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bien le montra par le grand fens qui en lui
eftoit.
La dégradation des chevaliers qui s’étoient mal
comportés , offroit des exemples terribles. Ceux qui
fe déshonoroient par leur lâcheté, par quelque
crime ou adion honteufe, étoient à jamais flétris
& exclus de l’ordre. Le chevalier juridiquement
condamné étoit conduit fur Un échafaud, où les
hérauts & pourfuivans d’armes brifoient & foulaient
aux pieds les différentes pièces de fon armure
: fon écu, dont le blafon étoit à demi effacé,
étoit fufpendu à la queue d’une cavalle, & traîné
dans la boue : des prêtres récitoient les vigiles
des morts , & prononçoient fur fa tête les imprécations
& les malédidions du pfalmifte contre lès
traîtres. Après avoir feint de méconrioitre fon nom ,
qu’il n’étoit plus digne de porter, le héraut d’armes
lui jetoit fur la tête un baffin d’eau chaude,
comme pour effacer le caradère facré que l’accolade
lui avoit donné. On le faifoit enfui te monter
fur une jument, ou on le traînoit fur une claie à
l’églife , où les prières confacrées,aux morts, prononcées
fur lui & accompagnées de cérémonies
funèbres , annonçoient qu’on le retranchoit de la
fociété.
* Des fautes moins graveSiétoient aufîi moins punies
.-celui qui en étoit convaincu étoit exclu de
la table des autres chevaliers, & s'il ofoit s 'y pré-
fenter, on coupoit la nappe devant lui ; il recevoit
même à celle des écuyers un pareil affront. Alain
Chartier fait honneur de ce réglement à Bertrand
du Guefclin ; mais on croit qu’il n’en fut que le
reftaurateur.
Les armes renverfées étoient encore une marque
de dégradation. Les ftatuts de l’ordre de l’Etoile
décernoient cette peine contre les lâches; mais
le coupable avoit la reffource d’expier fon crime
& d e recouvrer fon honneur par des âdions dignes
d’un brave & loyal chevalier.
Il eût été à délirer que l’inftitution de la chevalerie
fe fut maintenue dans fa pureté; mais fans
doute elle n’étoit pas fùfceptible du degré de per-
fedion auquel on voulut la porter. Un chevalier,
à fa réception ,promettoit, pour ainfi dire, d’être
un ange , & l’on vit plufieurs de ces héros mériter
à peine le nom d’homme. D e toutes les vertus, celle
qu’ils pratiquoient le moins étoit la clémence & le
pardon des injures. Du Guefclin,ce héros fi vanté,&
à certains égards fi digne de l’être, ne manqua
jamais Poccafion de fe venger, & il fe vengea
quelquefois cruellement. Au fiège de Moncontour,
il fit traîner dans les rues & pendre un anglois
qui,ayant à fe plaindre de lui, avoit fait le même
traitement à fes armes. Du Guefclin étoit coupable
en effet, pour n'avoir pas acquitté dans le
temps la rançon d’un de fes foudoyers, malgré
des lettres obligatoires fcellées de fon fcel, & Ion
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hiftorien ne le juftifie pas, en difant que ce fût
par oubli.
Qu’on juge auffi de la licence & de la dépravation
des beaux fiècles de la chevalerie par le plai-
fir que la cour & les dames prenoient à lire les
fabliaux & les romans, ouvrages dont la licence
trouve à peine des exemples dans nos livres même
les plus diffokis. Un auteur nous apprend que dès
le douzième fiècle , on comptoit jufqu’à quinze
cents concubines dans l’une de nos armées, & que
leurs parures montoient à des fommes immenfes.
Un autre, dans le fiècle fuivant, nous dit que les
maifons étoient prefque toutes autant de temples
confacrés à l’amour libertin & débauché. Quelques-
uns de nos vieux poètes attribuent à nos feigneurs
la même courtoifie qui nous étonne dans quelques
nations fauvages. Une com.teffe reçoit chez elle
un chevalier, qu’elle fait coucher dans un lit magnifique
: en attendant que monfeigneur le comte
foit endormi, elle lui envoie la plus courtoife &
la plus jolie de fes femmes, en lui recommandant
(Savoir grand foin d’un hôte fi cher, & de le'
fervir, s'il ejl mefiier ( i) .
