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n'éprouva aucürte contradiction de fa part. Cette ,
princeffe, en mourant (en 1200 ), fit un grand :
trait de politique, en confiant au pape la régence
du royaume de Sicile & la tutèle de fon fils. 1
Elle avoit lieu de croire que la reconnoiffance
parlant au coeur d’innocent I I I , ce pontife pro-
digieufement ambitieux, à la vérité, mais incapable
de lâcheté , mettroit une partie de fa gloire
à travailler à la grandeur de ion pupille, qu’il
eût pu écrafer , fi on l’eût mécontenté par un
défaut de confiance. Le pape oublia fa haine
contre les Suabes, dès qu’il fe vit le prote&eur 8c
le père du chef de cette illufire famille. Othon IV
l’ayant mécontenté, il l’excommunia ; 8c déliant
les Impériaux du ferment de fidélité fait à ce
prince, il les fit fouvenir de la foi qu’ils avoient
jurée à Frédéric I I , dans fon berceau. Philippe ;
Augufte , ennemi de la maifon de Saxe, alliée
de celle d’Angleterre, acheva la révolution qui
força Othon de defcendre du trône & de fe retirer ,
dans fes états héréditaires de Brunfwick , où il ;
vécut oublié. Frédéric I I ne fut .pas plutôt monté :
fur le trône impérial, qu’il manifefta fa reconnoif- '
fance envers le pontife : il confentit à fe croifer j
& à donner au faint-fiége les allodiaux de la 1
comteffe Mathilde : il promit de ne jamais réunir
la Sicile à l’Empire , mais d’en donner l’invefti-
ture à fon fils dès qu’il feroit en âge de régner.
Honorais I I I , fucceffeur d’innocent , obtint la
renonciation au mobilier des évêques défunts, &
au revenu des évêchés pendant la vacance. Ce fut
encore pour complaire à la cour de Rome, qu’il fit
publier ces cruels édits qui privoierit les enfans des
hérétiques de la fucceffion de leurs pères. Cependant
ces complaifances n’ëtoient pas entièrement
défintéreffées $ la plupart de ces conceffïons précédèrent
Con couronnement à Rome: il avoit lieu de
craindre que le pape ne refusât fon miniftère à
cette cérémonie , dont, dépèndoit la vénération
des peuples pour la perfonne des empereurs.
D ’ailleurs , Othon IV refpiroit encore : le couronnement
fe fit avec la pompe & les ufages ordinaires.
La méfintelligence de Frédéric & d’Honoré
ne tarda pas à éclater. I.orfque l’empereur vit fon
autorité bien affermie , il fe laffa d’accorder des
privilèges , dont le pontife fembloit infatiable. Ce
pape prétendoit interdire au monarque. toute
jurifdidion fur les eccléfiaftiques : & lorfqu’il en
chaffa piufieursde fes états de Sicile, où ils met-
toient le trouble, Honorius s’en plaignît comme
d’une entreprife facrilége. Frédéric fe juftifia par
l ’exemple de fes prédéceffeurs, & fit au pontife
une réponfe pleine de majefté: « Comme empereur
j* & comme roi, dit-il, je fuis juge fuprême de
j> tous mes fujets, & dans les caufes féculières ,
n je ne dois point diftinguer les eccléfiaftiques des
v laïques. Je bifferai à mes fuccefieurs ces préro-
» gatives que je tiens de mes ancêtre? : j’abdi-
» querois un trône, qu’il faudroit cônferver par
a une lâcheté. » Honorius, mécontent de cette
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réponfe, lance les foudres ordinaires dans ces
fiècles d ignorance: il excommunie l’empereur &
tous ceux qui lui feront fidèles. Frédéric étoit aimé;
il fut manier les états avec tant de dextérité , que
les coups du pontife frappèrent à faux ; & ce fut
pour 1 en punir, qu’il fit couronner roi des Romains
Henri fon fils ; c’étoit le déclarer fon fucceffeur,
Sc réunir la Sicile a l’Allemagne , ce que la cour de
Rome avoit toujours appréhendé. Le pape, fâché
du peu de fuccès de fes anathèmes, diflïmule fora
chagrin 8c cherche des voies de conciliation. Il profite
de la mort de l’impératrice , Marie Confiance
d Aragon, & le flatte du titre de roi de Jérufalem ,
quil lui offre en lui faifant époufer Yolande, fille
de Jean de Brienne. Frédéric confentit à la paix,
& s engagea par^ ferment à aller faire valoir fes
droits. Mais il s’apperçut bientôt que ce ferment
ne lui avoit été arraché que pour lui faire perdre
fes états d Europe ,lorfqu’il en feroit éloigné. Forcé
de l’accomplir, il s’embarqua avec une armé©
floriffante ; mais ayant été attaqué d’une maladie
après trois jours de navigation , il relâcha 8c fe fit
porter dans ion palais de Brindes. Grégoire IX
avoit fuccedé à Honorius III. Ce pape, outre les
prétentions de fon fiége qu’il avoit àfoutenir , avoit
là famille à venger : les eccléfiaftiques que Frédéric
avoit cnaffés de fes états de Sicile étoient lès parens:
il couvrit fon rêffentiment du voile de la religion,
& excommunia .l’empereur, qui, difoit-il, laiffoit
