meules, les juges indignés fe refufènt à ces manoeuvres.
On publie une lettre fuppofée du roi
d Angleterre qui redemande fon connétable, ( c’étoit
Çilles qu’il défignoit .ainfi, ) & qui menaçoit en
cas de r em s c le faire une defcente en Bretagne;
la faufle lettre ne produifit point d’effet, perfonné
n y Ciut. On tenta d’empoifonner le prince , on
envoya dans ce deffein en Lombardie , contrée
alors renommée pour la compofition des poifons.
Gilles dut fon falut à fa jeuneffe & à fa bonne
conftitution. Il n’éprouva qu’une indifpofition légère.
Ses bourreaux réfolurent alors de le laiffer
mourir de faim. On entendoit à travers les barreaux
d’une grille delà prifon les cris.de ce malheureux
qui demandoit aux paffans du pain pour
l amour de Dieu. Perfonne n’ofoit lui en donner.
Une pauvre payfanne eut feule le courage de def-
cendre dans les foffés & de mettre à plufîeurs re-
prifes un pain fur le bord d’un foupirail par lequel
ce fecours parvenoit jufqu’au prince. Ses ennemis
s’etonnerent & s’indignèrent de la prolongation
de fa v ie , des affafîins entrèrent dans fon cachot
& l’étouffèrent entre deux matelats. Un religieux,,
confefleur du prince & dépofitaire de fes dernières
volontés , vint trouver le duc & le cita de la part
de feu monfieigneur Gilàs à comparoître devant Dieu
dans quarante jours. Sur quoi les auteurs du nouveau
di&ionnaire hifïorique font cette réflexion ju-
dicieufe. « Si l’efprit fe prête avec peine à ces
» ajonrnemens alors à la mode ; le coeur qui dé-
» telle les attentats de la tyrannie, ne peut s’em-
” pêcher d’être touché en dépit de tout raifonne-
» ment, & femble defirer ces vengeances temporelies
de la Providence ».
La déplorable aventure de ce prince infortuné
eft de l’an 1445.
CHANUT (Pier r e ) (/fi/?, mod. ) , ambafflideur
de France , auprès de Chriftine, reine de Suède,
& ami de Defoartes. On a de lui des mémoires.
Mort en 1662.
Pierre, fon fils , abbé d’Iffoire, & aumônier de
la reine Anne d’Autriche, a traduit les aties du
concile de Trente ,* la vie & les oeuvres de fiainte Thé-
r'efe ; mort en 1695.
CHAPELAIN (J e a n ) ( Hifi. litt. mod. ). Chapelain
paroît être un exemple de réputation détruite
par la fatyre. Il étoit l’arbitre du goût; rien n’étoit
bon que ce qu’il à . oit approuvé, on n’appelloit
jamais de fes ' jugemens. ( Voye{ l’article Bo iv in .)
Louis XIV lent qu’il eft de fa dignité de répandre
les faveurs du gouvernement fur les gens de lettres
qui. font la gloire de fon règne, c’eft Chapelain
qui , comme le premier d’entre eux donne la lifte
de ceux qui font dignes de récompenfe, c’eft lui
qui met pn taux & un prix au mérite , & on. peut-
«•Ôire qu’il ne s’oublie pas. Enfin Defprédux vient, ■
xl attaque le mieux renté de tous les beaux-efprits
dans-fa réputation & dans fa faveur, tout le monde
répété après lui :
Chapelain veut rimer, & c’eft-là fa folie.
Il fe tue à rimer j que n’écrittil en proje ?
Voilà Chapelain ridicule & pour fes contemporains
& pour la poftérité. Ceci peut donner lieu à
une queftion importante. Quel eft le pouvoir de
la fatyre fur la réputation littéraire ? Peut-elle,
lorfqu’elle eft fine , adroite, gaie, excellente en
un mot dans fon genre. ( effentiellement condamnable)
peut-elle détruire les réputations légitimes
& fondées fur des titres folides. Quand l’abbé D ef-
fontaines & fes complices fati gu oient M. de Voltaire.
de leurs farcafmes périodiques, accueillis par
des leâeurs frivoles qui croyoient alors haïr M.
