figure de tritons, avoient danfé avec elles. C ’étoîent
des médailles d’or, gravées avec a fiez de finefie
pour le temps ; peut-être ne fera-1- on pas fâché d’en
trouver ici quelques - unes. Celle que la reine
pffrit au roi, repréfentoit un dauphin qui nageoit
fur les flots ; ces mots étoient gravés fur les
revers : delphinum , ut delphinum rcpendat, ce qui
veut dire :
Je vous donne un dauphin, & fen attends un autre.
Madame de Nevers en donna une au duc de
Guife , fur laquelle étoit gravé un cheval marin
avec ces mots : adverfus femper in hofiem ,
prêt à fondre fur l’ennemi. Il y avoit fur celle
, que M de Genevois reçut de madame de Guife
un Ario.n , avec ces paroles : populi fuperat pru-
dentia fiuElus ;
Le peuple en vain s'émeut, la prudence fappaife.
Madame d’Aumale en donna une à M. de
Chaufiin , fur laquelle étoit gravée’ une baleine
avec cette belle maxime : cui fat 9 nïl
ultra ;
Avoir ajjez, c*efi avoir tout.
Un phyfite, qui eft une efpèce d’orque ou de
baleine , étoit repréfenté fur la médaille que
madame de Joyeufe offrit au marquis de Pons ;
-ces mots lui fer voient de devife : fie famam jun-
geré farine ;
Si vous voulez pour vous fixer la renommée ,
Occupe^ toujours fes cent voix.
Le duc d’Aumale reçut un triton tenant un
trident & voguant fur les flots irrités ; ces trois
mots étoient gravés fur le revers : commovet &
fedat.
-Il les trouble & les calme.
Une branche de corail fortant de l’eau étoit
gravée fur la médaille que madame de l’Arcbam
préfenta au duc.de Joyeufe ; elle avoit ces mots
pour devife : eadem natura remanfit ;
I l change en vain , il efi le même. _
Ainfi la cour de France ;• troublée par la mau-
vaife politique de la reine , divifée par l’intrigue,
déchirée parle fanatifme, ne cefioit point cependant
d-’étre enjouée, polie & galante; trait fmgulier
& de caraélère, qui ferait fans doute une forte
de mériter, fi le goût des plaifirs/, fous un rai
efféminé /, n’y avoit été pouffé jufqu’à la licence
la plus effrénée ; ce qui efi: toujours une tache
pour le fouverain , une .flétrifture pour les courtifans
, & une contagion funefie pour le peuple.
On ne s’eft point refufé à ce récit, peut être
trop long, parce qu’on a cru qu’il ferait fuffifant-
pour faire connoître le goût de ce temps, & que,
moyennant cet avantage, il difpenferoit de bien
d’autres détails. Les règnes fuivans prirent le ton
de celui-ci. H e n r iiy aûnojt les plaifirs , la danfç
& les fêtes. Malgré l’agitation de fon admtniftra-
tion pénible, il fe livra à cet aimable penchant ;
mais par une impulfion de ce bon efprit qui ré-
gloit prefque toutes les opérations de fon règne :
ce fut S u lly , le grave, le févère , Vexafl S ully ,
qui eut l’intendance des ballets, des bals, des maf-
carades , de toutes les fêtes , en un mot , d’un
. - roi auffi aimable que grand, & qui méritoit à tant
de titres de pareils miniftres,
Il efi fmgulier que le règne de Louis XIII &
le miniftère du plus grand génie qui ait jamais
gouverné la France, n’offre rien fur cet article
qui mérite d’être rapporté. La cour, pendant tout
ce temps , ne ce fia d’être t rifle que pour def-
cendre jufqu’à une forte de joie baffe, pire cent
fois que la triftefte. Prefque tous les grands fpec-
tacles de ce temps , qui étoient les feuls amufe-
mens du roi & des courtifans françois , ne furent
que de froides allufions, des compofitions triviales,
des fonds miférables. La plaifanterie la moins
noble & du plus mauvais goût s’empara pour
lors , fans contradi&ien , du palais de nos rois. On
croyoits’y être bien réjoui, lorfqu’on y avoit exécuté
le ballet, le maître Galimathias , pour le grand
bal de la douairière de Billebahaut & de fon fanfan
de SotTeville.
