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champioHspour Péjclaircir. Ain fi l’empereur Othonï i
vers l’an 968, fit décider fi la représentation avoit
lieu en ligne directe , par un duel, où le champion
nommé pour foutenir l’affirmative demeura vainqueur.
L'ordalie, terme faxon, rie fignifioit originairement
qu’un jugement en général-; mais comme
les épreuves panaient pour les jugemens par excellence,
on n’appliqua cette dénomination qu’à ces
derniers, & l’ufage le détermina dans la fuite aux
feules épreuves par les élémens 9 & à foutes celles
dont ufoït le peuple. On en diftinguoît deux efpèces
principales, î épreuve par le fe.u, l’épreuve par l’eau.
La première, .& celle dont fe fervoient auffi
les nobles, les prêtres, & autresperfonneslibres
qu’on difpenfoit du combat, étoit la preuve par
le fer ardent. C’étoit une barre de fer d’environ trois
livres pefant ; ce fer étoit béni aveç plufieurs
cérémonies, & gardé dans une églife qui avoit
ce privilège & à laquelle on payoit un droit pour
faire l'épreuve,
L’accufé, après avoir jeûné trois jours au pain
& à l’eau, entendoit la méfié ; il y communioit
& faifoit, avant que de recevoir l’euchariftie,
ferment de fon innocence ; il étoit conduit à
l’endroit de l’églife deftiné à faire Vépreuve , on lui
jetoit de l’eau bénite, il en buvoit même ; enfuite
il prenoit le fer qu’on avoit fait rougir plus ou moins,
félon les préemptions & la gravité du crime ;
il le foulevoit deux, ou trois fois, ou le portoit Î>lus ou moins loin , félon la fentence. Cependant
. es prêtres réçitoient les prières qui étoientd’ufage.
On lui mettoit enfuite la main dans un fac que
l ’pn fermoit exaâement, & fur lequel le juge &
la partie adyerfe appofoient leurs fcgaux pour les
lever trois jours après ; alors s’il ne paroifîojt point
de marque de brûlure, & quelquefois auffi, fiiivant
fa nature & à l’infpeâion dp la plaie, l’açcufé étoit
«bfous pu déclaré coupable.
La même épreuve fe faifoit encore en mettant
la main dans un gantelet de fer rouge, ou en
marchant nus-pieds fur des barres de fer jpfqu’au
nombre de douze, mais ordinairement de neuf.
Ces fortes dé épreuves font appellées ketelvang dans
les anciennes lois des Pays-Bas, & fur-topt dans
felles de la Frife.
On peut encore rapporter à cette efpèçe d’épreuve
£eïle qui fé faifoit ou en portant du feu dans fes
habits, ou en pafiant au travers d’un bûcher allumé,
pu en y jetant des livres pour juger, s’ils brû-
loient ou non, de l’orthodoxie ou de la fauffeté
des chofes qu?ils contenoient. Les hiftoriens en
apportent plufieurs exemples.
L'ordalie par l’eau fe faifoit ou par l’eau bouillante
, ou par l’eau froide; l’épreuve par l’eau bouillante
étoit accompagnée des mêmes cérémonies
que celle du fer chaud, & eonfiftoit à plonger
la,main dans une cuve, pour y prendre un anneau
qui y étoit fufpendu plus ou moins profondément.
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L'épreuve par feau froide, qui étoit celle d*
petit peuple, fe faifoit allez fimplement. Après
quelques oraifons prononcées fur le patient, on
lui lioit la main droite avec le pied gauche, & la
main gauche avec le pied droit , & dans cet état
on le jetoit à l’eau. S’il furnageoit, on le traitoit
en criminel ; s’il enfonçoit, il étoit déclaré innocent.
Sur ce pied là il devoit fe trouver peu de coupables,
parce qu’un homme en cet état ne pouvant faire
aucun mouvement, ,&fon volume étant d’un poids
fupérieur à un volume égal d’eau , il doit nécef-
fairement enfoncer. Dans cette épreuve le miracle
devoit s’opérer fur le coupable, au lieu que dans
celle du feu, il devoit arriver dans la perfonne
de l’innocent. Il eft encore parlé dans les anciennes
lois dé Xépreuve de la croix, de celle de l’eucha-
riftie, & de celle du pain & du fromage.
