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afpirant au trône, moins pour gouverner l’état que
pour n’avoir point d’égaux, hafardant les promenés
dans la neceffité comme les méchans prodiguent les
voeux dans le péril, comptant la vie des hommes
pour rien & la tienne pour peu de chofe: il eût fait
moins de maux fans doiite à fa patrie,.fi, placé
fu r le trône par fa naiffance & par le fuffrage de
la nation, il n’eut point rencontré de rivaux. 11
étoit en bas âge , ainfi qu’Eric V I , lorfqu’Eric V
fut aflafiîné. Chrijlophe, au couronnement de fon
frère , en 1286 »laifla déjà appercevoir le germe de
cette haine qui caufa tant de malheurs dans la fuite :
d ie éclatoit. jufques dans les jeux de l’enfance;
il fe plaifoit à empoifonner tous les plaifirs de fon
frère , à lui di.puter le pas dans les cérémonies,
ou s’il le lui cédoit, cet hommage ironique étoit
plus infultant que la révolte même ; enfin quand
» c ’ Parvenu à l’âge de majorité, eut prit les
rênes du gouvernement, Chrijlophe ne difîimulaplus
fes deffeins. La haine qu’il portoit au roi avoit
déjà développé fes talens pour l’intrigue. Des
courtifans intéreffés à fomenter les divinons de la
famille royale, monftres aimables dont la jeuneffe
des princes eft toujours afliégée, avoient nourri,
par leurs perfides confeils, l’ambition & Le dépit
du jeune Chrijlophe. Son premier a&ed’indépendance
fut de fermer au roi la porte de Callunbourg,
ville de fon apanage. Eric s’en plaignit, & Chrif-
tcphe fit périr l'officier qui avoit exécuté fes ordres
au mépris de ceux du roi ; exemple terrible qui
apprend aux courtifans^ qu’en fe prêtant aux injuf-
tices de leurs maîtres, ils ont pour ennemis & celui
«ju’ils ofFenfent & celui qu’ils fervent, Eric paya les
excufes politiques de fon frère, en lui donnant l’Ef-
thonie pour fix ans , & la Hallande méridionale à
perpétuité. Ces bienfaits donnoient au roi un nouvel
empire fur fon frère, & cet empire augmentoit
la haine de Chrijlophe. Celui-ci, flatta les mécon-
tens, donna à ceux qui ne l’étoient pas des prétextes
pour le devenir , & fit à fon frère autant
d’ennemis de tous les fujets qu’il lui avoit fi géné^
réufement cédés, Eric révoqua à regret fes donations/
Chrijlophe fai fit cette occafion defatisfaire fon
inimitié, Il s’enfuit en Suède en i 3 ç.8 : les deux
frères remplirent le Nord de manifefles femés de
plaintes amères ; mais celles d’Eric étoient fondées
fur des faits que la nation n’ignoroit pas , & celles
du prince fugitif n’étoient que des reproches vagues
qui ne décéloient que fa fureur. Les trois ducs de
Suède.,. Eric, Valdemar & Birger, étoient trop
occupés à fe. nuire les uns aux autres pour époufer
des querelles étrangères ; ils fe firent médiateurs
entre les deux frères; Eric oublia les torts de
Çhrîjlophe, & lui rendit la Hallande méridionale.
Chrijlophe difparur une fécondé fois, fe retira en
Poméranie, & forma contre fon frère une limie
de plufieurs princes. La guerre s’alluma avant même
d’être déclarée. Chrijlophe , fécondé par fes puiffans
alliés , entra dans le Danemarck & ravagea plus
pu moins les provinces, à proportion du zèle
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| plus ou moins aéfif qu’elles avoient témoigné pour
J fon frere. Ce rebelle imprudent oublioit qu’il pou-
! voit régner un jour. En traitant ainfi les Danois,
! il juftifioit leurs révoltes futures , puifqu’il leur
! apprenoit que la fidélité qu’ils confervoient à leur
I fouverain étoit un crime à fes yeux. Les Scaniens
! effuyèrent plus de maux que le refte de la nation,
f parce qu ils avoient montré plus d’attachement pour
j Eric. Chrijlophe laifia aufli en Fionie des monumens
| de fa fureur & du patriotifme de cette province.
I Les richefles renfermées dans la ville de Swend-
j bourg devinrent la proie du foldat. Ainfi Chrijlophe,
par un délire inconcevable, livroit aux étrangers
les richefies d un pays fur lequel il prétendoit régner.
Il régna en effet, & la mort de fon frère
mit le comble à fes voeux-le 13 novembre 1319.
