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main, força un polie occupé par quinze Cents'
dragons, extermina clans fa courfe les débris de
l’armée ennemie, pénétra dans la Siléfie, paffa
l’Oder, 8c parut à la vue de Gorlitz à la tête
de vingt-quatre çiille hommes, La t*rreur de fon
nom l’avoit devancé, tout fuyoit à fon approche;
la campagne n’étoit qu’un défert, & fon courage
ne trouvoit plus même d’ennemis à combattre:
ce fpe&acle émut fon coeur, il rougit d’être l’effroi
de l’humanité, il rappella les payfans dans leurs
villages, & par la difcipline févère qu’il maintint
dans fon camp, fut leur perfuader qu’il étoit venu
pour les défendre, & non pour les foumettre.
Bientôt il tourna fes armes vers la Saxe, l’effroi fe
répandit dans tout l’éle&orat, Augufte lui-même
en fut frappé :■ les difgraces qu’il avoit effuyées
avoient épuifé fes forces 8c fon courage. Il demanda
la paix, il obtint une trêve : elle n’étoit point encore
publiée lorfque les Suédois en vinrent aux mains
avec les Saxons fur lès bords de la Profna ; ces
derniers remportèrent la première viéloire,qui eût
xlluftré leurs armes depuis qu’ils les expofoient à'
celles de Charles XII. Enfin la paix fut conclue;
par le traité, Augufte renonçoit au trône de Polo- !
gn e , Staniflas étoit confirmé de nouveau par la
république, & Charles X I I affeâoit un empire égal, 1
& fur le prince à qui il ôtoit la couronne, & fur
celui à qui il la donnoit. Augufte. différa de remplir
les conditions qu’on lui avoit impofées,- &
fur-tout de rendre Patkul, que l’invincible Charles
réclamoit ; mais ce prince menaça de ne point fortir
de Saxe que tous les articles du traité ne fuffent
exécutés. Augufte, pour éloigner un voifin fi dangereux
, facrifia le plus fidèle de fes défenfeurs ; la
viétime fut livrée à la vengeance du roi de Suède,
& alla mourir fur un échafaud. On reprochera toujours
à la mémoire de Charles X I I le fupplice douloureux
qu’il fit fouffrir à ce Livpnien.
Rien ne retenoit plus Chartes dans la Saxe. Ce
prince , qui craignoit de n’avoir plus d’ennemis à
combattre, n’avoit point compris le czar dans ce
traité. Tranquille fur le fort de la Pologne 8c de
fon allié, il fe mit en marche pour rendre aux
Mofçovites tous les maux qu’ils lui avoient faits.
L ’armée fuédoife paffoit près de Drefde, lorfque
tout-à-coup le roi difparut ; il s’étoit échappé
avec quatre officiers, étoit entré dans Drefde,
pour rendre viftte à Augufte comme au meilleur
de fes amis. Le prince détrôné le reçut d’un air
embarralTé f lui parla en tremblant, implora fa
clémence avec baffeffe , & lui demanda grâce
lorfqu’il pouvoit le faire arrêter. Charles prefque
feul au milieu de fes ennemis, fut plus fier,
plus inflexible qu’il ne l’avoit jamais été ; il rejoignit
fon armée inquiète de ion abfence, & où
l ’on fongeoit déjà à former le fiège de Drefde.
Il repafla l’Oder, & s’avança vers la Mofcovie,
ypfolu d’étonner cette contrée par une révolution
anfli rapide que celle de Pologne. Le czar étoit
d.éjcj. détrôné dans le plan de Çharles X I I , 8c ce
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prince n’étoit plus inquiet que du choix du fuc-
ceffeur qu’il donneroit à fon ennemi. Déjà il efl
dans Grodno : Pierre détache fix cents cavaliers
pour le furprendre ; & ce corps eft arrêté fur un
pont par trente dragons. Charles , impatient de
fe venger , fe jette dans Bérezine , y maft'a-
cre deux mille hommes , arrive fur les bords
de l’Hôlowits, 8c voit l’armée ennemie campée
fur la rive oppdfée. L’artillerie du czar tonnoit
avec furie ; la moitfquetterie faifoit un feu continuel.
