aujourd’hui le plus goûté, que les François trop
enclins à rire , ne portent pas allez à la tragédie les
difpofimons qu’elle exige ; ils en font punis par le
•peu d'effet qu'elle produit fur eux & le peu c!e_
plaifir qu’ils y éprouvent. On difoit, avant la Hen-
riade ries. François n’ont pas la tête épique ; on pour-
roit dire aujourd’hui : les François n ont plus le coeur
tragique. On peut obferver encore que cet efprit
de parodie, toujours prêt à traveftir, à dégrader,
à avilir tout ce qui eft grand & neble , eff toujours
en proportion de la décadence des moeurs; il feroit
aifé de prouver que du temps de Corneille & même
de Racine, beaucoup de traits qui font rire, ou au
moins fourîre aujourd'hui) ne produifoient point
cet effet, que l’on concevoit une familiarité noble
& qu’on la relpeéloit, parce qu’on fe refpe&oit foi-
même.
Mais on dit que mâdemoifelle Duclos n’avoit pas
un talent tragique qui lui donnât le droit de gour-
mander ainff le parterre ; on dit qu’elle manquoit
&c d’intelligence & de fenfibilité, & qu’elle dut
quarante ans de fuccés au théâtre, uniquement à
la beauté de fa voix. Son. nom de famille étoit
Château-Neuf.
D u c l o s ( Charles - Dineau , fieur *) ( Hiß.
litt, mod. ) , de l’académie des inferiptions & belles-
lettres, fecrétaire perpétuel de l’académie françoife,
hifloriographe de France, étoit du pétit nombre de
ceux qui ont encore plus d’efprit que leurs ouvrages
; c’eft de lu i, fur-tout, qu’on a dit & qu’on
a dû dire qu’il avoit reçu tout fon efprit en argent
comptant. Il étoit brufque; mais comme il faifoit
de fa brufquerie ce qu’il vouloit, il lui comman-
doit fouvent d’être obligeante, & cette brufquerie
n’érôit nullement dépourvue de grâces. Un jour,
étant malade, il appella un médecin très-célèbre,
qu’il ne goûtoitpas dans lafociété, & contre lequel
il s’étoit déclaré, quoiqu’il fît grand cas de fes la inières;
le médecin commença par lui dire qu’il
étoit flatté de fa confiance, mais qu’il s’en étonnoit,
ayant des raifons de croire qu’il ne lui étoit pas
agréable. — Cela eß vrai , répondit M. Duclos,
mais pardieu je ne veux pas mourir. Il feroit difficile
d’être à la fois plus franc & plus flatteur. Il avoit
dans la fociété le coup-d’oeil fin, prompt & jufte;
il poffédoit dans un degré rare & redoutable, le
talent des définitions ; pour peu qu’il eût vü & entendu
un homme, ou du moins (ce qui n’eff pas
tout-à-fait la même chofe ) qu’il l’eût regardé &
qu’il l’eût écouté, il étoit en état de dire : c’ efi cela
& ce nefi que cela ; aufîi difoit-il : je ne regarde pas
toux, mais ce que je regarde, je le vois. Mais fa probité
naturelle & une certaine indulgence philofophique
dirigeoient fur ce point fes lumières, les renfer-
moient dans les bornes légitimes & ôtoient à cette
fagacité tout fon dttnger. Il défendoit courageufe-
ment fes amis, étoit zélé partifan de toute paufe
honnête ; on lui a reproche dans ce genre un peu
d’indiferétion , ce qui venoit en partie de ce qu’on
faifoit plus d'attention à fes difeours & qn’on le*
retenoit plus aifément que ceux d’un autre. Il eut le
courage de refter l’ami confiant de cet éloquent &
malheureux Rouflèau ( Jean- Jacques ) , que fa défiance
& fa bizarrerie rendoient ennemi de tout le
monde, & qui a repouffé tant de coeurs qui s’élan-
çoient vers lui. La franchi fe de Duclos rafluroit cet
homme ombrageux, qui le définiffoit lui - même
un homme droit & adroit. Duclos étoit ami de V o ltaire,
fans lui être dévoué ; il fut fon fucceffeur
dans l’emploi dhiftoriographe de France , lorfque
M. de Voltaire parut vouloir s’établir en Pruffe.
On fait le mot d’un commis des finances, au fujet
de Boileau & de Racine', chargés précédemment du
même emploi : nous n'avons encore vu de ces meffîeurs
que leur fignature. Ce commis auroit v oulu, fans
-doute, qu’ils enflent fourni chaque année un volume
de flatteries. M. de Voltaire paroît adopter le
mot du comfliis, lorfqu’il dit ;
Je me garde bien
De reflemblef à ce grand fatyrique*'
De fon héros diferet hiftorien ,
Qui pour écrire en ftyle véridique »
Fut bien payé, mais qui n’écrivit' rien.''
