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rrer ; cette oppofition, criminelle aux yeux de Henri,
le mariage de Crammer, fa proteftion toujours
accordée aux proteftans , fon attention à réprimer
les violences des catholiques, les infmuations de
ceux-ci le rendirent fufpeâ; mais le roi, qui l’ai-
moit, voulut s’expliquer avec lui, & fut défarmé
par fa candeur- Crammer lui dit les raiforts de fon
oppofition , elles fatisfirent le roi fans le changer,
Crammer les avoit même écrites,.oubliant dans fa
ïimplicité que la loi venoit de défendre d’écrire fur
Çes matières , & que la contravention à cette loi
etoit érigée en crime capital ; le papier avoit été
égaré, heureufement il ne tomba point dans des
anains ennemies. A la fin de l’entretien, le roi dit
a Crammer : w Quant à moi, me voilà content ;
» mais vous êtes mandé au confeil, qu’allez-vous
» faire ? — j’y comparoitrai. W Et que direz-vous
» pour votre défenfe ? ce que je viens de dire à
u votre majefté ». Le roi que cette naïveté amti-
fott & intéreffoit, lui dit : « Pauvre homme , eh 1
n ne voyez-vous pas que vous y ferez à la merci
» de vos ennemis» ? Crammer, difent les proteftans,
ignorait qu’on eût des ennemis. Le roi lui fournit
un moyen de défenfe plus efficace.
_ Cependant on avoit vu Crammer confondu parmi
la foule dans l’anti-chambre du roi, on favoit qu’il
devoit comparaître devant.le confeil, on le crut
perdu, les courtifans le trairaient déjà en miniftre
difgraciè. Le confeil, compofe de courtilans, voulut
1 envoyer à là tour , Crammer en appella au
rot, on n’eut point d’égard à l’appel, & il alloit
être conduit à la tour, lorfqu’il montra l’anneau du
rot, gage de fa clémence. Le confeil refta confondu.
Telle etoit la défenfe que Henri avoit fournie à
Crammer; il manda le confeil & Crammer àrla-fois
il reçut très-mal les excufes du duc de Nortfolck
qur, pour juftifier le confeil, s’avifa de dire qu’on
n avoit voulu que faire triompher avec plus d’éclat
l’innocence de Crammer, en difcutant fa conduite;
le roi ordonna aux membres du confeil
q embrafler Crammer | & de vivre déformais avec
lui comme avec leur ami, mais fur-tout comme
avec le lien.
Henri1', grand amateur de l’argumentation , prit
plaifir un jour à faire difputer en fa préfënee, Bon-
ner , évêque de Londres catholique ,■ & Crammer
primat proteftant, & malgré fon zèle contre les
proteftans, quand il les eut entendus, il dit à
Bonner : vous nêtes qu un écolier, voilà votre maître.
Un jour le primat défendoit, à fon ordinaire ,
un homme dont le roi paroiflbit mécontent lu &
» cet homme-là, dit le roi, le comptez-vous aufli
■ " parmi vos amis»? AtTurément, répondit Cram-
mer. « Eh bien 1 reprit le roi , affurèz - le bien que
» vous favez par moi-même q .’il en ufe en tonte
» occafion à vorre égard comme un fourbe & un
» traître. — Permettez, ftre , que des paroles fi
» dures ne fortent point delà bouche d’un évê-
? que», Je le veux, & je vous l’ordonne, répli-
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qua Henri , tyran dans les bagatelles comme dans
les affaires importantes. Crammer en fut quitte pour
éviter toujours la rencontre dé cet Homme.
Mais une aéiion de Crammer k laquelle on doit la'
plus haute eftime, c’eft le refus qu’il fit defe prêter
au reflentiment du roi contre le duc de Nortfolck
, l’ennemi de la religion de Crammer, fon ennemi
perfonnel, & qui n’avoit fait paffer le ftatut
de fang que pour le perdre, mais auquel on ne
pouvoir reprocher que cet efprit de perfécution
prefque inféparable alors du zele religieux. Crammer
(z cacha dans une* f&fraîte pour n’être pas fon
juge, & il n’en fortit que pour exhorter Henri VIIL
à la mort.
