
les courtifans les regardoient comme autant de
préfages de la grandeur du prince, & les gens
iènfés, comme un préfage infaillible des malheurs
du monde. Charles XI difoit lui-même qu’il feroit
lin jour effacé par cet enfant. Malheureux prince
qui ignoroit fon propre mérite, faifpit le bien fans
goûter le plaifir de le faire, & regrettait de n’a-
.yoir pas répandu affez de fang !
La fougue du caraélère de Charles X I I alarmoit
la reine fa mère : cette princeffe fenfible & com-
patiffante avoit facrifié fes biens & fes bijoux
pour foulager les familles ruinées par la liquidation
des dettes de l’état ( Voyeç l’article précéd
en t) , & mourut de chagrin, de ce que Charles
X I s’oppofoit à fes foins généreux & patriotiques.
Avant de fermer les yeu x, elle fit venir le jeune
CharlesXII: a Mon fils, lui dit-elle, aimez la paix,
w aimez les hommes ; fi vous faites leur bonheur,
» puiffiez-vous être heureux vous-même 1»"
La majorité des rois de Suède étoit'fixée à dix-
liuitans; mais la nation idolâtre du jeune Charles,
féduite par fes talens précoces, le déclara majeur
à quinze ans & cinq mois, dans une affemblée des
états, tenue à Stockholm lê 27 novembre 1697.
Son père lui aveit laiffé un royaume tranquille
& floriffant, des fujets fournis & dociles, un fénat
abattu par plufieurs coups d’état, des tréfors accumulés
aux dépens du peuple , qui n’ofoit plus
les réclamer, des miniftres habiles, des troupes
&ien difciplinées, & ce qui étoit plus précieux que
août le refie, l ’efiime de l’Europe entière, qu’il
avoit pacifiée. Toute innovation-devenoit dan-
gereufe, parce qu’une fituation plus douce pa-
Toifioit impoflible : diaprés le fyflême politique de
Charles X I , l’état pouvoît fe gouverner de lui-,
même; il fuffifoit à fon fuccefTeur d’y veiller des
y e u x ; mais il ne pouvoit y porter la main fans
rifqwe d’ébranler la machine. Au refie, Charles X I I
tlefiroit peu d’acquérir, par une révolution dans fon
royaume, une gloire qui ne fe feroit pas étendue
au-delà de fes frontières ; il vouloir remplir l’Europe
«le fon nom , en être la terreur & l’arbitre. Les
différends du roi de Danemarck & .du duc de
Holflein-Gottorp, que toute la prudence des plénipotentiaires,
de Rifwick n’avoit pu étouffer, lui
ouvrirent bientôt la carrière dans laquelle il brû-
loit d’entrer. La guerre-étoit déclarée entre ces
deux princes t Charles oublia bientôt que le duc
»’avoit fervi Charles X I que de fes voeux ; il fe
jfouvint feulement qu’il étoit fon beau-frère,. &
léfolut de le fervïr de fes armest
Chrrftiern V étoit mort; Frédéric I V , fon fils ,
lui avoit fuccédé ; il avoir hérité dès projets de
fort- père & de fa haine contre le duc : celui-ci :
vint à Stockholm, où il concerta avec le jeune
Charte s le plan de la campagne;, le roi jura de
ase jamais l ’abandonner, & le duc prit pour le
penchant de l’amitié ce qui n’étoit dans Charles
c^aTüne palion excefiive>pour la gloire. Plufieurs i
ckEEurope sTdtoieiit fais garantes dn traité i
tî’Àltena, que les Danois avoient violé; elles oeerrs^
çoient de fe réunir pour en venger l’infraéfion; mais
le duc avoit affez de Charles X I I & de lui-même
pour défendre fes droits contre Frédéric ; celui ci
fut engager dans fes intérêts, & Frédéric Augufie ,
roi de Pologne, qui prit les armes au premier
fignal, & Pierre Alexiovitz, czar de Mofcovie,
qui temporifa pendant q u e lle s mois: mais enfin
il fe déclara contre un enfant qu’il méprifoit, & qui
fut fon maître dans l’art de la guerre : Charles ne
pardonna jamais à ces deux princes de s’être ligués
contre lui ; il conçut contre eux un reffentiment
qui ne fit que s’accroître, & qui embrâfa tout le
nord de l’Europe. Leur deffein étoit de s’emparer de
la Livonie, qu’ils avoient poffédée autrefois, & dont
i le traité d’Oliva affuroit la poffeffion à la Suède r
Frédéric-Augufie inveftit Riga, capitale de cette
contrée; tandis qu’il étoit occupé à vaincre
tous les obftacles que le gouverneur oppofoit à
fon entreprife, le roi de Danemarck, fécondé par
l’éleâeur de Brandebourg, le duc de W olfembutel,
& le prince de Heffe-Caffel, comraençoit fes ex-
curfions dans les provinces autrefois eonteftées
entre le Danemarck & la Suède.
