
cefîîté : L'infortuné pontife, pouf trouver le prix
de fa liberté, vendit eïi gémiffant la pourpre romaine
à des hommes' qui s’en montrèrent d’autant
plus indignes, qu’ils confentirent de l’acheter.
Enfin le jour approcnoit qui devoit lui rendre la
liberté ; c’étoit le neuf de décembre. Les Efpa-
gnols dévoient le'Conduire ou à Orviète, ou à
Spolète, ou à Péroufe, mais le pape les prévint.
Le malheur avoit aigri fes défiances , tout lui
étoit fufpeâ ; il ne voulut fe fier qu’a lui-même
CC. aux fieus. A l’entrée de la nuit du 8 au 9 décembre
, il fortit du château Saint-Ange , déguifé
en marchand, félon Guichardin, en v a le t, félon
Beaucaire. Le fchifme d’Angleterre éclata fous
ce pontife. Clément , qui avoit effuyé tant
d’outrages de la part de l’empereur, & qui avoit
eu obligation de fa délivrance aux efforts d?une
ligue dont François I & Henri VIII étoient les
principaux chefs , s’étoit trouvé d’abord affez
bien difpofé en faveur du divorce ; mais dans la
fuite les intérêts ayant changé , la crainte de
défobliger l’empereur, dont Catherine d’Arragon,
femme de Henri V I I I , étoit la tante, étant devenue
la plus forte, enfin toutes les conféquences
de-.cette affaire ayant été mûrement examinées
dans le confiftoire, il ne fongeà plus qu’à gagner
du temps, dans l’efpérance que la paflion de Henri
V III fe difîiperoir ; il délégua cependant des juges
pour inftruire l’affaire fur les lieux : c’étoient le
cardinal Vo lfey & le cardinal Campège. Guichardin
dit que pour fatisfaire Henri V I I I , le
pape remit au cardinal Campège, en l’envoyant
..en Angleterre, la bulle de divorce toute drenée,
qu’il lui ordonna He la montrer au roi d’Angleterre
à Volfey -, de les affurer qu’il la publieroit fi
la procédure ne prenoit pas un tour favorable ,
mais de leur infinuer qu’il valoit mieux tenter
le fort d’une procédure régulière pour mettre de
leur côté les apparences de la juftice ; qu’en même-
temps le pape avoit expreffément défendu au
cardinal Campège de publier cette bulle & de
terminer l’affaire fans de nouveaux ordres : dans
la fuite le pape, fur des avis fecrets de Volfey,
qui, ayant été connus ou foupçonnés, caufèrent la
difgrace de ce miniftre, évoqua l’affaire au tribunal
de la R ote , après avoir donné ordre au cardinal
Campège de brûler la bulle de divorce , ce qui
fut exécuté. Henri ne garda plus de mefures , il
fe paffa d’un jugement qu’on lui faifoit trop attendre
; il fit caffer fon mariage par l’archevêque
de Cantorbéry , Thomas Crammer, primat du
royaume : il époufà fa maîtreffe Anne de Boulen,
la tit couronner,& publia fon mariage dans les cours.
Rome ne put pardonner le.mépris que l’impatient
monarque avoit fait de fon autorité. Clément fortit
de la prudente lenteur avec laquelle il avoit
traité cette affaire ; il ■ affembla le confiftoire , il
y prononça une fentence d’excommunication contre
Henri VIII; il ne la publia pas encore, mais il
ÉXà un terme ; après lequel il jura de la publier
s’il n'avoit pas une réponfe du roï d’Angleterre
I telle qu’il la demandoit. Le terme expira, le cou-
I rier d’Angleterre n’arriva point ; un feul confiftoire
! termina tout, la fentence fut publiée. Deux jours
après, le courier arriva , apportant des propofitions
qui auroient pu être écoutées, fi les chofes euf-
fent été moins avancées. Le confiftoire s’affembla,
examina, délibéra; mais comme enfin le roi d’Angleterre
ne faifoit pas Une réponfe précife , comme
l’autorité n’aime point à reculer, comme le mal
étoit fait, on ne changea rien , & la fentence eut
lieu. La fureur de Henri à cette nouvelle ne connut
plus de bornes, il rompit les liens de l’unité,
il fe conftitua le chef de l’églife anglicane , il
établit ce fchifme fameux qu’on rit bientôt amener
fur fes pas l’héréfie qui le fortifia encore. 9
Autant le pape dut être affligé de cette perte V
autant il fut confolé & flatté par le mariage de
Cathérine de Médicis avec le duc d’Orléans ,
fécond fils de François 1« , qui lui fuccéda fous le
nom de Henri II. Ce fut le fujet de la fameufe
entrevue de Clément V I I I & de François 1er à
Marfeille, en 1533. Le mariage fut célébré le 27
octobre avec toute la pompe réputée convenable;
le pape en fit lui-même la cérémonie, jaloux de
confOmmer par fes mains l’ouvragé des grandeurs
de fa maifon. On prétend; que Clément donna à
Catherine ce confeil machiavellifte & peu pontifical
: fate figlioli inogni maniera, & que Catherine
le fuivit ; ce qui le rapporte à ce que difoifc
le connétable de Montmorency, que de toits les
enfans de Henri / / , il n y avoit qu'une fille naturelle
qui lui rejjemblât. L’entrevue de Marfeille
finit le 20 novembre 1533 ; elle avoit commencé
le 4 oâôbre.. Le pape ne lurvécut pas long-temps
à cette entrevue ni au fchifme d’Angleterre; il
mourut le 24 feptembre 1534.
