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confirait trois galeries découvertes dans la partie
intérieure de l’avenue, & fur fon alignement , à
commencer depuis la grille jufqu’à la contre-allée
du parterre. La galerie du milieu préparée pour
le roi avoit douze toifes de longueur & trois de
largeur ; on y montoit fept marches par un efcalier
à double rampe , qui conduifoit à un repos, d’où
l’on montoit fépt autres marches de front, qui
conduifoient fur le plancher. Cette galerie étoit
ornée de colonnes de verdure, dont les entable-
mens s’uniffoient aux branches des arbres de l’avenue,
8c formoient une architeélure ruftique plus
convenable à la fête que le marbre Scies lambris
dorés. Cette union des entablemens & des arbres
reffembloit affez à un dais qui fervoit de couronnement
à la place du roi. Le plancher étoit couvert
de tapis de Turquie, ainfi que les baluftrades ;
un tapis de velours cramoifi, brodé de grandes
crépines d’or , diftînguoit la place de fa majefté.
Tout le pourtour de cet édifie 8c les rampes
des efcaliers étoient revêtus de feuillées.
Aux deux côtés, & à neuf pieds de diftance
de cette grande galerie, on en avoit confirait deux
autres plus étroites 8c moins élevées pour le refie
des fpeélateurs, qui ne pouvoient pas tous avoir
place fur la galerie du roi. Ces deux galeries
étoient décorées de feuillages comme la grande,
& toutes les trois étoient d’une charpente très-
folide, 8c dont l’affemblage avoit été fait avec
des précautions infinies, pour prévenir les moindres
dangers.
Dès que le roi fut placé, on lâcha l’un après
l’autre cinq fangliers dans les toiles. Cette chaffe fut
parfaitement belle. Le comte de Saxe, le prince de
Valdeck, & plufieurs feigneurs françois ÿ firent
éclater leur adreffe 8c leur intrépidité ; ils entrèrent
dans les toiles, armés feulement d’un couteau de
chaiTe 8c d’un épieu.
Le comte de Saxe fe diflingua beaucoup dans
cette chaffe. Le roi ayant bleffé un fanglier d’un
dard qu’il lui lança, le comte de Saxe l’arracha
d’une main du corps de l’animal, que fa bleffure
rendoit plus redoutable y tandis que de l’autre main
il en arrêta la fureur 8c les efforts. 11 en pourfuivit j
enfuite un autre qu’il irrita de cent façons différentes
: lorfqu’il crut avoir pouffé fa rage jufqu’au
dernier excès , il feignit de fuir ; le fanglier courut
fur lu i, il fe retourna & l’attendit ; appuyé d’une
main fur fon épieu, il tenoit de l’autre fon couteau
de chaffe. Le fanglier furieux s’élance fur
lui ; dans le moment l'intrépide chaffeur lui enfonce
fon couteau de chaffe au milieu du front,
l’arrête ainfi 8c le renverfe.
Cette chaffe, qui divertit beaucoup fa majefté
& toute la cour, dura jufqu’à une heure après
m id i, que le roi rentra pour dîner.
Chajfe du cerf. Après le dîner, fa majefté monta
en calèche au bas de la terraffe; les princes ,
la cour le fuivirenf à cheval,
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Le cerf fut chaffé pendant plus de deux heuroü
par la meute du roi; le comte de Touloufe y
grand-veneur de France, en habit uniforme , piquant
à la tête. Sa majefté parcourut toutes les
routes du parc : la chaffe paffa plufieurs fois devant
fa calèche; 8c le cerf, après avoir tenu très-longtemps
devant les chiens, alla donner de la tête
contre une grille ÔC fe tua.
Le roi revint fur les cinq heures dans fon
appartement, 8c changea d’habit pour aller à la
foire.
Salle de la foire. La foire que M. le duc d’Orr
léans avoit fait préparer avec magnificence, étoit
établie dans la cour intérieure du château ; elle
eft quarrée 8c bâtie fur un deflin femblable à
l’avant-cour.
Le leéleur ne fera peut-être pas fâché de trouver
ici quelques détails de cette foire galante ;
l’idée en eft riante 8c magnifique, 8c lui peut peindre
quelques-uns de ces traits faillans du génie aufli
vafte qu’aimable du grand prince qui l’avoit ima<-.
ginée.
