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prefque fur un pont préparé pour faciliter l’embarquement.
Les jurats y étoient en robes de
cérémonie, avec un corps de rroupes bourgeoifes.
Cette princeffe • étant fortie de fa chalfe, le
comte de Rubemprè , alors malade , prit fa main
gauche, & elle donna fa main droite à M. de
Ségur, fous-maire de Bordeaux. Elle entra ainfi
fuivie de toute fa cour, dans la maifon navale
dans laquelle étoient l’intendant de la province
, fa fuite, le corps-de-ville , l’ordonnateur de
la marine, &c.
Au départ de la princeffe, l’air retentit des voeux
que faifoit pour elle une multitude prodigieufe de
peuple,, répandu fur le rivage, dans les vaiffeaux
o£ dans les bateaux du port.
.Une batterie de canon, que les jurats avoient
fait placer environ cent pas au-deffous du lieu de
1 embarquement, fit une falve qui fervit de fignal
pour celle du premier vaiffeau ; celle-ci pour celle
du fécond, & fucceffivement jufqu’au dernier :
ces vaiffeanx, tant françois qu’étrangers tous
pavoifes, pavillons & flammes dehors, étoient
ranges fur deux lignes : ces falves différentes furent
réitérées Suffi bien que celles des trois châteaux
qui furent faites chacune en fon temps.
Une chalouppe, remplie de fymphoniftes teur-
noit Uns ceffe autour de la maifon navale ; mais
Ce n éfoit pas le feul bateau qui voltigeoit ■ il y
en avoir autour d’elle quantité d’autres de’ toute
efpece, & différemment ornés , qui faifoient de
temps en temps des falves de petits canons.
Dans la diftance qu’il y a du bout des Chartreux
à la traverfé de Lormont, le temps étoit
fi calme & la marée fi belle, qu’on fe détermina
a continuer la route de la même manière iufnu’à
Blaye. 1 ^
U navigation continua ainfi par le plus beau
temps du monde : on arriva infenfiblement au
lieu appelle le Bec-d’Ambès, où les deux rivières
de Garonne & de Dordogne fe réuniffent, &
ou commence la Gironde ; l ’eau étoit très-calme
madame la dauphine alla fur la galerie, & y
demeura près d un quart d’heure à confidérer les
différens tableaux dont la nature a embelli cet
admirable point de vue.
;Lorfque madame là dauphine fut rentrée, les
députés du corps de-ville de Bordeaux lui deman-
derent la permiflion de lui préfenter un dîner
que la ville avoir. fait préparer , & d’avoir l’hon-
neur de l y fervir; ce que madame la dauphine
ayunt eu la bonté d’agréer, fuivant ce qui s’étoit
pratique lors du paffage de fa majeffé catholique
pere de cette princeffe, la cnifine de la ville aborda
la maifon navale, & celle de la bouche, qui avoir
fuivi depuis Bordeaux , fe retira.
Au fignal qui fin donné , les chalouppes de
remorque leyèrent les rames, foutenant feulement
de la chajouppe de devant, pour tenir les autres
t a ligne,
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, M. Cazalet eut l’honneur d’entrer dans l’Inté-
rieur de la chambre de madame la dauphine,
feparée du refte par une baluftrade, demettre le
couvert, & de préfenter le pain ; les deux autres
députés fe joignirent à lui, & ils eurent l’honneur
de fervir enfemble madame la dauphine, &
de lui vetfer à boire,
., P a ,^e trouva aH POrt h la fin du dîner, après
1 abordage la princefle fortit fur un pont que les
jurats de Bordeaux avoient fait confltuire ; la
comte de Rubemprè tenant fa main gauche, mon.
. n r Cazalet ayant l’honneur de tenir la droite ,
elle fe. mit dans fa cltpife pour fe rendre à l’hôtel
qui lut etoit préparé.
On voit par ces détails ce que le génie & le
zele peuvent, unis enfemble. On ne vit à Bordeaux,
pendant le féjour de madame la dauphine,
que des réjouiffances & des acclamations de joie ;
ce n etoit que fêtes continuelles dans la plupart
des matfons. Le premier préfident du parlement
Se l intendant donnèrent l’exemple ; ils tinrent
loir & matin des tables auffi délicatement que
magnifiquement fervies.
