
fut prefque enfevelie fous fes ruines. Les calamités
publiques font prefque toujours imputées au
chef de la nation fouffrante. Ce malheur, que la
prudence ne pouvoit prévoir ni prévenir, redoubla^
la haine que l’avarice de Conjlantin avoit inf-
pirée. Ce prince fentant fa fin approcher, déclara
fes trois* fils empereurs , fous la tutèle de
leur mère Eudoxie. Cette Princeffe leur fut affo-
ciee à l’empire, fous la promeffe ‘qu’elle fit par
écrit de fe dépouiller de la pourpre & de la tu-
tele de fes enfans, fi jamais elle contra&oit un
nouveau mariage. Conjlantin Ducas mourut en
1068 , âge de foixante-dix ans : il en avoit régné
fix. ( r - j v . ) b
C onstantin X I , dernier empereur de Conf-
tantinople , étoit fils de Manuel ou d’Emanuel
Paléologue, dont les enfans acharnés à s’entre-détruire
, s’enfevelirent fous les ruines de l’empire
d;Orient. Jean, fon aîné & fon fucceffeur,
eut à combattre fon frère Démétrius, qui »fortifié
du fecours des Turcs, entreprit de le détrôner.
Pendant que fes deux frères fe faifoient
line guerre cruelle, Conjlantin, qui défendoit la
Morée , remporta une grande vi&oire fur les
Turc s , qui furent obligés d’abandonner cette province.
Ses cruautés envers ceux qui tombèrent
entre fes mains lui firent donner le furnom de
Dracofe^. Ce prince étoit occupé à pacifier les
troubles de la Morée , lorfqu’il apprit la mort de
Jean fo.n aîné. L’ambitieux Démétrius, qui pour
lors étoit à Conftanti’nople, voulut s’y faire proclamer
empereur ; mais les habitans remplis d’admiration
pour les exploits & la valeur de Conf-
tantin, refpe&èrent fon droit d’aîneffe , & refu-
fèrent d’obéir à un ufurpateur, qui n’étoit redoutable
que par la protection des Turcs leurs ennemis
naturels. La guerre civile dont l’état étoit menacé,
détermina le peuple à ménager un accommodement
qui put réunir fes deux frères divi-
fés. Conjlantin fin reconnu empereur ; la Morée
fut le partage de DémétVius & de Thomas. Ce
démembrement affoiblit l’empire , qui ne fut plus
qu’un tronc dépouillé de fes rameaux. Conjlantin
placé fur le trône , s’y maintint par la faveur d’A-
murat, qui l’avoit favori le contre fes frères. Sa
haine contre l’églife latine fe manifefta dès les
premiers jours de fon règne. Le pape Nicolas avoit
fait affembler un concile à Florence pour faire
ceffer le fchifme qui divifioit les deux églifes. Les
remontrances paternelles de ce pontife ne purent
vaincre l’opiniâtreté de Conjlantin, qui refiifa d’en
publier les décrets. Cette conduite lui aliéna le
coeur des Latins, qui feuls pouvoient le protéger
contre les Turcs. Mahomet I I , fils & fucceffeur
d’Amurat, n’eut pas pour Conjlantin les mêmes
ménagemens que fon père. Ce prince belliqueux
invefiit Conftantinople au mois de février de Tanné
1453. Cette ville n’étoit défendue que par des
bourgeois fans courage & fans difcipline , qui n’a-
voie. t rien à efpérerde leurs anciens maîtres, &
I qui a voient tout à craindre d’un vainqueur Irrité*
Conjlantin implora en vain les fecours des princes
d Occident. L’empereur dAllemagne avoit réuni
toutes fes forces contre les Suiffes, les Hongrois
& les Moraves. L’Anglois perdoit -fes conquêtes
dans la France. L'Italie déchirée par deux faétions
, avoit plus befoin de fecours qu’elle
n etoit en état d’en donner. Les Turcs, après plu-
fieurs affauts meurtriers, arborèrent leur drapeau
fur ,1a brèche. Conjlantin réfolu de ne point fur-
vivre _ à la ruine de l’empire , fe précipite au
milieu des bataillons ennemis. Les foldats effrayés
l’abandonnent; il ne voit auprès de lui que fon
coufin Théophile Paléologue, & un domefiique
efclavon qui eut le courage de mourir avec lui.'