Au milieu de cette grêle, Charles fe jette
le premier dans l’eaù , traverfe la rivière , fon
armée le fuit, les retranchemens font forcés, 8c
la déroute des Mofçovites devient générale. Charles
fe délaffoit des fatigues de cette journée, lorf-
qu’on lui apprit que le général Lewenhaupt, qui
accouroit pour joindre le corps d’armée, avoit
rencontré les ennemis dans fa route, leur avoit
paffé fur le ventre, 8c en avoit laiffé fix mille
fur le champ de bataille. Pierre czar battoit en
retraite, obfervant tous les mouvemens de fon
ennemi , étudiant, fes manoeuvres , devinant
fes rufes, copiant fon ordre de bataille; c’eft ainfi
qu’il apprit à vaincre Charles XII. Ce prince n’avoit
plus que feize mille hommes ; le vertige qui
accompagne la profpérité, s’empara de lui au moment
où cette profpérité même alloit ceffer, L’expérience
du paffé lui perfuadoit qu’avec les plus
foibles moyens, rien ne lui étoit impoflible ; il
inveftit Pultowa ; tandis qu’il dirigeoit les travaux
8c .qu’il, examinoit ceux des afliégés , il fut atteint
d’une balle au pied;il demeura ferme, donnant fes
ordres, marquant les poftes ; aucun ligne de douleur
ne le trahit, 8c perfonne ne foupçonna qu’il fût
bleffé ; il joua pendant fix heures ce rôle, inconcevable
pour les hommes vulgaires; enfin la perte
de fon fang le força à fe retirer. On découvrit
la plaie, tous les fpe&ateurs étoient confternés.
« Coupez, dit le roi, en préfentant fa'jambe,
jj ne craignez rien »- On n’en vint pas à cette
extrémité. L’approche, des Mofçovites lui fit bientôt
oublier fa bleffure ; il n’attendit pas l’ennemi
dans fes lignes ; huit mille Suédois demeurèrent
devant Pultowa- pour contenir les afliégés. Les
Mofçovites étoient rangés en bataille; dès le premier
choc , leur cavalerie fut renverfée ; mais
elle retourna au combat, culbuta l’aîle droite des
Suédois , 8c prit le général Schillenpenbak. Les»
deux partis, vainqueurs 8c vaincus tour-à-tour,
abandonnoient, reprênoient le champ de bataille ,
8c la viétoire yoloit en un moment d’un côté à
l’autre. Charles fe faifoit porter dans une litière ,
elle fut brifée d’un coup de canon; il monta fur
un cheval, qui fut tué fous lui. Renverfé au plus
fort de la mêlée, il fe défendoit encore avec fon
J épée, lorfqu’on l’arracha, tout fanglant. Les fol- Idats fuédois, perftiadés qu’il étoit mort, perdirent
courage ; cette nouvelle vole de rang en rang 8c
porte l’effroi dans tous les coeurs ; leur défenf© j devint moins yi^oureufe & l’attaque des Mofçq-
„ . vite*!
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vîtes plus vive. Les rangs fe rompirent, la cavalerie
ennemie y pénétra, la déroute devint entière.
On emporta le ro i, qui frémiffoit de fur-
vivre à fa gloire, 8c crioit d’un ton mêlé d’amertume,
de honte & de dépit: Suédois , Suédois. La
rage étouffoit fa voix , il n’en pouvoit dire davantage.
Tout étoit perdu fi le délire de la fureur
qui égaroit fes efprits fe fût emparé | aufli de
l’ame de Lewenhaupt ; mais ce fage général con-
ferva tout fon flegme, 8c fit une des plus belles
retraites dont il foit parlé dans l’hiftoire.
Charles mit le Borifthène entre fon vainqueur
& lui. Ce fut alors que revenu de fes premiers
tranfports, il rougit en fe rappellant les magnifiques
promeffes qifil avoit faites aux Suédois, lorfquil
difoit qu’il les mènerait fi loin , qu’il leur faudrait
trois ans pour recevoir des nouvelles de
leur patrie, 8c quand il répondoit aux ambaffa-
déurs Mofçovites, qu’il ne vouloit traiter avec
le czar qu’à Mofcow. Il marchoit avec les débris
de fon armée à travers les déferts 8c les forêts,
incertain de fa route, n’ayant d’autre lit que fa
voiture , preffé par la faim comme fes foldats;
mais affe&ant toujours un maintien ferme , un
air ferèin, il fe trouva enfin fur les frontières
de l’empire Ottoman. Une puiffance ennemie de
Celle du czar, reçut avec joie le rival de cet empereur.
On le conduifit fur les bords du Niefter,
où des cabanes élevées par fes foldats formèrent
bientôt une ville près de Bender. Louis X IV
offrit à ce prince infortuné un paffage pour retourner
en Suède, s’il vouloir s’embarquer pour Mar-
feille. Mais Charles ne vouloit retourner à Stockholm
qu’à la tête d’une armée triomphante, après
avoir détrôné Pierre , 8c vengé l’honneur des armes
fuédoifes. Il navoit point perdu de vue fes
grands projets; mais tandis qu’il médirait la chûte
du czar, celle de Staniflas commençoit, 8c Augufte
remontoit fur le trône de Pologne. Charles
ne pouvant plus donner des couronnes , donnoit
de l’argent au peuple , en manquoit quelquefois
lui-même, dépenfoit le revenu de chaque jou r,
fans fonger au lendemain, régloit les comptes de
fon tréforier fans les lire, jetoit au feu les fou-
liers de fon chancelier pour le forcer d’être toujours
botté, courait à cheval, rangeoit fa poignée
de foldats en bataille, 8c. paroiffoit plus gai qu’il
ne l’avoit jamais été dans fa plus haute fortune.