Il ne fut pas reconnu fans obftacle ; & pour ne
point parler de la cabale du duc de Slefwigh, prétendant
au trône , & de quelques autres chefs, le
parti le plus confidérable qu’il y eût contre lui en
Danemarck , étoit celui qu’il avoit formé lui-même
par toutes les hoftilités qu’il avoit commifes. Les
Danois fentoient bien que c’étoit choifir pour maître
leur plus grand ennemi ; mais ils prévoyoient aufli
qu en ne le couronnant pas, ils alloient perpétuer
une guerre qui avoit déjà ébranlé l’état jufques dans
fes fondemens. Ils reçurent donc, Chrijlophe comme
le fléau le moins funeffe que le ciel, pût leur env
o y e r ; mais en le recevant, ils tâchèrent de lui
lier les mains, & lui impefërent les loix les plus
dures. Par ce traité, les eccléfiaftiques rentroient
dans leurs privilèges,& enobtenoient de nouveaux :
on afluroit a la nobleffe une liberté qui refîembloit
beaucoup a l’indépendance ; on augmèntoit la puif*
fance des grands par de nouveaux domaines; enfin ,
dans cette négociation, on n’oublia que le peuple,
qu on laifla dans l’oppreflion où il gémiffoit. ChriJ
tophe, qui n’étoit point avare de fermens , jura
d’obferver tous les articles de ce traité. Mais la
nation qui ne s’oublioit pas elle-même , préfenta
aufli fes remontrances par la voix des communes.
Le nouveau roi promit d’alléger le fardeau des impôts,
de favorifèr la circulation du commerce., de
veiller à 1 adminiftration de la juftice, d’encourager
l’agriculture ; il promit enfin tout ce qu’un bon roi
exécute fans rien promettre.
A ces conditions Chrijlophe fut proclamé à la
diète de Vibourg, ainfi que fon fils Eric , le 25
-janvier 1320 ; mais ils ne furent couronnés qu’au
retour de l’archevêque de Lunden, qui étoit allé
fe plaindre au pape de ce qu’Eric lui avoit ôté l’île
de Bornholm. Çhnjtophela lui refiitua, pour mettre
la cour de Rome & le . clergé dans fes intérêts.
La cérémonie, fe fit fans trouble, mais non pas
fans une inquiétude fecrette de la part des aflif-
tans.
Chrijlophe, qui fentoit que fon affermiffement fur
le trône dépendoit plus des grands & des princes
voifins que du peuple, fe fortifia par deux puiflantes
| alliances, l’pne avec Louis, margrave de Brande?
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boufg, fils de l’empereur Louis de Bavière, l’antré
avec Gérard, comte de Holffein. Il donna Rugen,
Barth, Grimm & Loyzits à Witiflas, duc de Poméranie
, & Roftoch à Henri, prince de Meklen-
bourg, à qui Eric Menved l’avoit engagé ; car les
rois de Danemarck , lorfque leurs finances ne fuffi-
foient pas aux befoins de l’état ou à leurs plaifirs,
engageaient pour quelques années une portion de
leur domaine à dés hommes puiffans qui leur prê-
toient des fournies confidérables, & jouiffoient des
revenus des feigneuries aliénées jufqu’an rerme fixé
par la convention. Mais lorfque le prince étoit
fbible & le fujet puiffant , la reftitution éprouvoit
de grandes difficultés. L’églife , toujours zélée pour
le bien de l’état, montroit un êmpreffement généreux
à prêter de l’argent aux rois fur de pareils
gages , & c’eft par cette voie iur tout qu’elle s’étoit
tellement enrichie dans le Danemarck, qu’elle a
poffédé très-long- tznnps la plus belle & la plus grande
partie de ce royaume.
Tant de bienfaits répandus fans choix & avec
prôfufion , tant de revenus dont Christophe s’étoit-'
privé , le forcèrent à violer fa promeffe folemnelîé
& à établir des impôts. Tant que le peuple feul
en fut chargé, il gémit en filence : le roi les étendit
fur la nobleffe, & elle en murmura; enfin il
voulut y foumettre féglife, & la révolte fut décidée.
L’archevêque de Lunden menaça Chrijlophe .
de le dépofer.' Celui-ci rentra à main armée dans
les biens qu’il avoit engagés; c’étoit répârer une
imprudence par une autre. Bientôt tout le royaume
fut ên armes , la Zélande en peu de temps devint
un défert, lâScanieun théâtre d’horreurs , le refte
du royaume un champ de bataille, & les Danois
s’égorgeoient les uns les autres, pour punir leur roi
dé' leur avoir manqué de parole.