Il avoit écrit, ainfi que fon collègue, fi l’on etf
croit Racine, le fils, dans fes mémoires fur la vie
de fon père , & ce qu’ils a voient écrit fut remis à
M. de Valincourt, qui, après la mort de Racine
avoit été affocié à Boileau, pour ce travail, & qui
en refta feul chargé après la mort de Boileau ; mais
ces papiers furent malheureufement brûlés dans l’incendie
qui confuma la maifon de M. de Valincourt^
à Sairçt-Cloud , en .1726. ; Les lettres de Racine &
de Boileau, & quelques ftagmens hiftoriques de
Racine, publiés par fëTFfals, prouvent combien
ces deux amis étoiènt occupés/lu travail qui leur
avoit été confié en commun. Racine , le fils ,)
ajoute que quand ils avoient écrit quelque morceau
intéreffant, ils alloient le lire au roi. Cette
feule circonftance peut modérer les regrets que doic
infpirer la perte d’un grand ouvrage de deux pareils
écrivains. Louis XIV en faifant écrire fon
hiftoire par les deux plus grands poètes de fon
règne , ne vouloit pas, fans doute, être flatté,
mais il auroit pu l’être beaucoup fans s’en apperce-
voir , & sûrement il n’étoit pas jugé avec une
équité févère dans les morceaux qu’on alloit lui lire;
M. de Voltaire , quoiqu’en général trop favorable
au fafte de Louis X IV , parce que ce fafte étoit
favorable aux arts, n’a cependant guère flatté dans
fon hiftoire ni Louis X IV , ni fon fucceffeur, & il
n’alloit point lire à ce dernier ce qu’il écrivoit fur
fon règne. M. Duclos, en acceptant l’emploi d’historiographe
, déclara hautement qu’il ne vouloit ni
fe perdre par la vérité, ni s’avilir par l’adulation;
Si je ne puis, dit-il, parler aux contemporains,
j’apprendrai aux fils ce qu’étoient leurs pères. Il ?
lu quelques morceaux de cette hiftoire, non pas au
roi ni aux miniffres, mais à fes amis, St ceux qui .
ont entendu ces morceaux , croient pouvoir aflii- 1
rer que quand cet ouvrage pourra paroître, on le I
jugera le meilleur & le plus intéreffant de ceux
de M. Duclos. Cette franchife, cet amour de la J
vé r ité , cette impartialité, cette précifion d’idées & !
d’expreflions, ce talent de voir, cet art de définir, I
donnent un grand intérêt à fes récits , & un grand I
poids à fes réflexions. Je n’ai point de coloris , di- J
loit-il ( & c'étoit fe connoître lui-même ) , mais je J
ferai lu. En effet il n’a point de coloris , & fon ton !
eft fec, mais il eft piquant,ingénieux, précis, v if j
& févère. Ces- mêmes caraftères fe trouvoient déjà J
dans fon hiftoire de Louis X I , mais ils étoient J
moins prononcés. L’auteur étoit moins sûr de fon J
fujet, il n’avoit vu ni les perfonnages dont il par- |
loit, ni leurs pères, & il ne fe les étoit pas rendu !
familiérs par une étude affez approfondie. On fait j
par tradition , que M. le chancelier d’Agueffeau _
Sifant Thiftoire de Louis XI dans fa nouveauté, difoit
dans de certains endroits : ah l mon ami ! quon-1
voit bien que tu ne fais tout cela que d’hier au foir ! |
En effet, l’homme vraiment favant , quand il a
de l’efprit, démêle aifément l’homme qui écrit
l ’hiftoire pourj l’apprendre , & l’homme qui l’écrit
parce qu'il la fait. M. Duclos , d’ailleurs , eft trop
favorable à Louis XI. Il ne le juge pas avec toute
la févérité de fa vertu , il fait grâce à fes vices en
faveur de beaucoup d’efprit& de quelques talens ;
fon dernier réfultat, que : tout mis en balance, c'étoit
un roi, peut être attaqué. On pourroit dire
auffi , que tout mis en balance, c’étoit un tyran,
& même un tyran mal-adroit & malheureux. On
dit qu’un grand prince étonné qu’on eût ofé dire
du mal d’un roi de France ( car c’étoit un vieux
préjugé dont nous avons vu encore quelques relies
que la fidélité hiftorique ne devoit point aller juf-
ques-là ) , demandoit un jour à Mézeray pourquoi
il avoit repréfenté Louis XI comme un ty ran ? La j.
réponfe de Mézeray fut courte : pourquoi l'étoït-il ? j
Un autre grand prince fachant l’abbé de Choi.fy 1
occupé à écrire l’hiftoire de Charles V I , lui demanda f
comment il feroit pour dire que ce roi étoit fou ï j
Monfeigneur, je dirai qu’il étoit fou. Ces vérités j
précifes étoîent fort du goût de M. Duclos. Il avoit
l ’idée exâéle & le mot propre..
