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qui rendît le même fervice à Déjanîre ï n’étoit
vraifemblablenjent qu’un homme à cheval; on ne
fauroit le prendre pour un batelier qu’en lui
fuppofant un efquif extrêmement petit, puifqu’il
n’auroit pu y faire paffer qu’une feule perfonne
iavec lui. ( i )
Prefque tous les monumens anciens ont dépeint j
les centaures avec un corps humain, porté fur quatre <
pieds de cheval. Paufanias (/. V.) amire cependant j
que le centaure Chiron étoit repréfenté, fur le coffre \
des Cypfélides, comme un homme porté fur deux j
pifeds humains, & aux reins duquel on auroit atta- J
ché la croupe, les ffancs, & les jambes de derrière j
d’un cheval. M. Fréret, que cette repréfenration j
met à l’aife , rie manque pas de l’adopter aufli-tôt |
comme la feule véritable ; & il en conclut qu’elle j
défigne moins un homme qui montoit des chevaux; j
qu’un homme qui en élevoit. Croyant par cette j
réponfe avoir pleinement fatisfait à la queftion , il j
fe jette dans, un long détail agronomique, pour j
trouver entre la figure que forment dans le ciel les I
étoiles de la conftellation du Centaure, & la figure
du centaure Chiron que l’on voyoit fur le coffre
des Cypfélides, une reffemblance parfaite ; & il
finit cet article en difant que les différentes repré-
fentations des centaures n’avoient aucun rapport
à l’équitation.
Une femblable affertion ne peut rien prouvèr
centre l’ancienneté de l’art de monter à cheval, |
qu’autant qu’on s’eft fait un principe de n’en pas =
admettre l’exifience avant un certain temps. M. I
Fréret, à qui la foibleffe de fon/raifonnement ne j
po-jvoit être inconnue, a cru lui donner plus de |
force en jetant des nuages fur l’ancienneté de la j
fiélion des centaures; il a donc prétenda qu’elle jj
étoit poftérieure à Héfiode & à Homère, & qu’on j
n’en découvrait aucune trace dans ces poètes. !
Mais il n’y aura plus rien qu’on ne puiflè nier jj
ou rendre problématique, quand on détournera de f.
leur véritable Cens les expreffions les plus claires j
d’un auteur. Homère { Iliad. 1 .1 & II. ) appelle les î
centaures des monfires couverts de poil, O? pus j
(pvpo-lv ôpsfixt-Uici: cette expreffion,qui paroît d’une ma- \
nière fi précife fe rapporter à l’idée que l’on fe for- !
moit du temps de ce poète, fur la foi de la tradi-, |
tion, de ces êtres fantaftiques , M. Fréret veut f
qu’elle défigne feulement la groffiéreté & la férocité |
de ces montagnards.
Enfin, quoique ces peuples demeura fient dans la j
Thefialie, province qui a fourni la première & la >
meilleure cavalerie de la Grèce, plutôt que de trou- j
ver dans ce qu’on a dit d’eux le moindre rapport jj
avec l'équitation ou avec l’art de conduire des chars, j
M. Fréret aimeroit mieux croire qu’ils ne furent |
jamais faire aucun ufage des chevaux, pas même jj
pour les atteler à des chars ; il fe fonde lur ce que |
dans riiiade les meilleurs chevaux de l’armée des fi
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Grecs étoîent ceux d’Achille & d’Eumélqs fils d’AcF
mète, qui régnoient fur le canton de la Thefialie
le plus éloigné de la demeure des centaures. Un
pareil raifonnement n’a pas befoin d’être réfuté*
Conjectures de M. Fréret. Le quatrième & dernier
article delà favante diflertation de M. Fréret contient
fes conjeâures fur l’époque de l’équitation dans
l’Afie minëure & dans la Grèce: elles fe réduifent
à établir que l’art de monter à cheval n’a été connu
dans l’Afie mineure que par le moyen des différentes
incurfions que les Trérons & les Gimmériens y
firent, & dont les plus anciennes étoient pofté-
rieures de 150 ans à la guerre de T ro y e , & de quel-:
ques années feulement, fuivant Strabon, à l’arrivée
des colonies éoliennes & ioniennes dans ce pays.
Quant à la Grèce européenne, il ne veut pas que
Méquitation y ait précédé de beaucoup la première
pguerre de Mefsène, parceque Paufanias dit que
les peuples du Péloponèfe étoient alors peu habiles
dans l’art de monter à cheval. M. Fréret penfe encore
que la Macédoine efi le pays de la Grèce ou
l’ufage de la cavalerie a commencé ; qu’il a pafle
de-là dans La Thefialie, d’où il s’eft répandu dans
le refte de la Grèce méridionale.
