
^ 6 6 E Q U
deffus, étoîent l’un & l’autre d’un rang diftingué,
& n'étoîent pas gens à s’affeoir par terre, confondus
avec les moindres foldats : d’ailleurs, ils eu lient
été mieux alTis dans leurs chars; c’étoir, pendant
ce combat, la fituation la plus avantageuse pour
mieux remarquer ce qui s’ÿ palToit. Les gens de
cheval, au contraire, en defcendent fort fouvent
pour fe déîaffer, eux & leurs chevaux.
'Dans le combat d’Ajax contre He&or, {Iliade,
liv. V I L ) on trouve encore une preuve de Y équitation.
Le héros troyen dit a fon adverfaire : je
fais manier la lance 3‘ & , [oit à pied ; foit à cheval,
je fais pouffer mon ennemi.
Ne femble-t-il pas, dans plu fleurs combats généraux
, que l’on vove manoeuvrer de véritables
troupes de cavalerie ?
« Chacun fe préparé au combat ( Iliade , liv,XL)
y> & ordonne à fon écuyer de tenir fon char tout
» prêt, & de le ranger fur le bord du fofïé : toute
jj l’armée fort des retranchement en bon ordre :
» l’infanterie fe met en batai le aux premiers rafcgs,
» & elle eft foutenue par la cavalerie , qui déploie
fes ailes derrière les bataillons Les
sj Troyens de leur côté étendent leurs bataillons
jj & leurs efcadrons fur la colline. »
Ici le mot chacun ne doit s’appliquer qu’aux
chefs : pour peu qu’on life Homère avec attention,
on verra qu’il n’y avoit jamais que les principaux
capitaines qui fufient dans des chars. Le nombre de
ces chars ne devoit pas être bien confidérable,
puifqu’ils peuvent être rangés fur le bord du fofle.
Quantià l’infanterie & la cavalerie > la difpôfition
en eft fimple, & ne pourroirpas être autrement
xendue aujourd’hui qu’il n’y a plus de chars dans
les armées.
Si les Troyens n’eufîent eu que des efcadrons
dé chars, ce n’eftpss fur une colline qu’ils les enflent
placés ; & l’on doit entendre par efcadrons. ce que
les Grecs ont toujours entendu , & ce que nous
comprenons fous cette dénomination.
La defcription du combat ne prouve pas moins
que l’ordre de bataille, qu’il y avoit & des chars
& des cavaliers r« Hippolochusfe jette à bas- de
» fon char, & Agamemnon-j du tranchant de fon
n épée, lui abat la tête , qui va roulant au milieu
» de fo-n efcadron. n On lit dans le même endroit
que l’écuyer d’Agaftrophus tenoit fon char à la
queue de fon efcadron.
Neftor renverfe un Troyen de fon char, & fautant
légèrement deffus, il enfonce fes efcadrons. {liv. XI.)
Ne peut-on pas induire de-là, avec raifon, que
les chefs étoient fur des chars à la tête de leurs
efcadrons ?, Cela n’eft il pas plus vraifemblable que
des efcadrons de chars ?
« L’infanterie enfonce les bataillons troyens, &
v la cavalerie prefïe fi vivement les efcadrons qui
jj iui font oppofés, qu’elle les renverfe : les deux
v armées font enfevdies dans des- tourbillons de
E Q U
» pouffière, qui s’élèvent de deflbus les pieds de
» tant de milliers d’hommes 8c de chevaux. »
M Fréret lui-même auroit il mieux décrit une-
bataille , s’il eût voulu faire entendre qu’il y avoit
de la cavalerie diftingtiée des chars, ou des chars
à la tête des efcadrons de gens de cheval ?
Il eft dit ,.dans une autre bataille, que « Neftor
» plaçoit .à la tête fes efcadrons, avec leurs chars
e 8c leurs chevaux,... Derrière eux , ,îl rângeoit
» fa nombieufe infanterie pour les foutenir'. Les
» ordres qu’il donnoit à fa cavalerie, étoient de-
jj retenir leurs chevaux , & de marcher en bon
» ordre, fans mêler ni confondre leurs rangs»
jj ( Iliad. liv. IV. ) n
Si Homère n’eût voulu parler que de chars, auroit
il ajouté au mot efcadron ; avec leurs chars &
leurs chevaux ?
Que peut-on'entendre par mêler & confondre des
rangs? Pouvoit-il y avoir plufieurs rangs de durs ?