Dans un autre genre, fes Conférions du comte
de *** ont obtenu de l’effime. Mais fon meilleur
ouvrage & un des meilleurs peut-être dont le dix-
liuitièine fiècle puiffe fe glorifier, c’eft le livre des !
confidérations fur les moeurs. Il y -en a peu d’aufii f
penfés & qui faffent autant penfér le leéleur. Il I
a établi & détruit beaucoup d’idées ; & c’eft-là fur- i
tout que le talent de l’auteur, pourries définitions j
paroît dans tout fon éclat ; il fait connoître les ]
hommes de tous les fiècles ,..en obfervant leshom- j
mes du fien. Il ne dit que ce qu’il a vu & tout ce J
qu’il a vu , il le fait voir , même à des yeux qui, f
fans lui ne verr.oient point ou verroient mal; ce j
font toutes, vérités d’ufage dont il importe d’être J
inftruit. Le ftyle eft fur-tout recommandable par
la précifion & laconcifion, pas lin .mot de trop ,.;
pas un qui ne foit le mot propre ; les tours ont une.
énergie audacieufe & fage qui fatisfait l’ame & qui
l’élève.
Tel étoit M. Duclos, foit dans le monde , foit
confidéré comme - hifloriographe & comme écrivain.
Dans les corps littéraires, également 'bon
académicien & bon confrère, il a été le promoteur
de plufieurs établiffemens Si réglemens utiles.
A i ’acaaémie des belles-lettres, quoiqu’il eût donné
plufieurs mémoires qui ne font certainement
pas les moindres du recueil & qui fe font fur-tout
remarquer par cette lumière que la philofcphie répand
fur l’érudition , il eut l’extrême défintéreffe-
ment de renoncer à la penfion 011.il étoit près d’ar- -
r iv e r , & de paffer à la vétérance. Il fit adopter
pour les approbations, que les commiffaires nommés
par l’académie donnent aux ouvrages de
leurs confrères une formule uniforme & invariable",:
dépouillée de tous ces éloges ridicules que les académiciens
fe donnoient les uns aux autres à raifort?
de confraternité, & dont lamefure varioit, fuivanc
le degré de liaifon, & fouvent d’après Tefprit de
parti, de forte que la.louange n’avoit rien de flatteur,
& que le filence devenoit offenfant. Cette'
réforme devroit bien fervir de règle pour toutes
les approbations de cenfure, où les éloges quelquefois
prodigués jufqu’au ridicule , ne font que compromettre
le jugement du çenfeur, auquel on de-'
mande feulement fi la religion, les moeurs & le
gouvernement ne font point bleffés dans l’ouvrage^
A l’académie françoife I c’eft M. Duclos qui a
introduit Tufage de propofer pour fuji-ts des prix-
(féloquence Téloge des grands hommes de la na--
tion. En le. cdnfidérant comme fecrétaire’ perpé-'.
tuel de cette compagnie, on trouvoit qu’il fe met-'
toit trop à fon aifé avec le public dans les affem-;
blées folemnelles", & qu’il ne teneit point ces a fi*
femblées avec affez de dignité; mais quand il s’a--
giffoit de défendreries droits & les intérêts de la*
compagnie, il étoit plein d’ardeur, de courage, de-
vivacité, d’aurefiè. M .Duclos fauya'la république'
lorfque Tadmiffion de M. le comte de Clermont^
dans la compagnie penfa y introduire des diflinc--
fions qui paroiffoîent inféparables du rang de princ©-
du fa n g , mais qui bientôt rédamées-de proche ei*
proche en proportion des droits Ôl des tiires., au-T
roient détruit l’égalité académique , égalité utile-
aux lettres & préeieufe aux académiciens. Le mémoire
que fit à ce fujet M. Duclos, eft plein d’e s prit
, de raifon, de fageffe. II détermina M. le comsS
de Clérmont à goûter ce plaifir nouveau pour lu i'
de’ l’égalité, & à renoncer en apparence à ries hon>'
mages, à desrefpeéb dont la réalité lui r e f t o i t &•
étoit encore augmentée par le fâcrifice qu'il e s :
faifeir. M. Duclos dîfoir quelquefois : je laijferai une'
mémoire ckêre aux gens de: lettres.. Ellle doit l’êt're ^
tous les* gens, de bien , car il’êtoitHi'èS'bie-nfa'ifaîî'^,