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ville , huit cens ans après le départ de Théfée. Il
y eut à ce fujet une fête folemnelle & un grand
combat de poéfie tragique, où Sophocle fut vainqueur
, & où Cimon fut un des principaux juges :
Efchyle, accoutumé à la viftoire dans ces jeux du
théâtre , ne put fouffrir fa défaite ; il s’exila volontairement
d’Athènes , & alla mourir en Sicile.
Dans l ’expédition de T hrace, Athènes avoit des
alliés parmi les Grecs. Après la prife de Seftos &
de Byfance, où on fit un butin immenfe, les alliés
convaincus de la juftice de Cimon, le prièrent de
faire le partage. L’opération fut bien fi m pie ; Cimon
mit d’un côté les hommes, de l’autre les
biens, c’eft-à-dire , d’un côté les corps des prifon-
.niers tout nus, de l’autre leur dépouille & leurs
tréfors. Les alliés ne virent dans cette opération
que le butin tout entier donné aux Athéniens , tandis
qu’on leur laifïbit des corps tout nus d'hommes
efféminés, peu propres au travail : ils fe récrièrent
fur l’énorme inégalité du partage ; ce n’ètoit pas-
là ce qu’ils avoient attendu de la juftice de Cimonl
De quoi vous plaignez-vous? leur dit Cimon, on
vous larfle.le choix. Ils choifirentle butin , & ne
pouvoient fe lafler d’admirer la duperie de Cimon,
qui parbiffoit fort content du lot des Athéniens.
11 avoit raifbn. On vit bientôt arriver en
foule de l’Afie mineure les parens & les amis
des prifonniers , offrant pour leur rançon des
fournies bien fupérieures à la valeur du butin.
Cimon eut de quoi entretenir fa flotte pendant
quatre mois, le tréfor public fut rempli, tous
les Athéniens s’enrichirent, & le général vécut
le refte de fes jours dans l’opulence : c’étoit de
tous les événemens de fa vie celui qu’il aimoit le
plus à fe rappeller & à raconter aux autres.
Cimon, dit le rhéteur Gorgias, amajfoit des riche
fjes pour s'en fervir, & il T en fervoit pour fe faire
ejlimer & honorer. Ses vergers & fes jardins étoient
ouverts en tout temps aux citoyens, non-feulement
pour s’y promener, mais encore pour y
prendre les fruits qui leur conviendroient ; fa table
étoit fimple , frugale, mais abondante , & tous
les citoyens pauvres y étoient admis, ils en rem-
portoient le plus fouvent un préfênt ou un prêt
en argent ; il nourriflôit & vêtiffoit les vivans ; il
fourniftoit aux frais funéraires des morts , & l'hif-
toire lui rend le témoignage, que loin de rechercher
par ces bienfaits la faveur populaire, il fut
toujours, ouvertement de la faâion des riches &
des citoyens puiflans, oppofée à la fa&ion du
peuple. Il entreprit aufli à fes dépens des travaux
publics, il fortifia le port, il embellit la ville.
Après avoir chaffé les Perfes de la Thrace, il
les chaffa de prefqiie toute l’Afie mineure, il battit
leur flotte à l’embouchure du fleuve Eurymé-
don , puis une fécondé flotte qui venoit an fecours
de la première fans favoir fa défaite, puis étant
defcendu à terre , il les battit fur terre; il fournit
l ’île de Thafe qui s’étoit révoltée contre les Athéniens
, & dont les habitans fembloient vouloir
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Imiter le dévouement féroce du gouverneur d'Eibne^
Ils décernèrent la peine de mort contre le premier
qui parleroit de fe rendre. Le fiège dura trois ans %.
on manquoit de cordes pour les machines, les
femmes coupèrent leurs cheveux & les employèrent
à cet ufage. Cependant la famine moiflonnoir
tous les jours un grand nombre de Thafiens ; Hé*
gétoride, un d’entre eux , ne pouvant foutenir ce-
fpeâacle, fe dévoue , mais pour fauver fes concitoyens;
il paroît dans l’aflemblée du peuple la-
corde au cou : « mes amis., mes frères , leur dit-il,
” prenez votre viéfime, mais v iv e z , révoquez’
” votre loi meurtrière »: on l’admire, on lui laifle.
la vie , on lui rend grâces, la loi eft révoquée
_ on fe rend.
