
Toute l'Angleterre, à la rèferve du Weftmore- •
land, Cumberland, & Northumberland , fut loi-
gneufement décrite avec une partie de la principauté
de Galles ; & cette defcription fut couchée
fur deux livres, nommés le grand & le petit livre
du jo u r du jugement : le petit livre renferme les comtés
de Norfolk, de Suffolk, & d’Eflek; le grand
contient ]e refie du royaume.
Ce regiftre général, qu’on peut appeller le terrier
d'Angleter re., fut mis dans la chambre du tréfor
ro y a l, pour y être confulte dans les occaftons ou
l'on pourroit en avoir befoin, c'eft-à-dire, fuivant
l’expreflion de Polidore Virgile, Jorfqu’on voudrai
("avoir combien de laine on pourroit encore ôter
aux brebis angloifes. Quoi qu’il en foit, ce grand
regiftre du royaume, qu'on garde toujours foigneu-
fement à l'échiquier , a fervi depuis Guillaume ,
& fert encore de témoignage & de loi dans tous
les différens que ce regiftre peut décider.
Il faut convenir de bonne fo i, de l’utilité d’un
tel dénombrement. Il eft pour un état bien policé,
ce qu’un livre de raifon eft pour un chef de famille
, la reconnoiflance de fon bien , & la dépenfe
plus ou moins forte qu’il eft en état de faire en
laveur de fes enfans: mais autant un journal tenu
par ce motif, eft louable dans un particulier, autant
le principe qui engagea Guillaume-à former
fon dénombrement étoit condamnable. Ce prince
ne voulut connoître le montant des biens de fes
fujets, que pour les leur ravir; regardant l’Angleterre
comme un pays de conquête , il jugea
que les vaincus dévoient recevoir comme une
grâce ftgnalée ce qu’il voulut bien leur Iaiffer,
Maître du trône par fes armes, il ne s’y maintint
que par la violence, bien différent de Servius
Tullius , q u i, après avoir le premier imaginé &
achevé fon dénombrement, réfolut d’abdiquer la
couronne, pour rendre la liberté toute éntièfejàux
Romains. A r t . de M . le chevalier d e J a o c o v r t ,
D ’OPPEL MAIEUR (J ean G a briel) (JSï/L
lit t, m o d .) , né à Nuremberg’ en 1 6 7 7 ; dés
académies de Londres , de Berlin , de Peters-
bourg,' mort en 1 7 5 0 ; a traduit en allemand
beaucoup de bons livres françois & anglois
d ’aftrotromie & de mèfchanique i & en a conï-
pofê d’autres de géographie & de phyftque les
uns en latin, les autres en allemand,
D O R A T ( Jean ) Hiß. litu mod, (Auratus) , a
fait, félon Scaliger plus de cinquante mille vers
grecs ou latins; il n’en eft pas refté un. Ses
contemporains qu’il a tous célèbres en grec, en
latin, quelquefois même en français, l'ont ap-
pellé le Pindare François. Charles IX créa pour
lui la place de poète royal a laquelle il attacha
une penfton. Lé grand mérite de Jean Dorai e’ft
d’avôir bien fu le grec & d’avoir' contribué en
france à en ranimer l'étude; il étoit pfofeffeur e'.n
cette langue au collège' royal & il reippliftoit
dignement fa chaire. Devenu veuf dans l’extrême
vieilleffe, il époufa une fille de vingt-deux ans,
c’étoit dilbit-il, une licence poétique. Francaleu lui
eût dit.
Monficur, la poéfie a fes licences , mais
Celle-ci pâlie un peu les bornes que j'y mets»
Cependant bien des gens ont pris cette licence
fans être poètes; il ne paroît pas qu’ils s’en foient
bien trouvés.
On dit que le nom de Dorât étoit dinemandi
ou difnemâtin & qù’il prit celui de la ville de
Dorât, dans la marché dont apparemment il
étoit.
