
foinmes propofée, nous ne fautions nous difpenfer '
d’entrer dans quelques détails; retracer la vie de
Charles-le - Chauve, c’eft dévoiler la fource de nos
anciennes divifions , & montrer les principales
fecouffes qui nous ont fait perdre le fceptre que
poffèdent aujourd’hui les Allemands nos anciens
fujets. Lothaire n’étoit pas le feul ennemi que Charles
eût fur les bras; Louis-le-Débonnaire, outre Lothaire
& Louis, avoit eu de fon premier mariage un troi-
fième fils nommé Pépin. Ce prince avoit été fait
roi d’Aquitaine, & avoit iaiffé en mourant deux
fils qui avoient hérité de fon courage, fans hériter
de fa puiffance ; Louis leur aïeul avoit jugé à propos
de les en priver. Ces jeunes princes avoient de nombreux
partifans parmi les Aquitains qui de tout
temps s’étoient montrés jaloux d’avoir un roi dif-
tingué de celui des hjfeuftriens. Ils avoient profité
des favorables difpofitions des anciens fujets de leur
p ère, & avoient fuivi le parti de la guerre civile ;
ils efpéroient que ce prinçe, en reconnoiffance de
leurs fervices, ne balanceroit point à relever leur
trône.« Lothaire y auroit probablement confenti,
mais ayant été forcé lui-même de recevoir la loi
du vainqueur, il les avoit abandonnés. Dès que
Charles eut (igné le traité de paix, il fongea a fatis-
faire fon reffentiment ; il fe rendit en Aquitaine.,
& fit afifafliner Bernard, un de leurs partifans. Bernard
étoit ce comte de Barcelonne , qui, miniftre
de Louis-le-Débonnaire, avoit-joué un rôle inté-,
reffant fous le règne de ce prince, dpnt quelques
auteurs ont prétendu qu’il avoit fouillé la couche.
La mort du comte afligea les jeunes princes, fans
déconcerter leurs projets : tous deux étoient d’une
valeur éprouvée ; & Pépin, l’aîné, avoit tous les
talens d’un général; il étoit même affez verfé dans
l ’art des négociations, fur-tout pour un temps ou
cet art étoit encore dans l ’enfance; il avoit rem- .
porté une viéfoire fur fon oncle pendant la guerre
civile; il fut encore l’abufer par une feinte foumif-
fion, jufquà ce qu’une, irruption de Normands,
qui força le roi deNeuftrie de fortir d’Aquitaine,
lui permit de faire de nouveau^ préparatifs. ^ -
Les Normands étoient depuis plufieurs liècles
les dominateurs des mers : Charlemagne le témoin &
quelquefois l’objet de leur in trép id ité, avoit prédit
leurs triomphes fur fes fucceffeurs. Ils etoient alors
conduits par Regnier, amiral d’E ric, leur roi, qui
venoit de fe diftinguer en Allemagne par des exploits
de la plus étonnante valeur. Regnier , à
l’exemple de fon ro i, ne s’arrêta point au pillage |
de quelques villages, comme avoient fait plufieurs J
capitaines normands qui l’avoient précédé ; il entra,!
dans la Seine à la tète de fix-vingts bateaux, :§£
remontant cette rivière jufqu’à Paris, il demandoit
fans ceffe fi ce pays riche & magnifique étoit fans
défenfeurs & fans habitans. Charles étoit à faint-
Denis profterné devant les reliques des faints qu’il
invoquoit. Regnier eût bien pu dire de ce prince
fans courage ce qu’un chef barbare difoit des Romains
dans le temps de leur dégradation , qu’il
poffédoif fon royaume, comme les bêtes la prairie
qu’elles broutent. Le monarque plus timide que
les moines dont il partageoit les alarmes ,| trem-
bloit au feul nom des Normands ; il - députa vers
Regnier, & vaincu avant de combattre, il lui demanda
grâce pour lui & pour fes peuples ; mais
pour mettre plus de poids à fes prières, il leur
donna fept mille livres pefant d’o r , fomme exorbitante
pour ce temps, & qui en excitant la cupidité
des barbares , leur donnoit des motifs &
des moyens pour revenir avec plus defuccès. Regnier
jura par fes dieux fur fes armes, gagefacre
parmi les Normands, de ne jamais remettre les
pieds fur les terres de France ; mais fuivant les
maximes de ces peuples, un traité n’obligeoit que
celui qui l’avoit conclu, & non pas la nation entière
; auffi ne ceffèrent-ils depuis ce temps d’y
faire des courfes , non plus pour piller, mais p.our
y former des - é tabliffemens. Charles , par cet humiliant
traité, s’attira le mépris des peuples, &
fes complaifances pour le clergé le firent détefter
des feigneurs. Ce prince, odiçux au corps^ des
nobles, fe tourna du côté des évêques qui s’em-
barraffoient peu de la gloire de l’état, pourvu qu’ils
en partageaient les biens. Les évêques , depuis le
départ des Normands , étoient affemblés à Beauvais :
Charles au lieu de préfidsr à leurs délibérations, promit
d’y foufcrire. Ils ne pouvoient cependant porter
plus haut l’orgueil de leurs prétentions : toutes
étoient fondées fur quelque paffage de l’écriture
mal interprété ; & le roi eût Ken pu^ connoitre,
s’il eût eu quelque difcernement , qu ils ne ten-
doient qu’à dépouiller le trône de fes plus précieux
privilèges. Après la bataille de Fontenai, on les
avoit regardés comme les difpenfateurs du fceptre.