Les uns difent qu’il fut étouffé par la foule de
. ceux qui prirent la fuite; d’autres affnrent q ue,
fe trouvant feul & environné d’ennemis , il s’écria
: n’aurai-je pas le bonheur de trouver un
chrétien qui puiffe m’arracher le peu de vie qui
me refte ! & qu’aufli-tôt un foldat mufulman lui
trancha la tête d’un coup de fon cimeterre. Elle
fut portée au bout d'une pique dans tous les
rangs de l’armée vieforieufe. Telle fut la fin de
l’empire de Confiantinople, qui étoit refferré dans
le territoire de cette ville célèbre. On a vemar-
qué qu’elle avoit été fondée par un Conftantin,
fils d’une Hélène, & qu’elle fut détruite fous le
règne d'un prince du même nom, dont la. mère
s’appelloit aufii Hélène. Cet empire avoit fubfifté
1124 ans, depuis fa tranflation à Byfance par Conftantin
le grand. (T— n.)
C o n s t a n t in f a u l c o n ou C o n s t a n c e {Hi(l.
de Siarn ) , né dans l’ifle de Céphalonie, étoit fils
d’un cabaretier d’un petit village appelle la Cujlod'e,
ou il reçut une éducation conforme à fa fortune.
La nature libérale le combla de tous fes dons.
L’élévation de fes fentimens lui rendit odieux le
féjour de fa patrie, trop bornée pour qu’il pût y
développer fes talens. Il fit voile à l’âge de douze
ans pour l’Angleterre, où il fit bientôt connoître fes
difpofitions pour le commerce. Son efprit agréable,
fans culture, le fit rechercher des feigneurs. & des
favans : un négociant anglois , fort riche, démêlant
fes talens , l’emmena avec lui dans les
Indes , où le fuccès juflifia l’idée qu'il en avoit
conçue. Conjlantin fe trouvant bientôt affez riche
pour jouir de fon indépendance, fe mit à trafiquer
pour fon compte ; fes effais ne furent point
heureux ; il fit naufrage fur la côte de Malabar.
Reflé feul fur un rivage inconnu, il fe promenoit
trifte & rêveur, lorfqu’il fut abordé par un homme
qui lui parut aufii miférable que lui; c’étoit un
ambaffadeur Siamois , qui, en revenant de Perfe
avoit fait naufrage fur la même côte. Ce minifi-
tre dénué de tou t, fut agréablement furpris de
rencontrer un homme humain & compâtiffant aui
daigna le confoler. Conjlantin avoit fauvé de fon
naufrage deux mille écus, il en ufa pour acheter
des vivres & des habits dont il fit part à fon comr
pagnon d’infortune: ils firent voile pour Siam , où
l’ambafiadeur reconnoiffant fit fon éloge au mar-
calon ou premier minifire , qui eut la curiofité
de le vo ir ; il fut fi charmé de fa converfatioh ,
qu’il le choifit pour aller en ambaffade dans un
royaume voifin ; il s’en acquitta avec tant de dex •
te ri ré , que le îoi , apiès la mort du marcalon ,
l ’éleva à cette dignité;. Conjlantin refufa le titre ék
les décorations d’une place qui lui auroit attiré
la jaloufie des grands ; mais en rejettant l’éclat
du pouvoir, il en conferva toute la réalité. Les
■ peuples de l'Europe reffentirent les effets de fa
protection ; mais les François & les Portugais ,
qui étoient catholiques comme lu i, furent toujours
préférés. Sa nouvelle -grandeur ne fit que
développer Tétendue.de fes talens : indifférent pour
les richeffes , if n’en fit ufage que pour augmenter
fa gloire. Son aine inconuptible ne fut jamais
foupçohnée de vénalité dans la difiribution de la
juftice ; paflionné pour les honneurs , dont fa
naiffarice paroiffoit l’exclure, il n’en fut que plus
ardent à les mériter. Véritablement attaché à fon
maître , il ne demanda d’autre récompenfe de fes
fervices, que le privilège de faire le commerce
maritime , qui le mit en état de fournir à fes
dépenfes & à fes largeffes. Il paroît qu’il fut catholique
de bonne foi, puifque, libre dans fon choix,
il abjura la religion anglicane, qu’il.pouvoit fui-
vre fans nuire à fa fortune. 11 étoit d’une taille
médiocre, fes yeux étoient vifs & pleins de feu ;
quoiqu’il eût une phyfionomie fpiritnelle, il avoit
quelque chofe de fombre & de ténébreux, qui
décéloit l’agitation d’une ame inquiète & mécontente.
