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folie,',qui nous eft naturelle, & qui femble née
avec nouSjfe diffipe du moins une fois chaque année
par cette douce récréation ; les tonneaux de vin
créveroient, fi on ne leur ouvroit la bonde pour
leur donner de l’air : nous fommes des tonneaux
mal reliés, que le puiffant vin de la fageffe feroit
rompre , fi nous le iaillions bouillir par une dévotion
continuelle. Il faut donc donner quelquefois
de l’air, à ce vin , de peur qu’il ne fe perde & ne
fe répande fans profit. '
L’auteur du curieux traité contre le paganifme
du roi boit prétend même qu’un doâeur de théologie
foutint publiquement, à Auxerre , fur la fin
du xve. fiècle , que la fête des fous n’étoit pas
moins approuvée de Dieu que la fête de la Conception
immaculée de Notre - Dame , outre
qu’elle^étoit d’une toute autre ancienneté dans
l ’églife.
Auïîi les cenfures des évêques des xiije & xjv«
fiècles eurent fi peu d’efficace contre la pratique
de la fête des fous , que le concile de Sens, tenu
en 1460 & en 148* , en parle comme d’un abus
pernicieux qu’il falloit néceflairement retrancher.
Ce fut feulement alors que les évêques , les
apes & les conciles fe réunirent plus étroitement
dans toute l’Europe , pour abroger les extravagantes
cérémonies de cette fête, Les^cônftitu-
tions fynodales du „diocèfe de Chartres, publiées
en 15 50, ordonnèrent que l’on bannît des églifes les
habits des fous , qui font des perfonnages de théâtre.
Les fiatuis fynodaux de L y o n , en 1566 & 157%,
défendirent toutes les forces de la fête des fous
dans les églifes. Le concile de Tolède , en 1566 ,
entra dans le fentiment des autres conciles. Le
concile provincial d’A ix , eh 1585 , ordonna que
l’on fît ceflèr dans les églifes , le jourMe la fête
des Innocens , tous les divertiffemens , tous les
jeux d’enfàns & de théâtre qui y_avoient fubfifté
jufqu’alors. Enfin , le concile provincial de Bordeaux
. tenu à Cognac en 1620 , condamna fé-
vérèment les danfes & les autres pratiques ridicules
qui fe faifoient encore dans ce diocèfe le
jour de la fête des fous.
Les féculiers concoururent avec le clergé pour
foire ceffer à jamais la fête des fous , comme le
prouve l’arrêt du parlement de Dijon du ip janvier
1.552 : mais , malgré tant de forces réunies,
l ’on peut dire que la renaiffance des lettres contribua
plus, dans l’efpace de cinquante ans â l’â-
bolinon de cette ancienne & honteufe fête , que
la puilTance eccîéfiaftique & féculière dans le
cours de mille ans. Article de M. le chevalier d e
J a u c o u r t .
Nous allons joindre à ce mémoire , en faveur de
pîufieurs ledeurs, la defeription de la fête des fous,
telle qu’elle fe célébroit à Viviers, & cette defeription
fera tirée du vieux rituel manuferit de cette
églife.
Elle commençoit par PéiecHon d’un abbé du
flçrgé ; c’étoit le bas-choeur, les jeunes chanoines, i.
f e r
les clercs &enfons de choeur qui la foifoîent. L’abbé
élu & le Te Deum chanté, on le portoit fur fe;
épaules dans la maifon où tout le refie du chapitre
éroit affemblé. Tout le monde fe levoit à
Ion arrivée , l’évêque lui-même , s’il y éroit pré-
fent. Cela étoit fuivi d’une ample collation, apres
laquelle le haut-choeur d’un côté & le bas-choeur
de l’autre , commençoient à chanter certaines
paroles qui n’avoient aucune fuite : fed âum ea-
rùm cantus fetpius & frequentiiis per partes cont't-
nuando cantatur , tanto ampliîts afeendendo eleva-
tur in tantum , quod una pars cantando , clam ando
E FORT CRIDAR vincît allant. Tune enïm inter fe
ad invicem clamando , fibilando , ululando , caehin-
nando , deridendo , ac eufn fuis manibus demonf-
trando , pars viCtrix , quantum potejî 3 partem ad-
verfam deridere conatur & fuperare , jocojafque tru-
fz s fine teedis bnviter inferre. A parte abbatis
HEROS , aller chorus & n o lie n o l ie r n o ; à parte
abbatis a d f o n s s a n c t i B a c o n , alii K y r i e
ELEISON , &C.
