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les premiers mois furent confacrés aux noces de 1
Clovis avec Clotilde. Cette princeffe, nièce de
Gondebaud , roi de Bourgogne, jouiffoit d’une réputation
qui féduifit le monarque François : Clotilde
étoit belle, fpirituelle, & joignoit à ces heu-
reufes qualité? toutes les grâces & toutes les vertus
de fon fexe. Il eft cependant à croire que le mérite
de Clotilde , tout grand qu’il étoit, ne fut pas
Tunique motif qui détermina Clovis à cette alliance :
& ce n’eft pas trop préfumer de la politique de ce
conquérant, que de penfer qu’il regarda ce mariage
comme un titre qui l’autorifoit à dépouiller Gondebaud
du royaume de Bourgogne. Chilpéric, père
de Clotilde, avoit péri par Tordre de Gondebaud,
& fa qualité de gendre fembloit exiger qu’il fût fon
vengeur. La nouvelle époufe avoit été élevée dans
le fein de la religion ; elle multiplia fes efforts pour
déterminer Clovis à fe plier au joug de la foi. Ses
premières tentatives furent infrudueufes : le monarque
permit cependant que fes enfans fuffent
levés fur les fonts ; mais la mort d’Inguiomet, fon
üls aîné , arrivée peu de temps après la cérémonie,
& la maladie du fécond, qui fut aux portes du
tombeau , s’ôppofèrent aux voeux ardens de cette
princeffe , ils ne furent accomplis qu’après la bataille
de Tolbiac contre les Allemands. On prétend
que Clovis, fur le point de perdre cette- fameufe
bataille, &-fatigué d’invoquer inutilement fes dieux,
ie tourna vers celui des chrétiens, qui couronna
fes efforts. Les hiftoriens lui prêtent une affez
longue prière, que, fuivanteux , il fit en préfence
de fon armée ; mais c’eût été une indifcrétion im-
compatible avec le cara&ère d’un aufli grand gré-
néral ; ce n?étoit pas en montrant fon défefpoir &
en parlant d’abandonner les dieux.de fa nation qu’il
pouvoit fe flatter de ranimer le courage de fes
foldats,qui tous étoient idolâtres. S i, comme l’ajoutent
ces écrivains, il parvint à exciter de cette forte
l’ardeur des Francs , cette ardeur doit être regardée
comme un miracle. La déroute des Allemands &
des Suèves, leurs alliés, fut complette, leur pays fut
ravagé ; & tous les habitans auroient été chafiés ou
. exterminés, fi le même Théodoric, qui avoit déjà
obtenu la grâce des Thuringiens, ne fût parvenu
à calmer le reffentiment de Clovis. Les vaincus fe
fournirent, le roi leur laiffa le libre éxercice de leur
religion, & leur conferva leurs loi* ; mais il fe ré-
ferva le droit de confirmer l’éle&ion ,de leurs fou-
verains, auxquels il fut défendu de prendre le titre
de roi, mais feulement celui de duc. Cette conquête,
qui ne coûta aux François qu’une feule campagne,
donne une haute idée de leur valeur. Les
Suèves feuls avoient été long-temps le défefpoir
des Romains : Céfar avoit même regardé comme
fort glorieux d’avoir pu mettre le pied dans leur
pays. Clovis à fon retour fe montra fidèle au voeu
qu’il avoit fait d’embraffer le chriftianifme : il reçut
le baptême par le miniftère de S. Remi, qui, dans
cette augufie cérémonie, lui parla avec une magnanimité
finguüère. « Sicambre, dit ce prélat, en lui
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adreflant la parole, autrefois fi fier, fi farouche, &
que la grâce rend aujourd’hui fi humble, fi fournis,
plie le c o l, adore ce cjue tu as brûlé, & brûle ce
que tu as adoré ». Remi eût parlé avec plus d’éxac-
titude, s’il eût recommandé à Clovis d’àdorer ce
qu’il èft impoflible de'brûler; mais la religion lui
pardonne en faveur du faint enthoufiafme qui l’ani-
moit. L’éxemple de Clovis fut fuivi par une infinité
de François qui demandèrent le baptême. La con-
verfion de ce mônarque ne nuifit point à fes def-
feins ; elle fervit au contraire à en accélérer l’éxé-
cution. L’-églife étoit infe&ée de plufieurs feâes : le
roi des Vifigoths & celui des Bourguignons étoient
Ariens, & leur héréfie excitoit la haine des orthodoxes
, qui formoient le parti le plus puiflant; tous
' dévoient fe déclarer en fa faveur contre lesfe&aires.