de Voltaire qu’ils ont cru aimer depuis, les traits
partoient de trop bas & s’adreffoient trop haut ;
quand M. de Voltaire cédant trop aifément fans
doute à fon indignation, châtioit par des fatyres
cruelles,ces fatyriques infolens , fes traits partoient
de trop haut & s’adreflbient trop bas ; les premiers
ne pouvoient porter coup ; le fécond portoit des
coups trop fûrs ; mais nous pouvons obferver pour
la confolation du talent & du génie que M. de
Voltaire lui-même n’a jamais pu effleurer la réputation
de M. de Montefquieu *de M. deBuffon,
de M. de Fontenelle, des deux Roufleaux, Jean-
Baptifte & Jean-Jacques, quoiqu’il ait plus d’une
fois effayé' d’y porter atteinte. S’il a été plus heureux
ou plus malheureux contre quelques autres
(car dans ce genre le fuccès même eft un malheur
& la réputation perfonnelle du fatyrique fouffre des
coups qu’il p o r te ,) s’il a mieux réufti contre d’autres
, c’eft qu’il étoit aidé par les circonftances ; f i,
par exemple, un trait du Pauvre Diable, qui a fi
rapidement pafte de bouche en bouche, a répandu
un peu de ridicule fur l’abbé T.... , c’eft que la
matière y étoit difpofée, quoique ce littérateur ,
difciple de la Motte & de Fontenelle, ne fût pas
fans mérite. L’exemple de M. Greftet femble encore
prouver en faveur du talent contre le pouvoir
de la fatyre. Le trait que M. de Voltaire lui a
lancé dans le Pauvre Diable, a parfaitement réuffl ;
il eft plaifant & adroit, il a l’air jufte, le fatyrique
paroît accorder à M, Greftet ce qu’on ne peut pas
lui refufer & ne lui refufer que ce qu’on ne peut
pas lui accorder ; cependant la réputation de ifà.
Greftet, appuyée fur de vrais talens & de bons
ouvrages, a furnagé ; il eft refté à la place que
l’eftime publique lui avoit aflurée depuis long-temps.
Ainfi la fatyre amufe, la raifon leule perfuade :
cè n’eft point Boileau qui a détruit la réputation
dé Chapelain , c’eft la Pucelle ; les torts & les malheurs
de Chapelain & l’excufe de Boileau font dans
|là Pucelle ; c’efl ce que Galba, dans Tacite, dit de
Néron dans un autre genre. Quem...... non Vindex
cum inermi provinciâ , aut -ego cum uni legione} fed
ftu irntntmuàs -, fua luxuria cervicibus publiât depulere.
'
La fatyre ne nuit donc à nos ouvrages que
quand nos ouvrages aident la fatyre. M. Greftet,
qui, dans le Méchant, avoit peint avec tant d éclat
les moeurs, les idées & le jargon du grand monde ,
revient à Paris après vingt ans de féjour oc_d’i-
liadion dans la province ; fes oreilles font blellees
d’un néologifme , qui n’en eft plus un que pour
lu i, il veut le peindre dans un difcours public prononcé
à, l’académie françoife ; il veut le peindre,
mais il ne le connoît pas, il n’a point la mefure ni
les proportions de ce qu’il peint , il confond les
nuances les plus éloignées; u confond le. ridicule
noble & fin des gens de la cour avec le ridicule
groflier des bourgeois qui croyent les imiter ; ce
n’eft pas que fon projet ne fut excellent, & que
ce ne foit une queftion très-philofophique a traiter
que celle de l’influence réciproque des moeurs fur
le langage & du langage fur les moeurs ; mais il
manque entièrement fon objet, il fait une caricature
burlefque, il profane h gloire. A ce premier
tort, il ajoute celui de donner de ce difcours ^une
fécondé édition, où dans un avant-propos il tâche
de rendre ridicules ceux qui i’ont trouvé tel ; mais
les rieurs n’étoient pas de fon cote ; fi M. Greftet
avoit fouvent répété de pareilles fautes, s’il avoit;
multiplié de pareils ouvrages , il auroit pu nuire
à fa réputation & donner du poids à la fa ty r e ,
quoique les plus grands écrivains qui ont travaille
trop long-temps ayent eu comme lui le malheur
de faire beaucoup d’ouvrages indignes d’eux, &
que M. de Voltaire lui-même n’ait pas été à l’abri
de cet inconvénient.,
• Concluons donc avec Horace :
Jdulta quidem nobis facimusmala fape poïtce.