Ainfi l’on voit premièrement, que M. Fréret ne
s’attache ni à déduire ni a difcuter .les faits conftans
que nous avons cités de Séfoftris, des Scolothes ou
Scythes, & des Amazones. Il eft vrai qu’il nie
que ces femmes guerrières aient jamais combattu
à cheval, parce qu’Homère ne le dit pas; car le
filence d’Homère eft par-tout une démonftration
évidente pour lui, quoiqu’il ne veuille pas s’en rapporter
aux expreflions pofitives de ce poète ; maïs
cette affertion gratuite, & combattue par le t moi-
gnage unanime des hiftoriens, ne fauroit détruire!'
les probabilités que l’on tire en faveur de l’ancienneté
de Y équitation c h e z les Grecs, des. conquêtes
des Scythes & des Egyptiens , & des colonies que
ceux-ci & les Phéniciens ont fondées dans la Grèce
plufieurs fiècles avant la guerre de Troye.
Secondement, fixer feulement l’époque de Yèqm~
tation dans-la Grèce européenne vers le temps de la
première guerre de Mefsène, c’eft contredire formellement
Xénophon, {de Rep. Lacedcemon. ) qui
attribue à Lycurgue les réglemens militaires de
Sparte, tant par rapport à l’infanterie pefamment
armée, que par rapport aux cavaliers ; dire que
ceux-ci n’ont jamais fervi à cheval, & dériver leur
dénomination du temps où elle défignoit auflï ceux
qui combattoient fur des chars c’eft éluder la difficulté
& fuppofer ce qui eft ; n queftion. Ces cavaliers,
dit Xériophon , étoient choifis par d s magif-
trats nommés hippagiruoe ah equitatu congregando •
ce qui prouve une connoifîanee & un ufage antérieurs
de la cavalerie. Cet établiflement deLycurgue,
tout fage qu’il étoit, fouffrit enfuite diverfes altérations;
mais il ne fut jamais entièrement aboli. Les.
hommes, choifis qui, fuivant l’intention du légifla-
teur, avoient été deftinés p (1) Péjunire étoit avec HercuJe & Hyllus fon fils. our combattre à cheval*
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fc’ eri dlfpensèrent peu à peu, 6c ne fe chargèrent
plus que du foin de nourrir des chevaux durant la
paix, qu’ils çonfioient pendant la guerre (1) à tout
ce qu’il y a voit à Sparte d'hommes peu vigoureux
& peu braves. M. Fréret confond, en cet endroit,
l’ordre des temps. A la bataille de Leuélres, dit il,
la cavalerie lacédémonienne étoit encore très-
inauvaife, félon Xénophon; elle né commença à
devenir bonne qu’après avoir été mêlée avec la
cavalerie étrangère, ce qui arriva au temps d’Agé-
filaiis.: ce prince étant pafle dans l’Afie mineure,
leva parmi les Grées afiatiques un corps de 1500
chevaux, avec le-fquels il repafla dans la Grèce , 8c
qui rendit de grands fervices aux Lacédémoniens.
Agéfilaüs avoit fait tout cela avant la bataille de
Leuares.-La fuite des événemens eft totalement
intervertie dans ces réflexions de M. Fréret. Il fuit
de cette explication , qn’encore que les cavaliers
Spartiates n’aient pas toujours combattu à cheval,
il ne laifloit pas d’y avoir toujours de la cavalerie
à Sparte , mais à la vérité très-mauvaife : on le voit
fur-tout dans l’hiftoire des guerres de Mefsène. Paufanias
, /. IV.
Il eft à propos de remarquer que Strabon, fur
lequel M. Fréret s’appuie en cet endroit, prouve
contre lui. Lorfque cet auteur dit ( Strabon , l .X . )
que les hommes choifis, que l’on nommoit à Sparte
les cavaliers, fervoient à pied, il ajoute qu’ils le
faifoient à la différence de ceux de l’île de Crète:
ces derniers combattoient donc à cheval. Gr Lycurgue
avoit puifé dans file de Crète la plupart de fes
lo ix , par conféquent l’ufage de la cavalerie avoit
précédé dans la Grèce le temps où ce légiflateur
a vécu.
S’il eft vrai qu’au commencement des guerres
de Mefsène les peuples du Péloponèfe fufient
très-peu habiles dans l’art de monter a cheval (2),
il l’eft encore davantage qu’ils ne fe fervoient point
de chars ; on n’en voit pas un feul dans leurs
armées, quoiqu’il y eût de la cavalerie. Il eft bien
fingulier que ces Grecs , qui, dans les temps héroïques,
ri’a voient combattu que montés.fur des chars,
qui encore alors fe faifoient gloire de remporter
daris les jeux publics le prix a la coïirfe des chars,
aient ceffé néanmoins tout-à coup d’en faire ufage
à la guerre, qu’on n’en voye plus dans leurs armées,
& qu’ils n’aient commencé d’en avoir que plufieurs 1 2
(1) Equos enim locupletiores âlebant , cùrn yerb in expedi-
tionem eunduni effet ,veniebat is qui dejignatus erat, & equum
& arma . . . quali aeumque, accipiebat, atque ita militàbat.