A quoi eût été bon un fécond rang ? le premier victorieux
, le fècoqjd ne pouvoir rjen de plus ; le
premier rang vaincu , le fécond l’étoit conféquem-
ment, & fans yçfîburce; car comment faire faire
à des chars mis en rang, des demi-tours à droite
pour la retraite B
Il paroît fuffifamment prouvé par les remarques
que nous venons dé faire fur quelques endroits, dit
texte d’Homère , que l’art de monter les chevaux
a été connu dans la Gfêce avant le fiêge de T ro y e ,
& qu’il y avoit même dans les armées des Grecs-
& des Troy ens, des .troupes de cavalerie, proprement
dite. Si ce poète n’a point décrit particuliérement
de combats de cavalerie, on ne voit pas-
non pins qu’il foit entré dan s un plus grandi détail par
rapport aux combats d’infanterie. Son véritable
objet, en décrivant des ba-tai-lKs, étoit de chanter
les exploits des héros & des plus illuftres guerriers
des deux partis : ces héros comfcattoient prefque-
tous fur des chars, & l’on oferoit prefque aflurer
qu’il n’app-artenoit qu’à eux d’y combattre. Leur
valeur & leur fermeté y paroiftbient avec d’autant
plus d’éciat , que leur attention n’étoit point
divifée par le foin de conduire les chevaux. Voilà
pourquoi les deferiptions des combats de chars font
û fréquentes, fi longues, fi détaillées. C ’étoitpar
ces combats que les grandes affaires s-’entàmoient
pareeque les chefs, montésfur des chars, marchoient
toujours à la tête des troupes. Homère n’en omet
aucune circonftance, 8c pèfe fur tous les détails,,
parce qu’il a fu déjà nous intéreffer vivement air
fort des guerriers qu’il fait combattre. Son grand
objet fe trouvant rempli par-là, dès que les'troupes;
fe mêlent, 8c que l’affaire devient générale, il
paffe rapidement fur le refte du com b a t8 c pour
ne point fatiguer le leâeu r, il fe hâte de lui en
apprendre liffue,'fans defeendre à cet égard dans-
aucune particularité. Telle eft la méthode d’Homère
, quand il décrit des combats ou des bataililes*
E Q U
Témoignages des écrivains poflérieurs- a Homère.
M. Fréret, q'di s’étoir fait un principe confiant de
foutenir que les Grecs 8c les Troyens, au temps de
la guerre de T ro y e , ne connoiffoient que l’ufage
des chars, 8c qu’on ne pouvoit prouver par les
poèmes d’Homère que l’art de monter à cheval
leur fût connu , réeufe, conféquemment à fon fyf-
tême , les témoignages de tous les écrivains pofté-
rieurs à ce poète , 8c particuliérement tous ceux
que les auteurs latins fôurniffentcontre fon opirîion.
« Virgile , dit-il, & les poètes latins, ont été
» moins fcrupuleux qu’Homère , 8c ils n’ont pas
jj fait difficulté de donner de la cavalerie aux Grecs
jj & aux Troyens ; mais ces poètes poflérieurs
» d’onze ou douze fiècles aux temps héroïques,
jj écrivoient dans un fiêcle où les moeurs des pre-
» miers temps n’étoient plus connues que des
« favans.........Leur exemple, ajoute-t-il, ne peut
» avoir aucune autorité lorfqu’ils s’écartent de la
jj conduite d’Homère, jj
Si le témoignage de Virgile , peftérieur d’onze
<nt douze fiècles à la ruine de T ro y e , ne peut
avoir aucune force, pourquoi M. Fréret veut-il que
le fien , poftérieur de trois mille ans, foit préféré ?
Pourquoi admet-il plutôt celui de Pollux, auteur
grec, plus moderne que Virgile d’environ deux
cents ans ? Quant à ce qu’il dit que les moeurs des
premiers temps n’étoient connues que des favans,
ce reproche ne convient point à Virgile : au titre
fi juftement acquis de prince des poètes, il joignoit
celui de favant 8c d’excellent homme de lettres.
De plus, fon Enéide, qu’il fut douze ans à cempo-
fe r , eft entièrement faite à l’imitation d’Homère.
Virgile ayant pris ce grand poète pour modèle,
8r pour fujet de fon poème des évenemens*
célèbres, quitouchoient, pour ainfidire, à ceux qui
font chantés dans l’Iliade, croira-t-on qu’d ait
confondu les ufages & les temps, & méprifé le
fuffrage des favans au point de faire combattre
fes héros à cheval, s’il n’avoit pas regardé comme
un fait confiant que l'équitation étoit en ufage de
leur temps;.
