
que temps, à la condition privée qui a tant de
charmes pour la modeftie. Il demeurait dans la'rue
de Sorbonne, quartier, dit fon hiftorien, qui -an-
nonçe la fimplicité de l’habitation, c’étoit celui de
la robe , qui alors encore avoit un quartier ; il fe
partageoit entre la folitude des Chartreux à Paris ,
qu’il fréquentoit beaucoup, & celle de Saint-Gratien
dans la vallée de Montmorenci, lieu dont la fimplicité
modefte, religieufement confervéepar fes héritiers
, retraçoit encore il n’y a pas long-temps, les
moeurs de cet homme {impie & grand ; il alloit rarement
à la cour & feulement pour remplir un devoir ;
il vérifia ce qu’il avoit dit à un grand feigneur qui
fervoit fous fes ordres à l’armée, & qui les exécutait
aflez m a l, perfuadé que la naiffance difpen-
foit de la fubordination ; Catinat voulut le taire
rentrer dans le devoir & le punir d’en être forti.
« Vous parlez bien haut ic i, lui dit fièrement cet
homme indocile ; à la cour , vous baillerez le ton.
» O h ! monfienr, répondit Caùnat, quand nous
» ferons dans ce pays-là, vous ferez fi grand, &
» je ferai fi petit, que nous n’aurons rienàdémê-
» 1er enfemble ; monfieur, gardez les arrêts pen-
» dant tant de temps ».
Louis XIV lui demanda un jour pourquoi on
ne le voyoit jamais à Marly ; c’étoit déjà une faveur
de s’en appercevoir & de le dire ; Catinat fut
embarraffé de cette queftion qu’il n’avoit pas ofé
prévoir; comment faire entendre à un grand roi,
au moment fur-tout eu il vous flatte que le féjour
qu’il habite n’eft pas celui qui plaît à l’homme
vertueux ? la cour eft nombreufe, dit Catinat en balbutiant
: f en ufe ainfi pour lairferaux autres la liberté
de faire leur cour» Le roi fentit la défaite, & répondit
avec un peu de froideur : voilà bien de la confédération.
Les hiftoriens & les panégyriftes de Catinat nous
le rèpréfentent, joignant dans les moindres chofes
la bonté avec la fimplicité. Tantôt on voit le vainqueur
de Stafarde & de la Marfaille, grimpant à
un arbre pour rendre à des enfans leurs chapeaux
qu’ils avoient jettés fur cet arbre en voulant ab-
battre des nids d’oifeaux, & qui étoient reftés em-
barraffés dans les branches ; tantôt il mène aux
invalides par la main & à pied un écolier , un
jeune enfant, qui lui avoit montré la curiofité fi
naturelle & qui, dans un enfant lui parut louable,
de voir ce monument, fuperbe à tous égards ; le
Père la penjée eft d’abord reconnu par tous ces vieux
foldats, on s’emprefle autour de lu i, les tambours
battent, on prend les armes, l’enfant s’effraye de
ce bruit & de ce mouvement : « Ne craignez rien
» mon am i, dit le maréchal, c’eft un témoignage
» flatteur de l’amitié qu’ont pour moi ces hommes
» refpeâables ». Il lui fait voir toute la maifon,
le mène à l’heure du fouper dans les réfeâoires,
fait apporter deux verres & boit avec le jeiine-
homme à la fanté de fes anciens camarades, qui
tous débout & découverts le remercient. & le re-
condqifent enfuite avec acclamation. Moeurs antjques
! moeurs refpe&ables, qui ont ] comme le dît
l’auteur du panégyrique couronné, quelque chofe
d’attendrifl'ant & d’augufte.
La grande & fi long-temps défaftreufe guerre de
la fucceflion d’Efpagne, vint bientôt rendre Cad*
nat néceffaire & l’arracher à un loifir qu’il rendoit
utile par de profondes méditations fur fon art, par
des écrits qu’il afacrifiés dans la fuite pour la plupart
, & que nous ne pouvons que regretter. Cad-
nat partit pour l’Italie le 2.3 mars 1701 ; l’empereur
lui oppofa le prince Eugène ; ces deux généraux
étoient dignes l’un de l’autre, mais fi la fupériorité
que Catinat avoit eue fur Eugène dans la guerre
précédente, parut fe démentir dans celle-ci, il importe
fur-tout d’en examiner les caüfes ; elles nous
paroiffent avoir été raffemblées avec aflez de pré-
cifion par un des panégyriftes de Catinat, dans le
morceau fuivant : « l’un indépendant, abandonné
» à fon génie, maître de fon fecret & de celui
» de l’ennemi, commandoit une armée bien ap-
v provifionnée, fupérieure en nombre & aguerrie :
» l’autre avec des troupes moins nombreufes, &
» qui n’étoient pas encore formées, avoit à com-
» battre la friponnerie des munitionnaires, les ca-
» baies des officiers-généraux, l’ignorance de fes
» collègues, la perfidie d’un allié, & Verfailles,
» dont il falloit toujours attendre le courier pour
» agir. On crut revoir dans cette campagne, ce
t* fameux perfonnage de T ro y e , condamné à pré-
» dire l’avenir, & à n’être jamais cru ».