Les François qu’il favorifoit furent appel-
lés à la cour ; ce fut une imprudence qui donna
©ccafion de publier qu’il en vouloir faire les arti-
fansde fa grandeur, &. les employer pour le mettre
fur un trône que fon ambition dévoroit. Il fit
bâtir , à fes dépens , une églife qui fubfifté encore
aujourd’hui. Le roi de Siam envoya des ambaffa-
deurs à Louis X IV , qui en envoya aufii au monarque
Indien. Conjlantin fut véritablement roi
fans en avoir le titre ; mais après avoir été célèbre
par fon élévation , il le devint encore plus
par fa chûte. Tant qu’il fut arbitre abfolu des grâces,
il fit beaucoup d’heureux, & encore plus de
mécontens. Le roi, que fes-infirmités rendoient
incapable du gouvernement, en abandonna le foin
à un ambitieux, nommé Pitracha, qui prit le titre
de régent de l’empire, & qui devint l’ennemi de
Conjlantin, que fa qualité d’étranger rendoit odieux
à la nation; il fut abandonné de ceux qu’il avoit
comblés de bienfaits. Dès que le toi eut les yeux
fermés, Pitracha le fit arrêter : ce favori clé la
fortune., tombé dans la plus accablante difgrace,
fut traîné dans une prifon obfcure, dont l’entrée
fut interdite à tout le monde : il fut gardé par
de barbares fatellites qui en éloignoient tous ceux
qui auroient pu lui procurer quelque adouciffe-
ment. Son époufe découvrit le lieu où il étoit
enfermé, & elle obtint la permifliOfl de lui fournir
les chofes lés plus néceffaires. 11 fut cité pour répondre
devant fes juges ; on lui brûla la plante des pieds ,
on lui ferra les temples pour extorquer l’aveu
des crimes qu’il n’avoit pas commis. On refpeCla
pendant quelque temps fa v ie , parce qu’étant
fous la protection du roi France, on craignoit
de s’attirer les vengeances de fes troupes, qui
occupoient plufieurs portes du royaume ; mais
voyant le peu d’intérêt que les François prenoient
à (on malheur, Pitracha crut pouvoir fe dèbarraf-
fer impunément d’un enneip.i qui lui paroiffoit
encore redoutable dans les fers ; il prononça l’arrêt
qui le déclaroit criminel de lèzp-majefté , &
fur-tout d’avoir introduit dans le royaume dts
étrangers dont il vouloir, faire les artilans de fon
ambition. Il fut conduit, fur un éléphant , dans
une forêt voifine , pour y recevoir le coup mortel.
Il aveit le vifage pâle & abattu , moins par
la crainte de la mort, que par l’effet des (ouf-
frances qu’il avoir éprouvées dans fa prifon ; fes
regards étoient affûtés ; les foldats parurent attendris
voyant dans un état fi déplorable celui qui
peu auparavant avoit vu le peuple & les grands
profiernés devant lui. Après qu’il eut fini fa prière ,
il prôtefia de fon innocence, & fe tournant vers le
fils du tyran , qui préfidoiî à l’exécution , il lui dit :
Je vais, mourir ; fongez que quand je ferois coupable,
je laiffe une femme & un fils qui font m-
nocens. Quand il eut achevé ces mots, l’exécuteur,
d’un revers de fabre , le fendit en deux : fon
fils fut élevé au féminaire de Siam, feus la Conduite.
des millionnaires françois ; dans la fuite
il parvint au grade de capitaine de vaifieau du roi
fur la côte dé Coromandel. Sa cour, en 1729 ,
le chargea d’une négociation auprès de M. Dupleix,
gouverneur des établiffemens françois dans les
Indes, qui étoit aufii magnifique que défintéreffé :
il fe fouvint que ce négociateur étoit fils d’un
homme ami de fa nation ; il crut devoir s’acquitter
envers lui de la reconnoiffance des François ,
en l’exemptant de tous les droits qu’on exigeoit
des étrangers. Sa mère éprouva une dèftinée cruelle;
on Taccufa de péculat; elle fut citée devant
des juges qui, quoique convaincus de fon innocence,
la condamnèrent à recevoir cent coups de
bâton. Ses bourreaux la voyant fuccomber fous
les coups , ne lui en firent fouffrir que la moitié
: elle eut encore à foutenir le douloureux
fpeâacle de deux de fes tantes & de fon frère
aîné, qui furent amenés devant elle pour être la
proie des tourmens. On la mit enfuite dans les
cuifines du roi; les fondions de cet emploi n’ont
rien d’aviliffant, c’eft un grade d’honneur dans .
l’opinion des Siamois ; elle avoit fous fes ordres
deux mille femmes pour le férvice du palais. Telle
fut la deftinée de cet homme célèbre, q u i, né dans
Tobfcurité , dirigea avec gloire les rênes d’un grand
empire. Ses talens furent ternis par quelques dé-,
fauts ; colère & violent, il fe faifoit des ennemis