Guichardin loue dans Clément V I I , qu’il avoit
beaucoup connu , des qualités vraiment pontificales
, de la gravité , de la décence dans les
moeurs, de la piété , cet art de traiter avec les
hommes, cette foupleffe d’efprit fi néceffaire à
un fouverain qui n’eft puiffant que par laconfi-
dération qu’il fait s’attirer. La timidité, par con-
féquent lafoibleffe, fut l’écueil le plus ordinaire
de fes talens. Il feroit injufte de lui imputer
les pertes que fit le faint fiège fous fon pontificat;
il n’eût point introduit les abus qui fervirent
de prétexte à la réforme, & qui firent le fuccês
des réformateurs. S’il foutint ces abus , ce fut
moins par zèle que par honneur, car l’autorité
place l’honneur à ne point reculer, même fur les
abus. L’efprit de révolte contre Rome fermentoit
depuis long-temps ; le malheur des deux papes
Médicis voulut qu’il éclatât fous leur règne, uni*,
quement parce que le temps étoit arrivé. L’indulgent
Léon X , le fage Clément V I I étoient
punis des crimes d’Alexandre V I & des fureurs
de Jules II. Clément, très-fupérieur à fon prédé-
ççffçur Adrien VI, égal pour le moins à Léon X ,
puifqu’jj
putfqtul le gouvernoit, n’avoit ni les vertus d’un
Grégoire-le-Grand , ni les talens d’un Grégoire
V I I ou d’un'Sixte-Quint ; il avoit cependant &
■ des talens & des vertus ,* la poftéritè paroit l’avoir
mis au fécond rang parmi les papes qui ont il-
■ luftré le faint fiège. Sa paflion dominante fut
l ’agrandiffement de fa maifon. Pour la foutenir à
Florence, où Alexandre de Médicis régnoit avec
Marguerite d’Autriche, fa femme, fille naturelle
de Charles-Quinr, il y faifoit conftruire une citadelle
dans le temps de là mort. Heureux de n’avoir
point affez vécu pour voir la difeorde & la haine
•défoler & avilir pour un temps cette maifon par
l’empoifonneinent & l’affaflinat.
C lémentVIII(Aldobrandin) refufa long-temps
•d’abfoudre Henri IV , par ce qu’il s’étoit fait ab-
foudre en France par des évêques , & par ce
qu’en, conféquence de l’attentat de Jean Chatel,
les jéfuites avoientété bannis du royaume. Pourquoi,
dtfoit-il à ce fujet, punir l’ordre* entier du crime
d’un particulier ? On pouvoir lui répondre que fi
le crime étoit de quelques particuliers , la doârine
étoit alors celle de l’ordre entier , & il auroit pu
répliquer que cette doârine étoit alors celle'' de
•pr.efque tout le clergé de France , pour ne pas
parler des autres états catholiques. Quoi qu’il en
fo it, les négociations pour l’abfolution n’avan-
çoient pas- , quoique le cardinal d’Offât y employât
tous fes talens & toute fon activité.
Séraphin , auditeur de Rote , difoit au pape :
Très - faint père -, permetteç moi de vous dire que
Clément F I I perdit VAngleterre pour avoir voulu
. cofnplaire à Charles-Quint , & que Clément VIII
perdra la France s'il continue de chercher à complaire
à Philippe II. Ce prince étoit l’ame de la
ligue.