Les Athéniens, qui prenoient goût aux conquêtes
trouvèrent mauvais que Cimon n’eut pas pouffé les;
fiennes jufques dans la Macédoine , ils l’accusèrent’
en juftice d*e s’être laifle corrompre par l’or des*
Macédoniens. Cimon cita fa vie entière en preuve1
de fon incorruptibilité ; fa juftification parut corn--
| plette.
| Le roi de Perfe efpéroit oppofer Thémiftocle à-
Cimon , & Thémiftocle avoit promis de fervir ce‘
! prince contre fon ingrate patrie; mais un refte
, d’amour pour e lle , & le fouvenir de là gloire1
j. qu’il avoit acquife en la faifant triompher, le dé-
j terminèrent à quitter la- vie pour ne point s’armer'
( contre elle. On a cru que parmi fes raifons il.
; falloit compter pour beaucoup la' crainte de corn-
, mettre fa vieille réputation contre la gloire tour
- jours croiffante du jeune Cimon..
Cependant Périclès s’élevoit par l’efoquence &
! Par l’intrigue ; il fappoit les fondemens de TArifto-'
| cratie ,- dont Cimon étoit le défenfeur déclaré. L e ?
j P e u p l e eommençoit à fe lafler de la vertu de-
\ Cimon ; il fe laflbit fur-tout de l’entendre en toute-
j occaflon vanter la vertu des Spartiates, quelque--
! fois alliés des-Athéniens, mais toujours leurs ri—
; vaux. A chaque faute que faifoit Athènes, voilà,
difoit Cimon, ce que Sparte n eût point fait. Il y eut'
à Sparte un tremblement de terre qui renverfa.
toute la ville , à la réferve de cinq maifons. Les-
i Ilotes faifirent cette occaflon de fecouer le joug,
i Les Athéniens étoient aflez d’avis de laifler périr'
j Sparte ; Cimon les fit rougir d’une telle politique,-
! & leur fit fentir qtfil n’étoit pas de leur intérêt:
j de laijfer la Grèce boiteufe,- & Athènes /ans contre-
! poids ; il les détermina enfin à envoyer au fecours»
de Sparte des troupes dont il eutle commandement :
les Spartiates, par une défiance injurieufe, mais
peut-être pardonnable au malheur, refufèrent d’accepter
ce fecours. Athènes fut indignée, elle déclara;
ennemis publics tous ceux qui prendroient les intérêts
de Lacédémone , & bannit Cimon par la voie-
de l’oftracifme. La guerre s’alluma entre Athènes^
& Sparte. Alors Cimon fe crut difpenfé de garder
fon ban ; il vint offrir fes fecours à fes conci-»
toyens contre ces Lacédémoniensdont on l’accu-
fôit d’être l’admirateur & l’ami. Les Athéniens,.
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par une défiance aufli injufte que celle qui les
avoit tant irrités contre les Lacédémoniens, refu-
fere.nt les fecours de Cimon, & lui ordonnèrent
de fe retirer. Cent de fes plus braves foldats, foup-
çonnés comme lui d’être favorables à Lacédémone,
l’avoient accompagné dans cette expédition ; il
leur recommanda en partant d’effacer jufqu’à la
moindre trace de ce foupçon, comme il l’eût fait
fi on le lui eût permis; ils le jurèrent, •& ils lui
demandèrent pour feule grâce fon armure com-
plette; ils la placèrent au milieu d’eux pour qu’elle
leur rappellât fans ceffe ce grand homme oc leur
devoir ; ils fe firent tous tuer jufqu’au dernier,.
& les Athéniens apprirent à ne pas foupçonner
légèrement de braves gens d’infidélité.
Ils rappelîerent enfin Cimon de fon exil après
cinq ans ; Périclès lui-même en propofa & en dreifa
le décret. Cimon réconcilia d’abord Athènes & La-
cédémone, & rétablit l’union dans la Grèce ; il
la réunit contre les Perfes ; il alla les chercher &
4k ' lés battre’en Egypte, & dans l’île de Gypre ,
& fur les mers qui environnent ces contrées ; il
les força d’accorder ou plutôt de recevoir une paix
honorable à la Grèce. Pendant qu’on y travailloit,
il mourut d’une bleflùre qu’il avoit reçue au fiège
de Citium, dans Tîle. de Cypre, n’ayant cefle de
fervir fa patrie que quand elle s’étoit privée de
lui par l’exil & la per fécution. ^
La nouvelle de fa mort pouvoit nuire à la paix;
il recommanda en mourant aux officiers de la cacher,
& de continuer d’agir en fon nom.- On ramena
, dit Plutarque, la flotte triomphante à Athènes
fous la conduite & les aufpices de Cimon , quoique
mort depuis plus de trente jours. Il mourut
l’an 449 avant L C. On ne lui érigea point de
ftatue , mais on le pleura. Kee pulcherrimoe effigies
& mahfuræ. Nam quoe fdxo fruuntur, f i judicium
poflerorum in odium vertït, pro fepulchris fpernuntur.
