
les fêtes de Touloufe , de Rennes , de Rouen, de
Dijon , de Metz, 8cc. que nous pourrions décrire ;
mais on s’attache ici au néceffaire. Les foins
qu’on a pris à Bordeaux, lors du piffage de notre
première dauphine dans cette ville, font un précis
de tout ce qui s’eft jamais pratiqué de plus riche,
de plus élégant dans les différentes villes du
royaume ; & les arts différens, qui fe font unis
pour embellir ces jours de gloire, ont laiffé, dans
cette occafion aux artiftes plufieurs modèles à
méditer & à fuivre%f
On commence cette relation du jour que
madame la dauphine arriva à Bayonne ; parce
que les moyens qu’on prit pour lui rendre fon
voyage agréable 8c facile , méritent d’être connus
des leâeurs qui favent apprécier les efforts 8c les
inventions des arts.
Madame la dauphine arriva le 15 janvier . 1745
à Bayonne. Elle paffa fous un arc de triomphe
de quarante pieds de hauteur, au-deffus duquel
étoient accollées les armes de France & celles de
l’Efpagne , foutenues par deux dauphins, avec
cette infeription : Quant benè perpetuis fociantur
sexibus ambo ! De chaque côté de l’arc de triomphe
régnoient deux galeries, dont.la fupérieure étoit
remplie par les dames les plus diftinguées de la
v ille, 8c l’autre l’étoit par cinquante-deux jeunes
demoifelles habillées à l’efpagnole. Toutes les rues
par lefquelles madame la dauphine paffa , étoient
jonchées de verdure , tendues de tapifferies de
haute-liffe ,8c bordées de troupes fous les armes.
Une compagnie de bafques, qui étoit allée au-
devant de cette princeffe à une lieue de la v ille,
l’accompagna en danfant au fon des flûtes & des
tambours jufqu’au palais épifcopal, où elle logea
pendant fon féjour à Bayonne.
Dès que le jour fut baiffé, les places publiques,
l’hôtel de-ville & toutes les rues furent illuminées ;
le 1 7 , madame la dauphine partit de Bayonne &
continua fa route.
. En venant de Bayonne, on entre dans la généralité
de Bordeaux par les landes de captioux,
qui contiennent une grande étendue de pays plat,
eu on n’apperçpit que trois ou quatre habitations
difperfées au loin , avec quelques arbres aux
environs.
L ’année précédente , l’intendant de Guienne ,
prévoyant le paffage de l’auguffe princeffe que la
France attendoit , fit au travers de ces landes
aligner & mettre en état un chemin large de
quarante-deux pieds, bordé de foffés de (ix pieds.
Vers le commencement du chemin, dans une
partie tout-à-fàit unie 8c horizontale, les pâtres
du pays, huit jours avant l’arrivée de madame
la dauphine, avoient fait planter de chaque côté,
à flx pieds des bords extérieurs des foffés, 300
pins efpacés de 24 pieds entr’eu-x ; ils formoient
«ne allée de 12*00 toiffiS de longueur , d’autant
plus agréable à la vue, quêtons ces pîns étoient
entièrement femblables les uns aux autres , de 8
à 9 pieds de tige , de quatre pieds de tête , &
d’une groffeur proportionnée. On fait la propriété
qu'ont ces arbres, d’être naturellement droits 8c
toujours verts*
Au milieu de l’allée on avoit élevé un arc de
triomphe de verdure , préfentant au chemin trois
portiques. G. lui du milieu avoit 24 pieds de haut
fur 16 de large , & ceux des côtés en avoient
17 de haut fur 4 de large. Ces trois portiques
étoient répétés fur les flancs , mais tous trois de
hauteur feulement de 17 pieds, & de 9 dé largeur
: le tout Formant un quarré long fur la
largeur du chemin , par l’arrangement de 16 gros
pins, dont les tètes s’élevoient dans une jufte
proportion au-deffus des portiques. Les ceintres
de ces portiques étoient formés avec des branchages
d’autres pins, de chênes verts, de lierres,
de lauriers 8c d e 'myrtes, 8c il en pendoit des
guirlandes de même efpèce faites avec foin, foit
pour leurs formes, foit pour les nuances des différens
verts. Les tiges dés pins, par le moyen de
pareils branchanges , étoient proprement ajuftées
en colonnes torfes : de la voûte centrale de cet
arc de triomphe champêtre , defeendoit une couronné
de verdure, 8c au-deffus du portique du
côté que venoit madame la dauphine, étoit un
grand cartouche v e r t , où on lifoit en gros caractères
: A la bonne arribado de nojle dauphino.