On applaudiffoit au duc de Nemours , qui ima-
ginoit de pareils fujets ; & les courtifans ,
toujours perfnadés que le lieu qu’ils habitent, efi
le feul lieu de la terre où le bon goût réfide ,
regardoient en pitié toutes les nations qui ne parta
geoient point avec eux des divertiffemens auflj.
délicats.
La reine avoir-propofé au cardinal de Sayoie,
qui étoit pour lors chargé en France des négociations
de fa cour , de donner au roi une fête
de ce genre. La nouvelle s’en répandit , 8c les
courtifans en rirent. Ils trou voient du dernier ridicule
qu’on s’adrefsât à de plats .montagnards
pour divertir une cour aufli polie que l’étoit la cour
de France.
Gn dit au cardinal de Savoie les propos Courans.
Il étoit magnifique , & il avoit auprès de lui le
comte Philippe d’Aglié. Il accepta avec refpeél
la propofition de la reine , & il donna à Monceaux
un grand ballet , fous le titre de gli habitatori
de montï, ou les Montagnards.
Ce fpeétâcle eut toutes les grâces de la nouveauté
; l’exécution en fut vive & rapide , &
la variété , les eonrraftes , la galanterie dont il
étoit rempli, arrachèrent les applaudiftemèns &
les fuffrages de toute la cour.
C ’efl par cette galanterie ingénieufe que le
cardinal de Savoie fe vengea de la faufle opinion
que les courtifans de Louis XIII avoient
prife d’une nation fpirituelle & polie, qui excel-
loit depuis long-temps dans un genre que les
François avoient gâté.
1 Telle" fut la nuit profonde dont le goût fut
| enveloppé à la cour de Louis XIII, Les rayons
F E T
êclatans de lumière que le génie de Corneille
répandoit dans Paris , n’allèrent point jufqu’à ?
elle : ils fe perdirent dans des nuages, épais , j
qui fembioient fur - ce point féparer la cour de
la ville.
Mais cette nuit & fes fombres nuages ne fai-
foienr que préparer à la France fes plus beaux
jours , & la minorité de Louis XIV y fut l’aurore
du gOwt & des beaux-arts.
. Soit que, -Pefprit fe fût développé par la continuité
des fpeéiacles publics , qui furent & qui
feront toujours un amufement inftru&if ; (oit
qu’à force de donner des fêtes à la cour l’imagination
s’y fût peu à peu échauffée ; foit enfin
que Je cardinal Mazarin , malgré les tracafteries
qu’il eut à foutenir & à détruire y eût porté
ce fentimenr v if des chofes aimables , qui efi fi
naturel, à fa nation, il efi certain que les fp.c-
tacles , les plaifirs , pendant fon miniftère ,
n’eurent plus ni la grofiîéreté „ ni l’enfiitre qui
furent,le caraéiète. de toutes les fêtes d’éclat du
règne précédent.
Le cardinal Mazarin avoit de la gaieté dans
l’efprit, du goût pour le plaifir dans le coeur > &
dans l’i.maginatio'n moins de fafte que de galanterie.
O.i trouve les traces de ce qu’on vient de dire
dans toutes les fêtes qui furent données fous fes
yeux. Benferade fut chargé, par fon choix, de
l’invention, de la conduire & de l’exécution de
prefque tous ces aimables anuifemens. Un miniftre
a tout fait dans ces occafions ; qui paroifîent frivoles,
& peut être même dans celles qu’on regarde,
comme les plus importantes , Iorfque fon discernement
a fu lui fiïggérer le choix qu’il falloir
faire.
La fête brillante que ce miniftre donna dans fon
palais au jeune roi ^ le z6 février i6<; i , juftifia
le choix qu’il avoit fiiit de Benferade. On y repré-
fenta le magnifique ballet de Caftan dre. C ’eft le
premier fpeâacle où Louis XIV parut fur le
théâtre : il n’avpit alors que treize ans : il continua
depuis à y étaler tous fes grâces , les proportions
marquées , les- attitudes nobles , dont
la nature i’àvoit embelli, & ’qu’un art facile &
toujours caché rendoit admirables, jufqn’au 13
février 1669 , où il danfa pour la dernière fois
dans le ballet de Flore.