dans l’apprefîion les chrétiens de la Paleftine. Frédéric
fe juftifia aux yeux des princes chrétiens, toujours
entêtés de la chimère, auffi pieufe que vaine, de
fouftraire l’A fie au joug de l’alcoran ; & pour fe
venger de Grégoire , il fouleva contre lui les
Frangipani. Tandis que ces feigneurs, tout-puif-
fans dans Rome, forçoient le pape d’en fortir,
il attaqua l’état éccléfiaftique ; & dès qu’il eut
mis cette guerre en état de pouvoir être continuée
avec fuccès par fes lieutenans, il partit pour la
Paleftine. Le pape fit connoître que. les intérêts
de la religion , fur lefquels ïl s’étoit appuyé pour
l’excommunier, n’étoient qu’un prétexte pourexcu-
fer des motifs moins nobles : au lieu de retirer fes
anathèmes j il les confirme, il écrit à tous les ordres
religieux & militaires de la Paleftine, de ne point
reconnoître l’empereur; invite le foudan de Baby—
lone à l’attaquer avec confiance , fans craindre les
armées des croifés. Digne fucceffeur des Grégoire
V I I , des Urbain II , & des Pafcal I I , il
loulève le roi des Romains contre fon père.
Frédéric , que les intérêts de la religion conduifent
dans la Paleftine , y trouve les moines & le' clergé
conjurés pour fa perte , lorfqu’il donne
l’ordre , les croifés lui répondent qu’ris n'àbéiront
qu’aux lieutenans impériaux de la part de Dieu &
. de la chrétienté. Le grand-maître de Jérufalem ,
le grand-maître des templiers , lui refusèrent toute
efpéce d’obéiflànce ; les Vénitiens le félicitoient en
particulier , & l’outrageoient en public. Frédéric,
dans l’impuiffance de continuer la guerre avete
honneur,
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honneur, fongea à fe dégager avec prudence :
il conclut avec le foudan de Babylone une trêve de
dix ans : les conditions en étoient honorables. Le
foudan ( Melezel, ou comme nous l’appelions,
Méledin) lui remit tous les chrétiens fes captifs,
& lui donna les villes de Jérufalem, de Béthléem,
de Nazareth , de Throon & de Sidon, avec leurs
dépendances.' Le foudan, prince pacifique, fe
bornoit à demander la tolérance de fon culte, &
qu’on laiffât fubfifter les mofquées. Frédéric fit fon
entrée dans Jérufalem , n’ayant pour ennemis que
les chrétiens -qu’il venoit de délivrer. Le lendemain
il' alla vifiter le temple, où , après avoir fait fes
prières, il fe couronna lui-même, les prélats ayant
refufé de prêter leur miniftère à cette cérémonie.
Cette gqerre inteftine, qui fe faifoit fentir fur les
bords du Jourdain, troubloit le Tibre 8c l’Eder.
Le pape avoit fait publier une croifade contre lui :
il fit fes préparatifs pour repaffer en Europe,
inais il releva auparavant les fortifications de Jérufalem
& de plusieurs autres villes ruinées par lès
Sarrafins, & rétablit les Chrétiens dans Joppé.
Rentré dans la Sicile, il en bannit les templiers
& les hofpitaliers, pour avoir traverféfes defîeins ;
il paffe le continent, diftipe les croifades papales:
quinze jours luiTuffifent pour reprèndre une infinité
de places, qu’on lui avoit enlevées. Il parcourt
enfuite & foumet la Romagne, la Marche d’An-
cone, le ducto de Spolette , celui de Bénevent
& aftiège Grégoire dans Rome ; mais content de
l’avoir étonné, il leva le fiége, & fe retira à
Capoue. Tant de vigueur, tant de modération,
Ct plus encore l’entremife de fàint Louis, font
incliner le pape vers la paix. Frédéric, que des
écrivains ont déféré à la poftéritê comme le plus
dangereux des hommes, étoit le plus parient &
le plus modéré. Il renonça à tous les droits de
la viétoire; & non feulement il rendit au pape les
places qu’il venoit de conquérir , ilconfentk encore
à lui donner .vingt-fix mille marcs d’argent. Par
le traité de paix, qui fut conclu à San Germano
(2 3 juillet 12 30 ), l’empereur renonça à la
nomination aux bénéfices , affranchit le clergé de
toute jurifdi&ion féculière, & le déchargea de
toute taxe. La révolte de la Lombardie, les trames
fecreres du roi dès Romains, furent les vrais motifs
qui le déterminèrent à figner ce traité , fi contraire
à fes intérêts. Il fe rendit aufli-tôt en Allemagne,
où il gémit des dèfordres introduits par le fanatisme
& la révolte. ïl fait condamner- le roi des
Romains , fon fils, à une prifon perpétuelle; met
le duc d’Autriche au ban de l’empire ; non moins
prompt à récompenfer qu’à punir , il déclare Vienne
ville impériale. Le pape, infidèle au traité qui cependant
lui donnoit tant d’avantagesfavorifoit les
rebelles de Lombardie, il apprend fes hoftilités,
& s’apprête à foutenir la guerre, fuivant l’expref-
fion d’un -légat, avec la fermeté d’un rocher inébranlable.
