
Première Croifade fous Philippe 1 , lo ç i.
La fuperftition avoit mis à la mode les pèlerinages
aux faints lieux ; mais les pèlerins n’é-
toient guères accueillis par la nation qui tenoit alors
Jérufalem fous fa puiffance. Un prêtre picard
nommé Cucupiètre & connu dans notre hiftoire
fous le nom de Pierre l’Hèrmite , touché des outrages
que les chrétiens effuy oient, conçut l’idée
de leur faire conquérir une terre qu’il croyoit
faite pour eux. Il excita le pape & les fouverains
à joindre leurs forces pour cette expédition., & il
eut la gloire de réuffir.
La ligue fut réfolue en 1095 , au concile de
Clermont, où chacun cria d’une voix' unanime,
Dieu le volt, Dieu le volt. Tous ceux qui partirent
pour la Terre fainte, portoient une croix d’étoffe
rouge fur l’épaule droite. L’empreffemenc fut fi
grand, que le nombre de ces premiers croifés,
monta, dit-on , à ' plus de fix millions d’ames,ce
qui eft tout-à-fait incroyable. Cette multitude in-
dilciplinée fe partagea en différens corps d’armée,
dont l’un fut fous le commandement de Cucupiètre
, qui apprit bientôt qu’il favoit mieux prêcher
que combattre. Deux autres corps devinrent
la viéfime de leurs défordres & furent exterminés
par les Hongrois. Le malheureux Picard fut
défait par le Soudan deNicée. Gautier fans argent
y fut tué avec Raymond de Bréis , Foucher
d’Orléans, Gautier de Breteuil 8c Geoffroi de
Burel.
Godefroi de Bouillon, duc de Lorraine, eut
fous fes ordres une armée de foixante-dix mille
hommes de pied, & de dix mille cavaliers, fous
les bannières de plufieurs feigneurs, tous Lorrains
ou Allemands. Les Italiens le raffemblèrenr fous
les étendards de Bohémond , fils de Robert Guif-
card ; ceux de Touloufe fous les enieignes du
vieux Raymond de Saint-Gilles, fi connu par fes
belles avions;les Normands étoient conduits par
leur duc Robert. Les autres chefs étoient Hugues,
frère du ro i, Etienne, comte de Boulogne, Robert,
comte de Flandre, &c. L’armée entière étoit de
cinq cents mille fantaffins , 8c de cent trente mille
cavaliers. On prit d’abord Nicée, capitale de la
Bithynie, 8c l’on battit deux fois les armées Turques
8c Arabes. Ces fuccès en procurèrent de plus
grands : Edeffe , Antioche , & plufieurs autres
villes furent affiégées 8c prifes. Ce fut dans les
combats que ces fiéges occafionnèrent que Gode-r
froi de Bouillon fe fignala par ces prodiges de force
& de valeur que l’hiftoire rejette, 8c dont la
fable même offre à peine quelques exemples, enfin
après plufieurs viâoires éclatantes, l’armée fe
préfenta devant Jérufalem , qu’elle emporta d’af-
faut après cinq femaines de fiége , quoiqu’elle fût
réduite à vingt-cinq mille hommes.
Le duc de Lorraine eut la principale gloire de
tant de fjiecès, & tous les Croifèes s’accordèrent
à lui déférer les honneurs de la royauté qu’îï rlS
fufa , fe contentant du tire de baron de Jérufa->
lem> Tout le monde convient que s’il ne porta pas
1 la couronne , perfonne ne la mérita mieux , par-
toutes les qualités qui peuvent faire d’un héros
un fouverain accompli. Cette couronne paffa dans
la fuite , faute d’hoirs mâles , dans la maifo*
d’Anjou, 8c depuis à Guy de Lufignan , qui la
perdit à la journée de Tibériade , où il fut défait
par le comte de Montferrat. Jean de Brienne y
parvint à fon tour. Tout cela faifoit, dit un écrivain
judicieux, des illuftrations dans les maifons,
fans grand profit. L’empereur Frédéric , qui époufa
la fille de Jean de Brienne , en eut tous les droits,
qu’il dédaigna d’exercer. Enfin, après les malheurs
de Saint-Louis , Jérufalem ceffa d’être regardée
comme une conquête digne d’envie, & elle redevint
ce qu’elle avoit été , l’objet d’un faint
pèlerinage.