Les intérêts étoient fujets à changer du côté deS
Alpes, & toujours par la politique du duc de Savoie
, qui ne voyoit rien au-delà du moment, 8ç
n’avoit aucun principe fixe, qu’un défir général de
s’aggrandir. En 1686 , Catinat avoit fait la guerre
aux Barbets & aux Vaudois avec lui & pour lui;
en 1690, c’étoit à lui qu’il avoit fallu la faire;
en 1696,' il avoit eu l’obligation à Catinat du traité
qui l’avoit rendu beau-père d’un prince , qu’on
croyoit deftiné à régner en France ;. peu de temps
après il devint aufli beau père du roi d’Efpagne,
on crut pouvoir compter fur des noeuds fi facrés,
& le duc de Savoie devoit commander en qualité
de généraliffime l’armée combinée de France &
d’Efpagne, ayant fous lui Catinat à 1^ tête des
François , & le prince de Vaudemont à la tête des
Efpagnols ; mais V ifto r, comme il le difoit lui-mé-
me, aimoit mieux deux provinces de plus dans fes
états que fes deux filles, & la nature ne lui fembloit
bonne^qu’à être facrifiée à la politique ; Catinat
arrive à Turin, il trouve le duc de Savoie difpofé
en apparence à joindre fes troupes à celles de fes
alliés & à partir lui-même pour prendre le commandement
de l’armée ; Catinat va l’attendre à
Milan , le duc n’arrive point, ni perfonne de fa
part ; cependant le prince Eugène defeendu des
montagnes du Trentin, menaçoit à la fois & le
Mantouan & le Milanois,, & obligeoit de garder
ou de couvrir prefque tout le cours de l’Adige, du
Mincio , de l’Oglio & du Pô , Catinat ne çeffoit
‘de prefler les fecours de Turin & l’arrivée du duc, .
à chaque nouvelle inftance le duc faifoit partir quelques
régimens qui alloient lentement par le chemin
le plus long , & s’arrêtoient fur la frontière ;
après avoir pris pour prétexte de retarder fon départ
, la néceflité de faire partir les troupes auparavant
, & avoir épuifé les autres défaites, il pro-
pofa des difficultés fur le commandement qu’on lui
déféroit, & dans lequel il prévoyoit, difoit-il, qu’il
n’auroit que les dehors de l'autorité. Eh bien ! écrivoit
Catinat, nous nous parferons fort bien de S. A. R. mais
qu'il nous envoyé fes troupes : elles marchent à pas de
tortue3elles ferpentent comme le méandre. Le duc ne
vouloit ni arriver ni permettre qu’elles arrivaffent. •
A la faveur de ce défaut de concert, dont il n’é-
toit que trop bien inftruit, le prince Eugène força
le pofte de C a rp y ,& battit Saint-Fremont qui le
gardoit, cet écnec n’eut de mémorable que la valeur
des François vaincus, valeur, fans laquelle, dit >
Catinat, on ne fait pas bien ce que tout feroit devenu,
& que l’aélion de M. d eT e ffé , à qui un officier
ennemi tira deux coups de piftolet fans l’atteindre,
& qui fans daigner fe ferVir de fes armes contre
ce tireur mal-adroit, le reconduifit à coups de canne
jufqu’à fa troupe. Le duc de Savoie arriva enfin ,
au moment oii on ne l’en prioit plus, & alors on
s’apperçut plus que jamais que les délibérations les
plus fecretes étoient révélées à l’ennemi. Catinat
fut d’ailleurs ou devina que les promeffes de l’empereur
avoient féduit le duc de Savoie , il en
avertit le roi dans fa correfpondance fecrète, qui
malheureufement ne l’étoit pas non plus pour madame
la duchefle de Bourgogne ; de ce moment la
difgrace de Catinat fut réfolue ; madame la du-
cheffe de Bourgogne l’accufa d’être l’ennemi, de
fon père , madame de Maintenon l’accufa d’être
indévot, quoiqu’il fut précifement le contraire :
fon irréligion , difoit - on, indifpofoit les Italiens ,
on publioit qu’un prêtre s’étoit préfenté à lui
une hoftie à la main, & avoit dit: «Je viens au
» nom de Dieu vous maudire , vous & toute vo-
» tire armée, puifque vous ne vouiez pas faire por-
»> ter à Dieu & à fes facremegs le refpeâ qui leur
» eft dû ». Les courtifans les plus modérés affec-
toient de plaindre Catinat , dont ils difoient que
la douleur, à la mort de Croifilles fon frère, (1)
avoit afforbli la tête & altéré la raifon ; M. de
Tefle mandoit : « Le maréchal n’y eft plus, il
» n’y a plus perfonne au logis , envoyez-nous un
» autre général » ; on envoya V ille ro y , Catinat
lui même avoit demandé fon rappel »alléguant,
félon l’ufage , fon âge & fes infirmités , & fentant
bien que le duc de Savoie ne lui pardonneroit jamais
d’avoir dit devant lui dans un confeil de
guerre : Non-feulement le prince Eugène ejl inftruit à
point nommé de tous les mouvemens de Varmée , de la
force dès dètachemens qui en fanent, de leur objet ;
mais il Cerf encore de tous les projets qui font difeutés ici.