On avoit laiffé de grands efpaces qui avoient
la forme de rues, tout autour de la cour, entre
les boutiques 8c le milieu du terrein, qu’on avoit
parqueté 8c élevé feulement d’une marche : ce
milieu étoit deftiné à une falle de bal ; 8c on n’avoit
rien oublié de ce qui pouvoit la rendre aufli magnifique
que commode.
La falle n’étoit féparée de ces efpèces de rues
que par une banquette continue , couverte de
velours cramoifi. Toute la cour qui renfermoit
cette foire étoit couverte de fortes bannes foute-
nues par des travées folides, qui fervoient encore
à fufperidre vingt-quatre luftres. Toutes lès différentes
parties de cette foire étoient ornées d’une
très-grande quantité de luftres , 8c ces lumières
réfléchies fur des grands miroirs 8c trumeaux de
glaces, étoient multipliées à l’infini.
On entrait dans cette foire par quatre paffages
qui répondoient aux efcaliers du château ; ce lieu
n’étant point quarré 8c fe trouvant plus long
que large * les deux faces plus étroites étoient
remplies par .deux édifices élégans, 8c les deux
autres faces étoient fubdivifées en boutiques, fé-
parées au milieu par deux petits théâtres.
En entrant de l’avant-cour dans la foire , ©a
rencontrait à droite le théâtre de la comédie italienne,
qui rempliffoit feul une des faces moins
larges de la cour. Il étoit ouvert par quatre pilaftres
peints en marbre blanc, cantonnés de demi-colonnes
d’arabefque 8c de cariatides de bronze doré ,
qui portoient une corniche dorée, d’où pendoit
une pente de velours à crépines d’o r , chargée
de feftons de fleurs : au-deffus régnoit un pié—
deftal en balùftrade de marbre blanc â moulure
d’o r , orné de compartiment, de rinceaux de
feuilles entrelacées 8c liées avec des girandoles
chargées de bougies,
Ou
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Ofl voyoit au haut de ce théâtre les armes du
foi grouppées avec des guirlandes de fleurs ; le
.chiffre de fa majefté, figuré par deux L L entrelacées,
paroiffoit dans deux cartouches qui cou-
ronnoient les deux ouvertures faites aiix deux
côtés du théâtre pour le paffage des a&etirs; ces
deux paffages étoient doublés d’une double portière
de damas cramoifi à crépines d’o r, fefton-
nant fur le haut. Ce théâtre, élevé feulement de
trois pieds du rez - de - chauffée, repréfentoit un
temple de Bacchus dans un jardin à treillage d’or ,
couvert de vignes 8c de raifins. On voyoit la
ftàtue du dieu en marbre blanc, qu’environnoient
les fatyres en lui préfentant leurs hommages.
•Le théâtre italien étoit occupé par deux afteurs
8c une aétrice , Arlequin f Pantalon 8c Silvia , qui,
par des faillies italiennes 8c des fcènes réjouif-
fantes , commençoient les plaifirs qu’on avoit
répandus à chaque pas dans ce féjour.
Toutes les boutiques de cette foire brillante
étoient féparées par deux pilaftres de marbre
blanc, de l’entre-deux defquels fortoient trois bras
en hauteur, à plufieurs branches, garnis de bougies
jufqu’au bas de la balùftrade. Ces pilaftres
étoient cantonnés de colonnes arabefques; portant
des vafes .de bronze doré , d’où paroiffoient fortir
des orangers chargés d’une quantité prodigteufe
de fruits 8c de fleurs ; ils étoient alignés fur les
galeries qui régnoient fur tout l’édifice autour de
la foire.
Immédiatement au-deffus des boutiques , qui
avoient environ huit pieds de profondeur 8c quinze
à feize de hauteur, régnoit tout-an-tour la baluf-
trade dont il a été parlé : à chaque côté des orangers
, qui étoient deux à deux, il y avoit une
girandole garnie de bougies en pyramide ; 8c entre
chaque grouppe d’orangers 8c de girandoles, il
•y avoit un ou plufieurs aéteurs ou a&rices de
l’opéra , appuyés fur la balùftrade, mafqués en
-domino ou autre habit de bal, dont les couleurs
étoient très- éclatantes ; ce qui formoit le
tableau en même temps le plus furprenant 8c le
plus agréable.