On voyoit fur la même façade cette autre
infeription latine ; les flx mots dont elle étoit
compofèe furent rangés ainfl :
Jubet Amor >
Fortuna negat,
N attira juvat.
Les pâtres, au nombre de trois cents, étoient
rangés en haie entre les arbres, à commencer de
l’arc de triomphe du côté que venoit madame la
dauphirie ; ils avoient tous un bâton, dont le
gros bout fe perdoit dans une touffe de verdure.
Ils étoient habillés uniformément comme ils ont
coutume d’être en hiver , avec une efpèce de
îfurtout de peau de mouton, fournie de fa laine,
des guêtres de même, 8c fur la tête, une toque
appellée vulgairement barrète, qui étoit garnie
d’une cocarde de rubans de foie blanche 8c rouge.
Outre ces trois cents pâtres à pied, il y en
avoit à leur tête cinquante habillés de même p
montés fur des échaffes d’environ 4 pieds. Ils étoient
commandés par un d’entr’eux , qui eut l’honneur
de préfenter par écrit à madame la dauphine
leur compliment en vers dans leur langage.
Le compliment fut terminé par mille 8c mille
cris de vive le roi, vive la reine , vive monfeigneur
le dauphin y vive madame la dauphine#
Les
Les députés du corps de ville de Bordeaux vin-
ïent à O ffre s le 26. Ils furent préfentés à madame
la dauphine, 8c le lendemain elle arriva à Bordeaux
fur les trois heures 8c demie du foir, au
bruit du canon de la ville 8c de celui des trois
forts. La princeffe trouva à la porte Saint-Julien
un arc de triomphe très-beau que la ville avoit
fait élever.
Le plan que formoit la bafe de cet édifice ,
étoit un reaangle de 60 pieds de longueur 8c de
18 pieds de largeur, élevé de 60 pieds de hauteur,
non compris le couronnement. Ses deux grandes
faces étoient retournées d’équerre fur le grand
chemin , ornées d’architeâure d’ordre dorique ,
enrichies de fculpture 8c d’inferiptions. Il étoit
ouvert dans fon milieu par une arcade de plein
ceintre, en chacune de fes deux faces, qui étoient
réunies entre elles par une voûte en berceau,
dont les naiffances portoient fur quatre colonnes
ifolées, "avec leurs arrière-pilaftres, ce qui forment
un portique de 14 pieds de largeur fur 30
pieds de hauteur.
Les deux côtés de cet édifice en avant-corps
formoient deux quarrés, dont les angles étoient
ornés par des pilaftres corniers 8c en retour , avec
leurs, bafes 8c chapiteaux, portant un entablement
qui régnoit fur les quatre faces de l’arc de
triomplie. La frife étoit ornée de fes triglifes 8c
métopes , enrichis alternativement de fleurs de lis
& de tours en bas relief. La corniche l’étoit de
fes mutules 8c de toutes les moulures que cet
Cidre preferit.
Au-deffus de cet entablement s’élevoit un
attique, où étoient les compartimens qui renfer-
moient des inferiptions que nous rapporterons
plus bas.
A l’à-plomb de huit pilaftres, 8c au-deffus de
l’attique , étoient pofés huit vafes, quatre fur
chaque face, au milieu defquelles étoient deux
grandes volutes en adouciffement, qui fervoient
de fupport aux armes de l’alliance, dont l’en-
femble formoit un fronton, au fommet duquel
étoit un étendard de 27 pieds de hauteur fur
36 de largeur, avec les armes de France 8c
d’Efpagne.
