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noux aux pieds de celui ou de celle qui devoit
l’armer chevalier, car on a lieu de croire que les
femmes exerçoient quelquefois ces honorables fonctions.
Cette fcènepouvoit fe paflèr dans une chapelle,
dans un château, fur la brèche d’une ville afliégée,ou
en pleine campagne. Le récipiendaire étoit aulîi-tôt
revêtu de toutes les marques extérieures de la
chevalerie : on lui donnoit l’accolade, & après l’avoir
armé, on lui amenoit un cheval, qu’il mon-
toit fur le champ & qu’il faifoit caracoler : il fe
montroit enfuite en public avec cet équipage.
Toutes cès cérémonies n’étoient pas toujours
pratiquées, & il y avoit plufieurs manières d’armer
un chevalier. Voici comment s’exprime Antoine
de la Salle, auteur du quinzième fiècle, dans un
livre qui porte le titre de Salade.
« L’écuyer', quand il a bien voyagé & a efté
» en plufieurs faiâs d’armes dont il effc failly à
» honneur , & qu’il a bien de quoy maintenir
V l’eftat de la chevalerie , car aultrement ne luy eft
» honneur, & vault mieux eftre un bon efcuyer
” que ung poure chevalier, dont pour plus hono-
» rablement li eftre que avant la bataille , l’afîault
» ou la rencont e , où*bennières de princes foient;
n alors doibt refqueri» aulcun feigneur ou preud-
» homme chevalier qui le face chevalier, au nom
” de D ie u , de Notre-Dame, & de monfeigneur
» fainél George, le bon chevalier à luy baillant
» fon efpée nue en baifant la croix : en oultres,,
» bons, chevaliers fe font au fainâ fép.ulchre de
” Noftre-Seigneur , pour l’amour & honneur de
» luy. Aultr s fe font qui font baignés en cuves,
» & puys reveftus tout de neuf, & celle nuyâ
» vont veiller en l’églife où ils doybvent eftre en
» dévotion jufques après la grand’meffe chantée.
» Lors le prince ou aulcun aultre feigneur cheva-
» lier lui ceint l’efpée dorée, & en plufieurs aul-
» très lefgières faftons ».
L ’âge de vingt-un ans n’étoit pas abfolument
néceflaire à celui qui vouloit être reçu chevalier:
on en recevoit à feize ou quinze ans , & même au-
deffous de l’âge prefcrit pour être écuyer.
Ce que chevaliers fe fo n t
P lu fie u r s trop petitement ,
Que d ix ou que dou\e ans n’ ont.
Ce n’étoit donc que par abus qu’on étoit difpenfé
de cet â g e , au-denous duquel on n’avoit pas en-a
core la force néceflaire pour porter les armes du '
chevalier. Ce qui prouve que l’âge de vingt-un ans
étoit l’âge requis par la lo i, c’eft que les feigneurs
des fiefs de Haubert ne pouvoient être obligés par
leurs fuzerains de recevoir l’ordre de la chevalerie
qu’à cet âge.
Le chevalier de la Tour , dans fon guidon des
guerres, parle fort au long des qualités qu’on doit
exiger de celui qui fe préfente pour être reçu chevalier.
Euftache Defchamps, poète du quatorzième
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fiècle , a tracé l’abrégé de la morale du chevalier
dans la ballade que nous rapportons ici.
B a l l a d e .
V o u s q u i voule\ l ’ordre de chevalier ,
I l vous con v ien t mener n ou velle v ie ,
Dévotement en ora ifon v e ille r ,
F e fch ié fu y r , orgu e il & v ille n ie j
L ’eg life deve\ défendre ,
L a vefve a u jji , l'o rp h e lin entreprendre ,
E J lr e hardys & le peuple garder ,
Pro d om s lo y a u lx , fa n s rien de l ’a u ltru y prendre J,
A in j i fe doibt chevalier gouverner•
H um b le cuer ( i ) a y t tou dis ( 2 ) d o it t r a v a ille r , '
E t p o urfuy r ( 3 ) f a i \ de chevalerie ,
Guerre lo y a l , eftre g ra n t y o y a g ie r,
T o u rn o y s fu y r ( 4 ) & jou fter p o u r f a mie ,
I l d o it a tou t honneur tendre
S y corn ne p u ift de lu y blafme reprandre ,
N e lafcheté en fe s oeuvres trouver ,
E t entre tou\ fe do ibt tenir le mendre (5) s
A in f y fe doibt chevalier gouverner.