Dans l'épreuve de la croix les deux parties fe
tenoient devant une croix les bras élevés; celle
des deux qui tomboit la première de laffitude per-
doit fa caiife. L'épreuve de l’euchariftie fe faifoit en
recevant la communion, & occafionnoit bien des
parjures facriléges. Dans la troifième on donnoit
à ceux qui étoient accpfés de vol, un morceau
de pain d’orge & un morceau de fromage de brebis
fur lefquels on avoit dit la meffe ; & lorfque les
açcufés ne pouvoient avaler ce morceau, ils étoient
cenfés coupables. M. du Cange, au mot corfned 7
remarque que cette façon de parler, que ce morceau
de pain me puïjfe étrangler, vient de ces fortes d’épreuves
par le pain.
Il eft confiant , par le témoignage d’une foui«
d’hiftoriens & d’autres écrivains, que toutes ces
différentes fortes d'épreuves ont été en ufage dans
prefque toufe l’Europe, & qu’elles ont été approuf
vées par des papes, des conciles, & ordonnées
par des loix des rois & des empereurs. Mais il
ne L’eft pas moins qu’elles n’ont jamais été approuvées
par l’Eglife. Dès le commencement du IX e ,
fièclë, Agobard, archevêque de L y on , écrivit aveç
force contre Ifi dpmuablè opinion de ceux qui prétendent
que Dieu fait connoître Ja volonté & fon'jugement
par les épreuves de Veau & dit feu , & autres
femblables. Il fe récrie vivement contre le nom de
jugement de Dieu qu’on ofoit donner à ces épreuves $
comme Jî Dieu, dit-il, les avoit ordonnées , ou s'il
devoit Je foumettre à nos préjugés & à nos fentimens
particuliers pour nous révéler tout cç qu'il nous plaît
de /avoir. Yves de Chartres dans le Xle fiecleles
a attaquées, & cite à ce fujet une lettre du pape
Etienne V , à Lambert, évêque de Mayence, qui
eft aufli rapportée dans le décret de Gratien. Les
papes Céleftin I I I , Innocent I I I , 6c Honorips III,
réitérèrent ces défenfes. Quatre conciles provinciaux
aflèmblés en 82.9, par Louis-le-Débonnaire,
& le IXe concile général de Latran, les défendirent.
Ce qui prouve que l’Eglife en général] bien
loin d’y reconnoître le doigt de D ieu, les a t 11 jours
regardées comme lui étant injurieufes & étant
' favorables,
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favorables au menfonge. De-là les théologiens
les plus fages ont foutenu, après Yves de Chartres
& Saint-Thomas , qu’elles étoient condamnables
, parce qu’on tentoit Dieu toutes les fois
qu’on y avoit recours, parce qu’il n’y a de fa
part aucun commandement qui les ordonne,
parce qu’on veut connoître par cette voie des
chofes cachées qu’il n’appartient qu’à Dieu feul
de connoître. D’où ils concluent que c’eft à jufte
titre qu’elles ont été proferites par les fouverains
pontifes & par les conciles.
Mais les défenfeurs de ces épreuves oppofoient
pour leur juftification les miracles dont elles
étoient fouvent accompagnées; ce qui ne doit
s’entendre que des ordalies ; car pour les épreuves
par le ferment, le duel, la croix, &c. elles n’avoient
rien que d’humain & de naturel; & de-là naît
une autre queftion très-importante en théologie,
favoir de quel principe part le merveilleux ou le
furnaturel qu’une infinité d’auteurs contemporains
atteftent avoir accompagné ces épreuves. Vient-il
de Dieu ? vient-il du démon ?
Les théologiens même qui condam noient les
épreuves, fans contefter la vérité de ces miracles,
n’ont pas balancé à en attribuer le merveilleux au
démon ; ce que Dieu permettoit, difoient-ils j
pour punir l’audace qu’on avoit de tenter fa toute-
puiffance par ces voies fuperftitieufés ; fentiment
qui peut fouffrir de grandes difficultés. Un auteur
moderne, qui a écrit fur la vérité de la religion,
prétend que Dieu eft intervenu quelquefois dans
ces épreuves, ou par lui-même, ou par le minif-
tère des bons anges, pour fufpendre l’aftivité des
flammes & de l’eau bouillante en faveur des inno-
cens, fur-tout lorfqu’il s’agiffoit de doétrine; mais
il convient d’un autre côté que fi le merveilleux
eft arrivé dans le cas d’une accufation criminelle,
fur la vérité ou la fauffeté de laquelle ni la raifon
ni la révélation ne donnoient aucune lumière, il
eft impoffible de décider qui de Dieu Ou du démon
en étoit l’auteur ; & s’il ne dit pas nettement que
c’étoit celui-ci, il le laiffe entrevoir.
