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gager dans une guerre étrangère, & le laiflbît combattre
avec Tes Saxons pour une caufe qui n’inté-
reffoit que fon éle&orat. Une partie de la nobleffe
lie le voyoit fur le trône qu’avec des yeux jaloux;
Charles avoit réfolu de l’en faire tomber : l’idée de
donner à une république fi fière un maître de fa
main, flattoitfon ambition ; il pénétra danslaSamo-
gitie : la république,qui vit fon territoire dévafté par
une armée triomphante, fentit alors que la querelle
d’Augufte étoit devenue lafienne ; elle oppofa
aux Suédois un corps confidérable de troupes, commandé
par le prince Wifnojwiski, ce général fut
vaincu. Charles continua fa marche, il n’étoit plus
qu’à feize lieues de Varfovie, lorfqu’il rencontra
l’ambaffade qu’Augufte, qui avoit en vain tenté de
le fléchir parfesagens, luienvoyoit pour dernière
reffource au nom de la république; le roi reçut
les députés avec bonté, & leur dit qu’il leur répon-
droit à Varfovie.
La diète s’y tenoit alors, les ennemis d’Augufte
y cabaloient contre lu i, & le cardinal de Polignac,
ambaffadeur de France» y négociait pour placer
la couronne fur la tête du prince de Conti. Augufte
alla avec une foible fuite chercher un afyleà O a -
covie; le roi entra fans réfiftance dans Varfovie,
& ce fut là que la perte d’Augufte fut réfolue.
Cependant Charles tfavoit encore pour lui qu’une
faélion naiffante, & Augufte confervoit un parti
puiffant. Le roi de Suède crut qu’une viéloire de
plus foumettroit la Pologne à fes caprices; il fortit
de Varfovie & marcha vers Gliffow : Augufte s’étoit
avancé jufques-là, dans le deffein d’arrêter Charles
& de lui préfenter la bataille. Son armée étoit de
vingt-quatre mille hommes, les Suédois n’étoient
que douze mille ; & malgré la fituation avantageufe
des ennemis,il furent les aggreffeurs. L’attaque commença
à la droite des Saxons, qui fut culbutée; le
duc de Holftein périt dans ce choc, Charles le pleura,
<& courut le venger au milieu des ennemis. L’aile
gauche des Saxons fit la plus vigoureufe réfiftance,
il y eut même un moment oïl les Suédois doutèrent
de la viâoire ; mais ranimés par la vue de Charles ,
qui renverfoit tout devant lu i, ils pénétrèrent à
travers les chevaux de frife qui défendoient l’approche
des ennemis, & taillèrent en pièces tout
ce qu’ils rencontrèrent ; le vainqueur renvoya aux
Saxons deux cents femmes qu’il trouva dans leur
camp. Augufte, dans fa fuite, ne fît que paffer à Cra-
cov ie , pour fe retirer vers Léopold : les portes de
cette ville furent brifées, le château emporté d’af-
faut. Un renfort de douze mille hommes , arrivés
de Poméranie, promettoit à Charité de nouvelles
vi&oires, lorfqu’une chûte de cheval arrêta le cours
de fes fuccès, il étoit bleffé. Augufte perfuada à la
Pologne qu’il étoit m ort, & fit dans les efprits une
révolution dont il étoit moins redevable à fes propres
talens, qu’à la faüffe nouvelle qu’il avoit
répandue. La diète de Sandomir réfolut de confirmer
à Frédéric-Augufle la pofTeflion du trône :
tandis qu’on délibéroit, Charles, à peine guéri de fa
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bleffure, avoit déjà conquis des provinces, 8c fe
trouvoit déjà dans les environs de Prag, aucom-
mencement du printemps, en 1704. Les députés
vinrent lui offrir pour la paix la médiation de la
république & de l’empereur; il refufa de les entendre
, & leur dit qu’il ne donnoit point audience dans
fès voyages. Augufte affembloit des diètes qui,
toutes animées d’intérêts différens, fe déclaroient
réciproquement incapables de prononcer fur lé fort
de la Pologne. Charles battoit à Pulflauch la cavalerie
Polonoife, & prenoit de fa main le lieutenant
colonel Beifth, tenoit l’Hoorn bloquée prefqu’à
la vue de l’armée de la couronne, qui n’ofoit fecourir
cette place : elle fe rendit; Elbing eut le même fort,
& l’éleâeur de Brandebourg fe déclara pour le vainqueur.
Charles hiverna dans le voifinage de l’armée
Polonoife, aufli tranquillement qu’il eût fait
dans fes états.
