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caraftère de grandeur & d’élévation qui étoit
dans fon ame. Ses ennemis & fes envieux,
pour lui faire injure , le firent nommer Téléarque.
C ’étoit le titre d'un office réputé peu digne d’un
fi grand général & d’un homme de fon mérite.
Les fondions étoient tout çe qu’il y a de plus vil
en apparence dans les objets de la police. «Eh bien,
dit Epaminondas, » je leur ferai voir que fi les
j> places font connoitre les hommes, les hommes
» peuvent auffi quelquefois faire connoitre les
places ». En effet, la manière dont il s’acquitta de
cet emploi, ouvrit les yeux de fes concitoyens fur
l’importance dont cet emploi pouvoit être , & il
devint une grande dignité.
Sparte fut réduite à employer le fecours d’Athènes
, toujours fa rivale, & pendant quelque temps
fon efclave. Elle defcendit jufqu’à lui rappeller
le fouvenir de ces temps heureux , ou l’union
étroite d’Athènes & de Sparte .avoit fau vé la Grèce,
& comblé de gloire les deux nations. Athènes , à
qui ce fouvenir ne pouvoit faire oublier les injures
plus récentes qu’elle avoit reçues des Lacédémoniens,
fut cependant entraînée dans cette
nouvelle alliance par la jaloufie qu’elle conçut
des fuccès fi rapides & de l’élévation fi fubite
de Thèbes. Le roi de Perfe Artaxerxès Mnémon ,
à la cour duquel, les Thébains d’un côté, les
Lacédémoniens de l’autre unis aux Athéniens,
allèrent demander du fecours, n’ayant point cet
intérêt de jaloufie, fe détermina uniquement en
faveur de la renommée & de la gloire. Pélopidas,
qui lui 'fut envoyé par les Thébains , eut auprès
de lui tout le -crédit d’un favori. On regardoit
avec admiration le vainqueur de Tégyre & de
Leur re s , le compagnon & l’ami d'Epaminondas ;
il obtint tout ce qu’il demanda. Les Thébains furent
déclarés amis oc alliés du grand roi , qui promit
de déclarer la guerre aux Lacédémoniens &
aux Athéniens, s’ils armoient contre Thèbes. Ces
puiffances refièrent quelque temps tranquilles ;
mais un defpofe odieux,Alexandre, tyran de Phéres,
ppprimoit la Theflalie ; divers peuples de cette
contrée implorent l’afliftançe de Thèbes ; Pélo-
pidas eft envoyé pour les défendre, il prend
Larifie, & oblige le tyran de venir à fes pieds
recevoir fçs loix & fes reproches. Pélopidas pafle
dans la Macédoine, où il appaife des troubles
qui s’étoient élevés pour la fucceffion au trône.
On l’en rend ou il s’en rend l’arbitre ; il diète fes
]oix, reçoit des otages & les envoie à Thèbes.
Du nombre de ces otages étoit Philippe > qui
fut depuis roi de Macédoine & père d’Alexandre
le grand- En repayant par la Theflalie, il va feul
avec un ami conférer avec le tyran de Phéres ;
celui-ci voit qu’ils font feuls & défarmés, il les
retient prifonniers. Pélopidas , tant que dura fa
prifon, ne cefiade dire à ceux des Théflaliens qu’il
lui fut permis de v o ir , que fi jamais il fortoit des
fers, il vengeroit leur injure & la fienne ; il les
Éxhortoit à avoir bon courage, & fachant que
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le tyran îmmoloit tous les jours quelques nouvelles
viétimes, il lui fit demander par quel aveugle
délire il s’obftinoit à épargner l’homme qui ne
manqueroit pas de le punir, dès qu’il feroit
forti de les mains? Le tyran lui fit demander à
fon tour pourquoi il cherchoit ainfi à mourir?
C ’eft, répondit Pélopidas , pour accélérer encore
ta ruine, en t’engageant à combler la mefure.
Thébé., femme du tyran, eut la curiofité de voir
Pélopidas dans fa prifon ; touchée de l’état d’abandon
& de misère où elle le vit réduit, elle ne
put retenir fes larmes. Que je plains votre femme
I lui dit - elle : c’eft la femme du tyran qu’il
faut plaindre, dit Pélopidas.
Les Thébains envoyèrent une armée en Thefi*
falie pour reprendre Pélopidas ; Epaminondas étoit
dans cette armée, mais il n’en étoit pas le général.