Charles fit bloquer leS meilleurs ports de Frédéric
IV : enfin impatient de fe montrer à- læ
tête d’une arm é e,.il monta fur une flotte qui
devoit aborder en Zélande. « Meilleurs, dit-il
à fes officiers avant de partir, » j’ai réfolu de
» n’entreprendre, aucune guerre injufte , & de
» n’en finir une légitime que" par la perte ' de
» mes ennemis ». 11 partit, & les regrets de 1$
nation le fuivirent; il la laiffoit fous le gouvernement
de ce fénat, fi long-temps le rival'de-
fes maîtres. Charles fèmbloit plus jaloux de régner
dans les états de fes ennemis que- dans les fierîs*
. On apperçut enfin les côtes de Zélande : à cette:
vue le roi parut tout rayonnant de joie; on s’ap-r
procha du rivage, il fauta dans une chaloupe ; la
defeente lut affez vi go ureufem erit difputee , on err
connoît toutes les circonfiances : la fermeté: de:
Tambaffadeur François, qui voulut refier auprès de
Charles malgré lui-même, l’impatience de ce prince „
qui fe précipita dans l’eau l’épée à la main fa
préfènee d’efprit en rangeant fon armée, fon im-
pétuofité dans l’attaque, & fur-tout ce bon mot
fi célèbre qui lui échappa en écoutant le fifflement
des balles, ce fera, là déformais ma mufique
Son deffein étoit de faire le liège de Copem-
hague ; mais défarmé par les fbumiflions des. députés
que cette ville lui envoya, il fe contenta;
d’une contribution de 4000 rifdales , fit payer tous;
les vivres qu’on lui apporta , établit dans fon camp»
une difeipline févère, rendit jufiiee à lès ennemis
contre fes fbldats mêmes, & fit defirer aux Danois
d’avoir un tel maître. Le roi de Danemarck,
battu dans le Holftein, tandis que Charles fou-
mettait la Zélande, fut contraint d’accepter les
conditions, qu’on lui offrit* La paix fe fit en-ppqr
d£ jours x comme la. guerre s’étoit faite* Charks.
‘XII- n’étoit pas moins expéditif dans les négociations
que dans les coups de main; cette aélivité
étoit l’effet de fon cara&ère fougueux ; il ne
defiroit le fuccès d’une entreprife que pour en
commencer une autre.
Le roi de Pologne afliégeoit Riga ; Charles fe
met en marche pour le forcer à la retraite; mais
il apprend que Narva vient d’être inveftie par
cent mille Mofcovites ; il y avoit plus d’ennemis
à combattre, plus d’obftacles à vaincre, plus de
gloire à acquérir que devant Riga; le roi tourna
de ce côté ; il écrivoit à fes maréchaux des logis :
« Je iri’en vais battre les Mofcovîtes , préparez
v un magafin à Laïs; quand j’aurai fecouru Narva,
», je pafferai par cette ville pour aller battre en-
» fuite les Saxons ». L’armée Suédoife n’étoit
compofée que de vingt mille hommes, mais Charles
X I I marchoit à leur tête. Czérémétof, général
Mofco vite , voulut s’oppofer aux progrès des
Suédois ; il fut battu, & la rapidité de fa fuite
accéléra la courfe des vainqueurs ; il les attendit
au défilé de Pyhajaggi, qui fembloit inacceffible.
La plupart des officiers Suédois doutaient du fuccès
de l’attaque; Charles feul n’en douta point, & le
paffage tut forcé; l’armée déboucha enfuite dans
la plaine de Narva, & vit le camp des Mofcovites,
de tous côtés défendu par des battions, hériffé de
paliffades & de chevaux de frife, formant autour
de la ville une double enceinte, prefqu’auffi fortifiée
que la ville même.
Charles, après avoir laiffé refpirer.fes troupes,
les rangea en bataille, tandis que l’artillerie ennemie
la foudroyoit : un officier paroiffoit effrayé
de la multitude des Mofcovites. « Cette multitude,
» répondit Charles, ne fera que les incommoder,
» parce qu’elle eft refferrée dans un efpace étroit ;
» & quant à- leur cavalerie, elle eft réduite à
» l’inaéfion par leur fituation même» : puis s’a-*
dreffant aux foldats : « Mes amis, leur dit-il,
» nous combattons pour line bonne caufe, le
» ciel combattra pour nous : .fi quelqu’un de vous
» doute de la viéloire, qu’il forte des rangs, &
» qu’il retourne en Suède, les chemins lui font
» ouverts ». Toute l’armée répondit à cette courte
harangue par des fermens de vaincre ou de mourir
fous fes drapeaux. On courut à l’ennemi, un
brouillard épais lui cachoit la marche des affaillans.
