
c’eft en vain qu’ils l’ont élevé au-deffus des Tite
& des Antonin. L’hiftoire, afyle inviolable de la
vérité, en retraçant les allions du prince , a dévoilé
la baffeffe des adulateurs , & diflipé l’encens
qu’ils lui ont prodigué. Au refte on peut juger
de l’efprit de fon fiècle par une circonftance de
fon règne. Les François qui tenoient le parti de Lo-
thaire ayant difputé à Charles le paffage de, la Seine,
il prit une croix , 8é fans coup férir il paffa