Ceux qui la commandoient fe laifsèrent furprendre
& forent battus ; les foldats l’obligèrent de prendre
le commandement , & il fauva l’armée que les
autres chefs avoient mife en péril. La république
lui ayant aufii déféré le commandement * .
il obligea le tyran de lui rendre fon ami. A peine
fut-il forti du pay s , que de nouveaux cris des
peuples de la Theflalie contre le tyran , y rap-
pellèrent les Thébains, commandés alors par Pélopidas
qui cherchoit toutes les occafions de fatifi-
faire fon reflentiment; il n’avoit qu’une poignée
de monde, on lui dit que le tyran venoit à lui
avec une formidable armée: tant mieux , dit-il,
plus ils feront, plus nous en battrons. Il gagna en
effet la bataille de Cinofcçphales ; mais il y
périt dans le fein de la victoire, à peu près comme
Gafton de Foix périt dans la faite à Ravenne.
Au moment c.ù les ennemis commençoient à plier »
il apperçoit le tyran qui s’efforçoit de les rallier,
fa foreur l’emporte, il devance fes bataillons 8ç
'Court feul à lu i, l’appellant & le défiant ; le tyran
effrayé fe Cache au milieu du bataillon de fes
gardes, Pélopidas l’y pourfuit, enfonce les premiers
rangs, renverfe tout ce qui lui fait obftacle ; les
Theflaliens & les Thébains, voyant de loin fon
danger, volent à fon focours ; au moment ou ils
arrivent, ils le voient tomber percé de coups,
& ne peuvent que le venger par un carnage
horrible des troupes du tyran. Le tyran échappa ,
ipais ce fut pour périr, peu de temps après, dans
une conjuration formée & conduite par fa femme.
Toute l’antiquité a condamné dans Pélopidas cette
faillie téméraire, plus digne d’un aventurier que
d’un général, & qui priva Thèbes d’un homme
néceflaire ; les reflentimens particuliers, les vengeances
perfonnelles font trop au-deflotis d’un chef
chargé des intérêts faerés de la république. Si fon
devoir , comme le dit Pélopidas à fa femme , eft
de conferver les autres, il faut pour cela qu’il
commence par fe conferver lui-même; syil doit
mourir, dit Euripide , il faut que ce foit en laiffqnt
fa vie entre J les mains de la vertu,
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C ’eft ce que fit Epaminondas, fiipêrieur à fon
ami dans fa mort comme dans fa vje. La guerre
«’étant rallumée contre les Lacédémoniens , il
penfa furprendre la ville de Sparte, & lorfqu il vit
fon deflein découvert, mettant l’audace à la place
de la rufe, il pafle fièrement l’Eurotas à la vue
des ennemis, attaque la v ille , & pénètre jufque
dans la place publique, & la dernière gloire
d’Agéfilas, & la première de fon fils Archidamus ,,
fot d’avoir dans cette journée arraché Sparte aux
mains viftorieufes d'Epaminondas..
Peu de temps après fe livra la bataille de Mantinée
, où Epaminondas fe montra fupérieur à
lui - même par fes difpofitîons favantes ; mais la
viéloire fut fi long-temps difputée, & la phalange
lacédémonienne fe montra fi conflamment invincible
, qu'Epaminondas crut que c’étoit le moment
où le général devoit expofer fa vie pour afiurer
la viâoire ; il fe mit lui-même à la tête du corps
dans lequel il avoit le plus de confiance; du premier
trait qu’il lance., il bleflele général lacédémonien,
& enfin il parvient à percer & à rompre la
phalange; mais un fpartiate, nommé Callicrate, le
perce à la poitrine d!un javelot, dont le bois
le brifa & le fer demeura dans la plaie ; il tombe,
& fa chute eft le fignal d’un nouveau combat
plus acharné , les Lacédémoniens faifant les
derniers efforts pour le prendre vivant, & les
Thébains pour le fau ver ; ceux-ci eurent l'avantage,
& maîtres du champ de bataille, ils reportèrent
au camp leur général viélorieux & mourant.
Lorfque les chirurgiens eurent examiné la plaie ,
ils la jugèrent mortelle, & déclarèrent qu'il expi- ;
reroit aufii - tôt que le fer feroit tiré de la plaie.
Il reçut cet arrêt d’un air ferein, & s’étant fait
confirmer la nouvelle de la viétoire: dans quel
plus beau moment, dit-il à fes amis éplorés, pour-
roitr-on fortir de la vie ? Des citoyens s’affiigeoient !
fur-tout de ce qu’un fi grand homme ne laiffoit
point d’enfans pour le reproduire : Je laiflfe deux
filles, dit-il, qui ne laifieront pas périr mon nom,
Leu&re & Mantinée. Il tira lui-même le fer de
fa plaie, & mourut; ( l’an 363 avant J. C. )
Pélopidas étoit mort l’an 370, infpirant à toute
l’armée les mêmes regrets.