Cela finifioit par une proceffion qui fe foifoit
tous les jours de l’oâave. Enfin le jour de faint
Etienne paroifloit l’évêque fou , ou l’évêque dés
fous , epiftopus fluluis. C ’étoit auffi un jeune clerc,
différent de l’abbé du clergé. Quoiqu’il fût élu
dès le jour des Innocens de l’année précédente ,
il ne jonifibit , à proprement parler, des droits
de .fa dignité que ces trois jours de S. Etienne ,
de S. Jean & des Innocens. Après s’être revêtu
des ornemens pontificaux , en chape , mitre,
crofie, &c, fuivi de fon aumônier ,,auffi en chape,
qui avoir fur fa tête un petit couffin au lieu de
bonnet , il venoit s’affeoir dans la chaire épifeo-
pale , & affifioit à l ’office , recevant les mêmes
honneurs que le véritable évêque auroit reçus.
A la fin de l’office, l’aumônier diloit à pleine voix :
filete , filete, filentium habete : le choeur répondoit.,
Deo grattas. L’évêque des fous » après avoir dit
Y adjutorium , &c. donnoit fa bénédi&ion , qui
étoit immédiatement fuivie de ces' prétendues
indulgences , que fon aumônier prononçoit avec
gravité :
D e p a rt mojfenhor V éyef pie y
Q ue D ie u -v o s done gran d m a l a l befçlt
' A y e s u na plen a b a n a jla de p a r do s
E dos des de raycha de fo t lo mento•
C ’efi-à-dire, de par monfeigneur Vévêque, que
Dieu vous donne grand mal au foie , avec une pleine
pannerée de pardons , & deux doigts de rage & de
gale rogneufe dejfous le menton. Les autres jours les
mêmes cérémonies fe pratiquoient, avec la feule
différence que les indulgences varioient. Voici
celles du fécond jou r , qui fe répétoient auffi 1e
troifième.
Mojfenhor que\ a y jf i prefen\ 3
V o s dona x x b a n a jla s de m a l de dm»
E t a vos au tra s dopas a tre jji
Dota una tua dp rqffî.
F E Î
Ce qu’on peut rendre par ces mots : monfeigneur, j
qui efb ici'préfent, vous donne vingt pannerèes de mal
de dents ; & ajoute aux autres dons qu’il vous- a faits
celui d'une queue de rofifié.
Ces abus, quelque indécens & condamnables
qu’ils fùffenr, n’approchoient pas encore des |
impiétés qui fe pratiquoient dans d’autres églifes;
du royaume, fi l’on < n croit la lettre circulaire,
citée ci-defius , des doéleurs de la faculté de Paris ,
envoyée en 1444 à tous les prélats dè'France ,
pour les engager à abolir cette détefiable coutume.
Belet, doéleur de la même faculté, qui vîvoir
plus de deux cent ans auparavant, écrit qu’il y
avoit quatre fortes d : danfes , celle dés lévites
Ou diacres, celle des prêtres, celle des enfans ou
clercs , & celle des fous-diacres. Théophile Raynaud
témoigne qu’à la méfié de cette abominable
fête, le jour de faint Etienne,, on chantoit une profe
de l’âne, qu’on nom moi t auffi la profe des fous;
& que le jour dè faint Jean on en chantoit encore
une' autre , -qu’on appelloit la profe du boeuf. On
conferve dans la bibliothèque du chapitre de Sens
un manuferit en vélin avec des miniatures , où
font r préfentées les cérémonies de la fête des fous.
Le texte en contient la defeription. Cette profe
de l’âne s’y trouve; on la chantoit à deux choeurs ,
qui imitoient par intervalles, & comme pour
refrain, le braire de cet animal.
Cet abus a régné dans cette églife , comme dans
prefquè toutes les autres du royaume ; mais elle
a été une des premières à lej-éformer , comme
il paroît, par une lettre de Jean Leguife, évêque
d eT ro y e s , à Trifian de Salafar, archevêque de
Sens. Élle porte, entr’autres , que aucuns gens
dléglife , de cette ville ( de Troyes ) fous umbre de
leur fête aux fous, ont fait pîufieurs- grandes moqueries
, dérifions & folies contre Tanneur & révérence
de Dieu, & au grand contempt & vitupère des gens'
£ églife , & (fe tout l ’état eccîéfiaftique ...o n t eleu &
fait Un a'cevefque des fols ; lequel, la veille &•
jour de là circoncifion de Notre Seigneur, fit l'office...