I l d o it amer fo n fe ign eur droiâurie r ,
E t dejfus tou\ garder l a feigneurie ,
L a rg e fie a v o ir j eftre v ra y ju ftic ie r ,
D e s prodomes f u y r l a compagnie ,
L e u rs d i\ o ir & apprendre ,
E t des v a illa n d s le s prouejfes comprendre »
A f in qu’ i l p u ift les gran ds f a i \ achever
Comme ja d is f i f t le roy A le x a n d re J
A in j i fe d o it chevalier gouverner.
C ’étoit fur-tout aux batailles & aux fièges que
l’on conféroit la chevalerie, & ces promotions
étoient quelquefois très-confidérables. On fit'quatre
cents foixante-fept chevaliers à la bataille de Rofe-
beck, en 1382, ,& cinq cents à celle d’A zincourt,
en 1415. Louis delà Trimouille, avant la bataille
de Novàrre , fit rafîembler les gentilshommes qui
vouloient être chevaliers ; & il s’en trouva un grand
nombre qui , deftrant de montrer leur courage en ce
jour, & pour perpétuer leur nom par le chemin de la
prouejfe , fe voulurent enrichir du titre de chevalerie.
Il paroît qu’on ne fut pas profiter de cet em-
preffement que montroient les gentilshommes pour
obtenir ce rang. On fait plus pour mériter ce qu’on
defire, qu’on ne fait pour fe rendre digne de ce
qu’on a obtenu. Il eût été de la bonne politique
de ne conférer la chevalerie qu’après les batailles ,
d’autant mieux que cette aâion paroît quelquefois
( 1 ) Coeur.
(2 ) Toujours.
( 3 ) Pourfuivre*
(4) Suivre.
( 5 ) Moindre,
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très-prochaine, & n’a jamais lieu : c’eft ce qu’on
Vit à Vironfoffe en 1339. Les armées étant en
préfence & prêtés à charger, on crut n’avoir rien
de mieux à faire en attendant, que de créer des
chevaliers. Après cela on fe fépara. Dans ces entrefaites
, un lièvre pafla devant le camp des François
, ce qui fit donner aux nouveaux chevaliers le
lobriquet de chevaliers du lièvre.
Plufieurs monumens attellent que dès le treizième
fiècle il falloit être gentilhomme de nom
& d’armes pour être reçu chevalier. Cependant il
y avoit des difpenfes pour la noblefle comme
pour l’âge. Un arrêt du parlement, rendu en 1280,
prononça que le comte de Flandres né pou voit
ni ne devoit conférer la chevalerie à un villain
fans l’autorité du roi : mais certainement cette loi
n’eut pas lieu dans l’origine de la chevalerie & dans
ia décadence.
Les rois & les princes étoient nés chevaliers ,
leur naiflance leur donnoit le titre de chefs de la
chevalerie, & ils recevoient, dès le berceau, l ’épée
qui devoit en être la marque. Ce fut ainfi que
duGuefclin arma chevalier le fécond fils de Charles
V , qui dans la fuite fut duc d’Orléans. François I
ne fe contenta pas de ce privilège attaché à la
naiflance ; après la bataille de Marignan , il voulut
que le chevalier Bayard lui conférât l’ordre & lui
donnât l’accolade.
La chevalerie émancipoit ceux qui la recevoient,
c'eft-à-dire, fuivant le Laboureur, qu’elle leur
donnoit le bénéfice de l’âge pour tenir leurs terres
& pour en rendre le fervice en perfonne.
. Les chevaliers avoient feuls le droit de porter
des éperons dorés. EiixTeuls portoient des fourrures
de prix, comme le vair , l’hermine & le
petit gris. On voit dans nos hiftoriens & dans les
montres de la gendarmerie, qu’on les qualifioit
de monfeigneur, demejjjre. Le Laboureur dit qu’ils 1
avoient aufli le droit exclufif d’avoir des girouettes
fur leurs châteaux, en pointe pour les Amples
chevaliers, & quarrées comme les bannières pour
les chevaliers bannerets.