Tout ce qu’on peut préfumer, c’eft que Virgile
s’eft abftenu de parler de chars suffi fréquemment
qu’Homère, pour rendre fes narrations plusinté-
reffantes , & pareeque les Romains n’en faifoient
point ufage dans leurs armées. Enfin, les faits cités
par les auteurs doivent pafler pour inconteftables,
quand ils font appuyés fur une tradition ancienne,
publique & confiante. Tel étoit l’ufage établi depuis
un temps immémorial chez les Romains, de
nommer les exercices à cheval de leur jeuneffe,
les jeux troyens,
Trojaque nunc pueri trojanum dicitur agmen. {En.
I. f , v. 602.) Virgile n’invente rien en cet endroit,
il fe conforme à l’hiftoire de fon pays, qui rappor-
toit apparemment l’origine des courfes de chevaux
dans le cirque, au deffein d’imiter de femfclables
jeux militaires pratiqués autrefois par les Troyens,
E Q U 4 6 7
& dont le fouvenir s’étoitconfervé dans les anciennes
annales du Latium. Enée faifoit exercer fes en fans à
monter à cheval: Frenatislucent in equis {ld. v .557.)
' C ’eft en fuivantles plus anciennes traditions grecques,
que Virgile ( Géorg. I. III. v. 1:3.) attribue
aux Lapithes de Pélétronium l’invention de l’art
de monter à cheval. Il nous apprend dans le même
endroit { Ib. v. 113.) l’origine des chars, qui furent
in ventés par Eriâhonius, quatrième roi d’Athènes T )
depuis Cécrops; & ce qui fnppofe néceffairement
que l'équitation étoit connue en Grèce avant i ric-
thonius, c’eft que la tradition véritable eu fabuleufe
de ces temps-là rapporte que ce fût pour cacher
la difformité de fes jambes, qui étoient tortues,
que ce prince inventa les chars.
Hygin , qui, de même que Virgile , vivoit fous
le règne d’Augufte,a fait deBellérophon un cavalier
{fable 273.) , 8c dit que ce prince remporta le
prix de la courfe à cheval aux jeux funèbres de
Pêlias, célébrés après le retour des Argonautes ;
mais parce qu’on ignore dans quel poète ancien
Hygin a puifé ce fait, M. Fréret le traite impitoyablement
de commentateur fans goût, fans critique,
indigne qu’on lui ajoute foi. Il en dit autant de Pline,
(/. VII. c. Ivj.) qui , en faifant l’énumération de
ceux auxquels les Grecs attribuoient l’invention
de quelque art ou de quelque Coutume, ofe , d’après
les Grecs, regarder Bellérophon comme l’inventeur
de l'équitation, & ajouter que les centaures
de Theffalie combattirent les premiers à cheval.
Pour réfuter ce qu’Hygin dit de Bellérophon^
M. Fréret prétend premièrement que , félon Paufa-
nias, ( l. VI.) l’Opinion commune étoit que Glaucus ,
père de Bellérophon, avoit dans les jeux funèbres
de Pelops difputé le prix à la courfe ces chars :
fecondement, que ces mêmes.jeux étoient repré-
fentésfur un très-ancien coffre, dédié par les C yp -
félidts de Corinthe, & confervé à Olympie au
temps de Paufanias, (/. V .) & qu’on ne voyoit
dans la repréfentation de ces jeux ni Bellérophon ,
ni de courfe à chenal. On peut facilement juger
de la folidité de cette réfutation..
Le témoignage de Paufanias favorifant ici l’opinion
de M. Fréret, il s’en rapporte avèuglément
à lui ; mais il doit reconnoître de même la vérité
d’un autre paffage de cet auteur , capable de ren-
verfer fon fyftême.
Paufanias {/. V.) affure que Cafii.s Arcadien, &
père d’Atalante, remporta le prix de la courfe à
cheval aux jeux funèbres de Pé!op> à Olympie. (2)
Ce fait, qui donneroitaux courfes à cheval prefque
(1) Il vivpit environ 1489 ans avant J. C. Il (accéda-
à Amphiâion , & inftitua les jeux parathénaïques en l’honneur
de Minerve.
(2) Ces jeux , dit M. Fréret,' font poflérieurs de quelque*
années à ceux de Pélias, & c’eft ce que l’on nomme l’o/ym-
piade d’Hercule , qui combattit à ces jeu x, & qui en régiâ
la forme 60 ans avant la guerre de Troye.
N nn 2