
enfans de choeur, c’eft-à-dire, de leur faire porter
chappe à la meffe & à vêpres ; & de leur donner
place dans les hautes ftalles, pour honorer la mémoire
des en fa ns égorgés par l’ordre d’Hérode.
C ’eft une pratique pieufe, qui, n’étant accompagnée
d’aucune indécence, ne fe reffent en rien de
la mafcarade contre laquelle Naudé, s’eft élevé
fi juftement, & encore moins de l’ancienne fête
des fous. (G.)
Fête , ( Beaux-Arts ) folemnité ou réjouiflance,
& quelquefois l’une & l’autre, établie, ou par
la religion , ou par l’ufage, ou occafionée par
quelque événement extraordinaire, qui intéreffe
un état, une province, une v ille, un peuple. &c.
Ce mot a été néceffaire à toutes les nations :
elles ont toutes eu des fêtes. On lit dans tous les
hiftoriens que les Juifs, les payens, les Turcs, les
Chinois ont eu leurs folemnités ôdeurs réjouiffances
publiques. Les uns dérivent ce mot de l’hébreu,
müfctqui fignifie, feu de Dieu ; les autres penfent
qu’il vient du mot, latin, ferla ri : quelques favans
ont écrit qu’il tiroif fon origine du grec fs(u , qui
veut dire foyer , &c.
Toutes ces étymologies paroiffent inutiles : elles
indiquent feulement l’antiquité de la chofe , que
notre mot fête nous défigne.
Nous pafîerons rapidement fur les fêtes de folemnité
& de réjouiflance des Juif*; , des payens & de
. l’églife. Il y en a qui furent établies par les loix
politiques, telles que celles qu’on célébroit en
Grèce. Celles des Juifs émanoient toutes de la
loi de Moyfe ; & les réjouiffances ou folemnités
des Romains tenoient également à la religion &
à la politique.
Il ne fera point queftion non plus des fêtes de
notre fainte religion , dont les plus confidérables
font ou feront détaillées fous les mots qui les
dèfignent. On fe borne ici à faire connoître quelques
unes de ces magnifiques réjouiffances qui
ont honoré en différens temps les états, les
princes, les particuliers même, à qui les arts ont
iervi à manifefter leur goût, leur riclieffe & leur
génie.
Les bornes qui me font prefcrites m’empêcheront
auffi de parler des fêtes des fiècles trop reculés:
les triomphes d’Alexandre, les entrées des con-
quérans , les fuperbes retours des vainqueurs
romains dans la capitale du monde, font répandus
dans toutes nos anciennes hiftoires. Je ne m’attache
ici qu’à raffembler quelques détails, qui forment
un tableau hiftorique des reffôurces ingénieufes
de nos arts dans les occafions -éclatantes. Les
exemples frappent l’imagination 6c L’échauffent.
On peint les actions des grands hommes aux jeunes
héros, pour les animer à les égaler ; il faut de
même retracer aux jeunes efprits , qu’un penchant
v if entraîne vers les arts , les effets furprenans
dont ils ont avant nous été capables : à cette
vue , on les verra prendre peut-être un noble
effor pour fuîvre ces glorieux modèles, & s’échauffer
même de l’efpoir encourageant de les furpaffer
quelque jour.
Je prends pour époque en ce genre des premiers
jets du génie , la f ê t e de Bergonce de Botta,
gentilhomme de Lombardie ; il la donna dans Tor-
tone, vers l’année 1480, à Galéas , duc de Milan
, & à la princeffe Ifabelle d’Aragon , fa non «
velle époufe.
Dans un magnifique fallon entouré d’une ga-*
lerie , où ètoient diftribués plufieurs joueurs de
divers inftrumens , on avoit dreffé une table taut-
à fait vuide. Au moment que le duc & la ducheffe
parurent, on vit Jafon & les Argonautes s’avancer
fièrement fur une fymphonie guerrière ; Üs por-
toient la fameufe toifon d’or , dont ils couvrirent
la table après avoir danfé une entrée noble ,
qui exprimoit leur admiration à la vue d’une
princeffe fi belle , & d’un prince fi digne de la
pofféder.
Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta
un récit, dans lequel il racontoit l’adreffe dont il
venoit de fe fervir pour ravir à Apollon", qui gar-
doit les troupeaux d’Admète , un veau gras dont il
faifoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant
qu’il le mettoit fur la table, trois quadrilles qui le
fuivoient exécutèrent une entrée.
Diane & fes nymphes fuccédèrent à Mercure.’
La déeffe faifoit fuivre une efpèce de brancard
doré , fur lequel on voyoit un cerf : c’étoit ,
difoit-elle , un Âétéon , qui étoit trop heureux
d’avoir ceffé de vivre , puifqu’il alloit être offert
à une nymphe auffi aimable & auffi belle
qu’Ifabelle.
Dans ce moment, une fymphonie mélodieufe
attira l’attention des convives ; elle annonçoit
le chantre de la Thrace ; on le vit jouant de
fa lyre & chantant les louanges de la jeune
ducheffe.
« Je.pleurois, dit-il , fur le mont Apennin
» la mort de la tendre Euridice ; j’ai appris T«'-
» nion de deux amans dignes de vivre l’un pour
i> l’autre, & j’ai fenti pour la première fois , de-
» puis mon malheur quelque mouvement de
» joie ; mes chants ont changé avec les fentimens
» de mon coeur ; une foule d’oifeaux ont volé pour
» m’entendre , je les offre à la plus belle prin-
» ceffe delà terre, puifque la charmante Euridice
» n’eft plus. »
Des fons éclatans interrompirent cette mélodie
: Atalante & Théfée, conduifant avec eux
une troupe lefte & brillante , repréfentèrent par
des darifes vives une chaffe à grand bruit : elle
fut terminée par la mort du fanglier de Calydon,
qu’ils offrirent au jeune duc , en exécutant des
ballets de triomphes.
Un fpeâacle magnifique fuccéda à cette entrée
pittorefque : on vit d’un côté Iris fur un
char traîné par des paons , & fuivie de plufieurs'
nymphes^ vêtues d’une gaze légère , qui
portoient
F E T
fjortdient des plats couverts de ces fuperbes
«ifeaux.
La jeune Hébé parut de l’autre , pourtant le
îîeétar qu’elle verfe aux dieux ; elle étoit accompagnée
des bergers d’Arcadie, chargés de toutes
le s efpèces de laitage , de Vertumne & de Fo-
«none, qui fervîrent toutes les fortes de fruits.
Dans le même temps l’ombre du délicat Apicius
fortit de terre ; il venoit prêter à ce fuperbe feftin
les fineffes qu’il avoit inventées , & c[ui lui avoient
acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.
Ce fpe&acle difparut, & il fe forma un grand
■ jballet compofé des dieux de la^ mer & de tous
les fleuves de Lombardie. Ils portoient les poif-
fons les plus exquis, & ils les fiervirent en exécutant
des danfes de différens cara&ères.
Ce repas extraordinaire fut fuivi d’un fpeâacle
encore plus finguljer. Orphée en fit l’ouverture ; il
•conduifoit l’Hymen & une troupe d’Amours : les
Grâces, qui les fuivoient, entouroient la Foi conjugale
, qu’ils préfentèrent à la princeffe, & qui s’offrit
à elle pour la fervir.
Dans ce moment, Sémiramis, Hélène , Méfiée
& Cléopâtre interrompirent le récit de la Foi.
■ conjugale , en chantant les égaremens de leurs
paffiôns. Celle-ci, indignée qu’on osât fouiller, par
des récits auffi coupables , l’union pure dés nouveaux
époux , ordonna à ces reines criminelles de
difparoître. A fa v o ix , les Amours dont elle étoit
accompagnée, fondirent, par une danfe vive &
rapide fur elles , les pourfuivirent avec leurs flambeaux
allumés , & mirent Je feu aux voiles de
gaze dont elles étoient coëffées.
Lucrèce , Pénélope, Thomiris , Judith, Porcie
& Sulpicie les remplacèrent ; en préfentant à la
jeune princeffe les palmes de la pudeur, qu’elles
avoient méritées pendant leur vie. Leur danfe
noble & modeffe fut adroitement coupée parBac-
chus , Silène & les Egyparis, qui venoient célébrer
une noce fi illuftre ; & la fête fut ainfi
terminée , d’une manière auffi gaie qu’ingénieufe.