, S’il fe livra tout entier fous Edouard V I , à for*
penchant pour la religion réformée, il nous feim-
ble qu’il feroit injufte de l’acculer de variation à
cet égard, puifque fous Henri VIII il avoit affez.
fuivi ce penchant pour hafarder fa faveur ; mais il
I eft jufte de lui reprocher la part qu’il eut à la per-,
fécution allumée fous ce règne contre les catholiques
»& qui fervit, jnfqu’àun certain point*d’exem*.-
pie & d’exeufeà la perfécution beaucoup plus forte
que les proteftans fouffrirent fous Marie; il eft jufte
de détefter le zèle cruel aveç lequel il força
Edouard à figner l’arrêt de mort de deux anabap-
tiftes. Cependant l’exaéte juftice demande encore
qu’on obferve qu’aucun catholique ne fouffrir la.
mort fous Edouard poiir la religion ; que fi Gardi-
ner, évêque de Winchefter, fut condamné à la-
mort, ilne fut pas exécuté. Quant aux anàbaptiftes,.
toutes les fedes de la réforme avoiem toujours été
intolérantes à leur égard. Toutes a voient tort;,
mais enfin cette erreur commune feinbie fournir
du moins une légère, exeufe à la conduite de
Crammer.
Marie ne vit jamais en lui que Popprefféur de
j la reine fa mère ; on. prétend qu’elle auroit pu y
voir un homme à qui elle avoit perfonnellemenc
| l’obligation d’avoir éprouvé moins de. rigueurs de
1 la part de fon p è r e & d’avoir été' rappellée par
lui à la fuccefïion. Mais ii faut convenir que ,t fur
ce dernier article, Crammer avoit voulu .depuis-,
renverfer fon propre ouvragé , puîfqu’il s’étoit dé-
| clàré en faveur de Jeanne Gray par zèle pour la
| religion réformée. Il étoit même déjà condamné à-
motrpour cette complicité ; mais Marie fe pîqiroit
de lui faire grâce fur l’objet politique, & de le
,faire punir pour le crime tf’heréfiè. Sa vengeance
\y gagnoit quelque chofe, Crammer n’eut été que
.décapité à titre de rebelle , it devoit être brûlé
{comme hérétique ; Marie l’ayant donc fait con-
-damner au feu, Bonner.& Thirleby, évêque de
.Norwick , furent envoyés pour le dégrader; on le
{revêtit par dérifion des étoffés les plus groflières,
taillées en forme d’ornemens pontificaux, & on
Ten dépouilla fuîvant les ufagesdè l’églife romaine ;
.pendant cette éérémonie, Bonner ne cefta d’outr.aw
gér Crammer , Thirleby ne eèffa de pleurer. On
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livra enfuite Crammer aux théologiens catholiques,
q u i, parleurs infinuations, leurspromeffes , leurs
menaces autant que par leurs argumens, lui arrachèrent
une abjuration. Les proteftans , pour exciifer
cette variation de leur héros, fe plaifent à charger
|| tableau des intrigues employéespar les catholiques
pour le féduire; ces intrigues fe rédnifirent vraifem-
blement à lui faire efpérer fa grâce, & dUfli-rtôt qu’il
eût abjuré,Marie figna l’ordre pour fa mort. Si Crammer
en cette occafion fut un homme ordinaire,
Marie fut femblable à elle - même. Les catholiques
, pour triompher de la défaite de leur ennemi
, le menèrent dans une églife , où, après avoir
pnblié fa converfion , & en avoir rendu grâces
à Dieu , ils prêchèrent Crammer & le félicitèrent,
lui montrèrent le ciel, lui promirent des meffes;
Crammer leur répondit par un torrent de larmes ,
& fur-tout par un défaveu folemnel de fon abjuration
, il marcha, au fupplice, plongea lui-même
dans le feu la jnain qui avoit ligné, difoit-il. ce
monument de foibleffe & de honte ; elle a péché
s’écrioit-il, qu'elle périjfe. Les Proteftans peignent
le fupplice de Crammer des mêmes couleurs, dont
l ’hiftoireeccléfiaftique peint le martyre des premiers
chrétiens ; cette férènité dans les fouffrances, cette
joie d’expier un moment de foibleffe par des tcur-
mens affreux, cette douce confiance d’être réuni
à l’auteur de fon être, cette pieufe indulgence à
l ’égard d;s bourreaux.
Crammer {ut brûlé à Oxford le Æ mars 1556.
CRANTOR(Phi!ofophéGrec ) , commentateur
8c dèfenfeur de la doârine de Platon , vivoit plus
de trois fiècles-avant J. G. Il ne nous refte rien
de lui. Voyei C hrysippe.
CRANTZ. Voyei K r a n t z .
