
» campagne, fa majefté veut bien vous continuer
» la gratification de deux mille écus ».
Il eft trifte , dit l’auteur des mémoires pour fer-
vir à la vie ,du maréchal de Catinat ; « il eft trifte
» qu’une partie eflentielle du mérite des généraux
» françois, foît de fe mettre au-deffus du ftyle
» des miniftres ».
Ce ftyle ne s’adoucit pas dans le cours de la
campagne fuivante. Si Catinat qui avoit fon fyftême
.de.guerre & fon plan de'campagne fçrmé d’après
la connoiffance des lieux St la comparâifon des
forces refpeétives , s’oppofoit à cette foule de projets
chimériques & dangereux que les efprits inquiets
& ambitieux de l’armée propofoient fans
cefle, bien moins pour fervir l’état que pour contrarier
& embarraüer le général, St qui féduifoient
fouvent M. de Louvois par un air d’éclat & d’audace,
M. de Catinat, au gré du miniftre, fe fa-if oit
des monf res pour les combattre. Souvent il ne répon-
doit aux objeâions les plus raifonnables de M. de
.Catinat que. par un ordrepoJîtif3 d’exécuter ce qu’il
-jugeoit impoflible. Je fais ce que, défi qu'un o rd r e
p o s i t if , & j obéis, répondoit alors Catinat, mais
.en même-temps ii envoyoit une démonftration-de
l’impoflibilité du fuccès, & quelquefois Louvois, ou
xonvaincu par la démonftration , ©u feulement fa-
^.tisfait de lobéiffance , envoyoit encore à temps un
contre-ordre , qui empêchoit du moins une partie
du mal ordonné.^Ce miniftre ., ce grand miniftre
malgré tant de grands défauts, mourut cette même
année , peu regretté d’un maître qui croyoit peut-
jêîre ne lui rien devoir, depuis que Louvois avoit
dit : il fait qu'il me doit tout. Louvois fut pleuré de
Catinat, q u i, n’ayant plus,à fouffrir de fes hauteurs
, ne fe ibuvint plus que dè fes bienfaits.
-M. de Barbézieux , dépourvu de l’expérience &
peu capable de l’application qui fervoient du moins
d ’excufe aux prétentions de Louvois,vouloit comme
lu i , diriger ae Verfailles les opérations des généraux
, & foumettre aux vues éloignées 8t incertaines
du cabinet ce qui dépend du lieu -St du moment.
S’il n’ofoit pas , comme fon père , envoyer
de fon chef à Catmat -des ordres pofitifs , contraires
à fes répréfeptations , il lui en faifoit envoyer par
le ro i, & Catinat écrivoit au roi : Votre majeftél'ordonne
j fe$. ordres vont êtr-e exécutés j j e vais agir contre
toutes les vues & connoiffances que fa i. Il alla même
quelquefois jufqifà réfifter à la volonté du roi, qu’il
favoit n’être que cejle d’un miniftre trompé s 8t
i l manda plufieurs fois en pareil cas, à Barbézieux,
à Louvois, à Louis .XIV même , qu un homme
chargé des affaires doit prendre fur lu i., en homme de
bien, le parti qu il croit le meilleur. Malgré les miniftres
8t malgré plufieurs officiers de fon armée,
•jaioyx de fa gloire, Catinat prit dans cette campagne
de 1691, cette place de Nice, contre laquelle
avoient échoué, en 1543 , les forces de Soliman II
,& dé François I , commandées par Barberouffe &
par le comte d’Anguien ; il prit auffi Carmagnole
.dans le Piémont, & il affûta fa conquête d,e Suze
.par une aftion des plus vigoureufes qui eût fuM
pour la gloirer d’un autre général, & qui n’eft pas
même comptée parmi lès 'victoires de Catinat fiait
parce que fa modeftie voilôit tout, foit parce que
M. de Feuquières n’en a point parlé ; Catinat pénétra
en Savoie ou il prit la ville & le château de
Montmélian , qui étoit, dï foit-il, une hïdeufe pofi-
tion pour un ajjiégeant. Après la bataille dè Stafardè,
le public avoit demandé pourquoi on ne faifoit
pas Catinat maréchal de France, il le demanda bien
plus après la bataille de Suze 8c la prife de Montait
èlian.