La noblefle françoife, dit M. de Sainte-Palaye,
apprit des Germains à compter pour rien la plus
haute naiflance, jufqu’à ce qu’on s’en fut rendu
digne par des fervices militaires. La chevalerie feule,
par une fuite de ce fentiment, aufli ancien que
notre nation, donnoit aux gentilshommes le droit
d’avoir un fceau : tous les monumens anciens font
foi de cette vérité , qui a été unanimement reconnue
par nos auteurs modernes.
Le même auteur attribue encore aux chevaliers
le privilège de porter au doigt un anneau qui leur
fervoit de cachet. Mais nous manquons des témoignages
néceflaires pour appuyer ce fentiment.
Lorfqu’un gentilhomme marioit fon fils, ou le
faifoit chevalier, il étoit obligé de lui donner le
tiers de fa terre. Un chevalier étoit difpenfé des
gardes auxquelles on aflùjettiffoit les écuyers & les
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pages; & quand il vènoit faire fa réfidence dans
une v ille , les hommes qui lui appartenoient r*è
pouvoient être impofés à la taille ou cens, qu’il
étoit permis aux bourgeois de lever fur les nouveaux
habitans.
- Nos anciens auteurs ne fe laflent point de parler
des vertus & des belles actions des chevaliersi
C ’eft là qu’il faut chercher ces traits de bravoure,
de générofité, de fidélité & de magnificence, dont
nous nous formons à peine une idée. Ils fe plai-
foient fur-tout à fecourir les foibles , à protéger
la veuve & l’orphelin. Aufli ils en étoient bien
récompenfés par la confidération qu’on leur té-
moignoit, & . par les honneurs qu’on s’emprefloit
à leur rendre. II y avoit fur les châteaux des grands
feigneurs un heaume ou cafque , qui étoit le figne
de l’hofpitalité pour les chevaliers qui pafloient à
portée. On les y recevoit avec joie , on les fêtoit
& on les renvoyoit comblés de préfens , car une
fauflë délicatefîe ne lès empêchoit pas d’en recevoir.
Comment fe feroientrils oft'enfés d’un hommage
? L’emploi de ces dons les honoroit autant que
leurs bienfaiteurs.
Les dames entroient pour beaucoup dans les
exploits de la chevalerie. Les regards de la beauté
élevoient le courage , & faifoient d’un amant fidèle
un bravé guerrier. Et ce n’étoit pas feulement parmi
nous que l’envie de plaire faifoit affronter les plus-
grands dangers. Vo yez dans Froiffard comment un
Feigneur africain , nommé Agadinquor d’Oliferne l
pour plaire à Afala, fille du roi de Tunis, cher-
choit à fe diftinguer au liège d’Afrique, dans les
petits combats qui fe donnoient entre les afliégeans
& les afliégés : par quoy il en étoit plus gai, dit
l’hiftorien , plus jo l i , plus appert en armes. Voyez
aufli dans nos anciens romans combien ils hono-
roient la fageffe & la vertu chez les femmes-, &
comment celles qui fe comportoient mal étoient
notées d’infamie par ces mêmes chevaliers, qui faifoient
tout pour une maîtreffe. Le chevalier de la
Tou r , regrettant le bon vieux temps, dit : Si voul-
droye que celuy temps fufl revenu , car je penfe qu'il
n'en feroit pets tant blafmées qu à préjent.
Dans les premiers temps de la chevalerie, elle com-
battoit toujours à cheval ; mais dès le quatorzième
fiècle elle commença à combattre à pied. S’il ne
falloit que du courage dans les combats, elle au-
roit toujours eu l’avantage. Mais elle fut prefque
toujours vaincue dans les occafions où l’art étoit
néceflaire. C ’eft ce qu’on vit à la bataille de Poitiers,
& fur-tout à celle de Nicopolis, exemples
qui prouvent combien l’art même le plus firrtplé
l’emporte fur la valeur. Bajazet, qui connoiffoit
parfaitement le génie & l’ardente vivacité des François,
fut en profiter ; il rarigea fon armée de manière
à leur faire prendre le premier avantage pour
mieuxles envelopper. Tout arriva comme il l’avoit
prévu. Aufli Froiffard dit de lui : VAmorabaquin
favoit de guerre autant qu'on en pourroit favoir, «S*
| fut de fon temps un moult vaillant homme , 6*
P a