
cents cailles de fufées de cinq à fix douzaines
chacune. Ces cailles, tirét-s cinq à la fois, fuccé-
dërent à celles qu’on «voit vu partir des tourelles ,
à commencer de chaque côté, depuis les premières
, auprès du temple , 8c fucceffivement
jufqu'aux extrémités à droite 8c à. gauche.
Alors les cafcades ou nappes de feu rouge
fortirent des cinq arcades de l’éperon dit pont-
neuf ; elles fembloient percer l'illumination dont
les trois façades étoient revêtues, 8c dont les
yeux pouvoient à peine foutenir l’éclat. Dans le
même.temps, un combat de plufieurs dragons commença
fur la Seine, & le feu d’eau couvrit prefque
toute la furface de la rivière.
Au combat des dragons fuccédèrent les artifices,
dont les huit bateaux de lumières étoient
chargés. Au même endroit, dans un ordre différent
, étoient trente-fix cafcades ou fontaines
d’artifices, d’environ trente pieds de haut, dans
ùe petits bateaux, mais qui paroifloient fortir de
la rivière.
Ce fpedacle des cafcades, dont le lignai a voit
été donné par un foleil tournant, avoit été précédé
d’un berceau d’étoiles, produit par cent-
foixante pots à aigrettes, placés au bas de la terraffe
de l’éperon.
Quatre grands bateaux, fervant de magafin à
l’artifice d’eau, étoient amarrés près des arches
du pont-neuf, au courant de la rivière, & quatre
autres pareils du côté du pont-royal. L’artifice
qu’on tiroit de ces bateaux, confifioit dans un
grand nombre de gros & petits barils chargés de
gerbes & de pots, qui remplifloient l’air de fer-'
penteaux, d’étoiles 8c de genouillères. Il y avoit
auffi un nombre confidérable de gerbes à jeter à
la main, & de foleils tournant fur l’eau.
La fin des cafcades fut le lignai de la grande
girande fiir l’attique du temple, qui étoit com-
pofée de près de lix mille fufées; on y mit le
feu par les deux extrémités au même inftant ;
& au moment qu’elle parut , les deux petites
girandes d’accompagnement, placées fur le milieu
des trottoirs du pont-neuf, de chaque côté, com-
pofées chacune d’environ cinq cents fufées, partirent
; & une dernière falve de canon termina
cette magnifique fê t e .
Tout l’artifice étoit de la çompofition de
M. Elric , faxon, capitaine d’artillerie dans les
troupes du roi de Pruffe.
Le lendemain , 30 août, M. Turgot voulut
encore donner un nouveau témoignage de zèle
au roi, à madame infante & à la famille royale.
Il étoit un de ces hommes rares qui ont l’art de
rajeunir les objets; ils les mettent dans un jour
dont on ne s’étoit pas avifé avant eux ; ils ne font
plus reconnoifiables. Telle fut la magie dont fe
iervit alors M. Turgot. Il trouva le fecret de
donner un bal magnifique qui amufa la. cour &
Paris toute la nuit, dans le local le moins dîfpofê
peut-être pour une pareille entreprife. M. le
maréchal de Richelieu parut, en 17^5 , avoir hérité
du fecret de ce magiffrat célèbre.
B a l d e la v i l le de P a r i s , donné dans fo n hôtel
la n u it d u 3 0 août /73p.
Trois grandes falles, dans lefquelles on danfa „
avoient été préparées avec le plus grand foin , &
décorées avec autant d’adrefle que d’élégance.
L’archite&ure noble de la première, qu’on avoit
placée dans la cour, étoit compofée d’arcades &
d’une double colonnade à deux étages, qui con-
tribuoient à l’ingénieufe & riche décoration dont
cette falle fut ornée. Pour la rendre plus magnifique
& plus brillante par la variété des couleurs,
. toute l’architeâure fut peinte en marbre de différentes
efpèces ; on y préféra ceux dont les
couleurs étoient les plus vives , les mieux alTorties,
8c les plus convenables à la clarté des lumières
8c aux divers ornemens de relief rehauffés d’or ,
qui repréfentoient les fujets les plus agréables de
la fable, embellis encore par des pofitions & des
attributs relatifs à l’objet de la fê t e .