Il paffe les Alpes avec une armée de cent
piille hommes ; fait une horrible -.boucherie des'
Hifloirc. Tome II. Seconde part,
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Gpno;s , des Lombards & des Vénitiens confédérés ;
& les traitant moins comme ennemis que comme
rebelles , il fait pendre les chefs , fans excepter le
général Pétro Tiépolo , fils du doge. Les confédérés
perdirent tant d’hommes , que Frédéric écrivit
lui-rnême que le pays ne pouvoir lui fournir un
cimetière affez grand. On neJàuroit décrire les
horreurs auxquelles fe livrèrent les deux partis:
les rebelles fembloient renaître d’eux-mêmes, &
combattoient avec le double fanatifmede la religion
8c de la liberté. Le pape leur avoit fait croire qu’ils
vengeroient l’un & l’autre , 8c s’étoit fur- tout appliqué
à faire pafîèr l’empereur pour le plus implacable
ennemi du vrai culte. Frédéric, indigné, s’abandonne
à tous les excès où peut le livrer une calomnie qui
tend à lui faire perdre toutes fes couronnes. Il fe
rend maître de la Tofcane , du duché d’Urbin , 8c
marche à Rome , qu’il aftiège. Les Romains 8c les
croifés font une fortie vigoureufe , excités par les
prières & les larmes du pape. Les Impériaux les
taillent en pièces ; & déployant l’appareil d’une
juftice effrayante, au milieu de ces combats fan-
glants , ils impriment une croix, avec un fer ardent,
fur le front des fanatiques. Grégoire qui voit que
fes foudres éclatent en vain contre le prince le
plus a&ir & le plus éclairé qui fut jamais, croit
les rendre plus puiffantes en les lançant au milieu
d’un concile général : il invite tous les prélats de
la Chrétienté à paffer à Rome, & les fait efcor-
tér d’une flotte. Entius, fils naturel de l’empereur,
& fon lieutenant dans le royaume de Sardaigne ,
attaque cette flotre, prend vingt-deux galères, en
coule trois à fond, déclare prifonniers de guerre
tous les prélats, au nombre defquels étoient trois;
cardinaux. Ce défaftre rompt les mefures du pape
& lui caufe la mort. Céleftin IV , qui lui fuccède,
ne tint le fiége que dix jours. Le cardinal deFiefque,
ancien ami de Frédéric » donne quelque efpoir à
l’Europe. L’empereur, qui connoît le pouvoir de
l’ambition , témoigne une vive douleur : Fiefque
efi pape, dit-il; il fera bientôt mon ennemi. Cette
prédi&ion fut bientôt juftifiée : Innocent IV , tel
étoit le nom que prit Fiefque à fon avènement
au trône pontifical, fuivit auflLtôt les traces de
Grégoire. Plus dangereux encore, il accufe r’cm- .
pereur d’avoir voulu l’attirer dans une conférence
pour l’arrêter prifonnier : & lorfque ce bruit a
produit fon effet, il l’excommunie. Frédéric répond
à ces anathèmes par des victoires, 8c force fon
ennemi à fe réfugier en France. Ce fut-ià qu’innocent
IV affembla ce fameux concile, où, après
lin procès juridique où l’on ne devoit pas manquer
d’accufateufs., il prononça la dépofition de
Frédéric , avec les formes les plus effrayantes , au
milieu d’un nombre infini de prélars, & en pré-
fence de plusieurs princes, auxquels l’empereur
crie inutilement que fa caufe eft celle de tous les
rois. Un moine, dont les déclamations durèrent
l’oracle du pontife, l’accufoit d’athéifme 8c d’hé-f
réfie, ce qui répugne dans la même perfonne, 8c/-
M m ni m