Les entre-pilaftres au pourtour étoient enrichis
de médaillons, avec leurs feftons en fculpture ,
au bas defquels 8c à leur à-plomb étoient des
tables refouillées , entourées de moulures ; Tim-
pofte qui régnoit entre deux, fervoit d’architrave
aux quatre colonnes 8c aux quatre pilaftres ,
portant le ceintre avec fon archivolte.
C e t édifice, qui étoit de relief en toutes fes
parties, étoit feint de marbre “blanc. Il étoit exécuté
avec toute la févérité des règles attachées à
l’ordre dorique.
Sur le compartiment de l’attique , tant du côté
la campagne que de celui de la ville , étoit
H if io ir e » T om e 11, S e co n d e p a r u
l’infcription fuîvante : Anagramma numericum. Uni-
genito regis filio Ludovico , & auguflee 'principi
Hifpaniæ , connubto junElis, civitas Burdegaletijis
& fex viri erexerunt. ( 1 )
Au-deffous de cette infeription 8c dans la frife
de l’entablement, étoit ce vers tiré de Virgile.
In g r e d e r e , & v o t i s ja m m in e a jju e fc e v o c a r i , ( * )
Les médaillons en bas relief des entre-pilaftres,
placés au-deffus des tables refouillées 8c impoftes
ci - deffus décrits , renfermoient les emblèmes
fuivaris.
Dans l’u n , vers la campagne , on voyoit la
France tenant d’une main une fleur de lis, 8c de
l’autre une corne d’abondance.
Elle étoit habillée à l’antique , avec un diadème
fur la tête 8c un écuffon des armes de France à
fes pieds. L ’Efpagne étoit à la gauche , en habit
militaire, comme on la voit dans les médailles
antiques , avec ces mots pour ame , concordia
ceterna, union éternelle; dans l’exergue étoit écrit:
H i f p a n ia , G a ll ia ; l’Efpagne , la France.
Dans l’autre, au S vers la campagne, la ville
de Bordeaux étoit repréfentée par une figure,
tenant une corne d’abondance d’une main , &
faifant remarquer de l’autre fon port. Derrière
elle on voyoit fon ancien amphithéâtre , vis-à-
vis la Garonne , qui étoit reconnoiffable par un
vaiffeau qui paroiffoit arriver : l’infcription , Bur-
digalenfium gaudium, 8c dans l’exergue ces mots,
adventus delphintz 1745 ; l’arrivée de madame la
dauphine remplit de joie la ville de Bordeaux.
Du côté de la v ille, l’emblème de la droite
repréfentoit un miroir ardent qui reçoit les rayons
du foleil, & qui les réfléchit fur un flambeau
qu’il allume ; 8c pour legende, ceelejli accenditur
igné , le feu qui l’a allumé vient du ciel.
Dans l’autre , on voyoit la déeffe Cybèle affile
entre deux lions, couronnée de tours, tenant
dans fa main droite les armes de France, 8c dans
fa gauche une tige de lis. Pour légende , ditabït
olympum nova Cybele ; cette nouvelle Cybèle
enrichira l’olympe de nouveaux dieux.
Sur les côtés de cet arc de triomphe, étoient
deux médaillons fans emblème. Au premier, felici
adventui, à l’heureufe arrivée. Au lecond , venit
expettatadies, le jour fi attendu eft arrivé.
Madame la dauphine trouva auprès de cet arc
de triomphe le corps de ville qui l’attendoit. Le
comte de Ségur étoit à la tête. Le corps de ville
' ( ,1 ) A n a g r am m e n um é r iq u e . La ville & les jurats de
Bordeaux ont érigé cet arc de triomphe en l'honneur
du mariage de monfeigneur le dauphin, fils unique du
r o i , & de madame infante d’Efpagne.
( a ) Arrivez , augufte princeffe , & recevez avec boutf
l’hoau»age de nos coeurs,
D d dd