Chaque boutique étoit éclairée par quantité
de bras à plufieurs branches 8c par deux luftres
à huit bougies ,,qui fe répétoient dans les glaces.
A celles qui étoient deftinées pour la bouche , il
y avoit de plus des buffets rangés avec art 8c garnis
de girandoles. Toutes les boutiques avoient pour
couronnement une cartouche qui contenoit en
lettres d’or le nom du marchand le plus connu de
la cour , par rapport à la marchandée de la bou*-
tique. Les fupports des cartouches étoient ornés
des attributs qui pouvoient caraâérifer chaque
négoce dans un goût noble. Les muficiens 8c
mùficiennes, dànfeurs 8c danfeufes de l’opéra,
vêtus d’habits gala ns, faits d’étoffes brillantes 8c
cependant convenables aux marchands qu’ils re-
prêfentoienr, y diftribuoient généreufemcnt 8c à
Hijloire. Tome IL Seconds part,
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tous venans leur marchandife. l a première boutique
étoit celle du pâtiftier, fous le nom d ;
Godard; elle étoit meublée d’un cuir argenté : le
fond, féparé au milieu par un trumeau de glace ,
laiffoit voir dans fes côtés le lieu deftiné au travail
du métier, avec tous les uftenfiles néceffaires;
la Thierry, danfeufe repréfentoit la pâtiflière ;
elle avoit pour garçons Maltère 8c Javilliers, qui ,
habillés de toiles d’argent, 8c portant des clayons
chargés de ratons tout chauds, couraient vite
les débiter dans la foire. Cette -boutique étoit
garnie de toutes fortes de pâtifferie fine.
La boutique fuivaote avoit pour infeription ,
Perdrigeon ; elie étoit meublée d’une tenture de
brocatelle de Venife , 8c de glaces, 8c garnie de
dragonnes brodées en or 8c en argent, noeuds
d’épée & de cannes > ceinturons 8c bonnets brodés
richement ; les rubans de tomes fortes de couleurs,
8c d’or 8c d’argent, les plus à la mode 8c du
meilleur goût, y pendoient en feftons de tous
côtés : le maître 8c la maîtreffe de la boutique
étoient repréfentés par Dumoulin, dmfeur , 8c
par la Rey> danfeufe.
La troiftèn-.e boutique étoit un café ; on lifoit
dans le cartouche le nom de Benaclii. Elle étoit
tendue d’un beau cuir doré avec des buffets chargés
de taffes , foucoupes 8c cabarets du Japon &
des Indes, 8c de girandoles de lumières, qui fe
répétpient dans les trumeaux. Corbie 8c Julie,
chanteur 8c clianteufe , déguifés en turc 8c tur-
queffe, ainfi que Deshayes , chanteur , qui leur
fervoit de garçon , diftribuoit le café, le thé 8c
le chocolat.
La quatrième boutique élevée en théâtre d’opérateur,
étoit inferite, le docteur Barry. La forme
de ce théâtre repréfentoit une place publique 8c
les rues adjacentes. Scapin en opérateur, Trivdin
fon garçon, Paqueti en aveugle , 8c Flaminia,
femme de l’opérateur , rempiiiToient ce théâtre ,
8c contrefaifoien parfaitement le manège 8c l’éloquence
des arracheurs de dents.
La cinquième boutique repréfentoit un ridotto
de Venife. Le meuble étoit de velours; les trumeaux
8c les bougies y éroient répandus avec
profufion. On voyoit plufieurs tables de baffette
8c de pharaon , tenues par des banquiers bien
en fonds, 8c tons mafqués à la vénitienne : c’étoient
des courtifans, qui fe démafquèrent d’abord que
le roi parut.
La fixième , intitulée , Ducreux 8c Baraillon ,
avoit pour marchande la Duval, danfeufe; 8c
pour marchandife , des mafqués, des habits de
b a l, 8c des dominos de toutes les couleurs 8c de
toutes les railles.
Dans la feptième , où étoient Saint-Martin 8c la
Souris la cadette , habillée à l’allemande, on montrait
un tableau changeant, d’une invention 8c
d’une variété très-ingénieufes ; & un veau vivant
ayant huit jambes. Cetie loge étoit meublée de
c[amas, 8c s’appelioit çadei.
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