Le corps-de-ville de Bordeaux tint auffi, matin
Se foir, des tables très-délicates ; 8c tout s’y paffa
avec cette élégance aimable, dont‘le goût fait
embellir les efforts de laricheffe. { B . )
Fêtes des Princes de F rance. Nos princes s
dans les circonftances du bonheur de la nation
lignaient fouvent par leur magnificence leur
amour pour la maifon augufte dont ils ont la
gloire de defeendre, 8e fe plaifent à faire éclater
leur zele aux yeux du peuple heureux qu’elle
gouverne. ^
C’eft cet efprit dont tous les Bourbons font
animes, qui produifit, lors du facre du roi en 1 7 «
ces fites éclatantes à Villers-Coterets 8e à Chan-
tilly , dont 1 idée 1 execution 8e le fuccès furent
le chef-d oeuvre du zele 8e du génie. On croit
devoir en rapporter quelqhes détails qu’on a raf-
lembles d apres les mémoires tlu temps.
Le roi, après fon facre, partit de Soiffons le z de
novembre 17 2 * , à dix heures du matin , 8e il
arriva a V. lers-Coterets fur les trois heures 8e
demie, par la grande avenue de Soiffons. On l’avoit
ornee dans tous les intervalles des ïrbres, de torchères
de feuillee portant des pots à feu. L’avenue
de Pans, qui fe joint à celle-ci dans le même
alignement, faifant enfemble une étendue de près
dune lieue, etoit décorée de la même manière.
Première journée. Après que £{ majeflé fe M
repofee un peu de temps, elle parut fur un balcon
qui donne fur ! avgtft-cour du château.
Cette ayant-cour eff tr.ès-vafle, tous les apparte-
mens bas étoient autant de cuifines, offices Sc
M p s im a B« r i . a .nfi pourla dérober à la vue
& a trois toifes de diftance, on avoit élevé deux
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amphithéâtres longs de feize toifes fur vingt pieds
de hauteur, cîiftribués par arcades , fur un plan
à pan coupé & ifolé. Les gradins couverts de tapis
étoient placés dans l’intervalle des avant-corps" ;
les parois des amphithéâtres étoient revêtus de
feuillées, qui contournoient toutes les architectures
des arcades, ornées de feftons & de guir-
.landes , & éclairées de luftres, chargés de longs
flambeaux de cire blanche. Des lumières, arrangées
ingénieufement fous différentes formes, terminoient
ces amphithéâtres.
Au milieu de l’avant-cour on avoit élevé entre
les deux amphithéâtres une efpèce de terraffe fort
vafte, qui devoit fervir à plufieurs exercices, &
On avoit ménagé tout autour des efpaces très-
larges pour le paflage des carroffes, qui pouvoient
y tourner par-tout avec une grande facilité. A fix
toifes des quatre encogrinres , on avoit établi
quatre tourniquets à courir la bague, peints &
décorés d’une manière uniforme.
Pour form er une liaifon agréable entre toutes
ces parties, on avoit pofé des guéridons de feuillées
chargés de lumières, qui conduifoient la vue
d’un objet à l’autre par des lignes droites & circulaires.
Ces guéridons lumineux étoient placés dans
un tel ordre, qu’ils laiffoient toute la liberté du
paffage.
Quand le roi fut fur fon balcon , ayant auprès
de fa-perfonne une partie de fà cour, le refte
alla occuper les fenêtres du corps du château,
q ui, auffi bien que les ailes, étoit illuminé avec
une grande quantité de lampions & de flambeaux,
de cire blanche : ces lumières rangées avec art
fur les différentes parties de l’arçhite&urë • pro-
duifoient diÿerfes formes, agréables & line variété
infinie.
