mari qui va combattre votre père? — Je prierai Dieu
pour tous les deux, répondit la duchefTe en pleurant.
Comme le r o i, en rappellant d’Italie M. de Catinat
, n’avoit voulu que donner fatisfaélion à madame
la ducheffe de Bourgogne , il lui propofa le
commandement de l’armée d’Alface, & aux ex-
cufes tirées de l’âge & des infirmités, il répondit :
Votre préfence fuffira.
Elle ne fuffit pas ;>après avoir vu la pofition des
ennemis, le maréchal jugea qu’il n’y avoit rien à
flir e , il demanda Ton rappel, & donna pour dernier
mot de l’ordre : Paris & Saint-Gratien.
C ’eft fans doute une .grande gloire & un grand
bonheur pour M. de Villars d’avbir gagné la bataille
de Fridelingue, où Çatinat avoit cru ne pouvoir
rien entreprendre. On jugea que celui-ci avoit
du être jaloux du fuccès de Villars; c’eft du moins
la marche du coeur humain chez les hommes ordinaires;
Catinat <iifo.it de lui-même dans une autre
©ccafion, où un peu de dépit auroit pu lui être
permis : Les médians feroient outrés , s’ils voyoient
le fond de mon coeur.-
En 1705, Louis XIV voulut que tous les maréchaux
de France fuffent chevaliers de l’ordre ; Catinat
^ compris comme les autres dans cette promotion
, allégua, comme autrefois Fabert, la difficulté
de faire fes preuves ; mais Fabert avoit dit
la fini pie vérité, Catinat employoit une défaite
pour le fouftraire à un honneur mérité. Pourquoi
alléguer une raifon faufie & injuriesfe à fa famille ?
Pourquoi la priver d’une décoration à laquelle il
lui étoit permis de prétendre & qui ne eoûtoit rien
à l’état ? Pourquoi réfifter aux inftances, rejetter
les répréfentations de cette famille , & lui dire :
Si je vous fais tort, ray c^-moi de votre généalogie ?
a C-’eft peut-être , dit M. de la Harpe , le feul mot
» de Catinat où l’on puiffe entrevoir le fentiment
de la fupériorité ». Avouons-le, & ce mot &
le refus paroiffent d’une fierté déplacée ; le mot
devenoit d u r , dit à une famille qui ne lui parlpk
du tort qu’il alloit lui faire qu’à caufe de l’honneur
qu’il lui faifoit, & dont par eonfequent la* plainte
même étoit un hommage à fa gloire : Dira-t-on
qu’après avoir paru fi flatté des honneurs militaires,
il étoit peut-être aflez grand de dédaigner une Ample
faveur de cour 2 Mais Louis XIV n’ennobliflbit-il
pas cette faveur , ne l’élevoit-il pas au rang des
honneurs militaires, en la donnant par préférence
aux chefs des guerriers ? N’étoit-ce pas une chofe
noble & utile de reconnoître publiquement pour
fes principaux amis les défenfeurs de la patrie, &
d’annoncer par-là que fervir l’état étoit le premier
titre pour plaire au prince & le premier moyen
de lui faire fa cour l
Catinat penfoit-il qu’il n’étoit agréable d’avoir
à faire des preuves, que, quand on peut aller beaucoup
au-delà de ce qui efl exigé, & que le fu-
perflu dans.ce genre eft une chofe;très-néceffaire?
Ou craignoit-ü de produire à la cour une généalogie
toute de robe , pour obtenir à titre de militaire
une décoration de courtifan ? Ou craignoit-
il en général une décoration qui auroit nui au
plaifir qu’il trouvoit à fe cacher, à fe confondre
dans la foule ? O u , comme, fous le nom d’honneur
i l’amour des diftinâions efl le reflbrt des
monarchies , fe trouvoit-il plus parfaitement distingué
par l’avantage d’être le feul des maréchaux
de France de fon temps, privé de cette diftinélion ?
Ou enfin cet homme modefte , mais fier, qui noui-*
rifToit dans la retraite le reffentîment des injuftices
de la cour, n’eftimoit-il plus aflez cette eourpour
recevoir d’elle une faveur, qui, d’ailleurs n’eût pas
réparé ces injuflices ? Ses vrais motifs font ignorés;,
mais par l’évènement ce refus n’a fait aucun tort
à fa famille, tout le- monde a fu que les preuves
auroient pu être faites, & que Catinat n’étoit pas
dans le même cas que Fabert.
Le comte de Béthune-Pologne arrivant un peu
tard à la cérémonie d’un mariage où il devoit aflif-
ter comme parent, fut encore arrêté à la porte
par des Suifles chargés d’écarter la foule, il fut obligé
de demander le maréchal de Belle - Ifle, fou
gendre , qui le fit entrer, en lui difant : Vfila »
mon cher comte l à quoi fert un cordon bleu.