Cet aflemblage de tableaux en aélion , affez peu
relatifs peut-être l’un à l’autre , mais remplis cependant
dé galanterie, d’imagination & de variété,
.fit le plus grand bruit en Italie, & donna dans
la fuite l’idée des car rouie 1s réguliers, des opéras ,
des grands ballets à machines , & des fêtes ingé-
nieufes avec lefquelles on 'a célébré en Europe
les grands événemens. Voye^ le Traité de la danfe,
Hv. / , chap. ij. page £.
On apperçut dès dors que, dans les grandes
circonftances, la joie des princes , des peuples ,
des particuliers même, pou voit être exprimée
d’une façon plus noble que par quelques cavalcades
monotones, par de triftes fagots embrafés
en cérémonie dans les places publiques & devant
les mai fons des particuliers ; par l ’invention grof*
wère de tous ces amphithéâtres de viandes entaf-
fées dans les lieux les plus apparens, & de ces
Mifloirei Tome II, Seconde part»
P E T 5 S 1
| dégoûtantes fontaines de vin dans les coins des
[ rues ; ou enfin par ces mafearades déplailantes
qui, au bruit des fifres & des tambours , n’apprêtent
à rire qu’à l’ivreffe feùle de la canaille,
& infeéfent les rues d’une grande v ille, dont
l’extrême propreté, dans ces momens heureux , de-
vroit -être une des plus agréables démonftrations
de l’alégreffe publique.
Dans les cours des rois on fentit, par cet exemple,
que les mariages, içs vi&oirçs, tous les événemens
heureux ou glorieux pouvoient donner lieu
•• à des fpe&acles nouveaux , à des divertiffemens
inconnus , à des feffins magnifiques, que les plus
aimables allégories animeroient ainfi de tous les
charmes des fables anciennes; enfin que la defeente
des dieux parmi nous embelliroit la terre, & don-
néroit une éfpèce de vie à tous les amufemens
qne lé génie pouvoit inventer ; que l’art fauroit
mettre en mouvement les objets qu’on avoit
regardés jufqu’alors comme des mafias immobiles,
& qu’à force de combinaifons & d’efforts , il
arriveroit au point de perfection dont il eft capable.
"
C ’eft fur ce développement que les cours d’Italie
imitèrent tour-à-tour la fête de Bergonce de Botta ;
& Catherine de Médicis, en portant en France
le germe des beaux-arts qu’elle avoit vu renaître
à Florence , y porta auffi le goût de ces fêtes
brillantes, qui depuis y fut pouffé jufqu’à la plus
fuperbe magnificence & la plus glorieufe perfection.
On ne parlera ici que d’une feule des fêtes de
cette'reine, qui avoit toujours des deffeins, qui
n’eut jamais de fcrupules , & qui fut fi cruellement
fe fervir du talent dangereux de ramener tout ce
qui échappoit de fes mains, à l’accompliflement
de fes vues.
Pendant fa régence , elle mena le roi à Bayonne,
où fa fille, reine d’Efpagne, vint la joindre avec
le duc d’A lb e , que la régentevoûloit entretenir:
c’eft-là qu’elle déploya, tous les petits refforts de
fa politique à l’égard d’un miniftre qui en con-
noiffoit de plus grands, & les reffôurces d’une
fine galanterie à l’égard d’une foule de courtifans
divifés, qu’elle avoit intérêt de diftraire de l’objet
principal qui l’avoit amenée.
Les ducs de Savoie & de Lorraine, plufieurs <
autres princes étrangers étoient accourus à la
cour de France, qui étoit auffi magnifique que
nombreufe. La ryeine, qui vouloir donner une haute
idée dé fon adminiftration , donna le bal deux fois
le jour, feftin s fur feffins , fête tùr fête. Voici
celle où je trouve le plus de variété, de goût,
& d’invention, Voyelles Mémoires de la feins de-
Navarre.
Dans une petite île fit née dans la rivière de
Bayonne , couverte d’un bois de haute - futaie ,
.«la reine fit faire douze grands berceaux qui abou-
tiffoiént à un fallon de forme ronde, qu’on avoir
pratiqué dans le milieu* Une quantité immenfe
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