Cependant le cardinal primat, aufli profond politique,
qus; Charles étoit habile général, concertoit
fes menées fecrètes avec les grandes opérations de
ce prince, gagnoit les efprits, tandis qu’il prenOit
des villes ; préparoit fourdementla chûte d’Augufte ,
tandis que le roi de Suède faifoit à ce prince une
guerre ouverte, & ne faifoit pas moins.par fes intrigues
, que le conquérant par fes viétoires. Une diète
fut aflemblée par fes foins à Varfovie : le cardinal
com mença à plaindre le fort d’Augufte du ton le plus
affe&ueux, il plaignit en fuite celui de la république
avec plus d’énergie encore, & fit appercevoir que
le roi étoit la feule caufe des maux de l’état; il l’accu
fa enfuite d’avoir cherché à faire fa paix particulière
à l’infçu de la république ; & par degrés,
indifpofant les efprits contre ce prince, il les engagea
à déclarer que le roi ayant violé les loix fondamentales
de l’état, & les pafta conventa, le trône
étoit vacant, & qu’on pouvoit procéder à une nouvelle
éleâion. Ce fut alors que Charles propofa
Jacques Sobieski ; mais Augufte fit enlever ce prince
& Conftantin, fon frère, & les fit conduire en
Saxe. Charles à qui il importoit peu fur qu’elle tête
on mettroit la couronne, pourvu qu’elle y fût placée
de fa main, jeta alors les yeux fur Staniflas Lec-
zinski, jeune gentilhomme, plein de vertus, de grâces
& de courage : il fut élu le 1 a juin, malgré les pro-
teftations de la nobleffe de Podlachie. Charles X I I ,
i’ame de cette aflemblée, s’étoit confondu dans la
foule, il jeta le premier cri de vive le roi, & fut
reconnu.
Augufte protefta contre cette éleéfion, raflèmbla
quelques amis à Sandomir, donna le nom de diète
à cette aflemblée, & y fit déclarer que celle de Varfovie
n’étoit qu’un ramas de rebelles, ennemis de
la république & de la religion. Tandis qu’il répan-
doit des manifeftes, Charles accoùroit pour le fur-
prendre : le prince détrôné s’enfuit dans la Grande-
Bretagne, revint avec un feeours de dix-neuf mille
Mofcovites, & rentra dans Varfovie à main armée;
feize mille Saxons vinrent lui offrir leurs armes
& leur fang. Augufte commençoit à ne plus douter
de la confiance de fes fuccès, lorfque Charles X I I ,
dont 14na£lion étonnoit l’Europe, le mit en marche
avec fon armée; il conquit en courant Belz &
Zamofch,pafla fur le ventre aux Saxons, poftés
entre la Viftule & le Buch, battit la campagne
autour de Varfovie & rompit les ponts des rivières.
Augufte , qui vit que cette manoeuvre alloit couper
fa retraite, fortit encore de Varfovie : Charles &
Staniflas marchèrent fur fes traces; mais tant d’obf-
tacles rallentirent leur pourfuite, & le général Shullembourg
qui protégeoit, avec un corps d’infanterie
, la retraite d’Augufte, ne fut atteint par les
Suédois que fur les frontières de la Pofnanie. Charles
à la tête de fa cavalerie fe précipita fur les ennemisÿ
Shullembourg fit pendant trois heures la plus belle
réfiftance, reçut plufieurs blefliires, fut contraint
d’abandonner le champ de bataille , & toujours
pourfuivi, fit fa retraite en bon ordre. Charles reprit
fa route le long de l’Oder, réglant fa marche fur
celle des ennemis, enlevant leurs convois, pillant
leur bagage, & faifant des efforts incroyables pour
les attirer au combat. Shullembourg,qui avoit divifé
fon armée pour engager Charles à divifer la fienne,
la vit battre en détail, en raflèmbla les débris*à
Gùben, & les mit à l’abri de marais inacceflïbles
à la cavalerie. Charles fe vengea fur un corps de
Saxons & dé Cofaques de l’impuiffance où il étoit
d’attaquer Shullembourg & hiverna dans les quartiers
que les ennemis s’étoient préparés.
Cependant le czar étoit rentré en Livpnie, il
s’étmt emparé de Narva ; le comte de Hoorn
qui défendoit cette ville étoit dans les fers, le
château d’Ina Wogorod fut emporté d’aflaut;
Schillempach à la tête d’un détachement de Suédois
fit de grandes' pertes, & ne remporta que de
légers avantages ; en un mot Charles X I I n'étoït
point en Livonie, il paroiffoit tourner vers la
Saxe fes vues pour la campagne de 1705. Augufte ,
qui préféroit un éle&orat ou il étoit maître, à un
royaume où il n’étoit que le premier citoyen,
courut à Drefde , & mit fes états en défenfe ;
il tâcha d’engager le roi de Pruffe dans fa querelle
, mais la terreur qu’infpiroit. Charles X I I
étouffoit dans tous les coeurs la pitié due aux
malheurs d’Augufte: le roi de Pruffe ofa cependant
promettre fa proteâion à la ville de Dantzick.