M. Duclos de l’académie des belles lettres, dans
une differtation fur ces épreuves , prétend au contraire
qu’il n’y avoit point de merveilleux, mais
beaucoup digndrance, de crédulité & de fuperftition.
Quant aux faits, il les combat, foit en infirmant
l’autorité des auteurs qui les ont rapportés, foit en
développant l’artifice de plufieurs épreuves, foit en
tirant des circonftances dont elles étoient accompagnées
, des raifons de douter du furnaturel qu’on
a prétendu y trouver. On peut les voir dans l’écrit
même d’où nous avons tiré la plus grande partie
de cet article, & auquel nous renvoyons le lefteur
comme à un exemple excellent de la logique dont
il faut faire ufage dans l’examen d’une infinité
de cas femblables. Mém. de l'acad. tome X V . (G)
Comme toutes les épreuves dont on vient de
parler s’appelloient en faxon ordéal, ordéal par le
Ht foire, Tome /ƒ, Seconde Partie,
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feu, ordéal par l’eau, &c. il eft arrivé que leur'
durée a été beaucoup plus grande dans le Nord,
que par-tout ailleurs. Elles ont fubfifté en Angleterre
jufqu’au XlIIe fiècle. Alors elles furent abandonnées
par les juges fans -être encore fupprimées
par a&e du parlement; mais enfin, leur ufage
cefta totalement err 1257. Emma, mère d’Edouard
le confeffeur, avoit elle-même fubi Xépreuve du
fer chaud. La coutume qu’avoient les payfans
d’Angleterre, dans le dernier fiècle, de faire Jes
épreuves des forciers en les jetant dans l’eau froide
pieds & poings liés, eft vraifemblablement un refte
de Xordéal par l’eau ; & cette pratique ne s’eft pas
confervée moins long-temps dans nos provinces,
où l’on y a fouvent affujetti, même par fentence-
de juge, ceux qu’on faifoit pafler pour forciers»
Non-feulement l’Eglife toléra pendant dés fiècles
toutes les épreuves, mais elle en indiqua les cérémonies
, donna la formule des prières, des imprécations
, des exorcifmes, & fouffrit que les prêtres
y prêtaient leur miniftère ; fouvent même ils étoient
afteurs, témoin Pierre Ignée. Mais pourquoi dans
l'épreuve de l’eau froide, eftimoit-on coupable &non
pas innocent, celui qui furnageoit ? C ’eft parce que
dans l’opinion publique, c’étoit une démonftration
que l’eau ( que l’on avoit eu la précaution de bénir
auparavant) ne vouloit pas recevoir l’accufé, &
qu’il fallait par conféquent le regarder comme
très-criminel.
La loi falique , en admettant l'épreuve par l’eau
bouillante, permettoit du moins de racheter fa
main., du confentement de la partie, & même de
donner un fubftitut: c’eft ce que fit la reine Teut-
berge, bru de l ’empereur Lothaire, petit-fils de
Charlemagne, accuféed’avoir commis un incefle
avec fon frère moine & fous-diacre : elle nomma
un champion qui fe fournit pour elle à Xépreuve
de l’eau bouillante, en préfence d’une cour nom-
breufe : il prit l’anneau béni fans fe brûler. Onr
juge aifément que dans ces fortes d’aventures,
les juges fermoient-les yeux fur les artifices dont
on fe fervoït pour faire croire qu’on plongeoit la
main dans l’eau bouillante ; car il y a bien des
manières de tromper.
On n’oubliera jamais, en fait d'épreuve r le défi
du dominicain qui s’offrit de paffer à travers un
bûcher, pour juftifier la fainteté de Savonarole ,
tandis qu’un cordelier propofa la même épreuve
pour démontrer que Savonarole étoit un fcélérat.
Le peuple avide d’un tel fpeéracle, en preffa l’exécution
, le magiftrat fut contraint d’y fouferire ; mais
les deux champions s’aidèrent l’un l’autre à fortir
de ce mauvais pas, & ne donnèrent point l’affreufe
comédie qu’ils avoient préparée.
Bien des gens admirent que les peuples aient
pu fi long-temps fe figurer que les épreuves fuffent
des moyens fûrs pour découvrir la vérité, tandis
que tout concouroit à démontrer leur incertitude,
outre que les rufes dont on les voiloit, auroient
Mm m.