Le défaut de décoration , joint à une modeftie
qui ne fa voit difputer fur rien , attira ail maréchal
de Catinat quelques petites avantures qu’i^ ne faut
pas regarder comme frivoles, puifqu’elles font une-
preuve de la fottife humaine & qu’elles peuvent
lui fervir de leçon.
On dit qu’un jour, à la mefle aux Jacobins, le
précepteur des petits le Bas, le prenant pour un
homme fans eonféquence , lui ordonna de céder fa
place à fes élèves ; Catinat obéit fins contefler.
Une affaire l’ayant conduit chez un commis du
bureau de la guerre, on le fit attendre long-temps,
dans l’antichambre , & prefle par l’heure , il alloit
fe retirer, lorfque quelqu’un le reconnut & avertit
le commis ; celui-ci accourut en faifant beaucoup
d’exeufes , fondées fur ce qu’il n’avoit pas fii que
ce fût M. de Catinat. « Il ne s’agit pas de moi»
répondit le maréchal , » mais d’un officier des trouer
pes du rai; le roi ( c ’eft-à-dire le peuple ) .vous,
» paye pour expédier leurs affaires & ne pas les faire
» attendre ».
Un jour il fe promenoit fur fa terre » en. réflé-
chiffant, félon fa coutume ; un jeune bourgeois de
Paris l’aborde , & le chapeau lur la tête,, tandis
que le maréchal l’écoutoit le chapeau à la main »
lui dit r Bonhomme ! je ne fais à qui efl cette terre ,
mais tu peux dire au Jeigneur que je me fuis donné la
permijjion d’y chaffer. Des payfims qui étoient à
portée de l’entendre, rioient aux éclats , le chaffeur
leur demanda d’un ton arrogant de quoi ils rioient ?
De iinfolence avec laquelle vous parles^ à M ile maréchal
de Catinat ; s’il eût dit un mot ou fait un figne9
nous vous aurions affommé. Le jeune homme courut
après le maréchal’, & s’exeufa comme le commis a
fur cé qu’il ne le connoiffoit pas : « A ne vois pas, %
to lut dît Te maréchal, qu il faille connaître qtielqu un
w pour lui oter fon chapeau ». . r
L’anecdote fuivante, qui n’eft rapportée nulle
part & que nous avons fue d’origine, prouve d un
côté combien l ’orgueil d’un homme modefte efl
délicat & facile à bleffer ; de l’autre, que fouvent
dans', la folitude les idées s’exaltent & que la prévention
fait fuppofer aux a&ions les plus innocentes
une -importance & des motifs qu’elles n ont pas.
Comme M. de Catinat pafloit l’annee entière a
Saint-Gratien , les devoirs de police, contre fon
Intention, n’étoient pas toujours bien exactement
remplis devant fa maifon à Paris ; cette négligence
fut remarquée par le commiffaire du quartier, qui
crut de fon devoir de condamner le maître de la
maifon à [’amende. Sur fon rapport, M. d Argen-
fon , lieutenant de police, fit plus quil ne devoit
-peut-être , il courut chez M. de Catinat pour lui
faire des excufês ; il le trouva prévenu, le maré-
chai s’étoit perfuadé qu’un courtifan , comme M.
d’Argenfon, n’avoit pas été fans quelques motifs
politiques pour traiter fans égard un homme .qui
paroiflbit être dans la difgrace \ il crut que lin-
fulte & la réparation avoient été concertées, &
dès-lors la réparation ne le toucha point ; lorsqu’on
annonça M. d’Argenfon, le maréchal etoit
enfermé dans fon '■ cabinet ayec M. de^ Fortia^,
jeune maître des requêtes ; celui-ci q u i, d’ailleurs,
n’avoit point d’affaire bien preffée à traiter avec
M. de Catinat -, ne douta point qu’au nom de M.s
d’Argenfon les portes n’allaffent s’ouvrir ; il fut
fort étonné d’entendre M. de Catinat dire d’un ton
haut & fec.: Qu'il attende. M. de Catinat favoit
bien que fi on ne doit jamais , fans des raifons
très-fortes faire attendre un particulier, à plus forte
vaifon un homme public, un lieutenant de police,
M. d’Argenfon. M. dé Fortia , moins flatté alors
qu’embarraffé de la préférence qu’on lui donnoit,
demanda plufieurs fois la permiffion de fortir, &
répréfenta que M. d’Argenfon attendoit. A chaque
inftance M. de Catinat répondoit : tNûn,. refle^ &
pourfuivons notre entretien , le refle efl mon affaire.