Le pape fe relâcha enfin jufqu’à confentir à
l’abfolution, mais il voulut qu’elle fût reçue fous
une forme qui pouvoit déplaire; il exigea que les
ambaffadeurs françois fe foumiffent à reçevoir en
pleine audience , au nom de leur maître, de légers
coups de baguette , ce que les proteftans appel-
lèrent recevoir des -coups de bâton par pro-,
cureur. Soit que cette cérémonie fût ancienne
dans L’églife, ou que ce fût une invention nouvelle,
on faififfoit fans doute des rapports-à-la-fois politiques
& myftiques entre cette baguette & l’ancienne
vindecle, entre l’abfolution & la manu-
miflion , parce que l’abfolution affranchit de la
fervitude du péché & rend la liberté chrétienne à
ceux qui étoient dans les liens des cenfures. C ’étoit,
difoient duperron & d’O f fa ta lo r s ambaffadeurs
d’Henri IV à Rome , une pratique preferite en
pareil cas par le rituel. Falloit-il pour une. vaine
formalité fufpendre line affaire de cette importance
? ne valoit-il pas mieux ôter, par une ob-
fervation exaâe du rituel, jufqu’au moindre prétexte
de dire qqe le roi n’avoit pas été bien abfous?
Le procès verbal de la cérémonie porte que
Je pape, à chaque verfet du miferere, verberabat &
Hifoire. Tom. II. Première Purt, —
percutiebat humeros procuratorum & cujuslibet ipm
forum , cum Virgd quam in manu habebat.
D ’Offat trouva ces expreflions bien hyperboliques.
C ’eft, dit-il, une cérémonie du pontificat,
» laquelle nous' ne fentions non plus que fi une
» mouche nous eût paffé par-deffus nos vêtemens ;
n néanmoins , à voir cette écriture, vous diriez
» que nous en dûmes demeurer tout épaulés.
Mais c’eft là vouloir faire prendre le change ;
il ne s’agit pas de la petite douleur que pouvoit
faire ou ne pas faire çette baguette dans une cérémonie
publique. Sans doute on n’avoit pas
. envie de bleffer ou de meurtrir les repréfentans
du roi. Il s’agit de favoir fi cette cérémonie
étoit décente , fi ce n’étoit pas foumettre
trop fervilement le diadème à la tiare- , fi
ce n’étoit pas avilir la majefté royale par une
cérémonie trop humiliante , & fournir des titres
ou des prétextes à l’ambition pontificale contre
l’indépendance des fouverains. En pareil cas la
grande règle eft de ne jamais faire ce que l’ennemi
veut qu’on faffe : le pape n’auroit pas été
fi attaché à cette cérémonie, s’il l’eût crue abfolu-
ment fans conféquence. Pourquoi, pouvoit-on lui
dire, tenez-vous tant à une pareille formule ? C ’eft,
dites-vous , que c’eft un aâe de foumifiion à l’é -
glife. Eh bien ! la voilà cette foumifiion ; nous
vous demandons l’abfolution, n’eft-ce pas recon-
noître affez formellement qu’un roi , même
viâorieux, ne peut pas s’en pafîer , du moins à
titre de chrétien & d’enfant de l’églife ? que
pouvez-vous prétendre,& même defirer de plus?
Il voulait plus ; il vouloit mettre dans l’énoncé
de la fentence d’abfolution : nous réhabilitons Henri
dans fa royauté; il vouloit que dans la cérémonie, du
Perron & d’Ofiàt dépofaffent aux pieds du pape
la couronne- de France , que le pape leur re*
mettroit fur-le*champ : jamais le zélé François ne
voulut y confentir ; c’eût été en effet l’aveu le
plus pofitif du principe ultramontrain de la dépendance
des couronnes ; & avec un peu plus de
fermeté, on eût encore fait fupprimer la honteufè ou
plutôtla ridicule cérémonie de la baguette, on auroit
enlevé aux protefians le petit triomphe ou la
petite confolation de voir que le roi ne pouvoit
leur échapper qu’à condition de s’avilir.
Ils n’épargnèrent point les plaifânteries à d’Ofi-
fat, ni fur-tout à du Perron , ni même à Henri
IV.
« Il a fallu, dit d’Aubigné, confeiïion de Sancy,"
» liv. 1, ch. 1, que Henri IV fe profternant aux
j> pieds du pape, ait reçu les gaula des en la per-
w fonne de M. le çonvertiffeur (du Perron,) & du
» cardinal d’O fiàt, lefquels deux furent couchés
fur le ventre à bèchenez , comme deux paires
V de maquereaux fur le gril, depuis miferere jufqu’à
» vitulos v.
> On fit contre l’évêque d’Evreux ( du Perron^