: Sur ces entrefaites, Eric, duc de Slefwigh, paya
tribut à la nature ; il laiffoit fon duché à Valdemar
fon fils , enfant trop foible pour fe défendre lui-
même, & qui, dans des circonftances fi critiques-,
, lie pouvoit pas choifir un.défenfeur qui ne fût fon
ennemi. Chrijlophe'{q déclara fon tuteur. Gérard de
Rendsbourg prit le même titre. Tous deux (butin-
rent à main armée les prétentions qu’ils avoient à
la tutèle , & ravagèrent le patrimoine de Valde-
iriar, fous prétexte de: le lui conferver. On fent
affez que, fi leur deffein eût été d’adminiftrer avec
fagefle les biens de leur pupille , pour les lui rendre
au terme de fa majorité , le titre de tuteur n’auroit
pas allumé entre eux une jalôufie aufli vive. Chriftophe
inveftit Gottorp , Gérard parut & lui préfenta
la bataillé. Le roi fut vaincu , & voulut chercher
un afyle au centre de fes états ; mais il n’y
rencontra que des amis chancelans, la nobleffe
armée contre lui, le clergé accumulant outrages
fur outrages, & le peuple, infiniment de fes
.propres malheurs , fervant avec fureur les intérêts
des grands. On le déclara déchu de tout droit au
gouvernement : à cette révolution fuccéda une
anarchie plus fume fie cent fois que le defpotifme
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même, & le peuple fe donna mille tyrans', en
dépofant un roi.
La haine des rebelles s’étendit jufques fur le
jeune & innocent Eric , qui, en combattant pour
fon p ère, ne faifoit que remplir fes devoirs de
fujet & de fils. Trahi par fesfoldats, il fut jetté
dans un cachot. Chrijlophe , en le perdant, perdit,
tout efpoir ; il avoit cru que les grâces de ce prince , ’
. fes vertus, fon courage calmeroient la révolte, Sc
qu’il feroit médiateur entre fon peuple & lui. Il
s’enfuit, va mendier des fecours chez fes a llié s,’
revient, & apprend que fon ennemi Gérard de
Rendsbourg vient d’être proclamé généraliflime &
régent du royaume. Bientôt il eft enfermé dans
Vordinbourg par Gérard lui-même, obtient la liberté
de fe retirer en Allemagne , defcend dans
l’île de Falfter , y eft aflîégé encore, promet de
fe confiner à Roftoch, & n’obferve pas mieux
cette fécondé capitulation que la première. Les états
fe crurent autorifés alors à mettre le fceptre dans
; les mains'du jeune Valdemar ; il fut proclamé, &
: les grands , qui dans cette affemblée di&oient tous
les fuffrages , ne les réunirent en fa faveur , que
parce-que fa foibleffe , favorable à leur ambition,
leur laiffoit l’efpoir de régner fous fon nom. Tous
les feigneurs dépoffédés rentrèrent gufli-tôt dans
leurs domaines; mais cette révolution même fit
naître entre eux des différends dont Chrijlophe fut
profiter. Il fit femer en Danemarck des lettres pathétiques
, où il peignoit fon* repentir avec des
traits fi touchans , qu’ils faifôient naître les mêmes
: remords dans les coeurs les plus endurcis. Le peuple
ouvroit les yeux & commençoit à s’appercevoir
que la protection fimulée que les grands lui açcor-
ddient, étoit une oppreflion véritable. Il fe Lit
tout-à-coup une révolution dans les efprits ; on
croiroit même qu’il s’en eft fait une dans le coeur
.de Chrijlophe. Ce n’eft plus ce prince terrible jufques
dans fon infortune , fongeant à fe venger
lors même qu’il ne pouvoit fe 'défendre ; .il paroît
à là tête d’une petite armée, portant l’épée dans
une main , dans l’autre une amniftie générale pour
fes ennemis. Cette clémence politique attire, & le
peuple toujours prompt à rentrer dans les bornes
du devoir comme à en fortir , & le clergé jaloux
de là puiffance des adminiftrateurs du royaume*
Eric eft arraché de fa prifon; mais bientôt ceux-
même qui l’avoient délivré s’aflùrent de fa per-
fonne. Les Danois font battus par Gérard près de
Gottorp. Cependant Chrijlophe foumet la Scanie
fans effufion de fang, & voit fon parti fe groffir
de jour en jour. Le vertige qui fuit le bonheur lui
fait oublier des ménagemens néceffaires dans fa
fituatîon ; il fait arrêter un évêque; le pape, d’après
la conftitution de Vedel (voy. ci-devant C hristophe
I ) , lance un interdit fur le royaume; mais
le bruit des armes, le choc des cabales , le flux &
reflux des révolutions qui fe fuccédoient fi rapidement,
ne permettoient guère de s’appércevoir des
foudres du Vatican.