^ L’arrivée de fa majefté fur fon balcon fut
Célébrée par l’harmonie bruyante de toute là
fymphonie, placée fur les amphithéâtres, & com-
pofée des inftrumens les plus champêtres & les
plus éclatans: car, dans cet orcheftre, qui réu-
miffoit un; trè--grand nombre de violons ,d e haut»
bois & de trompettes-marinès, on comptoit plus
de quarante cors - de - chaffe. Les tourniquets à
courir la bagué , occupés par des dames fuppofées
des campagnes & des châteaux voifins, & par
des cavaliers du même ordre , divertirent d’abord
le roi. Les danfeurs de corde commencèrent en-
fuite leurs exercices , au fon des .violons & des
haut-bois : dans les vuides de ce fpe&acle , les
trompettes-marines & les cors- de - chaffe fe joi-
gnoient aux violons & aux haut-bois, & jouoient
les airs de la plus noble gaieté. La joie régnoit
fouverainement dans toute l’afiemblée, & les
fauteurs pendant ce temps l’entretenoient par leur
foupleffe & par les mouvemens variés de la plus
furprenante agilité.
Après ce divertiffement, le roi voulut voir
courir la bague de plus près ; alors les tourniquets
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furent remplis de jeunes princes & feigneurs, qui
briguèrent l’emploi d’amufer fa majefté , parmi
lefquels le duc de Chartres, le comte de Clermont
, le grand prieur & le prince de Valdeck,
le duc de Retz, le marquis d’Alincourt, le chevalier
de Pefé fe diftinguèrent.
Après avoir été témoin de leur adrefte, le roi
remonta & fe mit au jeu. Dès que la partie du
roi fut finie , les comédiens italiens donnèrent un
impromptu comique, compofé des plus plaifames
fcènes de leur théâtre , que Lelio avoit raffem-
blées, & qui réjouirent fort fa majefté.
Tous les gens de goût font d’accord fur la beauté
de l’ordonnance du parc & des jardins de Villers-
Coterets : le parterre , la grande allée du parc, &
les deux qui font à droite & à gauche du château,
furent illuminées par une quantité prodigieufe de
pots-à-feu. Tous les compartimensdeftïnés paries
lumières, ne laiffoient rien échapper de leurs
agrémens particuliers.
Sa majefté defeendit pour voir de plus près
l’effet de cette magnifique illumination. Tout d’un
coup l’attention générale fut interrompue par le
fen des haut-bois & des mufettes ; les yeux fe
portèrent auffi-tôt où les oreilles avertiffoient qu’il
fe préfentoit un plaifir nouveau. On apperçut au
fond du parterre, à la clarté de cent flambeaux ,
portés par des faunes & des fatyres, une noce de
village , qui avançoit en danfant vers la terraffe
fur laquelle le roi étoit ; Th everu ird marchoit à la
tête de la troupe, portant un drapeau. La noce
ruftique étoit compofée 'de danfeurs & de dan»
feufes de l’opéra. D um o u lin & la P r é v ô t repréfen-
toient le mârié & la mariée. Ce petit ballet fut
fuivi du fouper du roi & de fon coucher.
M. le régent, M. le duc de Chartres & les
grands officiers de leurs maifons tinrent les différentes
tables néceffaires à la foule de grands
feigneurs & d’officiers qui formoient la coiir de
fa majefté; il y eut pendant tout fon féjour quatre
tables de, trente couverts, vingt-une de vingt-
cinq, douze de douze, toutes fervies en même
temps & avec la plus exquife délicateffe.
On calcula, dans le temps, que l’on fervoit à
chaque repas 5916 plats.
Seconde jo u rn é e ; chajfe du fa n g lie r . Le 'mardi
3 novembre, une triple falve de TartiHerie &
des boîtes annonça le lever de fa majefté; après
la meffe, elle defeendit pour fe rendre à l’am-
phitheâtre qui avoit été dreflé dans le parc , où
fa majefte devoit prendre le plaifir d’une chaffe
de fanglier dans les toiles. Les princes du fang &
les principaux officiers de fa majefté le fuivirent:
l’équipage du roi pour le fanglier, commandé par
le marquis d’Ecquevilly, qui en eft capitaine,
devoit faire entrer plufieurs fangliers dans l’enceinte
qu’on avoit formée près du jardin de
l’orangerie.
Pour placer le roi & toute fa cour, on avoit