’Si tout ce que Càtinat exécutoit par lui-même
réuffiffoit, tout ce qu’il étoit obligé de laiffer exéi
cuter par les autres , échouoit ; on faifoit manquer
fon entreprife fur Veillane, on levoit-le fiège de
C o n i, malgré les plus fages mefures pour en aftu-
rer la prife. •
Parmi .ces envieux, qui, pour perdre le général
auroient pt rdu l’état, St dont les fautes n’avoient
.pas pour excufe le défaut de talens 8c de lumières,
il en eft un qu’on voudroit pouvoir juftifier, mais
que les lettres de M. de Catinat accufent trop fortement
pour qu’on puïfle le diflimuler ; il eft fâcheux
d’ avoir à prononcer entre Catinat 8t Feuquières
; il eft fâcheux pour le fécond que la probité
du premier , fa. réfèrve, fa modeftie , fon at-,
tention à faire valoir tous les officiers qui fervoient
fous fes ordres, fa délieàtefîe, ingénieufe à cacher,
à pallier, à excufer leurs fautes, attellent qu’il a
voulu le ménager , & qu’il ne s’eft porté que malgré
lui & à la dernière extrémité à l’accufer. Ses
accufations font graves , c’eft à lui qu’il impute les
échecs volontaires de Veillane St de Coni ; il lui
impute d’avoir conftamment traversé fes projets ou
par des projets contraires d’une exécution qu’il favoit
être impoflible , ou par des mefures infidèles ,
St adroitement mal-adroites, fouvent même d’avoir
défavoué avec éclat après l’évènement des projets
q,u’il avoit lui- même propofes avec obftination St
que le général n’avôit adoptés que par condefcen-
dance St pour le bien d.e la paix. Ainfi ce juge
févére des opérations des généraux, qui a fait de
leurs fautes la leçon de la pôftérité, lui dont les
jugemens paroifîént Ii plaufibles , St font fouvent
fi refoeétés ,. auroit eu pour décrier certains généraux
, des motifs de haine , d’envie 8t de mauvaife
foi. Sa caufticité n’a pas épargné Catinat, 8t parmi
les François, dont la prédileétion eft naturellement
pour les coups d’éclat 8t les expéditions brillantes,
ii a dû s’élèver des voix contre cette guerre Fabienne,
cette guerre de défenfe 8t de circonfpeélion
à laquelle Catinat fut porté par fon çaraâère ou
forcé par les.cir.conftances. On a pu dire de lui ce
que Tacite dit de Suetonius Paullinus : CunElator
naturâ f & cui cauta potins 'confilïa cum ratione, quant
profperàex cafuplacèrent..... Satiscito incipi viélorianif
übi provifum foret ne vincerentûr. Feuquières, fans
avoir commandé en chef les armées, fans avoir
été général, a jugé des généraux dont il a vu de
près les opérations , 8t dont il a partage les travaux,
foit en les approuvant, foit en- les condamnant
; a-t-il condamné juftement le fyfteme de
guerre de Catinat ? C ’eft aux militaires feuls,à décider
cette queftion d’après une grande connoiffance
de l’art & un-examen fcrupuleux d,es cir-
conftances mais- dans la comparaifon morale de
ces deux hommes, tout le monde a juge-en faveur
du caractère de Catinat.
Dans la campagne de 1692-, ce general n ayant
qu’une armée deléize mille hommes contre une
dè cinquante mille , il fallut refter fur la défenfive,
& ce fut beaucoup d’èmpécher les ennemis de prendre
des quartiers d’Hiver dans lè Dauphine , qu ils
.ne purent qu’entamer par la'prife d Embrun. Ce-
toit déjà les avoir repouffés que de les avoir réduits
à cette feule conquête ; Catinat confomma
l’ouvrage, il les força d’abandonner cette même
conquête , & ïeschaffa auffi entièrement du Dauphiné
r. que le connétable de Montmorencï, en
1536 , avoit chaffé Charles Quint dè la Provence.
Louis XIV fentit tout le prix de cette campagne,
& au commencement dè l’année 1^93 *1’ envoya,
au fauveur du Dauphiné , le bâton de maréchal
de France, qu’il n’avoit point' donne au vainqueur
du Piémont & de la Savoie.
«Cette, grâce., dit l’auteur dès mémoires pour
fervir à fa vie , » excita dans lui une joie enfantine ,
» qui' caraâérife les âmes pures. I l riy a point.de
» flegme ; s ecrioit Catinat , à l'épreuve d’une pareille
» nouvelle ; je fuis agité d’une joie que je ne con-
» noiffois point encore ».
« A h ! s’écrie un auteur célèbre;, les rois font
» grands, puifqu’ils peuvent donner cette, joie à
3) la vertu.» !.