Dans l’affemblée de Beauvais, ils prescrivirent à
leur maître la manière dont il devoit en uler ,
après lui avoir fait jurer de garder le droit eccle-
fiaftique : chaque évêque exigea ^ Charles un
ferment dont on lui prefçrivit jufqu’à la forme :
jurez, promettez, &c, C’étpit avec ce ton quç
l’on parfoit au monarque, fi cependant on peut
honorer de ce nom un prince qui fe dégradoit à
ce point. Après que les évêques eurent reçu ce
ferment, chacun en particulier, ils fe réunirent pour
en recevoir un général fur plufieurs autres chefs.
Les prélats fatisfaits de la foumiffion, de Charles,
terminèrent l’affemblée , & en indiquèrent une
autre à Meaux , où l’on devoit drefler des a&es
de ce qui venoit dç fe paffer ; mais les articles
en étoient fi déshonoràns, que les feigneurs s’op-
pofèrent de tout leur pouvoir à ce qu’on les rendît
publics. Charles refta neutre dans un différent qui
l’intéreffoit plus que perfonne. Il fe rendit en
Aquitaine, où il fit avec Pépin, fon neveu-, un
traité non moins honteux que celui qu’il avoit fait
avec Regnier. .
Un effaim de Normands répandu dans la Sam-
tonge, caufa dp nouvelles alarmes, & fournit aux
prélats un moyen qu’ils cherchoient depuis longtemps
temps, drélever la voix contre les feigneurs dont 1
la jufte fermeté oppofoit un treîn puiffant a leurs
deffeins ambitieux. Ils publièrent que les fréquentes
defcentes des Normands étoient une preuve de la
colère du ciel indigné de l’opiniâtreté avec laquelle
on s’oppofoit aux pieufes intentions du monarque.
Voyant alors que le bandeau de l’illufion couvrait
les yeux du peuple encore plonge dans les ténèbres
& l’ignorance, ils franchirent tous les obf-
tacles & rendirent publics les aétes du fynode
de Beauvais. Comme l’ambition ne garde aucune
mefure, ils y étalèrent tout le fafte de la leur ;
ils foutenoient que Charle# devoit prendre d’eux
l’ordre & le fignal : fiers d’un paffage de Malachie :
« ils recevront, s’écrioient-ils d un ton prophétique,
» la loi de la bouche de celui qui eft dans le facer-
ï) doce , c’eft l’ange du feigneur des armees ». Ce
procédé offenfa fenfiblément les feigneurs dont on
attaquoit ouvertement l’autorité : aftembles à Eper-
nay , ils firent des remontrances fi vive s, quils
parvinrent enfin à deffiller les yeux de Charles ;
mais ce prince également dupe de fa confiance
& de fon reffentiment, mécontenta fes fujets pat-
une conduite oppofée à celle qu’il avoit tenue juf-
qu’alors : incapable de modération, il prenoit toujours
des partis extrêmes ; après avoir comble les
évêques de biens & d’honneurs, il les fit chaffer
tout-à-coup de l’affembléè avec ignominie; ils me-
ritoient ce traitement fans doute, mais etoit-il de :
la politique de le leur faire effuyer ? Ce corps or- ,
gueilleux & vindicatif lui oppofoit une puiffance
redoutable, & pour en triompher, il fe mettoit
dans la dépendance des feigneurs qu’il ne pouvoir
plus mécontenter fans péril. Qu’il eût bien mieux
valu ménager les deux partis , & fans leur faire
de grands biens, ne leur faire aucun outrage ! il
les auroit alors conduits l’un par l’autre au bien
de l’état. ■ C ’étoit ainfi qu’en avoient ufé Pépin &
Charlemagne pendant le cours d’un règne auffi.