Le roi de Suède occupé de plus grands deffeins,
ne longea point alors à fe venger de cette démarche
des Dantzickois, il renferma fon reflèn-
timent dans fon ame, &c attendit d’autres temps
pour les faire éclater. 1 es différens corps de l’armée
Suédoife fe mirent en marche avant le
retour du printemps, & préludèrent par des
fuccès qui auroient fatisfait un conquérant moins
avide de gloire que Charles X I I ; quatorze mille
Lithuaniens & Mofcovites furent vaincus à Ja-
cobftad par fept mille Suédois & Poloneis. Peu
de temps après, quatre mille ennemis, attaqués à
1 improvifte par douze cents Suédois, furent maf-
facrés fans pitié. La flotte des Mofcovites engagée
dans les glaces près de Notebourg, fut livrée aux
flammes. Deux viâoires remportées fous les murs
de Lowitz, dans l’efpace d’un mois, la conquête
de la Carelie, la foumiflion de plufieurs villes
importantes, qui attendirent à peine l’approche
des Suédois pour ouvrir leurs portes, la défertion
de prefque tous les partifans d’Augufte, la défaite
de trente mille Mofcovites fur les frontières de
Lithuanie, de fix mille Saxons & Polonois près
de Wiafdow, tous ces avantages fucceflifs éton-
noient d’autant plus l’Europe , que Charles X I I ,
tranquille dans, fes quartiers, obfervoit tout &
n’agiffoit pas, mais il préféroit à fa gloire les
intérêts de fon ami ; il fentoit que s’il s’eloignoit
du centre de la Pologne, fon abfence pouvoit
caufer une révolution dans les efprits. Une diète
générale alloit s’ouvrir à Varfovie, c’étoit là que
le confentement de la nation devoit achever
l’ouvrage de Charles X I I & de la fortune: on y
forma en faveur de Staniflas une ligue entre la
Suède & la Pologne. Le nouveau roi y reçut,
des mains d’un archevêque, la couronne qu’il ne
devoit qu’à Charles ; les deux princes fe rendirent
enfuite au camp de Blonic pour s’oppofer aux
opérations combinées du czar & d’Aügufte. Ainft
Charles paffa l’année 1705 toute entière fans donner
une feule bataille en perfonne ; & la viâoire qu’il
remporta fur lui-même, en demeurant oifif, lui
coûta plus que toutes celles qui l’ont rendu célèbre.
Au refte, il ne tarda pas à fe dédommager d’un
fi pénible repos; il traverfa le Diémen fur la
glace, emporta l’épée à la main un pofte occupé
par les ennemis fur la rive oppoféç, -& préfenta
la bataille à l’armée Mofcovite, qui la refufa; il
l’inveftit dans Grodno & lui coupa les vivres,
tandis que l’abondance régnoit dans fon camp ,
enrichi dés dépouilles des ennemis. Tandis qu’il
formoit ce blocus , différens détachemens rem-
portoient divers avantages, l’un pénétra jufqu’à
Tÿkokzin , après avoir écrafé plufieurs partis
Mofcovites qui s’oppofoient à fon paffage, un
autre fe jeta dans Olika, où quinze cents ennemis
furent paffés au fil de l’épée. Le général Krux
entra vainqueur dans Auguftowa, tout le pays
de Caum fut conquis, & Charles, qui crut pouvoir
confier à fes généraux le foin de fes intérêts &
de fa gloire, partit pour la grande Pologne. Une
fermentation naiffante y faifoit craindre une révolution
dangereufe; fon départ réveilla les efpé-
rances d’Augufte, il vint fondre fur le camp des
Suédois, mais Renfehild fit ce que Charles eût
fait lui-même; il gagna la bataille, fit neuf mille
Saxons prifonniers, maffacra fans pitié tous les
Mofcovites, & fe fit un riche trophée de canons,
d’étendards & de drapeaux. Le roi de Suède ne
put diflimuler la jaloufie qu’excitoit dans fon ame
la gloire de fon général : « Renfehild Y difoit-il,
» ne voudra plus faire comparai fon avec moi ». Il
changea fa route aufli-tôt pour achever la défaite
des ennemis, fe jetta dans la Jafiolda l’épée à la