Louis XIV fentit cet avantage de la puiflance
& de la juftice; en lifant dans fon cabinet la., lifte
des maréchaux de France qu’il avoit Laits , 11’ s’interrompit
au nom de Catinat, & dit avec fatisfac-
tion : Ce fl bien la vertu couronnée. Fénelon, touché
d’une exclamation fi flatteufe & fi jufte , s’emprefîa
de la mander à Catinat, &- de.joindre au fuffrage
d’un- grand roi celui d’un homme vertueux. Càtinat,
fidèle à fon caraftère, ne.fe permit de jouir de ces
détails de gloire & de.bonheur, que danslefecret
de l’amitié la plus intime ; il n’efi fit part qu’à M.
de Croifilles, celui de tous fes frères qu’il diftin-
guoitpar uneaffeftion particulière, parce qu’iLavoit,
comme lui, embrafle le parti dçs armes, qu’il
étoit, comme lu i, un officier de diftin&ion. «\Geci,
lui dit-il , » n’eft que pour, nous deux . . . gardons-r
» en le fecret,. &.ne le dis pas même à ma foeur »..
Lorfque dans l’intervalle de la campagne de i6pa
à 1693 M. de Catinat avoit' rendu compte au roi
de l’état de la guerre du côté des Alpes , le roi*
avoit fini l’entretien par lui dire : C'efl affe^parler
de mes affaires , en quel- état font les vôtres ? Sire ,
avok- répondu M. dé Catinat , grâce aux bienfaits
de..votre - majeflé, fa i tout ce qu'il .me faut». Voilà
avoit répliqué le r o i, le feul homme de mon royaume
qui tienne ce ’ langage. . . .
Catinat crut avoir à juftifier fa nomination à 1»
dignité de maréchal de France ; il redoubla d’efforts^
la viéloire de la Marfaille, plus éclatante &'plus»
complette encore que celle de Stafardè ,• la levée”
du fiége de Pignerol & du blocus de Cafal de la-
part des ennemis , & des contributions levées par
les François dans tout le Piémont, tels furent les-
fuccès de la campagne de 1693. C ’étoit la fécondé-
fois que Catinat battoit en perfonne le duc de Savoie
, & qui plus eft , 1e prince Eugène. C’eft apres,
la bataille de la Marfaille qu’arriva un petit incident;
qui prouve quel étoit l’amour des foidats;
pour le général qu’ils appelaient familièrement le
Père la penfée, à'caufe de fon air penfif 8c réfléchi
ce fait n’eft nulle part mieux décrit que dans un-
des éloges auxquels le concours de. 1775 à 1 acadé--
mie françoife a donné lieu. ‘
u. Catinat pafla la nuit qui fuivir la bataillé, ail-
'» bivouac , à la tête des'troupes. Il étoit au milieu
» de la -gendarmerie , qui , dans- cette journée
» avoit elle feule pris vingt-huit drapeaux ou éten--
» darts. Il dormoit enveloppé dans; fon manteau..
» Les gendarmes imaginent de raflernbler ces tro-
» .phées&dlen environner le héros endormi. Les -
» régimens voiflns apprennent cet hommage rendu-?•
» à Catinat. Ils apportent auffi autour de..lui les-
» trophées qu’ils ont gagnés. Le jour fe lèvjé;, Ca--
» tinat fe réveille, entouré des gages de fayi&oire?
» & faiué par les acclamations de fon armée. Na-
» tion aimable & ffinfiblel s’écrie à.ce fujet l’orateur,
» les autres peuples élèvent lentement des -
» flatues aux mânes de leurs grands iiommes;*toi-.
» feule es fufceptible de ces tranfports fubits,de-
» cette énergie de fentimens y. de ces hommages-
» ingénieux ; 8c malgré ta légèreté , malgré tes in-
» conféquences, malgré la perfécution que les ta—
» lens ont quelquefois efluyée dans ton fein, c’effc
» au milieu de toi qu’il eft le plus doux de travailler
» pour la gloire ».
- Le maréchal , après fa- nouvelle vi&oire , de—,
manda , pourIbn armée , des grâces néceflaires St
méritées-on lui en offrit pour lui-même, fa ré—
ponfe fut : J ’ai encore à. mériter les anciennes. Cependant
fes parens St fes amis le preffoient de :
demander une augmentation de traitement : Je neveux
point y dit-il, .êtr'e.comme les valets , qui faliffenV-
leur attachement pour leurs maîtres, en demandant une-
augmentation de gages. ..
M. de Catinat termina, cette guerre par la- né--
gociation ; .il fut l’auteur du traité mémorable qui*
unit les cours de Verfailles St de Turin; par le ma—
riage de la princeffe de. Savoie avec, le- due- de.:
! Bourgogne.
La paix de l’Italie ayant précédé,de quelque temps.;,
la-paix générale , Catinat alla fervir un,moment :
en Flandre, ©11 : il prit la ville. d’Ath. Ce fut forrs
dernier emploi; dans la guerre.de 168&-La paix-y,
trop .peu durable de Rifw'icksle.rendiL, ppur quel?*