long que glorieux. Cette faute de Charles-le-Chauve
eut de terribles fuites : les nobles, tranquilles du
côté des évêques, mirent des conditions à leur
©béiffance ; ils délibèroientlorfqu’il falloit agir. Les
Normands étoient dans la Saintonge, d’où ils in-
foftoient les pays voifins : ils étoient d’autant plus
redoutables , que Pépin facrifiant tout au defir de
fe rendre indépendant, étoit bien éloigné de s’op-
pofer aux embarras de fon oncle. Ce fut pendant
ces troubles que les Bretons, conduits par Nomé-
non, auquel Louis-le-Débonnaire avoit donné le
gouvernement de ces peuples , levèrent l’étendart
de la révolte. Ces peuples, jaloux de leur indépendance,
avoient déjà tenté plufieurs fois de fecouer
le joug des François; mais leur Indocilité leur avoit
' toujours été fùnefte jufqu’alors. Charlemagne &
Louis-le-Débonnaire avoient épuifé fur eux tous
les traits de la plus terrible vengeance : plus heureux
fous Charles-le-Chauve, ils remportèrent fur
ce prince une viéloire' éclatante , le forcèrent
à demander la paix , on ne fait à quelles condi-
Jiijloire, Tom. IL Première Part*
fions; mais un roi qui confent à demander grâce
à fe$- fujets, renonce fans doute à s’en faire obêit^
Noménon eut peine à confentir au traité ; il eft
même probable qu’il s’y foroit refufe , fans une
defcente que firent les Normands fur fes terres :
-en effet, dès qu’il les eut défarmés par un traite,
il recommença la guerre avec une ardeur nouvelle,
& s’empara du territoire de Rennes ainfi que de celui
de Nantes; alors ne s’amufant point à feindre, il
prit le diadème & fe fit facrer par les évêques dans
une aflemblée nationale. Charles réclama contre
l’ufurpateur ; il le fit excommunier; mais ces
foudres furent auffi vaines que fes armes ; il ne
toucha plus dans la fuite au fceptre des Bretons,
que pour le remettre avec plus d’eclat entre les
j mains d’Erefpoge, fils du rebelle ; non feulement
Charles couronna Erefpoge de fos propres mains ,
il ajouta encore le territoire de Raiz au royaume
que fon père venoit d’ufurper, & dont il lui con-
firmoit la poffeffion.
Ce fut au milieu de ces difcordes étrangères &■
civiles que Charles implora le fecours de fes freres :
chancelant fur un trône agité par mille fa&ions
domeftiques , non moins terribles que les guerres
que lui faifoient à L’envi les Bretons & les N o r mands
, il leur demanda une conférence pour re^
médier aux maux qui défoloient fes malheureux:
états. L’empereur &. lé roi de Germanie cedant a.
fes prières , fe rendirent à Merfen ou fe tint
-l’affemblée générale. Les trois princes y parurent
dans la plus grande intimité ; on n’apperçut aucune
de ces divifions qui avoient fignalé le commencement
de leur régne. « Sachez , dirent-ils aux
évêques & feigneurs , que chacun de^ nous
» en. prêt à voler au fecours de fon frère, à
» l’aider de fos confeils & de fes armes, tant au
» dedans qu’au dehors du royaume ». C étoit une
menace indirefte de les punir, s’ils abufoient davantage
dé leur autorité : on ne pouvoit ufer d’une
plus grande modération ; la fierté des nobles en
fut cependant offenfée , & fon s’apperçut dans
cette affemblée-là même que leur puiffance étoit
bien mieux affermie que celle des rois. Gifalbert,
l’un d’eux, avoit enlevé la fille de l’empereur, &
avoit ofé l’éppufer publiquement malgré fa réclamation.
Quoique ce rapt bleffât également l’honneur
de fes freres, il ne put en obtenir vengeance ;
on fut obiigé de diffimuler leurs autres excès. Mais
ce qui montre l’état de foibleffe où la monarchie
étoit réduite, ce fut un article qui déclaroit que fi
l’un , des princes dérogeoit à fes prQineffes , les
évêques & les feigneurs pourroient l’en avertir
conjointement & ordonner contre lui ce qu’ils
jugeroient à propos , s’il refufoit de fe rendre a
leurs remontrances. C ’étoit rendre les fujets juges
de leurs fouverains : les puiffances intermédiaires
avoient fait un affez cruel abus de leur autorité,
pour montrer les conféquences d’un femblable decret.
l L ’affemblée de Merfen forvit à refferrer l’union
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