S.a grande ame fut frappée de ces quatre vers
du Bri-tannicus de Racine :
Pour toute ambition, pour vertu Jinguîière »
I l excelle a conduire un char dans la carrière,
A dtfputer des prix indignes de fes mains ,
A f e donner lui-même en fpeciacle aux Romains.
On ne s’attachera point à rapporter les fêtes fi
connues de ce règne éclatant ; on fait, dans les
royaumes voifins , comme en France , qu’elles
furent l’époque de la grandeur de cet état, delà
gloire des arts & de la fplendeur de l ’Europe
F E T j £7
elles font d’ailleurs imprimées dans tant de recueils
différens; nos pères nous les ont tant de
fois retracées, & avec des tranfports d’amour &
d’admiration fi expreftifs , que le fouvenir- en eft:
refté gravé pour jamais dans les coeurs de tous
les François. On fe contente donc de préfeiHer
aux lecteurs une réflexion qu’ils ont peut-erre
déjà faite ; mais au moins n’eft-elle, fi l’on ne le
trompe, écrite encore nulle part.
Louis XIV , qui porta jufqu’au plus haut degré
le rare & noble talent de la re-préfentation , eut
la bonté confiante, dans toutes les -fêtes fu per b es
qui charmèrent fa cour & qui étonnèrent l’Europe,
de faire inviter les femmes de la ville les plus
c'iftinguécs, & de les y faire placer fans les féparer
des femmes de la cour. Il honorait ainfi , dans
la plus belle moitié d’eux-mêmes, ces hommes
fages qui gouvernoient fous fes yeux une nation
heùreufe. Que ces magnifiques fpeélaçles doivent
charmer un bon citoyen , quand ils lui offrent
ainfi entre - mêlés dans le même tableau ces noms
illuftres qui lui rappellent à la fois & nos jours
de viéloire , & les fourçes heureufes du doux
calme dont nous jouiftons ! Voyez les Mémoires dit
temps, & les diverfes relations des fêtes de Louis X IV 9
fur tout de celles de 1668.
La minorité de Louis X V fournit peu d’occa-
fions de fêtes ; mais la cérémonie augufte de fon
facre à Rheims fit renaître la magnificence qu’on
avoit vue dans tout fon éclat fous le règne fîo*
riftantjde Louis X I V , &e.
Elle s’eft ainfi foutenue dans routes les cireonf-;
tances pareilles ; mais celles où elle offrit ce que'
la connoiflance & l’amour des arts peuvent faire
imaginer de plus utile & de plus agréable , femblent
avoir été réfervèes au fucceffeur du nom & des
qualités brillantes du cardinal de Richelieu. En
lui mille traits annonçoient à la cour l’homme;
aimable du fiècle, aux arts un protefîeur, à la?
France un général. En attendant ces temps de
trouble , où l’ordre & la paix le fuivirent dans
Gênes. & ces jours de vengeance , où une forte-
refte qu’on croyoit imprenable devoit céder à fes
efforts, fon génie s’embelliftoit fans s’amollir, par
les jeux rians. des mu fes & des grâces.
Il éleva dans le grand manège la plus belle r
la plu- élégante, la plu’ commode (aile de fpec-
tacle, dont la France eût encote joui. Le théâtre
étoit vafîe ; le cach e qui le bordoit, de la plus-
élégante richeftè , & la découpure, de la falle ,,
d’une adrefte afiez fingulière pour que le roi &
toute la cour pu fient voir d’un co: p - d’oeil le:
nombre incroyable de fpeélateurs qui s’empref-
sèrenr d’accourir aux divers fpeétacles qu’on y
donna pendant tout 1 hiver.
Creft-là qu’on pouvoir faire voir fucceftivement
& avec dignité les chefs-d’oeuvre immortels qur
ont illuftré la France , autant que l’étendue de fon-
pouvoir , 8c plus peut - être que fes vidoires».
C’é6oit fans doute le projet honorable de ïvL le