Le bruit de fes exploits retentit dans toute l’Europe
& produifit une nouvelle armée de Croijés ,
que Soliman tailla en pièces. Hugues le grand
mourut à Tarfes d’une blefîùre qu’il avoit reçue.
Baudouin fuccéda à fon frèrè Godefroi & augmenta
confidérablemènt fon état par fes conquêtes.
C ’eil à cette première Croifade qu’on doit rapporter
l’origine des armoiries, & l’établiffement,
des ordres militaires & religieux , connus fous les
noms d’hofpitaliers , de templiers & de teuto-,
niques.
Ces premiers conquérans formèrent quatre petits
Etats , le comté d’Edeffe , le comté de Tri«
p o ly , la principauté d’Antioche 8c le royaume
de Jérufalem. Mais les divifions 8c les jaloufies des
fouyerains , plus encore que le fer des Orient
tau x , en caufèrent bientôt la ruine.
Seconde Croifade fous Louis V I I , Il4f,
Les Chrétiens d’Orient alloient être accablé*
par le Soudan d’Alep : ils implorèrent le fecours
des Européens. Ce fut Saint Bernard qui prêcha
cette fécondé Croifade, 8c qui en promit le fuccès
au nom de Dieu. Elle fut décidée dans ua
parlement tenu exprès à Vézelai en Bourgogne.
L’empreffement fin le même que la première fois ,
8c quelques hiftoriens a {furent qu’il ne reftadans les
bourgs que les femmes & les enfans. On déféra
le commandement à Saint Bernard qui avoit trop
d’efprit pour l’accepter, & qui n’eut pas la même
ambition que Cucupiètre. Les Croifés prirent le
chemin de terre , les François ayant à leur tête leur
roi 8c l’oriflamme. L’armée de l’empereur fur défaite
par la perfidie de Manuel Comnéne. Pour
l’en punir , Godefroi, evêque de Langres , avoit
propofé d’afîîéger Conftantinople ; mais cet avis
fi fage fut rejetté. L’armée du r o i , après avoir.
Battit les Turcs au paffage du Méandre, fut elle-
même défaite par l’imprudence de Godefroi de
Raufon, l’un des premiers feigneurs du Poitou,
& le monarque manqua de perdre la v ie , qu’il
ne fauva que par fon adrene & fon courage.
Depuis ce moment toutes les entreprifes des Croijé
s furent malheureufes. Le roi & l’empereur,
outrés de la mauvaife foi des Grecs 8c du prince
d’Antioche , s’embarquèrent pour retourner dans
leurs états , après avoir perdu deux armées puif-
fantes , qui euffent fuffi pour faire la conquête de
toute l’Â fie , fi elles avoient eu des chefs dignes
de les commander.
On fe déchaîna contre l’abbé de Clairvaux, qui
cita Moyfe pour fe juftifier.
On remarquoit, dans cette fécondé Croifade,
Robert, comte de D reux, frère du roi, Alfonfe de
Saint-Gilles comte de Touloufe, Thierri d’Alface
comte de Flandre, Henri fils du comte de Champagne
, Y v e s , comte de Soiffons , G u y , comte de
Ne vers, & Arnaud fon frère, comte de Tonnerre ,
Guillaume , comte de Ponthieu , Guillaume ,
comte de Varennes , Enguerrand de Coucy ,
Hugues de Lufignan , Guillaume d-: Courtenay,
Archambaud de Bourbon , Renaud de Mon-
targis , Dreux de Monchy , Manafies de Bullis,
Ithier de Thou, Anfeau de Trainel, Guérin fon
frère, Guillaume Bouteiller , Guillaume Agillon
rie Tr ie , & Geoffroi de Raufon dont on vient de
parler.
Troifieme Croifade fous Philippe ƒ / , 1189.
Nouradin , Soudan d’A lep, fils de Sanguin ,
foumettoît une partie de l’Orient à fa puifîance ; j
Edeffe, Damas 8c quelques autres villes, de la
principauté d’Antioche avoient plié fous fes loix.