Epaminondas méritoit en effet des enfans, qui
fufient pour lui ce qu’il avoit été lui-même pour
fes parens. Après la viéloire de Léuétre, le cri
fie ibn coeur fut de dire : ma plus grande joie efl celle
que mon père & ma mère vont rejfentir à celte nouvelle.
Quel prix un tel fentiment n’ajoute-t-il pas à
l ’héroïfme î Cicéron ne balance pas à mettre Epami-
nondas au-deffus de tous les héros grecs, princèps
meo judicio, Graciée, & M. le chevalier Follard ,
qui le met aufii au premier rang, regarde la bataille
de Mantinée comme fon chef-d’oeuvre. Juftin
dit que la gloire dç fa patrie naquit & mourut
uvec lui £ patries, gloriam & hatam & extinSlam cum
*0 fuijfe. Il ne fait ce qui l’e n porte dans Epami-
nondas, de l’homme ou du général; inceiturn yir
Hifoire, Tome //, Seconde parfa
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meTiorin dux, effet. Il fe refufa aux ridicflès, U
gloire même fut obligée^ de le chercher ; es
emplois honorent les antres, il les honora tous»
mais il les évita, & ils s’accumulèrent fur lu i,
malgré Lui. Livré par choix & par goût a 1 etude
& à la philofophie, on fe demandoit avec eton-
nement, où ce favant avoit appris ainfi a. commander
& à vaincre ; for la fcience meme il
n’avoit. pas plus d’ambition que fur l’opulence oC
fur la gloire, Spintharus dit qu’il n avoit jamais .
connu perfonne qui fût davantage , ni qui par ut
moins.- , '■ , i ... .
C ’eft un beau fpeftacle dans 1 mftoire, que
l’union intime & l’amitié confiante de deux hommes
tels qu 'Epaminondas & Pélopidas; on la vit.
renaître dans la fuite entre le prince Eugene
cet illuftre Marlborough, quoiquavec des vertus
moins pures : mais cette union qn aucune J« 01110
n’altère,lorfqn’on remplit la même carrière, loriqu»
la gloire eft du même genre, & à peu Pre*
au même degré, ne peut fe trouver qu entre
des hommes que le fentiment de leur gran eue
défend. des foiblefles de la jaloufie. Un cceur
jaloux s’avoue inférieur à celui qu’il envie ; celt
peut-être la plus belle gloire de Pélopidas, de-
n’avoir point été jaloux d'Epaminondas, comme
M. deFontenelle difoit que fà gloire étoitde n avoir*
point été jaloux de M. de la Motte. Quand ^01*
compare les deux héros thébains, 1 avantage,
comme nous l’avons dit, paraît être du cote
d'Epaminondas, / , ,
Si on les envifage comme guerriers & generaux
, les batailles de Leuélre & de Mantmee
l’emportent for le combat de T ég y re ; il eft vrai
que Pélopidas contribua aufii à la victoire de
Leuftre , mais en officier fubaiterne qui fécondé
bien le général par lequel il eft conduit. De plus,
Epaminondas a l’avantage d’avoir délivré Pélopidas
des fers où un peu d’imprudence l’avoit fait tomber*
Si on les compare cornaie> ambaffadeurs oC
comme hommes d’état, l’ambafîade tfEpaminondas
à Sparte demandoit plus de courage, celle de
Pélopidas en Perfe eut plus de bonheur; mais
ce bonheur fut l’effet de la réputation, & Pélopidas
portoit à Sparte, non la fienne feulement, mais
celle des deux amis, celle enfin de la victoire de
Leuare , oh il n’avoit que lç fécond rang dans,
la gloire.
Si nous les confidérons devant le tribunal de
leurs juges, d.ans un état d’oppreffion , dans le per-
fonnage d’accufês, c’eftle moment foibîe de Pélopidas,
ç’eft le plus beau moment. $ Epaminondas*
Si on les confidère enfin dans la vie privée,
tous deux étoient vertueux; mais la vertu
minondas , nourrie de plus de con noîilances et de
lumières,ayant pour baie une philofophie profonde,
étoit plus pure, plus folide, plus inaltérable ,.
plus fupérieurç aux pallions. Pélopidas donooit plus.
• aux exercices du corps, Epaminondas plus à U
culture de T'çfpfit.
LU .