CRAON ( P ier re d e ) {H if. de Fr.). Voy. à
l’art. A n jo u , ire. partie du 1 r. vol. de l’hiftoire ,
page 320 , comment il caufa la perte de Louis 1er.
duc d’Anjou , chef de la fécondé maifon d’Anjou ;
voy. ci-deffus à l’article C l is s o n ., comment il affaf-
finace connétable Sç qu’elles fuient les fuites de
cet attentat.
Evrant & fugitif depuis fon crime , exécrable j
aux François qui l’avoient proferit , abandonné ;
par le duc de Bretagne-, qu’il avoit cru fervir , !
méprifé du duc de Bourgogne, qui le protégeoit
en haine dii-xliic d’Orléans , les Anglois feuls
s’abaiffèrent jufqu’à le défendre, parce qu’il leur
rendit hommage du peu de terres qui lui reftoient.
Dans un temps de paix ou de trêve entre les deux'
nations , ils obtinrent pour lui la permiffion de
revenir à Paris.
Jufques-là on n’avoit point donné de confeffenrs
aux criminels qu’on menoit à la mort , & dans
ces fiècles dévots ce n’étoit pas une , des moins
dures circonftances du fupplice* Un féntiment de
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» religion & d’humanité fit changer cet ufage &
Craon eut part à ce changement. Il fit planter ,
auprès du lieu de l’exécution , une croix de pierre ,
où ces malheureureux s’arrêtoient pour fe confef-
fer , il y fit mettre fes armes, il donna de plus
line fomme aux cordeliers pour qu’ils fe chargeaient
à perpétuité de ce trifte & pieux office. « Il avoit
» appris , dit l’hiftorien de Paris , ( Sauvai ) à
» plaindre une infortune qu’il avoit couru rifque
» d’éprouver^ & dont il n’étoit que trop digne»,
CRAPONE ( A dam d e ) (H ifl. de Fr.) , né à
Salon, gentil-homme provençal, habile ingénieur.
Un canal tiré de la Durance au rhône à Arles
en 1558 , porte encore le nom de Crapone fon
auteur : On dit qu’il avoit fur les canaux plufieurs
des grandes- vues dont quelques - unes ont été
depuis exécutées.
CRASOCKI ( Je an ) ( Hiß. mod. ). L’hiftoire
de ce gentil-homme Polonois peut groflir la lifte
des grands effets produits par de petites caufes.
C ’étoit un nain d’une taille irréprochable, d’une
délicateffe de traits fort agréable, & d’un «fprit
très-amufant; il voyagea , il vint en France,
plut beaucoup à la cour de Charles IX , & de
Catherine de Méd ic-isoù il reçut l’accueil le
plus favorable, & d’où il revint comblé de bienfaits
; à fon retour en Pologne , fa reconnoiffance
éclata par les plus grands éloges de la reine mère ,
& dés princes fes fils ; il exaltoit fur-tout les talens
militaires du duc d’Anjou Henri & fes deux batailles
gagnées à dix-huit ans, il le repréfehtoit comme
un héros précoce, qui rempliffoir l’Europe du bruit
de fes exploits ; enfin il diipofa tellement, fans y
fonger peut-être, les efprits de la nobleffe Polo-
: noife, qu’à la mort du dernier Jagellon, ils fe tournèrent
naturellement vers lui & lui offrirent la
couronne ; Crafocki en porta la nouvelle en France
& auroit fans doute eu en Pologne toute la faveur
du roi qu’il avoît fi bien fe rv i, i l le retour de
Henri en France n’eût été accéléré par la mort
de Charles IX.
CRASSUS, {H iß a rom. ) Crajfus eft un furnom
qui répond à celui de le gros ou le gras , que nous
avons donné à quelques-uns de nos rois & qui eft
devenu aufli parmi nous le nom propre de pîu-
fieurs familles. Le nom de Crajfus a été pris &•
eonfervé long-temps par plufieurs familles romaines
, Canidius, lieutenant d'Antoine & qu’Augufte
vainqueur fit mourir, portoit ce furnom de Crajfus ;
mais une branche de la famille deLiciniens, s’eft
rendue ce nom tellement propre, qu’on ne la défi-
gne que fous ce nom de Crajfus & qu’on ne
défigne qu’elle par ce nom.
De cette maifon & de cette branche étoit Pu-
blius Licinius Crajfus, nommé.grand pontife l’an
de Rome 540 avant d’avoir éxercé aucune magif-
; trature curule , chofe rare alors , puis conful avec.