Les princes chrétiens , toujours divifés & toujours
expofés aux entreprifes d’un ennemi fi puiffant,
fe virent encore forcés de recourir aux princes
d’Europe. Philippe-Augufte, quin’avoit alors que
dix-huit ans, le contenta d’abord de donner un
fecours d’argent 8c de quelques troupes. Avant
Noradin, le grand Saladin, ce héros de l’O rient,
dont le feul défaut étoit de profeffer la loi de
Mahomet, avoit rempli l’Europe du bruit de fes
exploits. Ayant repris Tibériade, il remporta fur
les chrétiens cette vi&oire célèbre, où tout ce
qui échappa au fer du foldat, fut fait prifonnier.
Le roi de Jérufalem eut ce fort. C ’étoit G uy de
Lufignan, dont la célébrité durera autant que les
ouvrages du poète immortel qui le produifit fur
la fcène. Jérufalem fut emportée en quatorze
jours, 8c toutes les villes ouvrirent leurs portes au
vainqueur. Mais le malheur le plus fenfible pour
les chrétiens fut la perte de la vraie croix, que
l’evêque de Ptolémai'de défendit avec un courage
digne d’être admiré, 8c que les infidèles regardèrent
comme la plus brillante de leurs conquêtes.
Des revers fi éclatans avoient touché les fouverains
d’Europe. Philippe, roi de France, & Richard,
roi d’Angleterre , s’embarquèrent, fuivant
l’e.xemple de l’empereur Frédéric qui les avoit
précédés avec une armée de cent cinquante mille
hommes , mais qui eut le malheur de périr en
paffant le Cydnus , ce fleuve déjà célèbre par
l’imprudence d’Alexandre , qui penfa perdre la vie
en s’y baignant.
La méfintelligence de Philippe & de Richard
caufa le mauvais fuccès de cette Croifade ; l’un
penchoit pour Conrad , marquis de Montferrat ,
qui prétendoit fuccéder à G uy de Lufignan ; l’autre
avoit pris le parti de ce roi infortuné. On perdit
de vue le principal objet de la Croifade : Philippe
revint dans fes états , 8c Richard demeura en Syrie
, pour y faire des prodiges de valeur glorieux,
mais inutiles.
Les principaux croifés étoient Robert, comte_de
Drt u x , coufin germain du ro i, Richard , duc de
Guienne , fils aîné du roi d’Angleterre , Philippe,
comte de Flandre, Hugues , duc de Bourgogne ,
Henri, comte de Champagne , Thibaud , comte
de Blois, Etienne, comte de Sancerre, Guillaume
Desbarres, comte de Rochefort, Rotrou, comte
du Perche, Bernard de Saint-Vallery , Jacques
d’Avefnes, les comtes de Bar, de INevers & de
Soiffons, Jean, comte de Vendôme, Joffelin &
Matthieu de Montmorency frères, Guillaume de
Merlon, Aubry de Boulogne , Vauthier de Mouy,
8cc. Les François portoient une croix rouge , les
Anglois une croix blanche, les Flamands une croix
verte.
Quatrième Croifade fous Philippe I I , 120$.
On fait honneur de cette quatrième entreprife
à un prêtre nommé Foulques, curé de Neuilly ,
dont une voix de tonnere 8c un zèle fans bornes
faifoient les feuis talens. Ce fut avec ces talens
quil perfuada à la nobleffe françoife de fe croifer
dans un tournoi qui fe fit entre Bray 8c Corbie.
Les croifés partirent pour Venife , où ils dévoient
s’embarquer. On comptoit 4500 chevaliers 8c autant
de chevaux, 9000 écuyers, 8c 20000 hommes
de pied. Les Vénitiens fournirent cinq cents nobles
commandés par leur duc d’Andôlo, âgé de 80
ans. Le marquis de Montferrat, chef de l’entre-
prife à la place du comte de Champagne qui étoit
mort en 1 2 0 1 ,8c plufieurs autres feigneurs Italiens
augmentèrent confidérablemènt l’armée des
croifés.
On fe croifa pour la délivrance de la Terre-
Sainte , 8c l’expédition fe termina par la conquête
de Conftantinople, qui donna lieu à l’établiffement
d’un nouvel empire. Les croifés étant à Venife ,
Alexis Comnène, fils d’Ifaac l’A n g e , empereur
de Conftantinople , vint implorer leur fecours
contre l’ufurpateur Alexis, fon oncle. Perfuadés
par fes promeffes , ils font voile vers Conftantinople
qu’ils attaquât & emportent en fix jour$i
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