Claude- Jofeph D o r â t . Des femmes qui avoient
entendu parler d’Ovide & des hommes qui
croyoient le connoître, ont appellé M. Dorât
F Ovide François, comme on avoir appellé Jean Dorât
, Pindare. Ovide n’étoit point maniéré , il étoit
naturel ,*abondânt & riche ; Dorât & Ovide n’ont
de commun que d’avoir été l’un & l’autre des
poètes érotiques, mais Ovide aimoit les femmes
& M. Dorât ne vouloir qu’en paroître aimé. Il
y aune manière de peindre les vices & les ridicules
de fon fiècle, qui ne fait qu’y applaudir i
les careffer & les encourager , c’eft celle de
M .Dorai; on fent combien il fe complaifoit dans
la peinture de ces travers, combien il aimoit à
la reproduire, combien il efperoit qu’on la pren«-
droit pour le portrait du peintre ; on fent qu’il n’ima-
ginoit rienau-deffus d’un joli homme, d’un petite
maître, d’un homme à bonnes fortunes ; il avoit
cent petites manières adroites ou non adroites
de nous dire qu’il l’é toit, de nous faire admirer
(es fuccès & envier fon bonheur. Ces ridicules
n’ont été que trop bien faifis dans l’épigramme
fuivante, une des meilleures du genre fatyrique i
Bon Dieu ! que cet auteur eft trifte en fa gaîté !
< Bon Dieu 4 qu’il eft pefant dans fa iégéreté 4
Que fes petits écrits ont de longues préfaces t
Ses fleurs font des pavots , fes ris font des grimaces ;
Que l’encens qu’ il prodigue eft fade & fans odeur !
C’eft , fi je veux l’en croire , un heureux petit-maître %
Jdais, fi j’en crois fes vers , ah ! qu’il eft trifte d’être
Ou fa maîtrçflè pu fpn le& eur.!
On fait que M. Dorât, croyant cette épigramme
de M. de Voltaire dont elle eft digne x & lentant
que fa petite faveur populaire f abandonneront
quand on le verrcûtaux prifes avec un tel athlète ,
voulut le défarmer par la foumiflion , & l’empêcher
du moins de redoubler. Il fit upe réponfe qui
c.ommençoit par ce vers :
.Grâce , grâce , iflon cher-Çeafeur, &ç%
■ Fe cher cenfeur qu’il avoit méconnu & qui étoit
f^n plus rpde antagonifte, dut bien rire de la méprifp
prife. Obfervons que M. Dorât, fidèle au cîtraélère
<3e joli homme & d’homme à bonnes fortunes,
abandonnoit généreufement fes vers r & prioit
agréablement'-/c cher Cenfeur de lui laiffer-du moins
■ fa maître fié. On lui a encore compté cette réponfe
pour une grâce & une gentilleffe, ce n’étoit qu’une
platitude', fi M. de Voltaire fût réellement def-
•cendü jufqu’à l’attaquer fi cruellement, & qu’étoit-
■ ce donc , l’épigramme étant d’un autre ?
M. de Voltaire avoit été le premier modèle de
M. Dorât pour les pièces fugitives , M. de V o ltaire
avoit eu la m.efure précife du ton qui convient
& qui plaît dans le monde ; M. Dorât voulut aller
plus loin & il paffa le but ; fon badinage devint
du perfifflage, fon ton dégénéra en jargon.
De la joie & du coeur on perd l’heureux langage
Pour l ’abfurde talent d’un trifte perfifflage.
Il n’étoit cependant pas fans talens, & s’il avoit eu
le courage de fe paffer des éloges de quelques caillettes
& de quelques jeunes gens fans goû t, s’il
avoit voulu travailler fes ouvrages & n’en pas
produire fans ceffe de nouveaux ,
Si non offenderet union
'Quemque poetamm lima làbor & mora ,
il auroit pu fe faire une réputation qui lui auroit
furvécu.
Ce cara&ère de petit-maître & d’homme agréable
aux femmes ou voulant le paroître , eft ce qui
frappe le plus dans fes écrits ôc dans fa conduire.
C ’eft là ce quhlui a procuré un faux fuccès pendant
quelques-temps & auprès de quelques per-
fonnes.