Le chevalier Bayard fut fans doute un chevalier
fans peur & fans reproche. On nous vante fa continence,
& cettê continence ne nous eft connue
que par une aventure qui ne fait pas honneur à
fa chaffeté.
Cependant il y avoit alors des martyrs d’amour l
& tout le monde connoît cette confrairie de Ga-
lois & de Galoifes, qui, jugeant que l’amour avoit
befoin d’une réforme, entreprirent de le ramener
à cette pureté & à cette décence , fans lefquellès
il n’eft qu’une jouiffancê groflière , moins faite
pour l’homme que pour la brute. L’un des ffatuts
de cette confrairie étoit de mourir de froid pour
prouver fon amour à l’objet aimé. Par quoy plu-
fieurs mouraient tout roydes de le%_ leurs amyes , 6*
aujjy leurs amyes de le% eulx, en parlant de leurs
amourettes , & en eulx mocquant ceux qui e fiaient bien
veflus. C’eft là en effet ce qu’on peut appeller
l’héroïfme de l’amour, fi la folie peut faire des
héros.
Un poète du temps chante les amours du châtelain
de Coucy. Ce feigneur part pour la Terre-
Sainte , meurt dans le voyage , & en rendant le=
dernier foupir , charge "un de fes amis de faire
embaumer fon coeur pour le préfenter à fa dame,
& cette dame eft la femme d'un gentilhomme foir
voifin. C’étoient là ces héros qui donnoient leurs'
biens à l’églife en partant pour les lieux faints , &
qui ne partoient qu’après avoir communié.
La chevalerie commença à dégénérer fous le
règne de Jean. La quantité de chevaliers que l’on
faifoit fans choix, fut fans doute la première caufe
de fon aviliffement : bientôt on ne garda plus de
mefure ; des jongleurs, des hommes fortis de la
(j) Fabliaux j MM. du roi, no. 7615, fol, redo aïo , çoU 1,
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pouflière furent armés chevaliers. Au douzième
fiècle, un payfan fut métamorphofé en homme
noble par fon feigneur, & fes enfans furent décorés
de tous les honneurs de la chevalerie. Les
troubles des règnes de Charles V I & de fon fuc-
ceffeur en firent naître une foule de la lie du peuple.
Enfin les titres d’écuyer & de chevalier furent
tellement avilis , que chacun croyoit pouvoir fe
les arroger de fa propre autorité. Euftache Def-
champs difoit;
M a is chàfcuti veut efcuyer devenir ,
A pe in e e ji- il aujourd’hui n u l ouvrier•
Autrefois, dit encore le même poète :
L e s Chevaliers étaient vertueux ,
E t p o ur amour p le in s de chevalerie ,
L o y a u lx , fecre\ > frique s & gracieux :
Chafcun a v o it lo r s f a dame s’ am ie ,
E t v iv o ien t liémen t ;
O n les am o it a u ffi tre s-lo y a im e n t,
E t ne ja n g lo it , ne mefdifoit en rien•
O r m’efbahys quant chàfcun ju n g le & m en t,
C a r m e illeu r temps f u t le temps ancien.
Brantôme, Charondas, du TilLet, déplorent
de même la licence gc les abus qui régnoient de
leur temps.
En vain quelques-uns de nos rois tentèrent de
relever la chevalerie par l’inftitution de quelques
ordres dont ils fe déclarèrent les chefs. Ces ordres
furent eux-mêmes avilis. L’autorité ne peut rien
fur l’opinion , & fi la chevalerie peut renaître, ce
ne fera que quand le temps en aura effacé ou
affoibli la mémoire & pourra le reproduire fans
une autre forme. | ^ x
Le nom de chevalier eft attribué aujourd’hui à
celui qui eft aggrégé dans un ordre de chevalerie
inftitué par un louverain : un chevalier du Saint-
Efprit, un chevalier de l’ordre de Saint-Louis. Mais
la qualité de chevalier eft l’attribut de ceux qui
occupent dans la nobleffe un rang diftingué, &
fe donne particuliérement aux nobles iffus de
l’ancienne chevalerie. La plus haute nobleffe s’honore
de cette qualité, & il feroit à defirer qu’elle
ne s’attribuât uniquement qu’à la naiffance.