Les Turcs vènoient le contempler avec un étonnement
ftnpide, 8c l’admiroient fans fayôir ce qu’ils
admiroient en lui.
La cour Ottomane paroiffoit difpofée à fecourir
l’illuftre malheureux, 8c à'lui donner une armée
pour accabler le czar ; mais ce prince avoit verfé fes
tréfors dans les mains d’A li bacha , grand v ifir,
qui s’oppofa à ce projet. Charles, à force d’intrigues,
le fit dépofer. Numan Cupruli, fucceffeur
d’A li , dut fon élévation au roi de Suède, Iç combla
d’honneurs 8c de bienfaits, prépara la rupture
avec la Mofcovie. Déjà cinquante mille hommes
' Hïjloire. Tom. II. Première Partie.
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couvraient les bords du Danube. Pierre enfermé
par cette armée, que commandoit le v ifir , demanda
à parlementer; fa libéralité facilita la négociation
; il obtint une capitulation avantageufe,
8c fe retira avec fon armée. Le vifir fut difgracié ;
Aga Yufuphi bacha , fut mis à fa place. Cette
révolution n’en fit aucune dans les affaires de
Charles : l’emperèur Turc fit la paix avec la
Mofcovie, 8c voulut forcer le roi à fortir de
fes états ; il le inenaçoit même de le traiter en
ennemi s’il réfiftoit à fes ordres. Charles répondit
qu’il éçort roi à Bender comme à Stockholm, qu’il
n’y reçevroit d’ordre que de fa propre volonté,
8c qu’il fixeroit, lorfqu’il lui plairait, le jour de
fon départ. Aufll-tôt le divan réfolut d’afliéger
Charles dans fon camp , 8c de s’affurer de fa perfonne.
Cinquante vieux janiffaires, que fa gloire avoit
pénétrés de refpeâ, s’avancent pour le conjurer
de ne pas expofer fa vie par une défenfe opiniâtre
8c téméraire. Charles, pour toute réponfe, menace
de tirer fur eux. L’attaque commence; quelques
Suédois, effrayés de la multitude 8c de l’artillerie
des Turcs , fe rendirent. Charles indigné, s’écrie
à haute voix : « que ceux qui font braves 8c fidèles
n me fuivent jj. Les Turcs étoient déjà dans fon
palais," où leur foule avide fe difputoit fes richeffes.
Charles s’élance aumileu de ces brigands, tombev
reçoit un coup de piftolet , fe relève, pénètre
dans une chambre reculée, s’y renferme, y paffe
en revue fa petite troupe, rouvre là porte, fe
précipite dans leé rangs les plus ferrés des janiffaires
, en égorge deux, bleffe un troifième, eft:
enveloppé , perce les affaillans , tue encore un
foldat, accçrde la vie à un autre^ rentre dans fa
chambre, 8c voit les Turcs glacés d’effroi fe jetter
par la fenêtre. Ceux-ci, que la honte d’être vaincus
par foixante Suédois rendoit furieux, lancent des
torches fur la maifon de Charles ; elle étoit de
bois, 8c le feu en eut bien-tôt dévoré toutes les
parties* Du milieu des débris enflammés, on vit
s’élancer Charles, tout couvert de fang, lès cheveux
brûlés , le vifage noir de fumée ; il vouloit gagner
une maifon de pierre, où il efpéroit fou tenir un
nouveau fiège ; mais on l’entoure, on l’enveloppe,
on l ’entraîne. Il jetta fon épée, afin qu’on ne dit
pas qu’il l’eût rendue. On le CQnduifit au bacha,
qui loua fa bravoure. « Vous auriez bien vu autre
w chofe, dit-il, fi j’avois été fécondé jj*
Enfin, Charles fatigué', de Tir réfolut ion d’une
cour qu’il méprifoit, ne pouvant rien faire de
plus pour fa gloire à Bender, partit avec une
efcorte de mille hommes, trouva la marche de
ce corps trop lente, fe déguifa, 8c fuivi feulement
du colonel During 8c de deux domeftiques, tra-
verfa toute l’Allemagne 8c fe montra aux portes
de Stralfund; elles lui furent d’abord refufées par
la garde ; mais enfin, fon air vraiment royal 8t
fon ton impérieux les lui firent ouvrir. Il fut
reconnu par le gouverneur; il fallut couper fes
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