Et que peut-être fans le mal que nous nous faifons,
la fatyre ne nous en ferolt guères. Je dis peut-être^
car je ne veux rien décider fur cette queftion ; je
crains,que fur-tout chez une nation plus encline à
rire qu’à réfléchir, la fatyre ne foit toujours tr,op
redoutable ; .heureufement la plupart des fatyriques
le font bien peu, la paflion les, trahit & le défir
de nuire leur en ôte le pouvoir.
. Chapelain avoit tant de réputation, qu’avant que
la le&u re.de la Pucelle eût. fait fon effet, avant
qu’on l’eût allez lue pour, s’affurer qu’on ne pouvoir
la, lire , avant' qu’on eut ôfé prendre fur foi
de condamner Chapelain , ce poème eut jufqu’à fix
éditions, èn dix-huit mois.
Montmort fit fur la Pucelle cette épigramme :
Ilia Capellani dudàrn expectata puella
Poji tanta in lucem tempora prodit anus.
'■ Limère , la traduifit ainfi en l’allongeant & l’é-
gàÿànt-:
Une pucelle
Jeune & belle,
Vingt ans à la former il perdit fon latin ,
Et de;fa main
11 fort enfin
Une vieille fempitcrneile.
Il faut fans doute abandonner le »poème de Chapelain
, & il y a long-temps que cette juftice eft
faite ; mais il ne faut pas dire avec M. de Voltaire
, qui n’a peutîêtre jamais rien dit de fi leger ,r
que Chapelain eut la bêtife de traiter férieufement '
le fujet de la Pucelle, -car il n’en fut jamais de
plus intéreffant, il i’eft plus peut-être que le fujet
même de la Henriade , auquel il a d’ailleurs le
mérite de reffembler au moins en cé qui concerne
Charles V I I , qui inférieur à la vérité à Henri IV ,
régna , comme lu i, fur la France
‘ Et par droit de conquête , & par-droit de naiflance ,
Et par le malheur même apprit à gouverner.
Mais c’eft fur la perfonne de Jeanne que tout
l’intérêt fe raffemble. Puifque nous parlons d’intérêt,;
on conçoit que ce n’eft plus du poème de
Chapelain qu’il s’agit, mais de l’hiftoire véritable
de Jeanne d’Arc , telle qu’elle réfulte des a&es &
des titres authentiques. La première partie de cette
I hiftoire, c’eft-à-dire celle des exploits de Jeanne ,
dépouillée même des fables dont il étoit affez naturel
de l’orner , offre un merveilleux vrai 8c
philofophique bien fupérieur à ce merveilleux vague
des fables antiques\ à cette froide întervêntion
des dieux qui fait tout & glace tout dans nos poèmes
épiques à cette allégorie plus froide encore
qui glace encore plus la Henriade où il n’y a
de vraiment admirable que ce que la critique a eü
le malheur d’y reprendre, ces cara&ères fi bien
peints, ces belles maximes politiques , ces grands
tableaux d’hiftoire , ces beaux vers épiques qui
gravent les événemèns & les hommes dans l ’imagination,
& qui ont fait traiter M. de Voltaire de
Lucain 'François, par les Desfontaines , & leurs
femblables , injure après tout plus honorable qu’il
n’étoit donné aux Desfonta nés de le croire.
La fécondé partie de l’hiftoire de Jeanne , c’eft-
à-dire celle de fon procès, eft le chef-d’oeuvre de
l’intérêt ; l’admiration 6t l'attendri (fera ent pour
‘ Jeanne, .l’indignation, contré fes bourreaux , l’hor-
. reur , la pitié , la douleur y font au. comble. C’eft
lé fait le plus dramatique de toute notre hiftoire :
jamais la valeur & la vertu lâchement opprimées
par la fureur, lâchement trahies par la perfidie,
lâchement abandonées par l’indifférence & l’ingratitude
, n’ont crié vengeance au ciel d’un ton plus
déchirant &. phis terrible. Chapelain a eu la bêtifie
de . traiter un pareil fujet en vers froids .& durs;
M. de Voltaire a eu l’efprit de le parodier en vers
plaifans & pleins de grâce ; mais l’hom me jufte &
fenfiblo , qui fe pénétrant profondément Nqus atccndjons de Chapelain du.pathé