Au fond de cette cour, changée en falle de bal,
on avoit conftruit un magnifique balcon en amphithéâtre,
qui éroit rempli d’un grand nombre
de fymphonifffes. L’intérieur de toutes ces arcades
étoit en gradins, couvert de tapis en forme de
loges, d’une très-belle difpofition, & d’une grande
commodité pour les mafques, auxquels on pou-
voit fervir des rafraîchi'ffemens par les derrières.
Elle étoit couverte d’un plafond de niveau , 8c
éclairée d’un très-grand nombre de lulîres , de
girandoles 8c de bras à plufieurs. branches, donç
l’ordonnance déceloit le goût exquis qui ordonnoit
tous ces. arrangemens.
La grande falle de l’hôtel-de-ville, qui s’étend
fur toute la façade, fervoit de fécondé falle ;
elle étoit décorée de damas jaune , enrichie de
fleurs en argent : on y avoit élevé un grand
amphithéâtre pour la fymphonie. Les embrafures
8c les croifées étoient difpofées en eftrades ■ & en
gradins, 8c la falle étoit éclairée par un grand
nombre de bougies.
La troifième falle étoit difpofée dans celle
qu’on nomme des-gouverneurs ; on l’avoit décorée
d’étoffe bleue , ornée de galons & gaze d’or,
ainfi que l’amphithéâtre pour la fymphonie ; elle
étoit éclairée par une infinité de lumières placées
avec art.
On voyoit par les croifées de ces deux falles
tout ce qui fe paffoit dans la première : c’étoit
une j/erfpeclive ingériieufe qu’on avoit ménagée
pour multiplier les plaifirs. On commwniquoit d’une
falle à l’autre par un grand appartement éclairé
avec un art extrême.
Auprès de ces trois falles on avoit dreffé des
buffets décorés avec beaucoup d’art, & munis de
foutes fortes de rafraîcbiffemens, qui fui ent offerts
8c diftribués avec autant d’ordre 8c d’abondance
que de politeffe.
On comprq que le concours des mafques a monté
à plus de 12coo, depuis huit heures du foir que
le bal commença , jufqu’à huit heures du matin.
Toute cette fête fe paffa avec tout l’amufement,
l’ordre 8c la tranquillité qu’on pouvoit defirer ,
8c avec une fatisfaâion 8c un applaudifïement
général.
Les ordres ' avoient été fi bien donnés, que
rien de ce qu’on auroit pu defirer n*’y avoit été
oublié. Les précautions avoient été portées jufqu’à
l’extrême, 8c tous les accidens quelconques avoient,
dans des endroits fecrets , les remèdes, les fecours ,
les expédiens qui peuvent les prévenir ou les
réparer. La place de grève 8c toutes les avenues
furent toujours libres, en forte qu’on abordoit à
Fhôtel-de-ville commodément, fans accidens 8c
fans tumulte. Des fallots fur des poteaux éçlai-
roient la place 8c le port de la grève, jufque
vers le Pont-Marie , où l’on avoit foin de Lire
défiler 8c ranger les carroffes; il y avoit des barrières
fur le rivage pour prévenir les accidens.
Toutes les difpôfitions de cette grande fê t e ont
été confervées dans leur état parfait pendant
huit jours, pour donner au peuple la liberté de
les voir.
Les grands effets que produifit cette merveil-
Jeiife fê t e , fur plus de 600000 fpeélateurs , fo n t
reffés gravés pour jamais dans le fouvenir de tous
les François. Auffi le nom des Turgots fera-t-il
toujours cher à une nation fenfible J l la gloire ,
8c qui mérite plus qu’une autre de voir 'éclorre
dans fçn fein les grandes idées des hommes,.