vêtu in pontificalibus, en baillant la bénédiction fo-
lemnelle au peuple 6» avec ledit arcevefique , en
allant parmi la ville, faifoit portet la croix devant ly ,
6* baillant la bénédiction en allant en grand dérifion
& vitupère de la dignité arciépifcopale ; & quand
on leur a dit que c’ étoit mal fa it , ils ont dit que aïnfi
le fait-on à Sens , & que vous-même ave-{ commandé ,
& ordonné faire ladite fefle, combien que foye informé j
du contraire, &c. En effet, l’évêque de Troyes- J
auroit eu mauvaife grâce de sradreffet à fon métro- j
politain pour foire ceffer cet abus , fi celui-ci en j
eût toléré un femblable dans fa propre cathédrale. J
Cette lettre eft de la fin' du quinzième fiècle, & il j
paroît par-là que cette fête étoit déjà abolie dans j
Péglife de Sens. Elle l’étoit également en beaucoup j
d’autres, conformément aux décifions de pîufieurs'j
conciles, par le zèle & la vigilance qu’apportèrent |
hs. évêqjies à. retrancher des abus fi exians^' 1
F E T ssP
Quelques autres auteurs parlent de la coutume
établie dans certains diocèfes, où fur la fin de
décembre les évêques jouoient familièrement
avec leur clergé, à la paume, à la boule à l’imitation
, difent—ils , des faturnales des payens : mais
cette dernière pratique, qu’on regarderoit aujourd’hui
comme indécente , n’étoit mêlée d’aucune
impiété-, comme il en régnoit dans la fête des
fous. D’autres ailleurs prétendent que les Latins
a voient emprunté* cette dernière des Grecs : mais
il efi plus vraifem1 labié que la première origine
de cette fête vient de la fuperfiition des payen ,
qui fc mafquoient le premier jour de l’an , & fe
epuvroient de peaux de cerfs ou de biches, pour
repréfenter ces animaux ; ce que les chrétiens
imitèrent, nonobfiant les défenfes des conciles &
des pères. Dans les fiècles moins éclairés, on crut
rèéiifier ces abus, en y mêlant des repréfentations
des myftères ; mais, comme on v o it, la licence
& l’impiété prirent le défias ; & de ce mélange
bifarre du facré & du profane, il neréfuîta qu'une
profanation des chofes les plus refpe&ables.
Si , malgré ces détails, quelqu’un eft encore
curieux d’éclaircifièmens fur cette matière, il peut
confulter les ouvrages de Pierre de Blois ; Thiers ,
Traité des je u x , YHiftoire de Bretagne , tome I. pag.
y 8 6 ; Mézeray, Abrégé de Thifoire de France, tom. I a
pag. j j8. éd. in-af. dom Lobineau, Nifioire de Paris,
tom. 1. pag. 224. dom Marlot, Hifloire de Rheims 9
tom. II. page y6p\ & enfin les Mémoires de du Tillot»
pour fiervir à T hifloire de la fête des fous, imprimés à
Laufanne, en tyyt-, in-fi°. Article de Mo-le Chevalier
d e Jaucourt.
F ête des innocens r cette fête étoit comme
une branche de l’ancienne fête des tous , & on la
célébroit le jour des Innocens. Elle n’a pas difparu
fi-tôt que la première ; puifque Naudé, dans fa;
plainte à Gaffendi , en 1645, témoigne qu’elle
fubfiftoit encore alors dans quelques menaftères
de Provence Cet auteur raconte qu’à Antibes,
dans le couvent des F-ancifcains , les religieux,
prêtres , ni le. gardien n’alloient point au choeur le
jour des Innocens ; & que les frères lais', qui vonfi
à la quête, ou qui travaillent au jardin & à la
cuifine , 'occupoient leurs places dans Péglife, &
faifoient une manière d’office avec des extravagances
& des profanations horribles. Ils. fe rêvé-
. toïenr d’ornemens focerdotaux , mais tous déchirés
s’ils en trouvoient, & tournés à l’envers. Iis te-
noient des livres à rebours, où ils faifoient fembiant
de lire avec des lunettes, qui avoient de l’écorce _
d’orange, pour verre. Ils nechanroient nihymmeSy
ni pfeaumes, ni meffes à l’ordinaire ; mais tamôs
ils marinotoient certains mots confus, & tantôt
ils pouffoient des cris r avec des contorfions qui'*
faifoient horreur aux pèrfonres f en fées.. Thiers
Traité des jeux. Voyeç FÊTE DES FOUS.
On a confervé dans quelques cathédrales'8î
collégiales l’ufage de faire officier r ce j.our - là-3, leS'