M. de Fortia trouvoit que c’étoit auffi un peu la
fienne , & il redoutoit pour lui-même le reffen-
timent que M. d’Argenfon ne pouvoir manquer
d ’avoir de cette fçènê , c’eft à quoi M. de Catinat
eut tort encore de ne pas faire attention. Enfin
la porte du cabinet s’ouvrit, & M. de Catinat,
adreffant la parole à fon valet-de: chambre ?
regarder M. d’Àrgenfon , qui fe préfentoit à lui, dit
tout haut, en préfence de M. de Fortia : Le lieutenant
de police efl-il là ? ek bien ! qu’on lui paye fon amende
& qu'il s’en aille ; & il rentra dans fon cabinet.
fcet homme qui favoit trouver tant de fierté
quand il croyoit voir le deflein de l’humilier, n’en^
fut pas moins diftingué pendant tout le cours de
fa vie par une modeftie qui forme le contrafte le
plus parfait avec le fafte, dont prefque tous les
grands hommes de ce règne, à l’exemple du maître
, aimoient à relever l’éclat de leurs hauts faits.
Sa bonté , fa, bienfaifance égaloietlt fa modeftie,
& c’eft ici qu’il faut apprendre à l’aimer autant
qu’on l’admire. Un de fes panégyriftes en a fait
un éloge qui n’eft pas de lui oc qui eft le plus
beau de tous. Il a voulu, foixante ans apres la
mort de Catinat, interroger fur fa mémoire ceux
des payfans de Saint-Gratien , ou qui avoient pu
le v o ir , ou qui le connoiffoient dès le berceau par
les bénédiétions de leurs pères ; ils n’en parloient
encore qu’avec des larmes d’attendriffement & des
tranfports de reconnoiffance ; ce n’étoit pas un
feigneur, difoient-ils dans leur langage , c’étoit notre
camarade , notre ami, notre père. Ils l’avoient
vu mille fois venir dans leurs chaumières s’informer
de leurs affaires & pourvoir a leurs befoins ;
ils montroient la place où il s’étoit a (fis ; ils ra-
contôient toutes les obligations qu ils lui avoient,
& ils pleuroient.
Madame de Coulanges parle avec fefpea de fa
fimplicité dans fes promenades champêtres & des
réflexions qui l’y accompagnoient. « Nous ne paf-
» fons pas un jour fans le voir , je le trouve feul
» au bout d’une de nos allées ; il y eft fans epee ,
» ij ne croit pas en avoir jamais porté. Sa fimpli-
» cité m’attire à lui parler, mais le bonheur dont
» il paroît jouir dans fes réflexions, m arrête»..
Catinat étoit ftudieux & favant dans plus d’un
genre, même étranger à la guerre ; il s’occupoit
avec Vauban du bien public , il faifoit des vers
avec Palaprat, mais vraifemblablement il ne les
montroit pas ; le jour de la bataille de la Marfaille,
il lui dit, en lui ferrant la main : Rien n’efl plus
vrai que ce que je vais vous dire, il y a plus de huit
jours que je n’ai fongé à faire un vers ; propos que
plufieurs auteurs rapportent comme férieux, mais
qui, vu le moment, a bien l’air d’une plaifanterie.
Arrêtons-nous à confidérer avec quelque attention
quel eft le cara&ère qui réfulte de tous les
traits que nous venons de raflfembler & de ceux
que nous pourrons encore y ajouter. Comme Catinat
eft un des hommes les plus finguliers du plus
beau fiècle de la France, cet examen ne peut être
déplacé. Catinat étoit modefte ; la modéuie n e ft,
fi l’on v e u t, que l’orgueil qui fent le danger &
qui craint de fe compromettre a fimplicité qu’un
art plus adroit d’attirer les^égards auxquels on paroît
renoncer. Celle de Catinat étoit réfléchie. &
fyftématique, elle étoit très:fière , elle réuniffoit
la bonté qui protège la foibleffe, & la fermeté qui
'réfifte au pouvoir. Ses foldats étoient fes camarades
, & fes payfans fes frères ; mais les courtifans
& les miniftres étoient fes ennemis ; il pardonna
tout à Louvois, Louvois étoit fon bienfaiteur ;
j on voit cependant combien les hauteurs de cejni-
1 niftre lui furent infupportables , & quels facrifices
il fit à la reconnoiffance : J ’en ai perdu U fommeu
& le manger ; f aimerois mieux mourir que d etre comme
j ’ai été Jept ou huit jours. Il fut moins indulgent a
|N l’égard de Barbézieux, & il ne pafta rien à Cha-
! miliart : fi madame de Maintenon, fon ennemie»
B a