Il y a eu depuis des occafions multipliées, où
la ville de Paris a fait éclater fon zèle 8c fa magnificence
; ainfi la convalefcence d’un roi
chéri , fon retour de Metz, ( v o y e ç F e s t in s
Ro y a u x ) nos viftoires les deux mariages de
monfeigneur le dauphin, ont été célébrés par des
fê t e s , des illuminations, des bals, des feux d’artr-
fice ; mais un trait éclatant , fupérieur à tous
ceux que peuvent produire les arts, un trait qui
fait honneur à l’humanité, 8c digne en tout d’être
éternifè dans les fafies de l’Europe , eft l’aâion
généreufe qui tint lieu de fê t e à la naiffance de j
monfeigneur le duc de Bourgogne.
Six cents mariages, faits 8c célébrés aux dépens j
de la ville, furent le témoignage de fon amour j
pour l’Etat , de fon ardeur pour l’accroiffement de j
fes forces , de l’humanité tendre qui guide fes j
opérations dans l’adminifiratioi* des biens publics, j
Dans tous les temps , cette a&ion auroit mérité I
les louanges de tous les gens de bien, 8c les j
tranfports de reconnoiffanc® de la nation entière. I
Une circonfiance doit la rendre encore plus chère
aux contemporains , 8c plus refpe&able à la
poflérité.
Au moment que le projet fut propofé à la ville,
les préparatifs de la plus belle fê t e étoient au point
de 1 exécution. C eft à 1 hôtel de Conti quedevoit
être donné le fpeâacle le plus ingénieux, le plus
noble, le moins reffemblant qu’on tût imaginé
encore. Prefque toutes les dépenfes étoient faîres.
J’ai vu, j’ai admiré cent foi^ous ces magnifiques
préparatifs. On avoit pris dÜ précautions infaillibles
contre les caprices du temps; l’événement
auroit illufiré pour jamais, 8c l’ordonnateur, 8c
nos meilleurs arrifies occupés à ce fuperbe ouvrage.
Le fuccés paroiffoit sûr. La gloire qui devoit le
fuivre fut facrifiée , fans balancer, au bien plus
folide de donner à la patrie de nouveaux citoyens.
Quel efHe vrai François qui ne fente la grandeur
9 ta générofité noble de cette
réfolurion ? Quelle admirable leçon pour
ces hommes fuperficiels , qui croyent fe faire
honneur de leurs richeffes en fe livrant à mille
goûts frivoles I Quel exemple pour nos riches
modernes, qui né reffi tuent au public les biens
immenfes qu’ils lui ont ravis , que par les dépenfes
fuperflues d’un luxe mal entendu , qui eix
les déplaçant, les rend ridicules \ ’
| Toutes les vil!es confidérables du royaume imitèrent
un exemple auffi refpe&âble ; 8c l’Etat doit
aihfi à l’hôrel de-ville de fa capitale une foule;
dhommes nés pour l’aimer,, le fervir .& le dé^-
fendre. ( B. )
F ê t e s d e s g r a n d e s v i l l e s d u r o y a u m e d e
F r a n c e . C’efUci qu’on doit craindre les dangers
dune matière trop vafte. Rien ne feroit plus
agréable pour nous que de nous livrer à décrire
par des exemples auffi honorable^que multipliés»
es refïources du zèle de nos compatriotes, dansr
les circonfiances où leur amour pour le fane
de leurs rois a la liberté d’éclater. On verroit
dans le même tableau la magnificence confiante
de la ville de Lyon, embellie par le. goût deshommes
choihs qui la gouvernent r toujours marquée au
ner T amou.r nàtioaa1’ tait le cara&ère
diitinctif de fes citoyens. A côté des fê t e s brillantes
qui ont illufiré cette ville opulente ou
feroit frappé des reffources des habitans de’ nos
beaux ports de mer , dans les circonfiances où le
bonheur de : nos rois, où la gloire de la patrie
leur ont fourni les occafions de montrer leur
adrefle 8c leur amour. On verroiî dans le coeur
de la h rance , fous les yeux toujours ouverts de
no* parlemens, des villes plus tranquilles, mais
moins opulentes, fupplêer dans ces momens de
joie- a tous les moyens faciles qu’offre aux autres
la fortune, par l’a&ivité, l’élégance, les nouveautés
heureufes, les prodiges imprévus de l’induftrie y
la fécondité des talens 8c des artSï Telles fersiea*