C h e v a l ie r B a ch e l ie r , étoit celui qui n’avoit
point de fie f, ou dont le fief ne lui donnoit pas
le droit de porter bannière. Hugues de Cirey étoit
un chevalier bachelier. ,
C h e v a l ie r b a n n e r e t , étoit celui dont les
poffefiions étoient affez confidérables pour lui permettre
de lever bannière, & de rafièmbler fous
cette bannière plufieurs chevaliers & écuyers, dont
quelques-uns pouvoient avoir le même droit ; ils
étoient tous à la folde du chevalier banneret. Suivant
Ducange , un banneret avoit fous fon commandement
cent cinquante hommes , & un fimple
phevaller n’en avoit que trente. Joinville étoit.un
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chevalier banneret, qui avoit fous fes ordres plu-
feurs chevaliers, dont deux étoient auffi bannerets.
Les chevaliers n’étoient pas tous de même rang,
& on les diftinguoit en hauts & bas chevaliers. Les
premiers étoient les chevaliers' bannerets ,qui pouvoient
être encore diftingués par les titres de baron
, de duc ou de comte : les féconds étoient les
fimples chevaliers , qui, n’ayant pas eu affez grand
nombre de vaffaux, ou n’étant pas affez riches
pour porter bannière , étoient rangés dans une
claffe inférieure , fous le nom de bas-chevaliers ou
bacheliers, par la réunion des deux mots. Voilà
pourquoi les hauts chevaliers s’appelloient aufii
riches- hommes, à caufe du nombre de leurs vaffaux
& de l’étendue de leurs domaines.
La bannière du chevalier étoit une enfeigne
quarrée , & par-là diftinguée du pennon , dont le
bas étoit une longue pointe. La première étoit
affedée ail chevalier banneret, l’autre étoit l’enfeigne
du fimple chevalier. Pour faire une bannière d’un
pennon, il fuffifoit de couper la pointe de ce dernier.
Olivier de la Marche décrit ainfi la cérémonie en
vertu de laquelle meflire Louis de la Vieuville
eut la permiflion ou le droit de porter bannière.
Le roi d’armes de la Toifon d’or dit au duc de
Bourgogne : Il vous préfente fon pennon armoyé fuf-
fifamtnent, accompagné de vingt-cinq hommes d’armes
pour le moins, comme ejl l’ancienne cou fume. Le duc
lui répondit, que bien fût-il venu , & que volon- '
tiers le feroit. Si bailla le roi d’armes un couteau au
duc, & prit le pennon en fes mains, 6* le Ion duc,
fans ôter le gantelet de la main féneflre, fit un tour
autour de fa main de la queue dit pennon , & de l ’autre:
main cbupa ledit pennon , & demeura quarré & la
bannière faite. ( Article fourni ).
CHEVERT (F rançais de) ( Hifi. mod- ) , ne à
Verdun le 21 février 1695 , d’abord fimple foldat,
puis devenu par fon mérite commandeur grand- .
croix de l’ordre de Saint-Louis, chevalier de l’aigle
blanc de Pologne, gouverneur de Givet & de.
Charlemont, lieutenant-général des armées du
roi. Le public lui defiroit un titre de plus. Ce-
defir même, & fon épitaphe le lui donnent. On
y fit ces mots: « Sans ayeux, fans fortune, fans
» appui, orphelin dès l’enfance, il entra au fervice
» à l'âge de onze ans: il s’éleva malgré l’envie
» à force de mérite, & chaque grade fut le prix
v> d’une a&ion d’éclat. Le feul titre de maréchal
» dejrrance a manqué, non pas à fa gloire, mais
» à l’exemple ( n’eft-ce pas plutôt à l’encouragement
) de ceux qui le prendront pour modèle.
Quelquefois au théâtre, lorfque l’aéleur qui
jouoit Euphémon fils, dans l'enfant prodigue, récitoir
ces vers :
Rofe & Fabert ont ainfi commencé»
On entendoit le parterre dire à voix baffe;
Rofe & Chevert ont ainfi commencé,