Tranquille dans fon camp, il ne foupçonnoit pas
que Charles X I I , avec fi peu de troupes, ofât
tenterla fortune des armes: tout-à-coup le brouillard
fediffipe, le foleil reparoît, & montre aux Mofcovites
les Suêîlois rangés en bataille à cinquante
pas de leurs foffés : l’artillerie joue & fait brèche
dans les retranchemens ; Charles X I I y pénètre
le premier, l’épée à la main; fon infanterie le fuit
avec ardeur, mais avec ordre: à mefure que les
troupes entrent, elles fe développent .an milieu
des er neufs , auffi promptement que dans une
plaine libre. Les -Mofcovites revenus de leur
pum'ère furprife* fe défendent per.dan? trois.
heures; enfin le défordre fe met dans leurs rangs ,
une partie court au pont de la Narva, qui fe rompt
& les engloutit avec lui; vingt mille des pins
réfolus fe retranchent derrière les charriots , on
les y force; ils mettent bas les armes, on leur
donne quartier ; Charles les renvoie défarmés,
parce que fon armée n’auroit pas fuffi pour les
garder : trente mille Mofcovites périrent dans
cette célèbre journée, dont la gloire ne coûta aux
Suédois que treize cents foldats. Charles eut en
fa puiffance le duc de C ro y , généraliffime de
l’armée ennemie, le prince de Georgia & fept
autres généraux, foixante & treize pièces d’artillerie,
cent cinquante & un drapeaux, vingf
étendards & tout le bagage. Prefqu’au même
inftant, Spens & Stéembock, détachés de l’armée
Suédoife, taillèrent en pièces, l’un fix mille,
l’autre, huit mille Mofcovites. Charles. avoit reçu
une légère bleffure, qu’il n’avoit pas fentie dan?
la mêlée; il avoit eu deux chevaux -bïeffés - fous
lui ; lorfqu’il en changeoit, « ces gens-là, difoït-
» il , me font faire mes exercices ».
Il paffa l’hiver de 1701 à Laïs, comme il l’a voit
promis;*& pour juftifier fa prédi&ion toute entière,
il alla fondre fur les Saxons; ils tenoient encore
Riga bloqué, & l’efpoir feul de voir Charles X I I
pâroîtte , foutenoit le courage des habitans : il
parut en effet, traverfa la Dwiha à la vue des
Saxons; mieux fortifiés que les Mofcovites, leur
camp occupoit une lieue d’étendue; Ckarles les
força dans cinq redoutes, fe rendit maître des
deux graads épaulemens, les pourfuivit jufqu’au
dernier retranchement ; ce fur-là que la vifîoire
fut décidée en faveur des Suédois ; elle fut fiiivie
de la difperfion des Saxons & de la prife de
Dunamunde. Charles, en traverfant la Dwiha y
difoit gaiement r « Cette rivière n’eft pas plus
» méchante que la mer de Copenhague, nous
» battrons, nos ennemis ». Au milieu des fuccès
qui fuivirent eette aélion , le roi triomphant fe
-rappelloit avec dépit qu’au paffage de la rivière*
trois officiers avoient fauté à terre avant lui ;
c’étoit mal faire fa cour; on ne pouvoit mieux
flatter Charles X I I , que de lui laiffer l’honneur
du plus grand péril. Mittau , capitale de la Cour-
lande, fe fournit, & Charles nourrit long-temps
fon armée avec les vivres des Saxons, qu’il
trouva dans cette place. Kokenhaufem , que les ennemis
avoient fait fauter, ne lui offrit qu’une proie
déjà dévorée par les -flammes. Baufch ouvrit fes
portes, & vingt mille Mofcovites cantonnés vers
Birfen , au feul bruit de l’arrivée de Charles, firent
une retraite précipitée ; vingt mille autres furent
battus à Sagnitz par huit mille Suédois, fur lefquels
commandoit le colonel ScKppenbach ; tout le duché
de Courlande fut conquis ; dix mille Ruffes furent
écrafés par cinq mille Suédois enfin l’armée
vi&prieufe parut fur les frontières de la Pologne»
La république avoit toujours différé de fe déclarer
«a fayeur de fojp: roi ; elle ne youloit point