Tout le clergé catholique, même celui deRome,
s’empreffa de lui donner des marques d’eftime &
d’amour. Le pape, ou plutôt l’évêque de Rome, fui-
vant le ftyle en ufage alors, lui parloit fans ceffe
d’un dieu qui devoit donner à fes armes les fuccès
les plus éclatans : il l’invoquoit dès-lors comme le
proteéleurdefon églife; « Très-cher, très-glorieux,
très-illuftre fils, lui difoit-il, donnez cette fàtisfac-
tion à votre fainte mère : foyez pour elle une colonne
de fer ; continuez , afin que le tout-puiffant protège
votre perfonne&votre royaume, qu’il ordonne
à fes anges de vous guider dans toutes vos entre-
prifes, & qu’il vous donne la viâoi-re». Une fembla-
ble épître eût été capable d’opérer la converfion de
Clovis. Il ne tarda pas à entreprendre une nouvelle
guerrë ; il chercha tous les prétextes poffibles pour
attaquer Gondebaud, dont les états avoient allumé
fa cupidité : les fouverains en manquent rarement.
Gondebaud n’avoit qu’une petite partie de la Bourgogne
; Gondegifile, fon frère, en partageoit l’empire
avec lui. Ces deux frères nourrifîoieht Tun
contre l’autre une fecrèteinimitié : cette inimitié,
plus puifiante fur Gondegifile que les noeuds du
fang, le détermina à folliciter le roi de France
d’entrer en Bourgogne ; ce qui fut bientôt éxécuté.
Gondebaud n’ayant pu arrêter l’impétuofité fran-
çoife, fut vaincu & pourfuivi jufques dans A v ignon
: il ne conferva fes états qu’en s’afîùjettiflant
à un tribut. Clovis avoit conjuré fa ruine, il ne fe
i fût pas contenté de ce tribut ; il fit dans la fuite
i plufieurs tentatives pour le perdre, & il.eût réufii
dans ce projet fans Théodoric , qui ne vouloit
pas l’avoir pour voifin. La foumifîion des villes
Armoriques, c’efi-à-dire, de la Bretagne, fuivit
l’expédition de Bourgogne : il ne fut plus permis
aux Bretons d’avoir des rois pour les gouverner,
mais feulement des ducs ; ainfi tous les peuples établis
dans les Gaules , étoient ou fujets, ou tributaires
de notre monarchie. Les Vifigoths feuls
avoient confervé leur indépendance. Alaric ayant
jugé à propos de priver un évêque de fon fiège ,
Clovis affeéta un faint zèle , & feignit de croire
qu’il ne pouvoit fe difpenfer de prendre la défenfe
4»e l’évêque dépoffédé. Alaric craignoit d’entrer en
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lice avec ce monarque : fes fujets abâtardis par le
calme d’une longue paix , n’étoient pas en état^ de
fe mefurer avec les François : il eut recours à la
négociation ; mais il éprouva qu’un prince armé par
la politique , eft implacable. Clovis Taccufa d’avoir
voulu l’afiafliner : il étoit bien plus capable de-lui
fuppofer ce crime qu’Alaric ne l’étoit de le commettre.
Rien ne put calmer l’indignation feinte ou .
véritable du monarque François. Théodoric, qui
régnoit avec tant deîgloire en Italie, & dont le roi
des Vifigoths avoit époufé la fille, lui écrivit les
lettres les plus preflantes, qui toutes furent in-
fruéhieufes. Les François, en partant pour cette expédition,
firent un voeu qui étoit ordinaire aux
Cattes, Tune des principales tiges de leur nation;
c’étoit de ne fe couper les cheveux & la barbe que
fur les dépouilles fanglantes des Vifigoths. Clovis,
qui ne laifloit échapper aucune occafion de fe rendre
agréable aux orthodoxes, fit voeu de bâtir une
églife dans Paris, fous l’invocation de S. Pierre &
de S. Paul. On publia les plus expreffes défenfes de
commettre aucunes violences contre les perfonnes
dévouées au culte des autels : on n’a point d’éxempie
de la difcipline qui futéxercée dans cette guerre :
Clovis tua de fa propre main un foldat, pour avoir
pris un peu de foin fur une terre ennemie. Les
^orthodoxes intéreffés aux profpérités de fes armes,
érigèrent en miracles tous les événemens de cette
campagne : une biche,-fans doute effrayée par le
bruit de la multitude, traverfe la Vienne à Tinftant
que l’armée fe préparoit à palier cette rivière ;
c’étoit une biche envoyée par le ciel pour leur indiquer
un gué : l’air paroifibit enflammé du côté
de Tèglife de Saint - Hilaire de Poitiers ;• c’étoit une
marque de la prote&ioo du faint, qui avoit conjuré
la ruine des Vifigoths, parce qu’ils étoient Ariens.