JEquïs indï milites corporibus imbecilles , animifque languentes
imponebant. Xénoph. hift. grecq. lib. VI.
(2) L’état de foiblefle où fe trouvoit alors toute la Grèce,
en général, étoit une fuite de l’irruption des Doriens de
Theflalie , fous la conduite desHéraclides : cet événement,
arrivé un fiècle après la prife de Troye, jeta la Grèce dans
un état de barbarie & d'ignorance à peu près pareil, dit
M. Fréret , à ce lui pù l’invafion des Normands jeta la
France fur la fin du neuvième fiècle. Cela eft conforme à ce
que rapporte Thucydide , Hv. I ■ Il fallut plufieurs fiècles
pour mettre les Grecs en état d’agir avec vigueur,
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ficelés après , lorfque les généraux d’Alexandre fe
furent partagé Pempirc que ce grand prince avoit
conquis fur Darius.
Une chofe étonnante dans- le fyfiême de M*
Fréret, c’eft qu’il fuppofe nécefiairement que l’ufage
des chars a été connu dès Grecs avant celui de
Y équitation. La marche de la nature, qui nous conduit
ordinairement du limple au cempofé , fe trouve ici
totalement renverfée, quoi qu’en ait dit Lucrèce
dans les vers fuivans :
Et priùs efi repeitum in equi confcendere cofias ,
Et moderarier hune freeno , dextrâque vigere
Quant bijugo curru belli tenture pericla. Luer. I, V.
Ce poète avoit raifon de regarder l’art de conduire
un char attelé de plufieurs chevaux comme quelque
chofe de plus combiné, qup celui de. monter &
conduire un feul cheval. Mais M, Fréret foutient
que cela eft faux, & que la façon la plus fi m pie
& la plus aifée de /aire ufage des chevaux, celle
par ou l’on a du commencer, a été de les attacher
à des fardeaux, & de les leur faire tirer après eux :
« Par là , dit-il, la fougue du cheval le plus impén
rueux eft arrêtée, ou du moins diminuée.............
. » -I/é traîneau a dû être la plus ancienne de toutes
y» les voitures ; ce traîneau ayant été pofé en lu ite
» fur des rouleaux, qui font devenus des roues
; » lorfqu’on les a attachés à cette machine, s’éleva
v peu à peu de terre , & a formé des chars anciens
| » à deux eu à quatre roues. Quelle combinâîfon,
» quelle fuite d’idées il faut fuppofer dans les
1 » premiers hommes qui fe font fer vis du cheval î
» Cet animal a donc été très-long-temps inutile à
» l’homme, s’il a fallu, avant qu’il le prît à fon
» fervice, qu’il connût l’art de faire des liens, de
» façonner le bois , d’en conftruire des traîneaux.
» Mais pourquoi n’a-t-il pu mettre fur le dos dit
i » cheval les fardeaux qu’il ne pouvoir porter lui-
» même r Ne divoit-on pas que le cheval a la féro-
» cité du tigre 8c du lion , 6c qu’il eft le plus dit-
» ficile des animaux, lui qu’on a vu tans, bride 6c
» fans mors obéir aveuglément à la voix du nu-
» mi de ? v Mais, pour combattre un raifonnement
aufli extraordinaire que celui de M. Fréret, il
fuffit d’en appelîer à l’expérience connue des'fiècles
paffés 8c à nos ufages prête ns : on ne s’avife. d’atteler
les chevaux à des charrues , à des charrettes,
& c. qu’après qu’ils ont été domptés , montés, &
accoutumés avec l’homme; une méthode contraire
metrroit en danger la vie du condüâeur & celle
du cheval. Mais l’hiftoire clépofe encore ici contre
cet académicien : par le petit nombre de chars que
l’on compte dans les dénombremens nui paroiflent
les plus exa&s des armées anciennes / Scia grande
quantité de cavalerie, (3) il eft aifié de juger que
(3) Lors du pafiage de-la mer Rouge , les Egyptiens
avoient fis cents chars & cinquante mille hommes de cavalerie,
& Salomon , fur douze mille hommes de cavalerie,
avoit quatorze cents chars. En faifant un calcul, on trouver
oit le commandant de chaque efeadron fur un char,