Ce mot de Tacite eft la condamnation éternelle
de ces monumens que la ftupide vanité des parens
a quelquefois l’imprud ence d’élever à des gens qui
-ne font connus que par le mal qu’ils ont fait. Avant
d’ériger des monumens, confultez la voix publique,
& fongez que Cimon n’en a pas eu d’autre que le
deuil de la patrie.
CINCINNATUS. ( L. Q u in t iu s ) ( Hifi. Rom.)
La loi Térentilla , ainfi nommée du tribun C.
Térentillus Arfa,qui la propofoit, femoit la difeorde
dans Rome entre le fënat & le peuple , entre les
patriciens & les plébéiens. L’objet de certe loi
étoit bon ; c’étoit de fixer la jurifprudence chez les
Romains, ou plutôt de leur en donner une. La
forme excitoit des orages., parce qu’on vouloir
établir cette loi fans la participation du fénat ; les
tribuns déclamoient contre les confuls, les confuls
contre les tribuns. Les jeunes patriciens défen-
doient les droits du fénat avec toute la chaleur
de la jeunefle & toute la hauteur de la noblefle.
Cefo Quintius, jeune fénateur, étoit celui qui fe
faifoit le plus remarquer par fon audace & fa fierté ;
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il foutenoit feul, dit Tite-Live, toute l’explofiort'
de la fureur tribunitienne, comme s'il eut porté
dans fa voix & dans fes forces tous les confulats S*
tou,tes lès dictatures, velut omnes diClaturas confula-
tufque gerens in voce ac vinbus fuis. Les tribuns ju-;
rèrent la perte; ils eurent recours à la calomnie:
un témoin fuborné, Volfcius, accufa Céfon d’af-
faflinat. Un foir ce Volfcius' revenant, d ifo it-il,
de fouper avec fon frère chez un ami, rencontre
Céfon environné d’une troupe d’aflaffins qui’ les-
attaquent, le frère eft tué, Volfcius laifle pour-
mort. Le cas étoit fi grave , que le peuple ému
alloit condamner Céfon; celui-ci eut beau nier, fon
pèreL. Quintius Cincinnatus, homme déjà vénérable"
par fon âge & fes longs travaux, eut beau
demander pour prix- de fes fervices & de ceux de
fon fils, qui avoit aufli très-bien fervil’état, qu’on
ne précipitât rien, tout ce qu’il put obtenir fut
qu’on laifsât aller fon fils pour ce jour là fous la
caution de dix citoyens qu’il cornparoîtroit au
jour qui fut indiqué pour le jugement: il ne comparut
point, & s’enfuit en Etrurie: les cautions-,
payèrent. Cincinnatus , pour Tes indemnifer »vendit
fes biens, & ne fe réferva qu’une pauvre cabane
& un petit champ de quatre arpens qu’il cul-
tivoit de fes mains. L’année fuivante , étant à labourer
fon champ , vêtu depuis les reins jufqu’aux
genoux feulement, un bonnet fur la tête, il voit
• une foule de monde s’avancer vers lu i, il apper-,
çoit des liâeurs , des faifeeaux, il ne fait ce qu’oiî
lui v eu t, & craint peut - être l’effet de quelque
nouvelle calomnie. Un de la troupe s’avance &
l’avertit de fe mettre dans un état plus convenable
pour recevoir les députés du fénat qui viennent
lui parler d’affaires ; il s’habille, il paroît; on le
falue conful, on le revêt de la pourpre, les liâeurs-
prennent fes ordres; il jette un regard douloureux
fur ce champ qu’il falloit quitter, verfe quelques
larmes, & dit: mon champ ne fera donc point enfe-
mencé cette année ! Ori l’afliira que la république y
pourvoiroit ; fon confulat fut illuftre, & qui plus
eft avantageux à la république. Par un mélange
vertueux de force, de prudence & de bonté, il
rétablit la difeipline dans les troupes , la fiabordi-
nation dans la v ille , l’équité dans les jugemens,
Tordre dans les affaires-, la paix dans l’état, là
vertu dans les coeurs; il fut chéri'& refpe&é ; on
voulut le continuer dans le confulat, il s’y oppofa,
en alléguant les loix & le danger d’ydéroger ; on
voulut l’enrichir, il le refufa , & retourna content
à fes boeufs, à fa charrue, à fa cabane. Deux ans
après on retourne l’y chercher pour le faire dictateur.
La république étoit en danger ; le conful
Minutius étoit aflîégé dans fon camp par les Eques :
on retrouva Cincinnatus dans le même état que la
première fois ; on lui retrouva aufli le même zèle
8c le même courage : il part, il afliège les Eques
à leur tour dans leur camp, il les enferme entre
deux armées, il les fait pafler fous le joug, il dé-
i pofe Minutius après l’avoir dégagé. «Vous ne com