On dit qu’une aârice connue, avec laquelle il
vouloit qu’on le crût bien parce qu’elle étoit jolie,
& à laquelle il adreffa quelques épîtres familières
qui fuppofoit entr’eux de grandes privautés, l’em-
barraffa beaucoup en lui tenant ce langage au milieu
d’un cercle nombreux :
» Je ne fuis ni d’état ni d’humeur à être une
yy veftale, je me pique peu de vertu, j’ai eu des
n amans, j en ai eu beaucoup; mais enfin je ne
d vous ai pas eu , pourquoi donc me choififfez-
» vous pour l’objet de vos geritilleffes a vanta-
» geufes & de vos galanteries légères ? Vous dites
yy que je vous ai chaffé deux fols, je ne vous ai
7i point chaffé , car je ne vous ai point admis.
M. Dorât voulut faire des tragédies, maladie
qui prend quelquefois aux jolis poètes qui ne font
que jolis. Il ne put trouver dans fon ame^ toujours
nourrie de petites chofes , profondément remplie
de bagatelles, & accoutumée à ramper ou à briller
dans de petits genres , l’élévation & l’énergie né-
cqfîaires au genre dramatique , il ne. favoit ni
pleurer, ni frémir, il ne fit que des tragédies froides
tfifloire. Tome II. Seconde part%
& foîbles, auxquelles on l’aceufa de procurer à
prix d’argent un fuccès éphémère, qui, dit-on, l’a
ruiné.
Il réuflit mieux dans une feule comédie : La
feinte par amour ; ce n’eft'pas qu’elle ne foit encore
quelquefois défigurée par le jargon & l’air
maniéré; c’eft Marivaux mis en jolis vers, c’eft
même un peu lafurprife de Vamour, fujet que repro-
duifent, dit-t-on, toutes les pièces de Marivaux,
& qui plaît dans toutes ; celle de M. Dorât eft filée
avec le meme ar t, la fable fe développe bien &
le dénouement arrive au moment où il ne pourroit
plus être différé fans faire languir la pièce. L’amant
n’eft petit-maître qu’au degré qui n’empêche pas
d’être aimable, & enfin la pièce a une aâ ion, ce
qui manque à toutes les autres comédies de M. Do-
rat, qui ne font que des converfations maniérées
& des fcènes de perfifflage.
Les héroïdes, les romans, les fables font nombre
dans les oeuvres de M. Dorât, fans lui affigner
un nom dans les lettres , tout cela eft fans caractère
; la feule héroïde de Barneveldt occupa pendant
un moment par la. force tragique du fujet.
Son poème de la déclamation, un de fes premiers
ouvrages , offre des préceptes fages & des vers
bienfaits ; c’eft ce genre raifonnable qu’il eût dû
s’attacher à perfeéïionner en lui.
Il mourut le 29 avril 1780 , à quarante-fixans; il
avoit été quelque-temps moufquetaire.
Il avoit beaucoup defiré l’académie ; mais elle
ne penfoit pas fur fon compte comme parloient
fes flatteurs , elle ne s’empreffa pas de l’élire , il en
eut du dépit, il prit le mauvais parti que prennent
prefque tous ceux- qui ne peuvent pas y prétendre
ou y-parvenir, celui d’écrire centre elle , & elle
ne l’en auroit pas moins élu , f i , même par ces
écrits faits contre elle , il eût ajouté quelque chofe
à fes titres.
On ne peut faire a 1 academie aucun reproche
de ne l’avoir point nommé, il avoit un trop mauvais
goût; on ne pourroit non plus lui faire aucun
reproche fi elle l’avoit nommé , il avoit qu-lque
talent, & elle^ auroit efpéré de former ou de réformer
fon goût.
Il avoit ce qui vaut mieux que le gcîit & le
talent., il avoit des vertus; il a obligé plufieurs
gens de lettres, on dit qu’il a fait quelques ingrats.
Il avoit des amis, des amis zélés, qui le pleurent
encore, à qui fa mémoire fera toujours prè-
cieufe, à qui cet article fera peut-être quelque
peine , & cette idée nous en fait à nous-mêmes ;
mais nous devons configner ici la vérité, telle au
moins que nous la voyons, & le jugement qui
nous parqît être celui du public, peut-être feulement
parce qu’il eft le nôtre.
On a reproché à M. Dorât un amour - proprfc
Aaa