Catinat ne refta plus à l’armée que le temps né-
ceflaire pour inftruire fon fuccefleur, qui ne croyoit
point avoir befoin d’être inftruit & qui ne parloit
que de chafler les ennemis de l’Italie, Catinat voulut
lui infpirer un peu de circonfpeétion ; Villeroy
répondit avec l ’ironie hautaine d’un courtifan gâté
par la faveur : Nous ne fommes plus dans la faifo/t
| de la prudence. L’échec de Clïiari ne tarda pas à
lui apprendre que la prudence eft toujours de fai-
fon, & que le courtifan le plus favorifé doit ref-
peéter la gloire d’un grand homme dans la difgrace;
la furprile de Crémone & ledéfaftre de Ramillies
prouvèrent encore mieux dans la fuite combien
Villeroy étoit peu fait pour remplacer Catinat.
Catinat n’avoit point encore quitté l’armée, lorsqu'on
livra imprudemment le combat de Chiari »
il avoit oppofé à cette réfolution toutes les raifons
que lui fourniffoit l’expérience, &lorfqu’il vit arriver
dans cette affaire tout ce qu’il avoit prédit &
tout ce que V illeroy avoit combattu dans le confeil
, il ne put fe refufer ce mot : Meffieurs, ce rieft
pas ma faute, mort avis ri étoit pourtant pas f i fot. Le
duc de Savoie, fe fachant fufpeâ, fit dans ce combat
tout ce qui pouvoir lejuftifier; Catinat fe voyant
rappellé fit tout ce qui pouvoit le faire regretter.
Il rallioit pour la troifième fois un corps toujours
repouffé : ou voulez-vous nous mener? lui dit un
officier , à la mort ! La mort eft devant nous, répond
Catinat, mais la honte eft derrière.
Dans une autre occafion, Catinat fut blefle d’un
coup de feu en voulant reconnoître les ennemis ,
& les foldats, mauvais courtifans, s’empreffoient
tous à l’en v i, de demander : Comment fe porte notre
Père la penfée ? Lorfqu’à fon retour , il parut à Ver-
failles , il' n’accufa perfonne , & dans un Entretien
qu’il eut avec le roi pour lui rendre compte de
l’état ou il avoit laifle les affaires en Italie, il lui
dit : « Les gens qui ont cherché à me nuire, peu-
» vent être très-utiles à votre majefté. J’étois pour
» eux un objet d’envie. A préfent que je n’y fuis
» plus, votre majefté tirera d’eux un fort bon parti
» pour fon fervice ».
Villeroy jugea comme Catinat, de la conduite
du duc de Savoie , il ofa mander à la cour les
mêmes chofes qui avoient perdu Catinat, & il y
ajouta en toutes lettres : « I l eft imporfible de faire *■
la guerre, f ile duc de Savoie commande encore l'armée.
Enfin le duc de Savoie juftifia tous lesfoupçons
en levant le mafque & en embrafîant hautement
le parti de l’empereur contre' fes deux gendres &
fes deux filles ; ce fut contre lui que M. le duc de
Bourgogne fit fes premières armes ; à fon départ
il dit à la duchefle, en l ’embraflant : Ma chère amie,
• aure^-vous bien le courage de faire des voeux pour un
( 1 ) 11 avoit refufé la place de^fous’-gouverneur de M. le duc de Bourgogne & de.M, le duc d’Anjou. Il mourut le r f
mars 1701. ■ - _
Miftoire. Tom, IL Première Part, -