Cependant Clovis avançoit toujours, précédé par
le bruit de ces miracles, qui probablement ne furent
pas les feuls. Alaric ne fe difiimuloit point fon
infériorité devant des troupes continuellement
éxercées aguerries par une infinité de combats
& de victoires. Il eût bien voulu tirer la guerre
en longueur, i! faifoit fa retraite vers l’Auvergne ;
mais ayant été forcé de s’arrêter dans les plaines
de Vouillé, fon armée fut taillée en pièces, &
lui-même, .périt de la main de Clovis, après avoir
fait'la plus belle défenfe. La foumiflion de l’Albigeois
, du Rouergue, duQuerci, de l’Auvergne,
du Poitou , de la.Sajntonge & du Bourdelois, fut
le fruit de cette viéloire; il ne refta plus au* Vi-
HtfQths de leur domination , en-deçà des Pyrénées
, que la ville & le territoire de Narbonne,
où ils proclamèrent Gefalic, fils du feu roi. Clovis,
dans tout lé cours de fon règne , qui ne fut qu’un
enchaînement de guerres, n’éprouva qu’une feule
défaite, & ce fut Ibba * général de Théodoric, qui
çut la gloire de la, lui, faire eflùyer.
Clovis reçut à Tours des ambafladeurs de l’empereur
d’Orient : ils venoient le féliciter de la part
de leur maître, fur la gloire de fon règne. Anaflafe
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lui envoyoit les ornemens de patrice, & des lettres
qui l’invitoient à en prendre le titre; onlui
donna dès-lors les noms pompeux de conful & d’au-
gujle. C ’eft ainfi que les empereurs, trop foibles
pour dominer dans les G aules, fe contentoient d’y
conférer des titres; ;
Jufqu’ici Clovis a figuré en prince auquel on ne
peut reprocher qu’un excès d’ambition. Maintenant
il va paroître un allié barbare & fans fo i, un
parent dénaturé. Les François étoient encore divi-
fés en plufieurs tribus : Clovis étoit bien le général
commun de toute la nation ; mais il n etoit pas
Tunique roi. Regnacaire régnoit dans le Cambrefis;
Sigebert dans Cologne ; Riguiomer, dans le Mans ;
Carariç, dans une partie de la Flandre : plufieurs
autres parens de Clovis poffédoient, en pleine fou-,
veraineté, d’autres états moins coufidérables. Clovis
avoit vécu jufqu’alors dans la plus grande intimité
avec tous ces princes ; il en avoit tiré de pu if-
fans fecours ; la réfolution fut formée de l|s facrifier
! à la grandeur de fes fils. Il ehgagea le fils de Sigebert
à Taflafliner, & le fit affafliner lui-même lorf-
qu’il eut confommé cet horrible parricide. Devenu
maître, par trahifon, de la perfonne de Cararic, il
l’obligea de fe faire prêtre lui & fon fils, & les fit
aufïi-tôt maflacrer, fur le foupçon qu’ils méditoient
une vengeance. Il entra enfuite dans le royaume
de Cambrai, où Regnacaire lui fut livré, pieds &
poings liés, par des traîtres qu’il avoit corrompus.
« As-tu fait ce tort à ta race , dit-il en apoftrophant
n ce prince, de te laifler ainfi lier comme un ef-
» clave, & ne devois-tu pas prévenir cette honte
» par une mort honorable ? : Il n’avoit pas fini ces
mots qu’il lui ouvrit le crâne d’un coup de hache.
« Et to i, ajouta -1 - il en fe tournant vers Ri-
» quier, frère de ce prince, fi tu avois défendu
» ton frère on ne l’auroit pas lié de cette'forte ». Il
lui fendit également la tête. Riguiomer & tous les
autres princes qui avoient quelques prétentions au
titre de ro i, périrent par ces lâches moyens. Voilà
quelles furent les principales aâions de Clovis, premier
roi chrétien : la religion s’honoreroit plus d’avoir
fait fa conquête s’il fe fut montré moins féroce
& moins barbare , & Ton auroit plus de foi
aux miracles dont les hiftoriens ont cru devoir embellir
fon hiftoire. On a demandé la raifon pourquoi
ce prince commit plus de crimes après fa conver-
| fion qu’auparavant ? Si Ton fait attention qu’ils
étoient moins un effet de fon caractère que de fa
politique, on pourroit croire que cette railon vient
de ce qu’il n’avoit point encore les mêmes motifs.
Peut-être cependant la religion mal-entendue y eut-
elle quelque part : le chriftianifme annonce un
Dieu qui punit, mais un Dieu qui pardonne. Un
feul mot d’un de fes miniftres fuffit pour effacer les
fo.uillures de la vie la plus longue & la plus criminelle,
mais feulement à ceux qui font touchés d’un
fincère repentir. L’idolâtrie n’offroit pas cette con-
folation ; un payen pouvoit trembler dans fa vieil-
leffe, dans la crainte d’être puni pour des crimes